Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur le bilan de Nicolas Sarkozy depuis son élection et sur l'opposition sans concession du parti socialiste, Paris le 8 janvier 2008.

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Circonstance : Voeux à la presse le 8 janvier 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Au nom des députés socialistes, je vous présente tous mes voeux de réussite et d'épanouissement dans votre vie personnelle et professionnelle. Je veux avoir avec vous une pensée pour Raymond Forni qui vient de disparaître et qui a été pour moi une des figures de la République et du groupe socialiste. L'immigré italien devenu député de la République a incarné la permanence de l'intégration républicaine. L'ouvrier de Peugeot devenu président de l'Assemblée nationale a été un modèle du mérite républicain. Il était un caractère magnifique fait d'indépendance d'esprit et d'orgueil des convictions. Il a été l'honneur du pays et tous les députés socialistes lui rendront hommage en se rendant à ses obsèques à Belfort.
Avant de répondre à vos questions, permettez moi quelques mots d'introduction sur la situation du pays.
L'espoir du renouveau qu'avait suscité l'élection présidentielle s'est envolé. La France est retombée dans « la société de défiance » qui la mine depuis tant d'années. La crise du pouvoir d'achat, l'atonie économique, la précarisation du travail alimentent la peur du déclassement. Le choc fiscal et social a fait pschitt ! Les réformes s'enlisent. Les caisses sont vides. Le pouvoir s'est entravé lui même au moment de faire face au risque de dépression de la conjoncture internationale.
Le président est évidemment comptable de cette situation.
Dans une période d'incertitude, on attend des responsables du pays, et du premier d'entre eux en particulier, qu'il fixe un cap. Qu'il exerce une autorité énergique mais aussi bienveillante et protectrice pour entraîner les Français dans les changements nécessaires. C'est tout le contraire qui s'est produit. La rupture du contrat social a amplifié les erreurs commises par la majorité depuis cinq ans: l'inégalité dans la répartition des gains et des efforts, la paupérisation de l'Etat, le rabotage des protections. Puisque la notation est à la mode, Nicolas Sarkozy me fait penser à un redoublant qui recommence les mêmes fautes.
Là où Français croyaient à son professionnalisme et à sa solidité, ils découvrent son impréparation et sa fragilité. L'impréparation, on la voit tous les jours dans l'écart entre ce qu'il a promis et le peu de résultats qu'il obtient. La fragilité, on la perçoit quand il instrumentalise sa vie privée, quand il exhibe à tous vents sa bonne fortune et celle de ses amis, quand il confond en permanence peuple et people. M. Sarkozy paraît davantage préoccupé de son image que des difficultés du pays. Là où il devait s'occuper de la France qui peine et se lève tôt, il semble préférer la France de la jet set qui se couche tard. Là où il a mission de rassurer, il inquiète.
Je veux croire que cette dérive relève d'une griserie de la victoire et que le président va revenir à davantage de sobriété. Mais je suis obligé de constater qu'on retrouve ces excès dans toute sa politique. Dans sa confusion des intérêts politiques, médiatiques et financiers. Dans sa concentration de tous les pouvoirs gouvernementaux. Dans sa caporalisation des magistrats. Dans sa diplomatie spectacle devenue une suite de coups sans cohérence qui met la France à la remorque des états ou des factions les plus critiquables. M. Sarkozy affaiblit sa fonction dans sa dimension symbolique et dans son rôle fédérateur.
Comme son prédécesseur il nous invite à la patience. Comme son prédécesseur, ses voeux sont une farandole de promesses, de réformes et d'hyperboles : « la politique de civilisation », « la nouvelle renaissance ». Comme si la France était au Moyen âge.
Avant de voltiger dans les stratosphères, il faut commencer par réussir, avoir l'ambition de la simplicité. La crise française vient de ce décalage de plus en plus grand entre la proclamation des grands concepts et leur caractère impraticables. Dans son intervention Nicolas Sarkozy était dans l'emphase mais n'était pas en phase avec les Français.
Vous me pardonnerez d'être plus prosaïque en rappelant les mauvaises nouvelles que les Français endurent depuis le 1er janvier : la hausse des prix du gaz, de l'essence où le gouvernement est incapable de faire respecter l'engagement des compagnies pétrolières de réduire leurs marges. A quoi il faut ajouter l'entrée en vigueur des franchises médicales, la désindexation des pensions de retraites et des allocations logement.
Comment dès lors comprendre que le gouvernement ressorte à bas bruit son projet de TVA à 24,5 ainsi que l'a fait M. Besson. En pleine crise de la vie chère, ce projet est une aberration économique qui ponctionnera encore plus sévèrement les ménages. Que le président dise clairement ce qu'il advient de ce projet ? Qu'il explique comment le gouvernement va financer la monstrueuse dette sociale et que vont devoir payer les Français ? La bataille du pouvoir d'achat est déterminante et nous la mènerons jusqu'au bout.
Il ira de même sur un autre projet présidentiel « opportunément » renvoyé après les municipales : la fin de la durée légale du travail. Remettre en cause la durée légale du travail c'est rayer un siècle de batailles pour civiliser le travail. C'est abattre la clé de voûte de notre droit social. C'est escroquer les salariés que l'on incite à faire des heures supplémentaires et à qui l'on retire aussitôt le gain de leurs efforts. La négociation en ce domaine est une plaisanterie. Les syndicats n'en veulent pas. Et dans 90% des entreprises il n'existe pas de représentation syndicale. C'est pourquoi je mets en garde le gouvernement. S'il veut imposer un projet de loi, comme l'a laissé entendre le Premier ministre, il rencontrera une opposition totale. Nous passerons toutes les nuits blanches qu'il faudra dans l'hémicycle pour empêcher le vote d'un tel projet. La durée légale du travail, c'est la première sécurité du travailleur.
Ce sont là des sujets cruciaux sur lesquels nous ne lâcherons rien.
Notre opposition sera désormais sans concession.
Depuis sept mois nous avons accepté le dialogue avec le pouvoir. Nous avons répondu à ses invitations, nous avons multiplié les propositions notamment au Parlement. Jamais elles ne sont écoutées ou prises en compte. A quoi sert le dialogue quand il est à sens unique ? L'urgence est décrétée sur tous les textes, les débats sont écourtés, nos amendements systématiquement rejetés. Les Parlementaires n'existent dans l'esprit du président que pour écouter sa parole et avaliser la personnalisation du régime. Pour toutes ces raisons nous n'irons pas aux voeux du président de la République. Seule nos membres du bureau de l'Assemblée s'y rendront.
Nous récusons la conception et la pratique du pouvoir du président.
Nous ne voulons pas être les figurants d'une proclamation républicaine qui cache des politiques honteuses comme les tests ADN ou les quotas d'expulsions d'étrangers en situation irrégulière.
Nous ne voulons pas servir de caution à une fausse profession de foi laïque que le discours de Latran a contredite et malmenée.
A un moment il faut dire stop aux simulacres.
C'est aussi la raison pour laquelle nous nous opposons en l'état au projet de réforme des institutions. Les quelques nouveaux droits consentis au Parlement et aux citoyens ne sont que l'habillage de l'institutionnalisation d'un régime personnel. J'ai la conviction que ce projet n'aura pas de majorité et ne verra jamais le jour.
Cette opposition n'est ni sectaire, ni aveugle. Nous avons soutenu la démarche du Grenelle de l'environnement. Nous sommes prêts à une confrontation de projets et d'idées sur les propositions de la commission Attali.
Nous voterons le traité simplifié européen parce que ses acquis sont supérieurs à ses insuffisances et parce qu'il est une chance de sortir l'Union de sa paralysie politique. A une réserve près. Il me paraît impossible que nous participions à la révision préalable de la Constitution dès lors que défendons la voie référendaire plutôt que la voie parlementaire. C'est une question de cohérence.
A travers ces quelques exemples, je veux transmettre aux Français des raisons d'y croire. Au Parlement il existe une gauche qui se bat, qui innove, qui cherche des voies nouvelles.
Nous sommes en train de faire émerger une brillante génération d'élus. Nous innovons dans notre organisation et nos idées. Nous avons produit des propositions nouvelles sur le pouvoir d'achat et la politique fiscale. Nous allons le faire dans les prochains mois sur l'emploi senior, les retraites, la politique industrielle, le droit du travail. Nous allons déposer une proposition de loi sur le logement avec nos amis du Sénat. J'ai souvent regretté devant vous la désaffection médiatique pour ce travail parlementaire. J'ai la faiblesse de croire qu'une attention plus soutenue améliorerait l'image des socialistes et du Parlement. C'est à nous députés de changer ce regard, de nous ouvrir davantage à la société. Ainsi avons-nous décidé qu'à chaque fin de session, le groupe socialiste rendrait compte publiquement de son mandat lors d'une grande rencontre avec des représentants de toutes les composantes de la société.
Cette gauche de l'innovation et de la réussite, elle est aussi dans les mairies et les départements. Les élections municipales et cantonales auront évidemment une portée nationale. Elles jugeront, et j'espère sévèrement, l'échec de l'UMP. Mais je souhaite tout autant qu'elles soient la reconnaissance de la qualité de la gestion locale de la gauche. Si la France garde encore sa cohésion sociale et territoriale, elle le doit en grande partie à ses collectivités locales qui réalisent les ¾ des investissements publics. Toutes les grandes novations en matière de politique des transports, de logement, d'urbanisme, de suivi social, de compétitivité économique émanent des collectivités dirigées par la gauche. Nous avons là le vivier de la rénovation du projet socialiste.
Voilà pourquoi avant de nous projeter dans les enjeux du Congrès, j'appelle tous les socialistes, toute la gauche à se réunir pour faire de ces élections une réussite qui nous encourage à changer. 2008 doit être l'année de la mutation du Parti socialiste. Il doit assumer un réformisme décomplexé. Cela veut dire faire des choix forts. Sortir des combinaisons d'appareil sans substance. Construire une direction cohérente et homogène. Je ne veux plus avoir à choisir entre des hommes et des femmes qui pensent la même chose. Je veux aider à construire une équipe soudée, audacieuse. Je veux participer à l'édification d'un parti socialiste radicalement nouveau qui donne aux Français l'envie de changer avec lui.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 11 janvier 2008