Texte intégral
Q - En 2007, vous étiez favorable à cette Constitution, ce Traité de Lisbonne, ne serait-ce pas mieux que rien ?
R - C'est bien mieux que rien et je vous rappelle que, même si j'y étais favorable, la France ne l'était pas et vous l'avez bien souligné. Il fallait donc non seulement rétablir la France mais aussi rétablir la légalité car si nous étions restés bloqués en l'état, il n'y aurait plus d'Europe. Ce ne fut pas facile. C'est une idée de Nicolas Sarkozy - je n'ai personnellement pas voté pour lui -, et je pensais que nous pourrions refaire un référendum. On voit bien que c'était une erreur et que nous n'aurions pas pu le faire. Ce n'est donc plus une Constitution mais simplement un traité, ce qui ne change pas grand chose en fait.
En revanche, les progrès sont évidents et, surtout, ce qui est majeur, c'est qu'après quatre années de stagnation, deux années d'immobilisme, l'Europe est à nouveau en marche.
Certains ont accepté le Traité par référendum, de la même façon que nous avons refusé le Traité constitutionnel. Ensemble, nous disons qu'il faut aller de l'avant et nous avons donc approuvé le Traité de Lisbonne grâce à la Présidence allemande et, ensuite, avec le concours de la Présidence portugaise. C'est un progrès majeur.
Tout le monde s'en fiche dans sa vie quotidienne car c'est difficile de changer, mais vous verrez, à terme, cette puissance européenne deviendra de plus en plus politique.
Q - Un nouveau mécanisme dans votre secteur en tant que ministre des Affaires étrangères sera mis en place, un haut représentant de la politique étrangère qui aura des pouvoirs renforcés. N'est-ce pas seulement symbolique ?
R - Non, il y aura aussi une représentation extérieure de l'Europe qui sera renforcée. Ce sera d'abord symbolique, mais pas seulement, car, à partir de là, nous pourrons définir, je l'espère - et c'est à cela que nous travaillons avec M. Moratinos -, une politique commune.
Face à ce qui était une hyper-puissance américaine et qui ne l'est plus, il faut que l'Europe s'affirme comme un acteur majeur et, pour cela, il nous faut une Défense européenne. Cela mettra du temps. Tout le monde n'est pas d'accord. Il nous faudra des années mais les révolutions qui se font en une journée s'étiolent finalement très vite. Il nous faudra du temps parce que ce sont 27 acteurs majeurs.
Vous représentez-vous ce que c'est que de faire parler 27 nations, en leur donnant le temps de parole qu'elles souhaitent, en interprétant et en tenant compte de ce qu'elles disent ? C'est long, très long, mais le résultat sera intéressant.
Non seulement, il y aura dans le domaine des Affaires étrangères une décision, une force, mais aussi un élan qui viendra des citoyens dont parlait M. Moratinos. Les citoyens en avaient assez de l'Europe telle qu'elle est. Ils la croyaient bureaucratique même si elle l'est moins que certains pays, en particulier peut-être la France. Mais il faut que l'on nous croit.
Prenez le Kenya, c'est la catastrophe ! Bien sûr, nous n'interviendrons pas militairement mais il faudrait quand même avoir la possibilité de peser d'un certain poids. L'Europe, avec diverses voix, avec des intérêts particuliers différents ne peut rien ; elle le pourra bientôt.
Q - Mais malheureusement dans les secteurs des Affaires étrangères et de la Défense, il faudra toujours prendre les décisions à l'unanimité ?
R - Non, il y aura des votes à la majorité qualifiée.
Q - Prenons le Kosovo dont on parle beaucoup en ce moment. Les Européens sont divisés sur ce qu'il faut y faire, indépendance ou non, un Kosovo plus autonome ou non. C'est quand même un souci que l'Union européenne ne parle pas d'une seule voix, n'est-ce pas ?
R - L'Union européenne parle d'une seule voix même si, pour le moment, d'ailleurs, elle ne parle pas. Elle a prorogé le signal et les négociations d'une seule voix. Elle a fait tout ce qu'elle pouvait en matière de possibilité de contacts et de paroles entre les Serbes et les Albanais du Kosovo. Hélas, ce n'est pas suffisant. Ils ne veulent pas. Eh bien, maintenant, il y a des personnes qui ne sont pas d'accord avec une éventuelle reconnaissance ou indépendance du Kosovo. Ils feront comme ils voudront mais l'unité de l'Europe, l'unité de vues, de solidarité sera maintenue. Nous ferons cela ensemble sans nous disputer. Nous en avons parlé sept fois pendant trois ou quatre heures. C'est un problème très difficile.
Q - La position de la France à propos de l'indépendance du Kosovo, c'est plutôt oui, mais attention prudence ?
R - Oui, nous faisons ce que nous pouvons pour qu'ils s'entendent et qu'il y ait quelque chose qui ressemble à une Fédération si c'est possible. Si c'est impossible, alors la France reconnaîtra l'indépendance. Mais ce n'est pas parce que l'Espagne ne la reconnaît pas que nous serons fâchés, que l'Europe sera détruite, au contraire.
Q - Sans entrer dans les détails institutionnels mais pour faire avancer l'Europe, on a parfois penser à cette solution d'une Europe à plusieurs vitesses. On parlait de coopérations renforcées ou de cercles concentriques, etc.... Cela vous dérange-t-il ?
R - La seule chose qui nous dérangerait, ce serait la fin de l'Europe, qui fut une idée merveilleuse et que tout le monde nous envie. A mon avis, l'Europe est l'espoir du monde car on ne peut pas parler de globalisation sans réunion, sans travail en commun.
L'exemple de l'Europe, avec des pays qui se sont faits la guerre durant des décennies - c'est vrai, toutes les combinaisons ont été mises en place pour que la France et l'Espagne se fassent la guerre -, et maintenant, de façon volontariste, avec la politique, nous avons décidé de travailler ensemble.
Bien sûr qu'il existe des obstacles, bien sûr que la majorité renforcée ne sera pas l'unanimité, mais qu'est-ce que cela peut faire ?
Nous parlerons tout à l'heure de l'Union pour les pays de la Méditerranée. Nous n'allons pas commencer tous ensemble, nous débuterons cette Union petit à petit. C'est un mouvement profond et il faut que nous puissions dire "nous" en parlant de l'ensemble de l'Europe et pas seulement de son pays. C'est l'avenir.
Q - Concernant la Turquie et sa demande d'adhésion, d'un point de vue européen, on dit souvent que ce n'est pas urgent. Mais du point de vue turc, n'y a-t-il pas urgence à répondre à l'opinion publique turque ? Ne va-t-elle pas se lasser de l'Europe ?
R - Je ne le crois pas. Elle a besoin de l'Europe et, selon moi, l'Europe a besoin également de la Turquie. La France et l'Espagne n'ont pas la même vision pour le moment, mais les choses vont changer, il faut du temps.
Le président de la République française est hostile à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, l'Espagne y est favorable. Mais petit à petit, nous avons ouvert le dialogue, je suis allé en Turquie, le président de la République a reçu deux fois M. Erdogan.
Les choses avancent. Avant, la négociation était bloquée. La France a débloqué cette négociation en ouvrant ce que l'on appelle des chapitres. Cela prendra dix ans. Vous savez, on a le temps de changer et des vagues passeront sur la Méditerranée, nous amenant à voir d'autres manières de penser.
Q - Mais l'enjeu en Turquie, c'est malgré tout l'islamisme conservateur, le rapport entre l'islam et l'occident. C'est un pays charnière.
R - En ce moment, ils bombardent de l'autre côté de la frontière. Je les comprends puisque le PKK est une organisation qui se trouve sur la liste des organisations terroristes. Il faut donc régler ce problème et ils ne rentreront pas dans l'Union européenne si ce problème n'est pas réglé.
Q - Et si la Turquie entre dans l'Europe, cette frontière-là sera la frontière de l'Union ?
R - En effet, mais ce n'est pas fait du tout. Ce qui est important, c'est de faire un pont entre le monde islamique, entre l'Islam modéré - que nous devons soutenir parce qu'ils ne sont pas nos ennemis -, et l'Occident. C'est certain.
Q - On aurait pu relancer le Processus de Barcelone en lui donnant une dimension un peu plus politique plutôt que faire une Union méditerranéenne ?
R - On le relance de cette façon. Avant, tout le monde pensait que cela concernait seulement les pays de la Méditerranée ; on parlait de l'Union de la Méditerranée. Maintenant, on parle de l'Union pour la Méditerranée, cela change tout. Une Union pour la Méditerranée à laquelle participeront tous les pays qui le souhaitent, en particulier les pays du Nord de l'Europe ou des pays plus lointains. Cela deviendra la partie matérielle, réelle, financée du projet.
Q - Disant cela, n'êtes-vous pas en train de changer la nature de ce dont parlait M. Sarkozy ?
R - Non, bien sûr que non.
Q - Vous expliquez donc aux Allemands que, s'ils le souhaitent, ils peuvent venir ?
R - Mais bien sûr. Regardez, nous l'avons fait avec les Espagnols. En face, il y a les Algériens et les Marocains qui ne se parlent pas, l'une des frontières les plus hermétiques du monde. Commençons, par exemple, un projet de station d'épuration pour la mer qui doit devenir la plus propre du monde. On pourrait commencer là, avec ces quatre ou cinq pays. Le projet est financé puisqu'il s'agit d'une opération qui mêle, avec une décision politique, des entreprises privées.
On débute ce projet. L'Allemagne veut se joindre à nous ? C'est parfait. C'est vraiment ce que nous allons faire pratiquement. Il faut une décision politique forte avec déjà des systèmes qui se mettent en place et des projets réels qui commencent.
Q - Et n'est-ce pas une compensation offerte à la Turquie qui sera partie prenante dans de tels projets...
R - Je l'espère.
Q - ... en leur expliquant que même s'ils n'entrent pas dans l'Union, ils peuvent malgré tout s'associer un jour ou l'autre à ce grand projet méditerranéen ?
R - Non, c'est au contraire une manière pour la Turquie et pour ceux qui y sont hostiles de comprendre que l'on peut travailler ensemble. C'est une manière de les convaincre. Nous verrons bien, dans cinq ou dix ans.
Q - Le problème, c'est que l'on a l'impression que ce sont les pays du Sud, ceux à qui s'adressent en priorité ce projet d'Union méditerranéenne, qui sont les plus réticents...
R - Pas du tout.
Q - ... les pays du Maghreb ne sont pas très chauds !
R - C'est tout le contraire, nous l'avons vu. Ils sont tous d'accord et, dans une réunion qui a eu lieu ici, au Quai d'Orsay, un nombre très important d'entreprises dont celles qui sont présentes au Maghreb, se trouvaient parmi nous et ils veulent commencer demain.
Ne vous méprenez pas, voyez le Roi du Maroc, le président tunisien, l'Egypte, ils sont tous d'accord.
Q - Il n'y a pas qu'une dimension économique, il y a aussi une dimension politique et des Droits de l'Homme et peut-être que certaines chose heurtent.
R - Comment résoudrez-vous les problèmes des Droits de l'Homme si vous ne vous parlez pas ? Comment les Droits de l'Homme pourraient-ils avancer s'il n'y a pas de commerce, si on n'ouvre pas la porte et si on ne la maintient pas ouverte ? C'est ainsi que l'on fera avancer les Droits de l'Homme et ce n'est pas seulement grâce à des pétitions.
Q - Avec, entres autres, l'annulation du Dakar, des menaces terroristes, l'assassinat de touristes français en Mauritanie et, de manière générale, la progression d'Al Qaïda au Maghreb, on a l'impression que les menaces terroristes remontent vers l'Europe. Cela vous fait-il peur ?
R - Il faut que les pays du Maghreb s'entendent. Nous abordons une situation difficile. La frontière entre l'Algérie et le Maroc est, comme celle de la Corée du Nord et la Corée du Sud, une des frontières, les plus fermées du monde.
Nous venons de décider, au Sommet franco-espagnol aujourd'hui, et peut-être demain avec le concours de notre ami italien, d'y aller ensemble. Montrer que les trois grands pays méditerranéens du côté Nord veulent aller vers leurs amis avec le même message. Sans l'Europe, cela n'aurait pas été possible et c'est cela l'Union pour la Méditerranée.
Q - Et l'un des résultats du Sommet franco-espagnol, c'est la volonté de lutter contre l'immigration clandestine entre la France et l'Espagne. Vous procéderez à ce que l'on appelle des procédures de reconduite à la frontière collective, est-ce aussi un signal que vous envoyez aux trafiquants d'esclaves modernes ?
R - C'est un signal que nous leur envoyons mais ce n'est pas l'essentiel du message. L'essentiel du message est que nous pouvons et nous devons accueillir les migrants légaux, réguliers, dont nous avons besoin et auxquels nous tendons la main dans un certain nombre de métiers précis. Nous ne pouvons pas tolérer, aussi bien l'Espagne que la France, de maintenir sur notre territoire des personnes dont le statut est illégal. Certains chefs d'entreprises nous disent qu'elles travaillent avec des illégaux, ce sont ces personnes qu'il faut régulariser au plus vite car nous les connaissons et qu'ils sont sérieux.
Nous serons souples là-dessus. Mais la démarche franco-espagnole c'est plutôt, un pays qui a régularisé 700.000 illégaux. Nous l'avons fait sous François Mitterrand et nous avons compris que ce n'était pas la solution. Ils ont compris que ce n'était pas la solution et nous sommes ensemble pour dire qu'il y a une position européenne sur l'immigration.
Nous devons également aider, ensemble, à un développement dans ces pays, c'est-à-dire travailler plus encore, obtenir plus d'argent pour tenter de lutter contre la pauvreté.
Je voudrais revenir sur la question du Lisbonne-Dakar. Aujourd'hui, la progression d'Al Qaïda, du terrorisme, des attaques contre des populations innocentes, des bombes au milieu de la foule, toutes ces choses progressent. Ces actions se rapprochent. Elles n'étaient pas très présentes en Algérie et elles le sont à présent, comme en Mauritanie.
Q - Et annuler le "Dakar", n'est-ce pas donner raison aux terroristes ?
R - Certainement pas. C'est tenter de protéger ses participants, et je souligne que je n'ai pas annulé le "Dakar". Je ne donne aucun ordre au "Dakar", c'est une organisation privée.
Q - Mais je parlais de manière générale.
R - Vous auriez raison si on en restait là, mais nous n'en resterons pas là. Nous allons tous nous réunir pour déterminer une nouvelle politique commune pour lutter contre le terrorisme.
Mais en attendant, il y a eu ces assassinats de Français, de Mauritaniens à la frontière du Mali. Nous devions le faire savoir, c'est notre rôle ici. S'il y avait eu 50 morts, qu'aurait-on dit ?
La Mauritanie est un pays que nous aimons et qui a remporté un grand succès démocratique sur le terrorisme. Nous continuerons d'être à leurs côtés, mais nous ne pouvions pas ne pas dire qu'il n'y avait pas de danger. Nous l'avons dit honnêtement aux organisateurs du Lisbonne-Dakar, même si cela a été difficile en terme d'argent, d'assurance, en terme de réputation - réputation que nous rétablirons pour la Mauritanie. Je crois que la décision fut sage.
Q - Concernant le Proche-Orient, région que vous connaissez bien tous les deux. Ce Proche-Orient qui veut espérer, sans trop y croire, que la paix entre Israéliens et Palestiniens est possible en cette année 2008, une paix que tout le monde attend depuis 1991 - c'était déjà l'objet lors de la Conférence de Madrid. La paix entre Israéliens et Palestiniens avant la fin du mandat de George Bush, dans un an, y croyez-vous ?
R - Je veux y croire et, bien sûr, je connais les déceptions dont vous venez de faire état. La conférence de Madrid, les accords d'Oslo, l'initiative de Genève, tout cela demeure et tout ce travail reste malgré tout à faire. Il existe des tonnes de documents pour régler les problèmes. Il faut croire à la paix à chaque fois. Il faut s'y acharner à chaque fois, même lorsqu'il y a des désillusions. Il faut continuer.
Je vous donnerai un exemple. Nous étions à Annapolis, M. Moratinos et moi. Il n'y a pas eu trop d'ambitions ni de grands discours. Petit à petit, dans la journée, quelque chose s'est passée entre ces deux hommes, M. Olmert et M. Abbas. Ne soyons pas plus palestinien que les Palestiniens ou plus israélien que les Israéliens. Ces deux hommes, riches de leur faiblesse, veulent réussir.
L'Union européenne est là encore une fois. Elle a réuni, aussitôt après Annapolis, la Conférence des donateurs à Paris qui est un processus politique, une conférence très politique. C'était merveilleux. Non seulement nous avons collecté beaucoup d'argent, 7 milliards 600 millions de dollars - beaucoup plus que ce que nous pensions -, mais nous allons aussi, très concrètement, lancer des projets, sous la direction des Palestiniens, suivis par Tony Blair et par les membres du Quartet.
Ce sont les petits pays qui ont donné le plus d'argent, ce ne sont pas les pays du Golfe. C'était des gens qui y croyaient et qui voulaient absolument avancer.
Je pense donc qu'il faut y croire.
Q - Quels sont les principaux obstacles ? Est-ce le Hamas ?
R - Il y en a beaucoup, mais ils seront tous levés. Il y a bien sûr les implantations, mais lors de la dernière rencontre entre MM. Abbas et Olmert, il a été dit qu'il n'y aurait plus jamais d'implantations ; j'espère que ce sera possible. On ne changera pas la vie des Palestiniens avec l'immobilité, ils doivent pouvoir circuler et si on ne change pas la vie des Palestiniens, cela risque d'échouer. Mais nous la changerons, le plan est là pour cela.
Il y a, surtout, un obstacle très important, que vous avez mis en lumière : c'est le Hamas. Je pense, pour ma part, que c'est une chance, une triste chance. C'est très cynique de dire cela, mais c'est parce qu'il y a eu cette bataille entre les Palestiniens et les assassinats des gens du Fatah - c'est-à-dire de l'Autorité palestinienne par le Hamas -, que nous pouvons parler maintenant. Il y a, d'un côté, le camp de la paix et de l'autre, le camp des "jusqu'auboutistes" qui refusent l'Etat d'Israël et qui ne veulent pas la paix.
Q - Il y a deux "Palestines" aujourd'hui ?
R - Il y a deux "Palestines" et, un jour, elles se réuniront. Ceci est l'affaire des Palestiniens, nous les y aiderons mais sachez que dans le camp de M. Fayyad, il y a des plans pour tous les Palestiniens, y compris le Hamas. L'Union européenne continue à travailler à l'intérieur de Gaza et à fournir de l'aide. Ne croyez pas que nous nous en détournons mais, pour le moment, nous travaillons avec l'Autorité légale qui est représentée par M. Mahmoud Abbas.
On a l'impression que la volonté politique existe plus qu'elle n'existait auparavant, des deux côtés, c'est-à-dire Israël et Palestine. D'autres pays ne s'en sont pas trop mêlés, laissons-les faire.
Q - Dire que seuls les Etats-Unis peuvent peser sur la balance pour faire changer les choses, c'est faux ?
R - En 2000, les Etats-Unis ont joué un rôle considérable mais ils étaient seuls. L'Europe, parce qu'elle n'a pas encore de rôle politique, n'aurait pas pu relancer le Processus d'Annapolis seule, en tout cas, cela aurait été difficile.
Maintenant, nous pouvons apporter notre lourde pierre européenne à l'édifice.
Il faut être un peu optimiste dans la vie, sinon, comment pourrions-nous aider nos amis ? Il faut y croire et s'il y a deux personnes qui y croient, c'est Miguel et moi.
Q - Tout est lié au Moyen-Orient, la crise iranienne est un problème central. La crise avec l'Iran est-elle directement liée à ce qui se passe au Proche-Orient ?
R - C'est un problème difficile, je ne souhaite pas vous en parler avec légèreté. Pour dire les choses simplement, je pense qu'il y a deux problèmes, voire trois.
Il y a d'abord un problème nucléaire, qui doit être réglé par la communauté internationale. Plus nous maintiendrons l'unité des Six, mieux nous avancerons. Nous avons découvert que, finalement, la menace n'est peut-être pas pour tout de suite, cela donne encore un peu de temps pour négocier. La France a une position très claire, il faut des sanctions parce que les Iraniens ne respectent pas les consignes du Conseil de sécurité, ils continuent même d'enrichir l'uranium. Sachez qu'ils ont 3.000 centrifugeuses qui tournent à 100.000 tours-minute ; cela suffit, c'est vraiment très dangereux. Mais nous négocions, nous l'avons dit. Nous négocions sans relâche, nous tendons la main. Je les ai rencontrés, la France rencontre les Iraniens.
Il y a également le rôle de l'Iran dans la région. C'est très dangereux, comme en Irak où les Iraniens jouent un rôle considérable. Il faut trouver une solution pour l'Irak, qui passe nécessairement par le retrait des Américains.
Il y a enfin un troisième point, c'est le Liban et la Syrie où il y a une influence iranienne directe, qui se matérialise entre autre par des armes et par une aide financière. Le Hezbollah libanais suit les consignes.
Q - L'Iran a des moyens financiers et militaires pour jouer un rôle.
R - C'est un pays majeur. Je devrais même dire qu'il faut comprendre que dans l'Histoire, l'Iran comme d'autres pays tels que l'Afghanistan ou le Pakistan, est un pays important, berceau d'une grande civilisation.
Un dernier point, sur lequel je suis trop bref, c'est qu'il y a quand même une certaine revanche du chiisme contre le sunnisme, c'est-à-dire de la minorité islamique contre la majorité. Grâce - et je dis bien grâce car ils ont été très persécutés et très malheureux -, à l'Iran, ils reprennent une certaine force.
Tout cela doit être réglé mais pas en trente secondes, c'est certain.
Q - Pour quelles raisons l'Iran relâche-t-il la pression aujourd'hui concernant le Liban ? C'est malgré tout une question centrale n'est-ce pas ?
R - En effet, c'est une question centrale et il faut que la communauté internationale, c'est-à-dire la Ligue arabe, les pays arabes, notamment modérés, l'Union européenne, les Etats-Unis, la Russie, la Chine disent très fermement aux Iraniens que nous savons ce qu'ils font, ce dont ils sont capables. Il faut qu'ils cessent et que le processus électoral au Liban se poursuive.
Contre la communauté internationale, si elle est unie, l'Iran ne peut rien et ce n'est d'ailleurs pas dans son intérêt de faire la guerre - c'est peut-être celui de la Syrie, et encore. Il y a des troubles au Liban et il faut donc les convaincre que ce n'est pas ce chemin, le chemin de l'agitation et de la crise qui sera le bon. D'ailleurs, je crois que notre meilleur allié, c'est le peuple iranien. Ce peuple auquel nous ne parlons pas assez car nous n'en avons peut-être pas les moyens et qui en a assez de cette terreur propagée, alors que sa vie quotidienne ne va pas bien. Il faut améliorer les choses, redonner de l'espoir aux Iraniens. Il faut simplement faire de la politique, de la diplomatie, avec une certaine pression économique pourquoi pas.
C'est une détermination farouche qui prendra des années, sachons-le.
Q - Un autre pion essentiel dans cette région, c'est le Pakistan. On l'a vu, il y a quelques temps, avec l'assassinat de Benazir Bhutto, l'Occident n'a-t-il pas d'autres choix aujourd'hui au Pakistan que de soutenir le président Musharraf ?
R - Tout d'abord, je réponds qu'au Pakistan, également, l'Iran joue un rôle très important. Si nous voulons régler le problème, si l'on souhaite qu'il n'y ait pas de terrorisme répandu partout, je crois qu'il faut vraiment tenter de réunir tous les acteurs de la région.
Concernant le soutien à M. Musharraf, je crois que cela passe, dès lors que des élections seront organisées, contrôlées, le 18 février - ainsi qu'il en a été décidé par la Commission électorale -, par des élections libres et que les résultats en soient respectés, même si c'est le parti de Mme Benazir Bhutto, cette femme admirable, courageuse, merveilleuse - qui a risqué sa vie pour son pays et pour la démocratie et qui en est morte -, qui remporte ces élections. On l'a beaucoup critiquée en disant que tout le monde était corrompu dans ce pays, mais il n'en demeure pas moins que cette femme superbe a été deux fois Premier ministre. Il faut défendre ces acquis et tous les gens de ce parti que j'ai rencontrés - et ils pensent d'après les sondages qu'ils peuvent l'emporter - veulent que la démocratie triomphe au plus vite.
Q - M. Musharraf a aussi beaucoup fait pour la démocratie. Faut-il le soutenir ?
R - Nous soutiendrons le vainqueur des élections, légitimement menées, contrôlées et démocratiques, tout simplement.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2008
R - C'est bien mieux que rien et je vous rappelle que, même si j'y étais favorable, la France ne l'était pas et vous l'avez bien souligné. Il fallait donc non seulement rétablir la France mais aussi rétablir la légalité car si nous étions restés bloqués en l'état, il n'y aurait plus d'Europe. Ce ne fut pas facile. C'est une idée de Nicolas Sarkozy - je n'ai personnellement pas voté pour lui -, et je pensais que nous pourrions refaire un référendum. On voit bien que c'était une erreur et que nous n'aurions pas pu le faire. Ce n'est donc plus une Constitution mais simplement un traité, ce qui ne change pas grand chose en fait.
En revanche, les progrès sont évidents et, surtout, ce qui est majeur, c'est qu'après quatre années de stagnation, deux années d'immobilisme, l'Europe est à nouveau en marche.
Certains ont accepté le Traité par référendum, de la même façon que nous avons refusé le Traité constitutionnel. Ensemble, nous disons qu'il faut aller de l'avant et nous avons donc approuvé le Traité de Lisbonne grâce à la Présidence allemande et, ensuite, avec le concours de la Présidence portugaise. C'est un progrès majeur.
Tout le monde s'en fiche dans sa vie quotidienne car c'est difficile de changer, mais vous verrez, à terme, cette puissance européenne deviendra de plus en plus politique.
Q - Un nouveau mécanisme dans votre secteur en tant que ministre des Affaires étrangères sera mis en place, un haut représentant de la politique étrangère qui aura des pouvoirs renforcés. N'est-ce pas seulement symbolique ?
R - Non, il y aura aussi une représentation extérieure de l'Europe qui sera renforcée. Ce sera d'abord symbolique, mais pas seulement, car, à partir de là, nous pourrons définir, je l'espère - et c'est à cela que nous travaillons avec M. Moratinos -, une politique commune.
Face à ce qui était une hyper-puissance américaine et qui ne l'est plus, il faut que l'Europe s'affirme comme un acteur majeur et, pour cela, il nous faut une Défense européenne. Cela mettra du temps. Tout le monde n'est pas d'accord. Il nous faudra des années mais les révolutions qui se font en une journée s'étiolent finalement très vite. Il nous faudra du temps parce que ce sont 27 acteurs majeurs.
Vous représentez-vous ce que c'est que de faire parler 27 nations, en leur donnant le temps de parole qu'elles souhaitent, en interprétant et en tenant compte de ce qu'elles disent ? C'est long, très long, mais le résultat sera intéressant.
Non seulement, il y aura dans le domaine des Affaires étrangères une décision, une force, mais aussi un élan qui viendra des citoyens dont parlait M. Moratinos. Les citoyens en avaient assez de l'Europe telle qu'elle est. Ils la croyaient bureaucratique même si elle l'est moins que certains pays, en particulier peut-être la France. Mais il faut que l'on nous croit.
Prenez le Kenya, c'est la catastrophe ! Bien sûr, nous n'interviendrons pas militairement mais il faudrait quand même avoir la possibilité de peser d'un certain poids. L'Europe, avec diverses voix, avec des intérêts particuliers différents ne peut rien ; elle le pourra bientôt.
Q - Mais malheureusement dans les secteurs des Affaires étrangères et de la Défense, il faudra toujours prendre les décisions à l'unanimité ?
R - Non, il y aura des votes à la majorité qualifiée.
Q - Prenons le Kosovo dont on parle beaucoup en ce moment. Les Européens sont divisés sur ce qu'il faut y faire, indépendance ou non, un Kosovo plus autonome ou non. C'est quand même un souci que l'Union européenne ne parle pas d'une seule voix, n'est-ce pas ?
R - L'Union européenne parle d'une seule voix même si, pour le moment, d'ailleurs, elle ne parle pas. Elle a prorogé le signal et les négociations d'une seule voix. Elle a fait tout ce qu'elle pouvait en matière de possibilité de contacts et de paroles entre les Serbes et les Albanais du Kosovo. Hélas, ce n'est pas suffisant. Ils ne veulent pas. Eh bien, maintenant, il y a des personnes qui ne sont pas d'accord avec une éventuelle reconnaissance ou indépendance du Kosovo. Ils feront comme ils voudront mais l'unité de l'Europe, l'unité de vues, de solidarité sera maintenue. Nous ferons cela ensemble sans nous disputer. Nous en avons parlé sept fois pendant trois ou quatre heures. C'est un problème très difficile.
Q - La position de la France à propos de l'indépendance du Kosovo, c'est plutôt oui, mais attention prudence ?
R - Oui, nous faisons ce que nous pouvons pour qu'ils s'entendent et qu'il y ait quelque chose qui ressemble à une Fédération si c'est possible. Si c'est impossible, alors la France reconnaîtra l'indépendance. Mais ce n'est pas parce que l'Espagne ne la reconnaît pas que nous serons fâchés, que l'Europe sera détruite, au contraire.
Q - Sans entrer dans les détails institutionnels mais pour faire avancer l'Europe, on a parfois penser à cette solution d'une Europe à plusieurs vitesses. On parlait de coopérations renforcées ou de cercles concentriques, etc.... Cela vous dérange-t-il ?
R - La seule chose qui nous dérangerait, ce serait la fin de l'Europe, qui fut une idée merveilleuse et que tout le monde nous envie. A mon avis, l'Europe est l'espoir du monde car on ne peut pas parler de globalisation sans réunion, sans travail en commun.
L'exemple de l'Europe, avec des pays qui se sont faits la guerre durant des décennies - c'est vrai, toutes les combinaisons ont été mises en place pour que la France et l'Espagne se fassent la guerre -, et maintenant, de façon volontariste, avec la politique, nous avons décidé de travailler ensemble.
Bien sûr qu'il existe des obstacles, bien sûr que la majorité renforcée ne sera pas l'unanimité, mais qu'est-ce que cela peut faire ?
Nous parlerons tout à l'heure de l'Union pour les pays de la Méditerranée. Nous n'allons pas commencer tous ensemble, nous débuterons cette Union petit à petit. C'est un mouvement profond et il faut que nous puissions dire "nous" en parlant de l'ensemble de l'Europe et pas seulement de son pays. C'est l'avenir.
Q - Concernant la Turquie et sa demande d'adhésion, d'un point de vue européen, on dit souvent que ce n'est pas urgent. Mais du point de vue turc, n'y a-t-il pas urgence à répondre à l'opinion publique turque ? Ne va-t-elle pas se lasser de l'Europe ?
R - Je ne le crois pas. Elle a besoin de l'Europe et, selon moi, l'Europe a besoin également de la Turquie. La France et l'Espagne n'ont pas la même vision pour le moment, mais les choses vont changer, il faut du temps.
Le président de la République française est hostile à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, l'Espagne y est favorable. Mais petit à petit, nous avons ouvert le dialogue, je suis allé en Turquie, le président de la République a reçu deux fois M. Erdogan.
Les choses avancent. Avant, la négociation était bloquée. La France a débloqué cette négociation en ouvrant ce que l'on appelle des chapitres. Cela prendra dix ans. Vous savez, on a le temps de changer et des vagues passeront sur la Méditerranée, nous amenant à voir d'autres manières de penser.
Q - Mais l'enjeu en Turquie, c'est malgré tout l'islamisme conservateur, le rapport entre l'islam et l'occident. C'est un pays charnière.
R - En ce moment, ils bombardent de l'autre côté de la frontière. Je les comprends puisque le PKK est une organisation qui se trouve sur la liste des organisations terroristes. Il faut donc régler ce problème et ils ne rentreront pas dans l'Union européenne si ce problème n'est pas réglé.
Q - Et si la Turquie entre dans l'Europe, cette frontière-là sera la frontière de l'Union ?
R - En effet, mais ce n'est pas fait du tout. Ce qui est important, c'est de faire un pont entre le monde islamique, entre l'Islam modéré - que nous devons soutenir parce qu'ils ne sont pas nos ennemis -, et l'Occident. C'est certain.
Q - On aurait pu relancer le Processus de Barcelone en lui donnant une dimension un peu plus politique plutôt que faire une Union méditerranéenne ?
R - On le relance de cette façon. Avant, tout le monde pensait que cela concernait seulement les pays de la Méditerranée ; on parlait de l'Union de la Méditerranée. Maintenant, on parle de l'Union pour la Méditerranée, cela change tout. Une Union pour la Méditerranée à laquelle participeront tous les pays qui le souhaitent, en particulier les pays du Nord de l'Europe ou des pays plus lointains. Cela deviendra la partie matérielle, réelle, financée du projet.
Q - Disant cela, n'êtes-vous pas en train de changer la nature de ce dont parlait M. Sarkozy ?
R - Non, bien sûr que non.
Q - Vous expliquez donc aux Allemands que, s'ils le souhaitent, ils peuvent venir ?
R - Mais bien sûr. Regardez, nous l'avons fait avec les Espagnols. En face, il y a les Algériens et les Marocains qui ne se parlent pas, l'une des frontières les plus hermétiques du monde. Commençons, par exemple, un projet de station d'épuration pour la mer qui doit devenir la plus propre du monde. On pourrait commencer là, avec ces quatre ou cinq pays. Le projet est financé puisqu'il s'agit d'une opération qui mêle, avec une décision politique, des entreprises privées.
On débute ce projet. L'Allemagne veut se joindre à nous ? C'est parfait. C'est vraiment ce que nous allons faire pratiquement. Il faut une décision politique forte avec déjà des systèmes qui se mettent en place et des projets réels qui commencent.
Q - Et n'est-ce pas une compensation offerte à la Turquie qui sera partie prenante dans de tels projets...
R - Je l'espère.
Q - ... en leur expliquant que même s'ils n'entrent pas dans l'Union, ils peuvent malgré tout s'associer un jour ou l'autre à ce grand projet méditerranéen ?
R - Non, c'est au contraire une manière pour la Turquie et pour ceux qui y sont hostiles de comprendre que l'on peut travailler ensemble. C'est une manière de les convaincre. Nous verrons bien, dans cinq ou dix ans.
Q - Le problème, c'est que l'on a l'impression que ce sont les pays du Sud, ceux à qui s'adressent en priorité ce projet d'Union méditerranéenne, qui sont les plus réticents...
R - Pas du tout.
Q - ... les pays du Maghreb ne sont pas très chauds !
R - C'est tout le contraire, nous l'avons vu. Ils sont tous d'accord et, dans une réunion qui a eu lieu ici, au Quai d'Orsay, un nombre très important d'entreprises dont celles qui sont présentes au Maghreb, se trouvaient parmi nous et ils veulent commencer demain.
Ne vous méprenez pas, voyez le Roi du Maroc, le président tunisien, l'Egypte, ils sont tous d'accord.
Q - Il n'y a pas qu'une dimension économique, il y a aussi une dimension politique et des Droits de l'Homme et peut-être que certaines chose heurtent.
R - Comment résoudrez-vous les problèmes des Droits de l'Homme si vous ne vous parlez pas ? Comment les Droits de l'Homme pourraient-ils avancer s'il n'y a pas de commerce, si on n'ouvre pas la porte et si on ne la maintient pas ouverte ? C'est ainsi que l'on fera avancer les Droits de l'Homme et ce n'est pas seulement grâce à des pétitions.
Q - Avec, entres autres, l'annulation du Dakar, des menaces terroristes, l'assassinat de touristes français en Mauritanie et, de manière générale, la progression d'Al Qaïda au Maghreb, on a l'impression que les menaces terroristes remontent vers l'Europe. Cela vous fait-il peur ?
R - Il faut que les pays du Maghreb s'entendent. Nous abordons une situation difficile. La frontière entre l'Algérie et le Maroc est, comme celle de la Corée du Nord et la Corée du Sud, une des frontières, les plus fermées du monde.
Nous venons de décider, au Sommet franco-espagnol aujourd'hui, et peut-être demain avec le concours de notre ami italien, d'y aller ensemble. Montrer que les trois grands pays méditerranéens du côté Nord veulent aller vers leurs amis avec le même message. Sans l'Europe, cela n'aurait pas été possible et c'est cela l'Union pour la Méditerranée.
Q - Et l'un des résultats du Sommet franco-espagnol, c'est la volonté de lutter contre l'immigration clandestine entre la France et l'Espagne. Vous procéderez à ce que l'on appelle des procédures de reconduite à la frontière collective, est-ce aussi un signal que vous envoyez aux trafiquants d'esclaves modernes ?
R - C'est un signal que nous leur envoyons mais ce n'est pas l'essentiel du message. L'essentiel du message est que nous pouvons et nous devons accueillir les migrants légaux, réguliers, dont nous avons besoin et auxquels nous tendons la main dans un certain nombre de métiers précis. Nous ne pouvons pas tolérer, aussi bien l'Espagne que la France, de maintenir sur notre territoire des personnes dont le statut est illégal. Certains chefs d'entreprises nous disent qu'elles travaillent avec des illégaux, ce sont ces personnes qu'il faut régulariser au plus vite car nous les connaissons et qu'ils sont sérieux.
Nous serons souples là-dessus. Mais la démarche franco-espagnole c'est plutôt, un pays qui a régularisé 700.000 illégaux. Nous l'avons fait sous François Mitterrand et nous avons compris que ce n'était pas la solution. Ils ont compris que ce n'était pas la solution et nous sommes ensemble pour dire qu'il y a une position européenne sur l'immigration.
Nous devons également aider, ensemble, à un développement dans ces pays, c'est-à-dire travailler plus encore, obtenir plus d'argent pour tenter de lutter contre la pauvreté.
Je voudrais revenir sur la question du Lisbonne-Dakar. Aujourd'hui, la progression d'Al Qaïda, du terrorisme, des attaques contre des populations innocentes, des bombes au milieu de la foule, toutes ces choses progressent. Ces actions se rapprochent. Elles n'étaient pas très présentes en Algérie et elles le sont à présent, comme en Mauritanie.
Q - Et annuler le "Dakar", n'est-ce pas donner raison aux terroristes ?
R - Certainement pas. C'est tenter de protéger ses participants, et je souligne que je n'ai pas annulé le "Dakar". Je ne donne aucun ordre au "Dakar", c'est une organisation privée.
Q - Mais je parlais de manière générale.
R - Vous auriez raison si on en restait là, mais nous n'en resterons pas là. Nous allons tous nous réunir pour déterminer une nouvelle politique commune pour lutter contre le terrorisme.
Mais en attendant, il y a eu ces assassinats de Français, de Mauritaniens à la frontière du Mali. Nous devions le faire savoir, c'est notre rôle ici. S'il y avait eu 50 morts, qu'aurait-on dit ?
La Mauritanie est un pays que nous aimons et qui a remporté un grand succès démocratique sur le terrorisme. Nous continuerons d'être à leurs côtés, mais nous ne pouvions pas ne pas dire qu'il n'y avait pas de danger. Nous l'avons dit honnêtement aux organisateurs du Lisbonne-Dakar, même si cela a été difficile en terme d'argent, d'assurance, en terme de réputation - réputation que nous rétablirons pour la Mauritanie. Je crois que la décision fut sage.
Q - Concernant le Proche-Orient, région que vous connaissez bien tous les deux. Ce Proche-Orient qui veut espérer, sans trop y croire, que la paix entre Israéliens et Palestiniens est possible en cette année 2008, une paix que tout le monde attend depuis 1991 - c'était déjà l'objet lors de la Conférence de Madrid. La paix entre Israéliens et Palestiniens avant la fin du mandat de George Bush, dans un an, y croyez-vous ?
R - Je veux y croire et, bien sûr, je connais les déceptions dont vous venez de faire état. La conférence de Madrid, les accords d'Oslo, l'initiative de Genève, tout cela demeure et tout ce travail reste malgré tout à faire. Il existe des tonnes de documents pour régler les problèmes. Il faut croire à la paix à chaque fois. Il faut s'y acharner à chaque fois, même lorsqu'il y a des désillusions. Il faut continuer.
Je vous donnerai un exemple. Nous étions à Annapolis, M. Moratinos et moi. Il n'y a pas eu trop d'ambitions ni de grands discours. Petit à petit, dans la journée, quelque chose s'est passée entre ces deux hommes, M. Olmert et M. Abbas. Ne soyons pas plus palestinien que les Palestiniens ou plus israélien que les Israéliens. Ces deux hommes, riches de leur faiblesse, veulent réussir.
L'Union européenne est là encore une fois. Elle a réuni, aussitôt après Annapolis, la Conférence des donateurs à Paris qui est un processus politique, une conférence très politique. C'était merveilleux. Non seulement nous avons collecté beaucoup d'argent, 7 milliards 600 millions de dollars - beaucoup plus que ce que nous pensions -, mais nous allons aussi, très concrètement, lancer des projets, sous la direction des Palestiniens, suivis par Tony Blair et par les membres du Quartet.
Ce sont les petits pays qui ont donné le plus d'argent, ce ne sont pas les pays du Golfe. C'était des gens qui y croyaient et qui voulaient absolument avancer.
Je pense donc qu'il faut y croire.
Q - Quels sont les principaux obstacles ? Est-ce le Hamas ?
R - Il y en a beaucoup, mais ils seront tous levés. Il y a bien sûr les implantations, mais lors de la dernière rencontre entre MM. Abbas et Olmert, il a été dit qu'il n'y aurait plus jamais d'implantations ; j'espère que ce sera possible. On ne changera pas la vie des Palestiniens avec l'immobilité, ils doivent pouvoir circuler et si on ne change pas la vie des Palestiniens, cela risque d'échouer. Mais nous la changerons, le plan est là pour cela.
Il y a, surtout, un obstacle très important, que vous avez mis en lumière : c'est le Hamas. Je pense, pour ma part, que c'est une chance, une triste chance. C'est très cynique de dire cela, mais c'est parce qu'il y a eu cette bataille entre les Palestiniens et les assassinats des gens du Fatah - c'est-à-dire de l'Autorité palestinienne par le Hamas -, que nous pouvons parler maintenant. Il y a, d'un côté, le camp de la paix et de l'autre, le camp des "jusqu'auboutistes" qui refusent l'Etat d'Israël et qui ne veulent pas la paix.
Q - Il y a deux "Palestines" aujourd'hui ?
R - Il y a deux "Palestines" et, un jour, elles se réuniront. Ceci est l'affaire des Palestiniens, nous les y aiderons mais sachez que dans le camp de M. Fayyad, il y a des plans pour tous les Palestiniens, y compris le Hamas. L'Union européenne continue à travailler à l'intérieur de Gaza et à fournir de l'aide. Ne croyez pas que nous nous en détournons mais, pour le moment, nous travaillons avec l'Autorité légale qui est représentée par M. Mahmoud Abbas.
On a l'impression que la volonté politique existe plus qu'elle n'existait auparavant, des deux côtés, c'est-à-dire Israël et Palestine. D'autres pays ne s'en sont pas trop mêlés, laissons-les faire.
Q - Dire que seuls les Etats-Unis peuvent peser sur la balance pour faire changer les choses, c'est faux ?
R - En 2000, les Etats-Unis ont joué un rôle considérable mais ils étaient seuls. L'Europe, parce qu'elle n'a pas encore de rôle politique, n'aurait pas pu relancer le Processus d'Annapolis seule, en tout cas, cela aurait été difficile.
Maintenant, nous pouvons apporter notre lourde pierre européenne à l'édifice.
Il faut être un peu optimiste dans la vie, sinon, comment pourrions-nous aider nos amis ? Il faut y croire et s'il y a deux personnes qui y croient, c'est Miguel et moi.
Q - Tout est lié au Moyen-Orient, la crise iranienne est un problème central. La crise avec l'Iran est-elle directement liée à ce qui se passe au Proche-Orient ?
R - C'est un problème difficile, je ne souhaite pas vous en parler avec légèreté. Pour dire les choses simplement, je pense qu'il y a deux problèmes, voire trois.
Il y a d'abord un problème nucléaire, qui doit être réglé par la communauté internationale. Plus nous maintiendrons l'unité des Six, mieux nous avancerons. Nous avons découvert que, finalement, la menace n'est peut-être pas pour tout de suite, cela donne encore un peu de temps pour négocier. La France a une position très claire, il faut des sanctions parce que les Iraniens ne respectent pas les consignes du Conseil de sécurité, ils continuent même d'enrichir l'uranium. Sachez qu'ils ont 3.000 centrifugeuses qui tournent à 100.000 tours-minute ; cela suffit, c'est vraiment très dangereux. Mais nous négocions, nous l'avons dit. Nous négocions sans relâche, nous tendons la main. Je les ai rencontrés, la France rencontre les Iraniens.
Il y a également le rôle de l'Iran dans la région. C'est très dangereux, comme en Irak où les Iraniens jouent un rôle considérable. Il faut trouver une solution pour l'Irak, qui passe nécessairement par le retrait des Américains.
Il y a enfin un troisième point, c'est le Liban et la Syrie où il y a une influence iranienne directe, qui se matérialise entre autre par des armes et par une aide financière. Le Hezbollah libanais suit les consignes.
Q - L'Iran a des moyens financiers et militaires pour jouer un rôle.
R - C'est un pays majeur. Je devrais même dire qu'il faut comprendre que dans l'Histoire, l'Iran comme d'autres pays tels que l'Afghanistan ou le Pakistan, est un pays important, berceau d'une grande civilisation.
Un dernier point, sur lequel je suis trop bref, c'est qu'il y a quand même une certaine revanche du chiisme contre le sunnisme, c'est-à-dire de la minorité islamique contre la majorité. Grâce - et je dis bien grâce car ils ont été très persécutés et très malheureux -, à l'Iran, ils reprennent une certaine force.
Tout cela doit être réglé mais pas en trente secondes, c'est certain.
Q - Pour quelles raisons l'Iran relâche-t-il la pression aujourd'hui concernant le Liban ? C'est malgré tout une question centrale n'est-ce pas ?
R - En effet, c'est une question centrale et il faut que la communauté internationale, c'est-à-dire la Ligue arabe, les pays arabes, notamment modérés, l'Union européenne, les Etats-Unis, la Russie, la Chine disent très fermement aux Iraniens que nous savons ce qu'ils font, ce dont ils sont capables. Il faut qu'ils cessent et que le processus électoral au Liban se poursuive.
Contre la communauté internationale, si elle est unie, l'Iran ne peut rien et ce n'est d'ailleurs pas dans son intérêt de faire la guerre - c'est peut-être celui de la Syrie, et encore. Il y a des troubles au Liban et il faut donc les convaincre que ce n'est pas ce chemin, le chemin de l'agitation et de la crise qui sera le bon. D'ailleurs, je crois que notre meilleur allié, c'est le peuple iranien. Ce peuple auquel nous ne parlons pas assez car nous n'en avons peut-être pas les moyens et qui en a assez de cette terreur propagée, alors que sa vie quotidienne ne va pas bien. Il faut améliorer les choses, redonner de l'espoir aux Iraniens. Il faut simplement faire de la politique, de la diplomatie, avec une certaine pression économique pourquoi pas.
C'est une détermination farouche qui prendra des années, sachons-le.
Q - Un autre pion essentiel dans cette région, c'est le Pakistan. On l'a vu, il y a quelques temps, avec l'assassinat de Benazir Bhutto, l'Occident n'a-t-il pas d'autres choix aujourd'hui au Pakistan que de soutenir le président Musharraf ?
R - Tout d'abord, je réponds qu'au Pakistan, également, l'Iran joue un rôle très important. Si nous voulons régler le problème, si l'on souhaite qu'il n'y ait pas de terrorisme répandu partout, je crois qu'il faut vraiment tenter de réunir tous les acteurs de la région.
Concernant le soutien à M. Musharraf, je crois que cela passe, dès lors que des élections seront organisées, contrôlées, le 18 février - ainsi qu'il en a été décidé par la Commission électorale -, par des élections libres et que les résultats en soient respectés, même si c'est le parti de Mme Benazir Bhutto, cette femme admirable, courageuse, merveilleuse - qui a risqué sa vie pour son pays et pour la démocratie et qui en est morte -, qui remporte ces élections. On l'a beaucoup critiquée en disant que tout le monde était corrompu dans ce pays, mais il n'en demeure pas moins que cette femme superbe a été deux fois Premier ministre. Il faut défendre ces acquis et tous les gens de ce parti que j'ai rencontrés - et ils pensent d'après les sondages qu'ils peuvent l'emporter - veulent que la démocratie triomphe au plus vite.
Q - M. Musharraf a aussi beaucoup fait pour la démocratie. Faut-il le soutenir ?
R - Nous soutiendrons le vainqueur des élections, légitimement menées, contrôlées et démocratiques, tout simplement.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2008