Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur la réforme de l'aide publique au développement dans le cadre de la Revue générale des politiques publiques, à Paris le 23 janvier 2008.

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Circonstance : Séminaire des conseillers de coopération et d'action culturelle et des directeurs d'agence de l'Agence française de développement, à Paris le 23 janvier 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Conseillers de Coopération et d'Action culturelle,
Mesdames et Messieurs les Directeurs d'Agence de l'AFD,
Madame la Directrice générale, Chère Anne,
Monsieur le Directeur général, Cher Jean-Michel,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Je voudrais tout d'abord commencer cette intervention en saluant la mémoire d'un de nos collègues qui aurait dû être parmi nous aujourd'hui, Jacques Guillemin, conseiller de coopération et d'action culturelle en Centrafrique. Jacques Guillemin est décédé à Nice il y a quelques jours après avoir été transféré dans un état comateux grave de Bangui, puis de Libreville. Beaucoup d'entre-vous ont connu Jacques Guillemin, sa vocation pour l'Afrique, son parcours exemplaire d'assistant technique, puis d'attaché et de conseiller de Coopération, ses différents postes dans notre réseau et à l'administration centrale, son dévouement plein et entier à la cause du développement, son caractère têtu et opiniâtre, sa franchise qui lui valut parfois quelques déboires, sa fidélité et son attachement aux valeurs de solidarité. Jacques Guillemin a toujours servi avec beaucoup d'abnégation et de rigueur les intérêts de notre pays. J'aimerai qu'aujourd'hui nous puissions lui rendre un dernier hommage à travers une minute de silence.
Ayant pris mes fonctions il y a un peu plus de six mois, je suis heureux que nous nous retrouvions afin de faire le point avec vous des progrès enregistrés, des difficultés rencontrées, et des défis que nous aurons à surmonter ensemble dans les prochains mois. Ayant beaucoup voyagé dans les derniers mois dans les pays de la zone de solidarité prioritaire, ayant eu des entretiens avec certains d'entre vous, avec nos ambassadeurs, entretenant des relations de travail régulières et confiantes avec la DGCID et la direction générale de l'AFD, je vous sais tous inquiets et préoccupés des évolutions en cours, qu'elles soient budgétaires ou institutionnelles. Vous savez que la Revue générale des Politiques publiques (RGPP), conduite pour la mission Aide publique au Développement sous la houlette de Nathalie Delapalme, a commencé. Le ministère des Affaires étrangères est aussi engagé dans un vaste exercice de définition de ses missions à travers la rédaction d'un Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France. Le démarrage d'un nouveau processus de réforme, alors que les conséquences des réformes antérieures de 1999 et 2004 n'ont pas été toutes évaluées, suscite des craintes. La recherche d'économies budgétaires pourrait se faire, si on n'y prenait pas garde, au détriment de l'efficacité de notre politique publique d'APD.
Contrairement à ce que vous espérez peut-être, je ne chercherai pas maintenant à totalement vous rassurer. Je ne souhaite notamment pas devant vous "rosir" à souhait une situation budgétaire difficile, vous présenter un tableau idyllique de lendemains qui chanteraient, vous décrire une situation stable et sans changement, où les uns et les autres pourraient continuer à exercer tranquillement leur métier, où l'APD française poursuivrait sa progression routinière vers le chiffre magique des 0,7 %. Je vais être franc avec vous : le plus difficile n'est pas derrière nous ; il est devant nous.
Nous avons certes la chance d'oeuvrer au service d'une politique publique tout à fait essentielle pour infléchir les grands équilibres mondiaux. Nous en avons tous ici conscience : elle permet d'éduquer, de soigner, d'offrir un espoir de vie meilleure à des centaines de millions de personnes, de sauver des vies ; elle permet d'assurer la bonne gestion des biens publics mondiaux, qui constituent le patrimoine commun de l'humanité (la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre le démarrage de grandes maladies endémiques, la préservation de la biodiversité et des ressources en eau...) ; elle est un facteur clé dans la prévention des conflits et de l'apparition de nouvelles menaces comme le terrorisme. C'est une partie essentielle de l'action extérieure de la France qui contribue à notre image et à notre influence dans le monde.
Mais l'aide au développement est un enjeu de long terme, toujours contrarié par des préoccupations immédiates, toujours susceptible d'être reporté à des jours meilleurs, parce qu'il faut faire face aujourd'hui à la crise boursière et au risque de récession des principaux pays occidentaux, parce que nous avons aussi pris des engagements européens de retour à l'équilibre budgétaire, parce que nos concitoyens expriment enfin beaucoup d'autres demandes dans d'autres politiques publiques souvent tout aussi coûteuses et indispensables socialement (comme le logement par exemple). Je voudrais vous faire passer avec force un message volontariste : tout n'est pas gagné d'avance. C'est à nous de convaincre, de viser l'excellence pour emporter la décision. Pour cela nous devons d'abord jouer encore plus collectif, sans nous épuiser dans des querelles de chapelles. Il nous faut, sans relâche, démontrer notre efficacité, notre capacité à contribuer à l'effort de productivité de l'Etat, notre efficience. Nous devons davantage et mieux rendre des comptes sur ce que nous faisons, en justifiant des résultats effectifs que nous obtenons.
Avant d'évoquer plus en détail la modernisation de notre appareil de coopération, je voudrais par avance répondre à vos questions sur l'évolution de nos moyens.
Comme vous le savez, le paradoxe d'une aide publique au développement stabilisée dans son ensemble, voire en hausse en 2008 (environ 9 milliards d'euros), et de moyens budgétaires bilatéraux en baisse n'est qu'apparent. Je ne vous embarrasserai pas de chiffres. Je voudrais simplement vous rappeler les points suivants. Nous devons faire face à un nombre d'engagements multilatéraux pluriannuels comme ceux du Fonds européen de Développement (FED) ou de l'Association internationale de Développement (AID) de la Banque mondiale. Nous sommes sous une forte pression de notre société civile pour continuer nos engagements en faveur du Fonds mondial sida, tuberculose et paludisme (dont le président vient de décider que la contribution serait maintenue, en 2008, à 300 millions d'euros). Nous devons enfin remplir un certain nombre d'engagements contractuels bilatéraux comme les contrats de désendettement et de développement. Les moyens programmables bilatéraux mis à votre disposition sont ainsi très contraints. Ils représentent 15 % au maximum du total de l'APD française. La contribution prévue au FED en 2008 (775 millions d'euros) est à elle-seule largement supérieure au total cumulé de l'aide projet confiée à l'AFD et dépendant des programmes du ministère des Affaires étrangères, du ministère des Finances et du nouveau ministère de l'Immigration, de Identité nationale, de l'Intégration et du Codéveloppement.
Gérer l'APD française, c'est donc largement manoeuvrer un paquebot, les inflexions ne peuvent réellement se mettre en place qu'en deux ou trois ans. Je souhaite dans ce contexte, je vous l'ai dit en juillet dernier - et je vous le redis - que progressivement, la part de moyens bilatéraux augmente à nouveau. C'est une conviction que je sais partager par Bernard Kouchner.
Lors des discussions du budget 2008, qui ont été arbitrées par le président de la République, je me suis battu, dans un contexte budgétaire particulièrement tendu, pour préserver l'avenir en obtenant notamment des autorisations d'engagements (AE) supplémentaires pour l'aide projet, notamment celle gérée par l'AFD. Ces AE d'aujourd'hui sont l'APD bilatérale de demain en 2009, 2010 et 2011. Je voudrais d'ailleurs, ici, mentionner que si nous avons pu, jusqu'à présent, pratiquement tenir tous nos engagements, c'est largement grâce à l'utilisation du dividende versé, année après année, par l'AFD à l'Etat. Ce n'est pas en soi illégitime. Dans une certaine mesure, il est normal que l'argent du développement retourne au développement. Mais la ressource n'est évidemment ni inépuisable ni, par principe, garantie...
Ceci étant, comme je l'ai annoncé lors du discours de voeux que j'ai prononcé la semaine dernière, il faut sans doute aller au-delà et obtenir la préservation de notre effort d'APD dans un cadre financier pluriannuel sanctuarisé, où les arbitrages soient véritablement décidés en amont et non subis. Je l'ai demandé au président de la République qui est le seul à même de pouvoir nous apporter cette garantie. Il en va de la parole de la France sur la scène internationale ; nous ne pouvons être crédibles que si nous tenons nos engagements.
Pour en venir aux questions d'organisation, je pense que la RGPP constitue une opportunité de moderniser notre politique d'aide. Je souhaite vous en convaincre. La réunion tenue à l'Elysée le 18 janvier, sous la double présidence du secrétaire général de la Présidence, Claude Guéant, et du directeur de cabinet du Premier ministre, Jean-Paul Faugère, avec l'ensemble des ministres concernés, a montré qu'il existait un consensus sur les pistes à poursuivre.
Un premier constat est largement partagé : la situation administrative actuelle n'est pas satisfaisante. Des évolutions majeures sont intervenues au cours des dix dernières années. Ce processus, visant à confier à des opérateurs l'exécution des programmes de coopération et à renforcer le pilotage stratégique de l'administration, demeure en grande partie inachevé. La RGPP constitue une chance pour relancer cette dynamique de changement, clarifier les tâches, simplifier les procédures. Le principe de base devant présider à ces changements est simple et désormais admis : l'administration centrale doit exercer de manière plus rigoureuse et effective son métier de "stratège-pilote". Il s'agit pour l'essentiel de définir des priorités d'action, veiller à leur bonne exécution et s'assurer, a posteriori, de leur évaluation.
Les cinq axes stratégiques, qui seront creusées dans les prochaines semaines par l'équipe d'audit de la RGPP, répondent à cette demande de lisibilité et de clarification de nos instruments et méthodes de travail :
- le premier axe vise à compléter les instruments de pilotage existants. Il propose, comme je l'ai suggéré, plus de prévisibilité budgétaire. Il intègre la nécessité d'améliorer notre capacité à rendre compte de nos impacts ;
- le second axe entend renforcer la sélectivité de notre aide, qui est une condition pour être plus visible et plus efficace. Il s'agit de concentrer les priorités et les moyens sur le plan géographique, sur le plan sectoriel, en améliorant enfin la sélectivité des engagements multilatéraux sur la base de l'évaluation des résultats ;
- le troisième axe stratégique vise à parachever la réforme du dispositif institutionnel, en renforçant le pilotage stratégique, en améliorant l'exercice de la tutelle de l'AFD et la participation et l'association des acteurs non-gouvernementaux à la définition de notre politique d'aide. Il pose le principe d'un "achèvement définitif" du transfert des compétences opérationnelles à l'AFD, même si l'ampleur des transferts, qui concernent à la fois la DGCID et la DGTPE reste à définir plus précisément ;
- le quatrième axe stratégique marque la nécessité de privilégier les effets de levier et de renforcer les partenariats innovants, avec la poursuite indispensable de la mise en place des mécanismes innovants de financement et la fédération du potentiel français de recherche en faveur du développement ;
- le cinquième et dernier axe porte sur la mise en place d'une politique européenne de développement qui tienne davantage et surtout mieux compte des intérêts français ; nous devons participer à la construction d'un système d'aide européen qui ne soit pas limité à la Commission mais qui fédère réellement les interventions des agences des Etats membres ; nous devons apprendre à travailler en plus grande complémentarité avec l'Union européenne et les autres Etats membres et généraliser les approches en termes de division du travail.
Chacun de ces axes stratégiques doit faire l'objet de travaux approfondis dans les prochaines semaines. Tous les sujets sont sur la table et nous allons y travailler collectivement. Il nous faut voir les conséquences d'une telle réforme en termes d'organisation. Sur le terrain, il est notamment envisagé de faire reposer le dispositif sur deux opérateurs locaux :
- Un établissement à autonomie financière, dont le nom pourrait être "Espaces France", véritable plate-forme multiservices, construite par la fusion des actuels services de coopération et d'action culturelle avec les centres culturels ;
- Les agences AFD, au mandat élargi, dont les directeurs pourraient devenir les conseillers développement des ambassadeurs.
Bien sûr, la nature de ce dispositif devra être adaptée aux situations locales, par exemple aux pays dans lesquels l'Agence n'a pas de représentation.
Il ne s'agit encore que de pistes à approfondir ; les arbitrages finaux seront pris par le président de la République au printemps. Mais nous devons activement nous préparer à des changements importants. Tout ne se fera évidemment pas en un jour. Nous devons aussi travailler à un échéancier réaliste de mise en oeuvre d'une telle réforme qui tienne compte des réalités, notamment de la Présidence française de l'Union européenne
Sachez enfin que je serai très attentif aux conséquences de la réforme en matière de ressources humaines. Je souhaite en particulier que les compétences de la DGCID dans le domaine du développement puissent continuer à servir sur leur métier au sein du dispositif, y compris à l'AFD. Au-delà, je plaiderai aussi pour la poursuite d'une politique active d'échange de personnels entre l'administration de tutelle et l'agence pour qu'il y ait bien fertilisation croisée et continue des compétences. Je me battrai enfin aux côtés de Bernard Kouchner pour que le ministère des Affaires étrangères sache mieux valoriser, y compris en termes financiers, y compris en termes de carrières, les compétences pointues dont il a besoin pour exercer son métier de pilotage stratégique.
Je mesure les difficultés d'une telle réforme. Il y aura sans doute des oppositions çà et là. Mais j'ai la conviction qu'elle est à présent indispensable et que les options envisagées seront porteuses d'un renouveau de notre politique d'APD. Je resterai dans ce processus à votre écoute, avec Anne Gazeau-Secret et Jean-Michel Severino. N'hésitez pas à nous faire des propositions, à nous alerter sur des difficultés du terrain, à nous aider à construire les solutions opérationnelles et concrètes dont nous avons besoin.
Je voudrais terminer mon intervention par un dernier point. La semaine dernière, dans mon discours de voeux, j'ai fait une large place à ma vision de notre politique en Afrique, de nos intérêts sur le continent, de notre présence et des modalités de notre relation avec les Africains, qui doit être pleinement une relation de dialogue et de partenariat.
Pardon à ceux d'entre-vous, et ils sont nombreux, qui ne travaillent pas sur le continent africain ! Notre coopération, je le sais, ne se résume évidemment pas à l'Afrique, nous sommes présents et actifs sur d'autres continents. Là aussi, en Asie, en Amérique, en Europe, dans le monde arabe, se jouent des enjeux de premier plan, et je ne méconnais pas l'importance de votre action au service du rayonnement de la France dans ces régions. Mais avec le continent africain, plus que d'autres, nous avons destin lié. L'Afrique reçoit les deux tiers de notre aide au développement. Pour ces raisons, et pour d'autres, il m'a semblé légitime de faire de l'Afrique une priorité de ma mission.
Certains d'entre vous ont peut-être pris connaissance de ce discours, qui est consultable sur le site du ministère, et des réactions qu'il a suscité, ici ou là. Beaucoup de ces réactions sont très positives. Elles sont pour moi le meilleur encouragement à poursuivre cette démarche de rénovation de nos relations ave l'Afrique, dont le président de la République, dans ses voeux au corps diplomatique, a rappelé l'importance.
Le président de la République m'a également chargé de faire la synthèse des propositions reçues de nos ambassadeurs sur le continent. Ils nous ont fait parvenir leur télégramme. Vous avez été associés par vos ambassadeurs à la rédaction de ces télégrammes. Ce sont des documents de synthèse, avec souvent une analyse politique approfondie et pertinente, mais pas nécessairement axée sur notre politique de coopération. Il s'agit pourtant là d'un enjeu central de notre relation avec le continent.
Je souhaite que notre réseau soit directement associé à cette réflexion collective, que tous les talents se mobilisent. J'invite ceux d'entre vous qui le souhaitent, conseillers de coopérations ou directeurs d'agence de l'AFD, à me faire part de leurs analyses de la rénovation de notre politique d'aide au développement, de ses outils, de ses objectifs.
Acteurs de terrain, vous êtes, plus que d'autres, au contact de la société civile, de la jeunesse, des milieux intellectuels et artistiques. Vous avez une connaissance concrète des réalités sociales de vos pays de résidence, de ses tensions, de son dynamisme, de ses réussites, de ses attentes, de ses frustrations. Faites m'en part. Dites-moi votre analyse, fruit de votre expérience, dites-moi vos propositions : elles m'intéressent ! Vous qui avez des choses à dire, prenez la parole ! J'attends vos propositions avec un grand intérêt.
Je souhaiterais disposer de ces contributions dans les deux à trois semaines qui viennent, afin de pouvoir les exposer au président avant sa seconde visite sur le continent, à la fin du mois de février. Evidemment, je vous demanderai de le faire dans un document qui n'excède pas quelques pages. Je ne dis pas cela pour moi, je le dis pour mon cabinet qui en fera la synthèse : je ne voudrais pas que vous imposiez trop de nuits blanches à Jean-Marc Châtaigner !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2008