Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, sur les relations franco-égyptiennes et sur les relations entre les deux rives de la Méditerranée, à Alexandrie le 21 janvier 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture de la session finale de l'atelier culturel méditerranéen, à Alexandrie (Egypte) le 21 janvier 2008

Texte intégral

Monsieur le Président Jorge Sampaio,
Monsieur le Ministre Ahmed Maher,
Madame la Secrétaire générale adjointe,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je voudrais vous dire tout d'abord ma joie de vous rejoindre à Alexandrie pour la session finale d'un exercice qui est le fruit d'un long périple. Je salue le pays dont nous sommes les hôtes : j'ai déjà eu l'honneur d'accompagner le président Sarkozy dans plusieurs de ses déplacements, dont un certain nombre dans le monde arabe, mais, hormis le Soudan où je me suis rendue en mission humanitaire, ce déplacement est le premier que j'effectue dans cette région à titre individuel :
L'Egypte s'imposait naturellement à ce titre,
- parce qu'elle est le pays-pivot du monde arabe,
- parce que, pionnière dans ce domaine comme en d'autres, elle a été la première à choisir le camp de la paix et à oeuvrer sans discontinuer depuis maintenant un quart de siècle à un règlement définitif du conflit entre l'Etat d'Israël et ses voisins. Nous savons tous que ce règlement passe par la création d'un Etat palestinien viable, aux côtés d'un Israël assuré de sa sécurité, et nous appelons à cet égard toutes les parties à contribuer au succès du processus engagé aux conférences d'Annapolis et de Paris ;
- parce que sa diplomatie expérimentée et ambitieuse, sous la conduite du président Hosni Moubarak, joue un rôle de premier plan dans les relations internationales. J'en veux pour preuve la plus récente votre décision de déployer 1 200 hommes dans le cadre de la force hybride au Darfour ; une diplomatie qui, je le relève au passage, compte plus de femmes à des postes de responsabilité que la nôtre, et je salue la présence parmi nous de l'ambassadrice Wafaa Bassim, assistante du ministre Ahmed Aboul-Gheit, qu'elle représente ici ;
- parce que l'amitié franco-égyptienne est séculaire, qu'elle se confirme et se renforce année après année, comme nous avons pu encore le constater lors de la dernière session de notre dialogue stratégique bilatéral le 11 décembre, et, plus encore, lors des entretiens officiels du président de la République française dans votre pays les 30 et 31 décembre.
Le lieu de notre rencontre n'est pas non plus innocent : tout autant que Le Caire, ville des Califes fatimides, de Saladin et de Baybars, siège de l'Université millénaire d'al-Azhar, Alexandrie est un symbole vivant de l'apport de l'Egypte à la culture universelle. Avec Philon d'Alexandrie, elle fut le lieu antique du métissage entre le judaïsme et la pensée grecque. Plus récemment, votre grand Taha Hussein, dans son essai sur L'Avenir de la Culture en Egypte, appelait à une fécondation de l'islam et de la culture nationale par l'héritage alexandrin. Alexandrie n'est ainsi pas seulement le lieu du Phare qui a figuré au rang des sept merveilles du monde et a guidé les marins pendant près de dix-sept siècles : elle est une ville-phare de l'humanité, de l'humanisme.
Tout aussi célèbre est sa Grande Bibliothèque, la Bibliotheca Alexandrina, réédifiée par les autorités égyptiennes et inaugurée en octobre 2002 en présence du président de la République française. Sous la direction d'Ismaïl Serag Eddine, elle est aujourd'hui un point de rencontre entre intellectuels arabes et occidentaux, un lieu de brassage des idées. Cette bibliothèque de l'ère numérique, mise au service des étudiants, chercheurs et du grand public, est reliée aux plus grands instituts de formation du monde entier. Elle représente donc un trait d'union concret entre les deux rives de la Méditerranée.
Alexandrie abrite également la "Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures" dont l'objectif est de rapprocher les personnes et les associations des deux rives de la Méditerranée. Elle assure une "mise en réseau des réseaux", ceux qui existent déjà au niveau national, dans chacun des 37 Etats membres du partenariat euro-méditerranéen. Sa pérennité, son développement sont chers aux yeux de la France, qui y attachera la plus grande attention.
Alexandrie, ville des échanges commerciaux et de confrontation des cultures, méritait donc bien de figurer dans votre périple au même titre que d'autres cités mythiques comme Paris, berceau de votre initiative, ou Séville, capitale d'une Andalousie devenue le contre-paradigme d'un "choc des civilisations" annoncé et pourtant évitable. C'est quasiment un pèlerinage que tous les participants de l'Atelier Culturel ont accompli en trois sessions successives, qu'ils soient diplomates, experts, journalistes, écrivains, intellectuels ou militants associatifs, marchant ainsi dans les pas de Benjamin de Tudèle ou d'Ibn Jubayr, grands voyageurs du Moyen Age.
Lorsque l'on se réfère à cette période de l'Histoire de l'Europe, on pense plutôt à des temps obscurs, à des famines et des épidémies, à des guerres sans fin, alors que lorsque nous l'appliquons à cette Méditerranée qui nous est commune, elle désigne plutôt, même si je ne veux pas idéaliser abusivement le passé, une sorte de paradis perdu. C'est peut-être "au moyen du Moyen Age" que nous pourrons sortir des apories contemporaines, de nos blocages, des conflits sans fin - avec ou sans "ambiguïtés constructives". Je veux parler d'un Moyen Age qui ne serait pas celui du galimatias mécanique et simpliste des communiqués d'Al Qaïda, mais celui de la pensée féconde d'Averroès ou d'Avicenne.
Votre voyage, c'est aussi celui de tous les intrus possibles en diplomatie, qui se sont engagés avec détermination dans cet exercice de l'Atelier Culturel méditerranéen au cours des deux années écoulées. Parmi eux, je reconnais un certain nombre de défenseurs des Droits de l'Homme que je tiens à saluer tout spécialement, notamment mes amis de la FIDH, qu'ils soient du Maghreb ou du Machrek. Les sociétés arabes, pas plus que les autres, n'ignorent le mouvement et, dans l'exercice conjoint que nous menons, il n'y a ni maîtres ni élèves.
Je voulais donc vous dire la fierté que j'ai eue à distinguer récemment à Paris l'action de M. Baha Eddine Hassan et de son "Institut pour l'étude des Droits de l'Homme", un organisme à vocation régionale qui oeuvre en faveur d'un Islam ouvert et modéré. Je sais que lui et ses confrères ont un projet de centre qui pourrait être basé en Europe et servir en quelque sorte de "think-tank" chargé de réfléchir à l'articulation entre réforme politique et sociale et Etat de droit dans le monde arabe. C'est un projet intéressant auquel nous devons réfléchir en liaison avec l'"Arab Reform Initiative", une initiative originale lancée en 2004 par un groupe de directeurs de centres de recherche, pour la plupart de la région. Ce "consortium" a été mis en place par des acteurs issus des sociétés civiles locales et se distingue donc heureusement des projets intrusifs et définis de l'extérieur.
Il faut aussi remercier les diplomates, qui savent - quand ils sont d'exception - accepter de ne plus diriger des négociations strictement diplomatiques pour accompagner le mouvement des sociétés ; je salue donc les chevilles ouvrières de l'Atelier Culturel méditerranéen : l'ambassadeur Jacques Huntzinger, puisqu'il s'agit à l'origine d'une initiative française, et l'ambassadeur Aly Maher, un grand ami de la France, notre hôte de ce jour à travers l'Institut des Etudes pour la Paix dont il est le directeur.
Vous venez d'adopter deux documents : une déclaration sur le dialogue des cultures en Méditerranée et un plan d'action culturel méditerranéen couvrant les différentes thématiques traitées dans le cadre de l'Atelier, qu'il s'agisse de la mémoire et de l'Histoire, des images et des écrits, du fait religieux et de la société, de la modernisation sociale, de l'éducation, des valeurs partagées et des valeurs communes. Cette seule énumération suffit à prendre la mesure de votre ambition. Comme toute ambition, elle ne s'arrêtera pas en si bon chemin : la France se tiendra à vos côtés pour lui donner les moyens de le poursuivre.
Tout d'abord, l'Atelier Culturel méditerranéen va organiser à Marseille à l'automne 2008, sous Présidence française de l'Union européenne, les "Etats généraux des acteurs du changement en Méditerranée". Ce sera une première occasion de dresser le bilan de la mise en oeuvre du plan d'action culturel méditerranéen adopté à Alexandrie. Ces Etats généraux permettront également d'avoir un premier rassemblement des sociétés civiles méditerranéennes au lendemain du lancement de l'Union pour la Méditerranée lors du Sommet de Paris en juillet 2008.
C'est précisément dans ce dernier cadre que votre Atelier Culturel a également vocation à s'inscrire. L'Union pour la Méditerranée, à laquelle ont appelé les chefs d'Etat et de gouvernement de la France, de l'Italie et de l'Espagne dans leur déclaration de Rome du 20 décembre, ne vise pas à se substituer aux procédures de coopération et de dialogue existantes dans la région, mais à les compléter et à leur donner une impulsion supplémentaire à travers des actions concrètes dans quatre grands domaines : l'environnement et le développement durables, la croissance économique et le développement social, la constitution d'un espace de sécurité, et le dialogue des cultures.
Le dialogue des cultures est un thème des relations internationales cher à la France, qui a fondé, avec l'ensemble des Etats membres de la Ligue arabe, l'Institut du Monde arabe à Paris, inauguré il y a vingt ans et aujourd'hui présidé par Dominique Baudis. C'est ce champ que vous avez défriché, et c'est dans ce domaine que vous pourriez être l'un des principaux vecteurs de l'Union pour la Méditerranée. Cette action centrée sur l'espace méditerranéen sera bien entendu complémentaire de celle menée à une échelle plus vaste dans le cadre de l'Alliance des civilisations et je salue à cet égard la présence parmi nous du président Jorge Sampaio, Haut Représentant du Secrétaire général des Nations unies.
Telles sont les perspectives qui s'offrent à nous. L'Histoire de la Méditerranée est plutôt celle des fractures et des conflits que celle de la continuité et des échanges, comme vous le rappelez sans langue de bois dans votre Déclaration. On peut tenter de renverser cette impression en recourant à la géographie ou à ce que j'appellerai la "poésie de l'olivier" : bien que je ne sois pas insensible à la symbolique portée par cet arbuste, celle de la paix, je préfèrerais pour ma part considérer que la "Méditerranée" est un concept humain, une invention des hommes, notre invention, celle aussi d'un Fernand Braudel qui commença à rédiger sa fameuse thèse durant sa captivité en Allemagne, sans fichiers et sans bibliothèque. Si le grand historien réussit à forger ce personnage de la Méditerranée acteur d'un temps long de l'Histoire, au détriment du temps court de Philippe II le Habsbourg et de la bataille de Lépante, c'est probablement parce qu'il lui fallait échapper à un contexte de guerre et de privation de liberté.
C'est en effet dans une entreprise volontariste que nous sommes engagés, humaniste aussi, très en phase avec les nouvelles orientations de la politique étrangère française que le président Nicolas Sarkozy ne cesse d'esquisser de discours en discours et de déplacement en déplacement. Cette convivialité méditerranéenne n'a peut-être existé que par intermittence dans le passé, mais il ne tient qu'à nous de la créer, de la recréer, et surtout de la rendre durable.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2008