Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à RTL le 15 janvier 2001, sur les positions du Medef et des syndicats concernant l'avenir du système des retraites, le crédit d'impôt, les conflits sociaux à Rouen et dans l'entreprise Danone.

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O. Mazerolle Aujourd'hui et demain, le Medef se réunit en conseil exécutif et assemblée générale. Les patrons ont demandé la suspension des cotisations à l'ASF qui est l'organisme qui permet de payer les retraites complémentaires entre 60 et 65 ans. Quelle sera la réplique syndicale ?
- "Elle est en cours, elle est organisée, puisque, comme beaucoup le savent, les cinq confédérations syndicales - ce qui n'est pas banal - se sont mises d'accord pour organiser une mobilisation nationale dès le 25 janvier pour contraindre le patronat à revenir à la table des négociations. Jusqu'à présent, il nous a indiqué que si nous n'acceptions pas, les uns et les autres, de négocier sur les bases qu'il présentait, il y aurait de fait la fin de la retraite à 60 ans, par le biais des négociations sur la retraite complémentaire. Donc, après avoir agi, essayé de contrer la décision politique des 35 heures, le patronat a décidé de pousser à l'extrême sa stratégie de la terre brûlée en matière d'acquis sociaux en remettant en cause, en tout cas en essayant de remettre en cause, la retraite à 60 ans. "
E.-A. Seillière dit précisément " la retraite à 60 ans, c'est un slogan qui n'est pas conforme à la réalité " ?
- "Ce n'est pas uniquement un slogan, c'est un droit dans notre pays depuis qu'il a été décidé. La structure pour laquelle des négociations sont en cours était destinée justement à permettre que sur la partie retraite complémentaire, on tienne compte de cette décision politique qui avait mis l'âge de la retraite à 60 ans et non plus à 65 ans. Si la position patronale ne devait pas changer, à partir du 1er avril, nous aurions une chute considérable du niveau des retraites complémentaires, ce qui équivaudrait à contraindre les salariés concernés soit à continuer de travailler, soit à avoir recours à d'autres mécanismes pour avoir une retraite à taux plein. De ce point de vue-là, il est évident que M. Kessler attend avec beaucoup d'appétit la période où il pourra présenter des propositions pour défendre les systèmes de retraite par capitalisation. "
Le patronat dit " avec l'augmentation de la durée de vie, on ne peut plus tenir comme cela : ou bien on augmente les cotisations ou bien on diminue les prestations de retraites ou alors on allonge la durée des cotisations ".
- "Le patronat a une position très contradictoire, dans la mesure où il ne cesse de réclamer à l'Etat des dispositifs de départ en retraite anticipée pour lesquels il demande beaucoup de milliards. Dans les entreprises, on voit bien qu'il essaie de faire partir des salariés avant l'âge de départ en retraite. On ne peut pas - il y a des solutions pour y parvenir - prétendre que l'avenir est à repousser encore un peu plus l'âge de départ en retraite, dans une période où il y a encore un fort niveau de chômage dans notre pays. "
Dans l'épreuve de force actuelle, vous demandez l'intervention du Gouvernement ? Vous demandez une loi pour prélever les cotisations, pour permettre ce financement des retraites à 60 ans ?
- "Il faudra d'une manière ou d'une autre préserver juridiquement le droit des retraités. Mais en même temps, c'est une négociation avec le patronat et le Gouvernement, au stade actuel, n'a pas la possibilité de régler par son intervention une négociation permettant d'assurer l'avenir des retraites complémentaires. Il y a effectivement un problème de financement global. Nous avons, contrairement à ce que dit M. Seillière, des propositions. Les organisations syndicales en ont faites : il faut réformer l'assiette des cotisations ; il faut réformer les modes de calculs anciens, qui ne peuvent pas correspondre à une population qui sera plus importante, c'est évident. Tout cela doit faire l'objet d'une négociation. C'est une autre chose de dire qu'il y a une espérance de vie croissante à l'avenir, pour les générations futures - ce qui est plutôt quelque chose de positif, on nous présente ça comme un malheur supplémentaire -, et que cela doit forcément déboucher sur une période d'activité plus longue. "
Mais au 1er avril, si le financement des retraites complémentaires n'est pas assuré, qu'est-ce que vous préconisez si le Gouvernement ne fait rien, si le Medef, les entreprises ne prélèvent plus les cotisations ?
- "Ce que nous préconisons dans un premier temps, c'est la mobilisation. Je peux vous dire que toutes nos forces vont être employées pour faire en sorte que le 25 janvier, avec nos homologues syndicaux, nous parvenions à des débrayages. Je note que rapidement des décisions d'arrêt de travail sont d'ores et déjà prises dans bon nombre d'entreprises. Organisations de manifestations"
Dans le privé ? Parce qu'on dit souvent " la CGT et les syndicats ne sont pas très forts dans le privé, ils existent dans le public " ?
- "Il ne nous sera pas fait de reproche, cette fois-ci, de ne pas avoir été actifs pour défendre les intérêts des salariés privés. Je peux vous dire que le 25 janvier s'annonce déjà comme une forte journée de mobilisation, notamment dans le privé. Nous avons des décisions d'arrêt de travail cette semaine, je sais que d'autres entreprises vont sans doute décider du principe. Nous aurons des manifestations, direction les Chambres patronales, et nous verrons si les chefs d'entreprises sont tout à fait en phase avec les représentants nationaux dans cette négociation. Je pense qu'il y a accessoirement un petit problème de représentativité du collège employeur dans ces négociations. "
A propos de conflits, il y a celui de Danone qui s'annonce, où 1700 licenciements sont annoncés en France par le groupe pour cause de rentabilité insuffisante de la branche biscuit. On voit qu'il y a une internationalisation des conflits maintenant, parce que Danone a acheté d'autres firmes à l'étranger. Comment les syndicats comme le vôtre se positionnent-ils par rapport à ce côté international des conflits ?
- "Nous avons des coopérations, des collaborations. J'étais dans la Marne. Villeroy Bosch, une autre activité là aussi où les emplois sont menacés, va nécessiter une coopération avec les Luxembourgeois, les Allemands. Nous allons y travailler cette semaine. S'agissant de Danone, c'est un nouveau Michelin quelque part, puisque ce n'est pas la rentabilité en tant que telle de l'activité biscuit du groupe qui est en cause. De ce qui est indiqué, de ce que laissent apparaître les comptes, le taux de rentabilité est de 7 %. Mais comme la production d'eau embouteillée et de lait, aurait un taux de rentabilité de 13 %, on exige donc que l'activité biscuit ait le même niveau de rentabilité. On gagne de l'argent avec le biscuit, mais pas assez ; il faut donc courir davantage sur une rentabilité plus importante, avec des emplois supprimés que les salariés ne peuvent pas comprendre. Nous avons une réunion aujourd'hui même de l'ensemble des syndicats des sites Danone dans lesquels la CGT est largement présente. Les salariés font, dans ce groupe, confiance à plus de 50 % à la CGT. Nous avons donc une responsabilité tout à fait particulière et je sais qu'ils envisagent, notamment à l'occasion du comité central d'entreprise, de redire au-delà de la procédure - parce qu'encore une fois, voilà un plan sur lequel à aucun moment nous n'avons participé à la réflexion stratégique : c'est par voie de presse, par indiscrétion que les salariés apprennent que leur avenir peut-être menacé très rapidement... "
Autre conflit qui lui s'éternise, celui des traminots à Rouen. Il y a toujours des grèves de la faim, une occupation de la mairie, mais ça ne bouge pas ?
- "Lorsque l'on fait le constat que des salariés en sont à venir à ce moyen d'action qui peut être considéré comme tout sauf banal, il faut s'interroger sur les raisons. Il y a eu des négociations qui ont pris déjà des jours et des jours sur les revendications premières qui avaient été défendues par l'ensemble du personnel dans cette entreprise. Malheureusement, après avoir négocié sur le fond, il y a un esprit revanchard qui s'est exprimé pour essayer de retenir quelques leaders et leur adresser des sanctions, ce qui ne pouvait être toléré dans cette entreprise. "
Un dernier mot sur le choix du Gouvernement et de L. Jospin : le crédit d'impôt plutôt que l'augmentation du Smic. C'est quand même un signal : l'économie ne se traite plus de la même manière qu'autrefois, les salaires ne sont pas les seuls
- "Ce signal n'est pas forcément positif. Si on veut agir par le biais de l'impôt en termes de justice fiscale, nous avons des propositions. Je regrette que là aussi nous n'avons pas été suffisamment associés - pour ne pas dire pas du tout - à la réflexion du Gouvernement. Il s'agit de mesures qui s'appliquent aux salariés et à aucun moment ne vient l'idée que les confédérations syndicales de salariés pourraient avoir des opinions à défendre pour faire mûrir la réflexion du Gouvernement. Donc, nous sommes amenés simplement à commenter la décision. J'aurais préféré, personnellement, qu'il y ait une décision sur le Smic, voire qu'on se penche sur une véritable réforme fiscale. Nous avons un impôt dans notre pays qui est encore trop inégalitaire par le poids de la TVA, de la taxe d'habitation. S'il y avait des mesures permettant de remettre de la justice fiscale, de ce point de vue là, il y avait d'autres leviers que ce crédit d'impôt. Beaucoup d'observateurs le remarquent : le crédit d'impôt peut être un excellent argument pour les entreprises, pour temporiser sur les négociations salariales, en considérant que l'Etat accepterait dorénavant de combler la politique de bas salaire, lorsqu'elle se pratique, comme c'est le cas trop généralement. "
Ce n'est pas de la bonne gauche ?
- "A chacun de dire ce qu'il pense et de qualifier la politique. Ce qui m'intéresse, c'est la nature des mesures. Gauche ou pas gauche, pour ce qui nous concerne, nous avons plutôt une analyse négative de la décision qui va nous être précisée, semble-t-il, demain. "
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 16 janvier 2001)