Texte intégral
Je voudrais commencer par saluer la création, par le Sénat, de cette mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque. La question de la dépendance touche aujourd'hui un nombre croissant de familles, et les perspectives démographiques montrent que les enjeux les plus importants sont encore à venir. En effet, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans devrait quasiment doubler d'ici à 2015. Et depuis 30 ans, droite et gauche confondus, nous n'avons pas suffisamment pris la mesure du phénomène.
C'est pourquoi le Président de la République a décidé de faire de la prise en charge de la dépendance un axe fort de son action et de celle du Gouvernement. Annoncé pendant la campagne présidentielle, confirmé depuis, le chantier du cinquième risque est aujourd'hui en préparation, et je ne peux que me féliciter d'une contribution aussi essentielle à ce chantier que celle du Sénat.
Sachez que je serai très attentif à vos analyses et vos propositions, et que je compte mener ce chantier du cinquième risque en partenariat avec vous. A ce titre, les problématiques que vous avez retenues pour votre programme de travail : « quel périmètre pour le cinquième risque ? quels types de financement ? quelle gouvernance ? » sont celles qui guident ma propre réflexion.
Dans cet esprit, je ne suis pas venu aujourd'hui, vous vous en doutez, vous présenter le projet ficelé du Gouvernement pour le cinquième risque. Notre travail de préparation doit encore s'enrichir du dialogue avec les principales parties prenantes intéressées, tant les partenaires sociaux que les associations et les collectivités locales - qui ont mené, au sein du conseil de la CNSA, un remarquable travail d'expertise. Notre projet devra également, bien sûr, bénéficier de vos propres analyses.
Ce que je voudrais, cet après-midi, c'est développer devant vous les principaux axes de ma réflexion sur le cinquième risque, sur trois points :
I. l'organisation actuelle de la prise en charge de la perte d'autonomie, ses points forts mais aussi ses limites ;
II. les besoins que nous avons à couvrir, qui constituent pour moi les objectifs de la réforme et donc de la mise en place du cinquième risque ;
III. les pistes de réponses que nous pouvons apporter à ces objectifs.
I. Tout d'abord, de quelle situation part-on en matière de prise en charge de la perte d'autonomie ?
A) Aujourd'hui, l'action en faveur de l'autonomie dans ses différentes dimensions - grand âge, handicap - mobilise autour de 19 milliards d'euros par an. Cet effort n'emprunte pas un canal unique, mais c'est un « panier » de prestations et de services que se voient proposer les personnes en situation de perte d'autonomie, fournis par des acteurs divers. C'est pour moi le périmètre du cinquième risque, pour répondre à une question que vous vous posez.
1) Il s'agit d'abord des prestations de santé, financées essentiellement par l'assurance maladie, qui jouent un rôle essentiel dans la prise en charge des personnes dans les établissements et services médico-sociaux. Les médecins-coordonateurs dans les maisons de retraites, les aides soignantes, les services de soins infirmiers à domicile, les soins dispensés dans les établissements et services dédiés au handicap, toutes ces interventions marquent la proximité du champ de la dépendance, du cinquième risque, avec celui de la santé.
Notre effort en ce domaine est allé croissant ces dernières années. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008, que j'ai soutenue devant vous sur ce point avec Valérie LETARD, accélère la tendance : les crédits consacrés au grand âge progressent de 11% cette année, ce qui nous permet notamment de créer davantage de places de maisons de retraites que nous n'en avions prévu (7 500 au lieu de 5 000) ainsi que de mieux prendre en compte la maladie d'Alzheimer. Valérie LETARD reviendra plus en détail dans quelques instants sur l'évolution du nombre de places dans le contexte notamment des plans « Vieillissement et Solidarités » et « Solidarité Grand Âge ».
2) Il s'agit ensuite des prestations de compensation de la perte d'autonomie, l'APA pour la dépendance liée à l'âge. Nous avons sur ce point trouvé un nouveau modèle de gestion de la protection sociale, qui combine gestion décentralisée reposant sur les conseils généraux, et péréquation nationale pour assurer une équité de traitement sur le territoire, grâce à la CNSA.
Ainsi, le périmètre du cinquième risque a deux dimensions dans notre esprit : d'une part le soin, d'autre part les prestations en faveur de l'autonomie - APA pour le grand âge, PCH pour le handicap -. Pourquoi cette formule « cinquième risque » ? Parce qu'il s'agit bien d'un risque social nouveau :
* notre système de Sécurité sociale mis en place en 1945, et les quatre risques qui le constituent - maladie, accidents du travail, famille, vieillesse - n'apportent pas aujourd'hui de réponse adaptée au défi social de la perte d'autonomie ;
* entre les prestations liées à l'état de santé (assurance maladie ou accidents du travail) et celles liées à une perte de revenu (retraites, chômage, invalidité, minima sociaux), il y a bien la place pour un nouveau champ de la protection sociale dont le but est de compenser les restrictions dans la réalisation des activités de la vie quotidienne et de la vie sociale. B) Sur ce périmètre, l'organisation actuelle donne-t-elle satisfaction ?
a) De mon point de vue, deux des piliers de l'organisation actuelle ont fait leurs preuves et mériteraient d'être conservés.
D'une part, le modèle original d'une gestion décentralisée et d'une agence nationale, chargée de la péréquation, de l'animation et de l'information, donne aujourd'hui de bons résultats. Les conseils généraux apportent leur expertise et leur proximité. De son côté, la CNSA a maintenant conquis sa légitimité. Créée par la loi du 30 juin 2004, il s'agit d'une institution sans équivalent, tant par ses sources de financement que par sa gouvernance et par ses relations avec les conseils généraux. Après trois ans, son fonctionnement est salué par l'ensemble des acteurs du secteur. La Cour des Comptes a noté la transparence de ses finances. C'est un acquis sur lequel nous pouvons construire l'avenir.
D'autre part, le financement par l'assurance maladie de la dépense de soins destinée aux établissements et services pour personnes âgées et handicapées, est également un principe auquel je tiens. Je ne suis pas dans une logique de création d'une « sécurité sociale pour les personnes âgées », ou pour les handicapés. Je suis personnellement attaché à l'universalité de l'assurance maladie.
b) Pour autant, l'organisation actuelle présente également des limites.
L'organisation des champs médico-social et sanitaire est encore marquée par de trop nombreux cloisonnements, institutionnels et financiers, qui font obstacle à une planification et à une prise en charge coordonnée entre l'hôpital, le médico-social et la médecine de ville.
De même, les différents dispositifs de prise en charge à domicile pourraient être mieux coordonnées, et davantage centrés sur la personne plutôt que de refléter les différences institutionnelles, parmi lesquelles les familles ne se retrouvent pas. Il y a aujourd'hui une multiplication des types d'accompagnement, qui se chevauchent et dont la cohérence n'est pas assurée. Une personne âgée dépendante bénéficie en moyenne de l'intervention de trois professionnels et, pour un quart d'entre elles, de six ou plus, ce qui rend indispensable leur bonne coordination.
Enfin, l'organisation actuelle laisse d'importants besoins insatisfaits pour les années à venir.
II. Ces besoins auxquels nous avons un devoir de répondre, quels sont-ils ?
Ils sont de quatre ordres :
A) La croissance démographique, d'abord, va nécessiter de mobiliser davantage de financements ne serait-ce que pour conserver notre niveau de couverture actuel.
Le nombre de personnes de plus de 85 ans va connaître dans les prochaines années une très forte croissance, passant de 1 300 000 aujourd'hui à plus de 2 millions en 2015. Cette hausse ne devrait pas entraîner une croissance identique du nombre de personnes âgées dépendantes, car l'augmentation de la durée de vie s'accompagne heureusement également d'une augmentation de la durée de vie en validité : on vit plus longtemps, et on vit plus longtemps également en bonne santé.
Néanmoins, il faut s'attendre à une croissance d'environ
1 - 1,5% par an du nombre de personnes âgées dépendantes d'ici à 2040, avec des périodes d'accélération comme celle que nous vivons actuellement. Très concrètement, le nombre de bénéficiaires de l'APA, qui étaient 1 million début 2007, devraient être entre 150 000 et 300 000 de plus en 2012.
Cette arrivée au grand âge de populations nombreuses a des conséquences sur la protection sociale : l'organisation des soins doit être adaptée, le nombre de maisons de retraite et de services infirmiers à domicile augmenté, et le système de prise en charge de la dépendance aménagé pour mieux tenir compte de cette réalité. Je veux insister également sur un point que Valérie Létard détaillera notamment avec le plan métiers : il faudra également des personnels.
B) Ensuite, nos concitoyens manifestent une volonté forte de rester à domicile le plus longtemps possible. Cette aspiration, nous la comprenons et nous voulons l'encourager, c'est une question de dignité. Le libre choix entre le maintien à domicile et l'hébergement en établissement, je veux le rendre possible.
Pour que le libre choix devienne une réalité, il reste encore du chemin à parcourir. Il faut multiplier les services de soins infirmiers à domicile ainsi que les formules de répit pour les aidants familiaux, qui sont souvent dans une situation d'épuisement physique et moral. Accueils séquentiels - accueils de jour, hébergement temporaire - doivent être créées en nombre suffisants et pouvoir être effectivement utilisés.
Il faut aussi s'interroger sur l'APA à domicile : les plans d'aide sont-ils suffisamment bien calibrés pour les personnes dépendantes qui ne disposent pas d'un appui de leur entourage direct ? Au-delà des aides humaines, ne pourraient-il pas mieux prendre en charge l'aménagement du logement ainsi que certaines aides techniques, comme le recommande notamment la commission MENARD sur Alzheimer, favorisant ainsi le développement des nouvelles technologies à destination des personnes âgées ?
C) Par ailleurs, il y a également beaucoup à faire dans le champ des établissements, pour ceux qui ne veulent plus ou ne peuvent plus rester à domicile.
Je pense qu'il faut inventer la maison de retraite de demain.
Cela nécessite d'abord de poursuivre la médicalisation des établissements, médicalisation d'autant plus nécessaire que les populations accueillies sont de plus en plus dépendantes. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons aligner les taux d'encadrement de personnels au chevet de la personne sur les meilleurs standards internationaux et, ainsi, éviter toutes les situations de maltraitance. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons mieux adapter les EHPAD à la prise en charge d'Alzheimer.
Cela nécessite aussi de maîtriser le reste à charge des familles, qui doit supporter la hausse du coût du foncier ainsi que de nombreuses autres charges (animation, services sociaux, agents de services, notamment).
En matière de handicap, nous devons, comme le Président de la République nous y a engagés, mettre en oeuvre un plan quinquennal de création de places. Je souhaite que ce plan ait pour priorités principales de réduire les listes d'attente pour les familles ainsi que d'apporter une réponse aux populations les plus mal dotées, en particulier l'autisme et le polyhandicap. Je pense aussi aux jeunes adultes maintenus dans des établissements pour enfants faute de places : il faut que nous puissions faire cesser cette situation intolérable.
D) Enfin, aucune des politiques que je viens de décrire ne serait possible sans un effort marqué en direction des métiers du médico-social. Valérie Létard en reparlera.
III. Etant donné ces besoins et ces objectifs, quelles réponses pouvons-nous apporter ?
Sans bien sûr que cela constitue, comme je l'ai dit, le plan arrêté du Gouvernement pour le cinquième risque, voici quatre axes d'évolutions possibles que je livre à l'analyse de la mission d'information.
A) En ce qui concerne, en premier lieu, les prestations de compensation de la perte d'autonomie, nous pourrions nous interroger sur le périmètre des services pris en charge, sur le « panier de biens et services ».
A domicile, je l'ai évoqué, l'APA ne devrait-elle pas mieux prendre en charge certains aménagements du logement ainsi que certaines aides techniques ?
En maison de retraite, les charges liées à la dépendance pourraient de la même façon être revues : on peut se poser la question de savoir pourquoi les aides-soignantes y sont financées à hauteur de 70% seulement par l'assurance maladie, contrairement à l'ensemble des autres établissements et services où elles interviennent ? Libérées du financement des personnels soignants, les aides à la dépendance pourraient être redéployées vers d'autres prestations liées à la dépendance, pour soulager le reste à charge des familles, ce qui constitue une priorité à mon sens. Evidemment, une telle évolution aurait des conséquences financières sur l'assurance maladie qu'il faut anticiper.
B) Deuxièmement, en matière de financement, nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur les places respectives de la prévoyance individuelle et collective, de la responsabilité individuelle et de la solidarité nationale.
Le Président de la République a appelé à prendre en compte de manière plus juste les capacités contributives des personnes. Peut-on prendre en compte le fait que les générations qui seront dépendantes dans les 20 prochaines années seront globalement mieux dotées en patrimoine que les générations qui les ont précédé ou qui vont leur succéder ?
Surtout, il faut aborder sans tabou la question de la prévoyance individuelle et collective. Le risque de perte d'autonomie liée à l'âge présente en effet certaines caractéristiques dont nous devons tenir compte : par définition, c'est un risque qui intervient tard dans la vie ; c'est également un risque qui peut être anticipé individuellement. Les Français en ont de plus en plus conscience, ce qui va favoriser les comportements d'épargne et de prévoyance.
Les organismes de prévoyance - assurances, mutuelles, institutions de prévoyance - ont d'ores et déjà développé une offre en matière de dépendance. Le nombre de personnes assurées n'est aujourd'hui pas négligeable, même s'il faut faire la part des choses dans les chiffres officiels. Sur les 2 millions de personnes assurées, une grande partie ne sont assurées que pour un risque qui surviendrait dans l'année seulement, et non pour le risque futur. C'est pourtant ce deuxième type de garantie qu'il faut développer si nous voulons vraiment répondre aux enjeux.
C) En troisième lieu, il nous faut repenser l'organisation et la gouvernance locale. La mise en place des futures agences régionales de santé (ARS) doit être l'occasion de mener la démarche réellement cloisonnée entre l'hôpital, la médecine de ville et le médico-social. Je veillerai tout particulièrement, avec Roselyne BACHELOT, à deux objectifs :
* le premier, c'est que cette réforme de structure s'accompagne d'une ambitieuse politique de recomposition de l'offre de soins sur le territoire ;
* le second, c'est que le secteur médico-social ne soit pas la variable d'ajustement, notamment budgétaire, par rapport aux secteurs de la ville et de l'hôpital. Dans cette même logique, il faut également que les conseils généraux, comme les associations puissent faire entendre leur voix au sein de l'agence, en particulier en termes de programmation de l'offre d'établissements et services.
L'organisation locale doit également être adaptée pour replacer la personne en perte d'autonomie au centre des dispositifs publics, et davantage coordonner les interventions diverses. C'est l'ambition d'une proposition formulée par le professeur MENARD, que je reprends bien volontiers à mon compte, de favoriser l'émergence de lieux de coordination et de gestionnaires uniques de patients atteints de la maladie d'Alzheimer.
D) Enfin, il nous faut mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement en direction des personnels qui seront la cheville ouvrière du cinquième risque. C'est l'objet du plan métiers que prépare Valérie LETARD, dont elle vous présentera à l'instant la philosophie.
Je voudrais conclure en vous indiquant le calendrier que j'envisage pour la réforme du cinquième risque :
* une concertation qui s'ouvrira dans les semaines qui viennent avec les parties prenantes du secteur. Je sais que ces dernières ont déjà beaucoup réfléchi à la question, notamment au sein du conseil de la CNSA, comme le reflète le rapport qui m'a été remis en novembre dernier et qui fournira une base utile pour nos discussions ;
* un projet de loi qui devrait être présenté au Parlement au deuxième trimestre 2008. Je veux également réaffirmer ici notre conviction : nous voulons mettre en place le cinquième risque car nous croyons à la solidarité nationale.
Madame la Ministre, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs
Je sais pouvoir compter sur votre esprit constructif et votre exigence pour ce grand chantier qui s'annonce.
Je vous remercie.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 21 janvier 2008
C'est pourquoi le Président de la République a décidé de faire de la prise en charge de la dépendance un axe fort de son action et de celle du Gouvernement. Annoncé pendant la campagne présidentielle, confirmé depuis, le chantier du cinquième risque est aujourd'hui en préparation, et je ne peux que me féliciter d'une contribution aussi essentielle à ce chantier que celle du Sénat.
Sachez que je serai très attentif à vos analyses et vos propositions, et que je compte mener ce chantier du cinquième risque en partenariat avec vous. A ce titre, les problématiques que vous avez retenues pour votre programme de travail : « quel périmètre pour le cinquième risque ? quels types de financement ? quelle gouvernance ? » sont celles qui guident ma propre réflexion.
Dans cet esprit, je ne suis pas venu aujourd'hui, vous vous en doutez, vous présenter le projet ficelé du Gouvernement pour le cinquième risque. Notre travail de préparation doit encore s'enrichir du dialogue avec les principales parties prenantes intéressées, tant les partenaires sociaux que les associations et les collectivités locales - qui ont mené, au sein du conseil de la CNSA, un remarquable travail d'expertise. Notre projet devra également, bien sûr, bénéficier de vos propres analyses.
Ce que je voudrais, cet après-midi, c'est développer devant vous les principaux axes de ma réflexion sur le cinquième risque, sur trois points :
I. l'organisation actuelle de la prise en charge de la perte d'autonomie, ses points forts mais aussi ses limites ;
II. les besoins que nous avons à couvrir, qui constituent pour moi les objectifs de la réforme et donc de la mise en place du cinquième risque ;
III. les pistes de réponses que nous pouvons apporter à ces objectifs.
I. Tout d'abord, de quelle situation part-on en matière de prise en charge de la perte d'autonomie ?
A) Aujourd'hui, l'action en faveur de l'autonomie dans ses différentes dimensions - grand âge, handicap - mobilise autour de 19 milliards d'euros par an. Cet effort n'emprunte pas un canal unique, mais c'est un « panier » de prestations et de services que se voient proposer les personnes en situation de perte d'autonomie, fournis par des acteurs divers. C'est pour moi le périmètre du cinquième risque, pour répondre à une question que vous vous posez.
1) Il s'agit d'abord des prestations de santé, financées essentiellement par l'assurance maladie, qui jouent un rôle essentiel dans la prise en charge des personnes dans les établissements et services médico-sociaux. Les médecins-coordonateurs dans les maisons de retraites, les aides soignantes, les services de soins infirmiers à domicile, les soins dispensés dans les établissements et services dédiés au handicap, toutes ces interventions marquent la proximité du champ de la dépendance, du cinquième risque, avec celui de la santé.
Notre effort en ce domaine est allé croissant ces dernières années. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008, que j'ai soutenue devant vous sur ce point avec Valérie LETARD, accélère la tendance : les crédits consacrés au grand âge progressent de 11% cette année, ce qui nous permet notamment de créer davantage de places de maisons de retraites que nous n'en avions prévu (7 500 au lieu de 5 000) ainsi que de mieux prendre en compte la maladie d'Alzheimer. Valérie LETARD reviendra plus en détail dans quelques instants sur l'évolution du nombre de places dans le contexte notamment des plans « Vieillissement et Solidarités » et « Solidarité Grand Âge ».
2) Il s'agit ensuite des prestations de compensation de la perte d'autonomie, l'APA pour la dépendance liée à l'âge. Nous avons sur ce point trouvé un nouveau modèle de gestion de la protection sociale, qui combine gestion décentralisée reposant sur les conseils généraux, et péréquation nationale pour assurer une équité de traitement sur le territoire, grâce à la CNSA.
Ainsi, le périmètre du cinquième risque a deux dimensions dans notre esprit : d'une part le soin, d'autre part les prestations en faveur de l'autonomie - APA pour le grand âge, PCH pour le handicap -. Pourquoi cette formule « cinquième risque » ? Parce qu'il s'agit bien d'un risque social nouveau :
* notre système de Sécurité sociale mis en place en 1945, et les quatre risques qui le constituent - maladie, accidents du travail, famille, vieillesse - n'apportent pas aujourd'hui de réponse adaptée au défi social de la perte d'autonomie ;
* entre les prestations liées à l'état de santé (assurance maladie ou accidents du travail) et celles liées à une perte de revenu (retraites, chômage, invalidité, minima sociaux), il y a bien la place pour un nouveau champ de la protection sociale dont le but est de compenser les restrictions dans la réalisation des activités de la vie quotidienne et de la vie sociale. B) Sur ce périmètre, l'organisation actuelle donne-t-elle satisfaction ?
a) De mon point de vue, deux des piliers de l'organisation actuelle ont fait leurs preuves et mériteraient d'être conservés.
D'une part, le modèle original d'une gestion décentralisée et d'une agence nationale, chargée de la péréquation, de l'animation et de l'information, donne aujourd'hui de bons résultats. Les conseils généraux apportent leur expertise et leur proximité. De son côté, la CNSA a maintenant conquis sa légitimité. Créée par la loi du 30 juin 2004, il s'agit d'une institution sans équivalent, tant par ses sources de financement que par sa gouvernance et par ses relations avec les conseils généraux. Après trois ans, son fonctionnement est salué par l'ensemble des acteurs du secteur. La Cour des Comptes a noté la transparence de ses finances. C'est un acquis sur lequel nous pouvons construire l'avenir.
D'autre part, le financement par l'assurance maladie de la dépense de soins destinée aux établissements et services pour personnes âgées et handicapées, est également un principe auquel je tiens. Je ne suis pas dans une logique de création d'une « sécurité sociale pour les personnes âgées », ou pour les handicapés. Je suis personnellement attaché à l'universalité de l'assurance maladie.
b) Pour autant, l'organisation actuelle présente également des limites.
L'organisation des champs médico-social et sanitaire est encore marquée par de trop nombreux cloisonnements, institutionnels et financiers, qui font obstacle à une planification et à une prise en charge coordonnée entre l'hôpital, le médico-social et la médecine de ville.
De même, les différents dispositifs de prise en charge à domicile pourraient être mieux coordonnées, et davantage centrés sur la personne plutôt que de refléter les différences institutionnelles, parmi lesquelles les familles ne se retrouvent pas. Il y a aujourd'hui une multiplication des types d'accompagnement, qui se chevauchent et dont la cohérence n'est pas assurée. Une personne âgée dépendante bénéficie en moyenne de l'intervention de trois professionnels et, pour un quart d'entre elles, de six ou plus, ce qui rend indispensable leur bonne coordination.
Enfin, l'organisation actuelle laisse d'importants besoins insatisfaits pour les années à venir.
II. Ces besoins auxquels nous avons un devoir de répondre, quels sont-ils ?
Ils sont de quatre ordres :
A) La croissance démographique, d'abord, va nécessiter de mobiliser davantage de financements ne serait-ce que pour conserver notre niveau de couverture actuel.
Le nombre de personnes de plus de 85 ans va connaître dans les prochaines années une très forte croissance, passant de 1 300 000 aujourd'hui à plus de 2 millions en 2015. Cette hausse ne devrait pas entraîner une croissance identique du nombre de personnes âgées dépendantes, car l'augmentation de la durée de vie s'accompagne heureusement également d'une augmentation de la durée de vie en validité : on vit plus longtemps, et on vit plus longtemps également en bonne santé.
Néanmoins, il faut s'attendre à une croissance d'environ
1 - 1,5% par an du nombre de personnes âgées dépendantes d'ici à 2040, avec des périodes d'accélération comme celle que nous vivons actuellement. Très concrètement, le nombre de bénéficiaires de l'APA, qui étaient 1 million début 2007, devraient être entre 150 000 et 300 000 de plus en 2012.
Cette arrivée au grand âge de populations nombreuses a des conséquences sur la protection sociale : l'organisation des soins doit être adaptée, le nombre de maisons de retraite et de services infirmiers à domicile augmenté, et le système de prise en charge de la dépendance aménagé pour mieux tenir compte de cette réalité. Je veux insister également sur un point que Valérie Létard détaillera notamment avec le plan métiers : il faudra également des personnels.
B) Ensuite, nos concitoyens manifestent une volonté forte de rester à domicile le plus longtemps possible. Cette aspiration, nous la comprenons et nous voulons l'encourager, c'est une question de dignité. Le libre choix entre le maintien à domicile et l'hébergement en établissement, je veux le rendre possible.
Pour que le libre choix devienne une réalité, il reste encore du chemin à parcourir. Il faut multiplier les services de soins infirmiers à domicile ainsi que les formules de répit pour les aidants familiaux, qui sont souvent dans une situation d'épuisement physique et moral. Accueils séquentiels - accueils de jour, hébergement temporaire - doivent être créées en nombre suffisants et pouvoir être effectivement utilisés.
Il faut aussi s'interroger sur l'APA à domicile : les plans d'aide sont-ils suffisamment bien calibrés pour les personnes dépendantes qui ne disposent pas d'un appui de leur entourage direct ? Au-delà des aides humaines, ne pourraient-il pas mieux prendre en charge l'aménagement du logement ainsi que certaines aides techniques, comme le recommande notamment la commission MENARD sur Alzheimer, favorisant ainsi le développement des nouvelles technologies à destination des personnes âgées ?
C) Par ailleurs, il y a également beaucoup à faire dans le champ des établissements, pour ceux qui ne veulent plus ou ne peuvent plus rester à domicile.
Je pense qu'il faut inventer la maison de retraite de demain.
Cela nécessite d'abord de poursuivre la médicalisation des établissements, médicalisation d'autant plus nécessaire que les populations accueillies sont de plus en plus dépendantes. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons aligner les taux d'encadrement de personnels au chevet de la personne sur les meilleurs standards internationaux et, ainsi, éviter toutes les situations de maltraitance. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons mieux adapter les EHPAD à la prise en charge d'Alzheimer.
Cela nécessite aussi de maîtriser le reste à charge des familles, qui doit supporter la hausse du coût du foncier ainsi que de nombreuses autres charges (animation, services sociaux, agents de services, notamment).
En matière de handicap, nous devons, comme le Président de la République nous y a engagés, mettre en oeuvre un plan quinquennal de création de places. Je souhaite que ce plan ait pour priorités principales de réduire les listes d'attente pour les familles ainsi que d'apporter une réponse aux populations les plus mal dotées, en particulier l'autisme et le polyhandicap. Je pense aussi aux jeunes adultes maintenus dans des établissements pour enfants faute de places : il faut que nous puissions faire cesser cette situation intolérable.
D) Enfin, aucune des politiques que je viens de décrire ne serait possible sans un effort marqué en direction des métiers du médico-social. Valérie Létard en reparlera.
III. Etant donné ces besoins et ces objectifs, quelles réponses pouvons-nous apporter ?
Sans bien sûr que cela constitue, comme je l'ai dit, le plan arrêté du Gouvernement pour le cinquième risque, voici quatre axes d'évolutions possibles que je livre à l'analyse de la mission d'information.
A) En ce qui concerne, en premier lieu, les prestations de compensation de la perte d'autonomie, nous pourrions nous interroger sur le périmètre des services pris en charge, sur le « panier de biens et services ».
A domicile, je l'ai évoqué, l'APA ne devrait-elle pas mieux prendre en charge certains aménagements du logement ainsi que certaines aides techniques ?
En maison de retraite, les charges liées à la dépendance pourraient de la même façon être revues : on peut se poser la question de savoir pourquoi les aides-soignantes y sont financées à hauteur de 70% seulement par l'assurance maladie, contrairement à l'ensemble des autres établissements et services où elles interviennent ? Libérées du financement des personnels soignants, les aides à la dépendance pourraient être redéployées vers d'autres prestations liées à la dépendance, pour soulager le reste à charge des familles, ce qui constitue une priorité à mon sens. Evidemment, une telle évolution aurait des conséquences financières sur l'assurance maladie qu'il faut anticiper.
B) Deuxièmement, en matière de financement, nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur les places respectives de la prévoyance individuelle et collective, de la responsabilité individuelle et de la solidarité nationale.
Le Président de la République a appelé à prendre en compte de manière plus juste les capacités contributives des personnes. Peut-on prendre en compte le fait que les générations qui seront dépendantes dans les 20 prochaines années seront globalement mieux dotées en patrimoine que les générations qui les ont précédé ou qui vont leur succéder ?
Surtout, il faut aborder sans tabou la question de la prévoyance individuelle et collective. Le risque de perte d'autonomie liée à l'âge présente en effet certaines caractéristiques dont nous devons tenir compte : par définition, c'est un risque qui intervient tard dans la vie ; c'est également un risque qui peut être anticipé individuellement. Les Français en ont de plus en plus conscience, ce qui va favoriser les comportements d'épargne et de prévoyance.
Les organismes de prévoyance - assurances, mutuelles, institutions de prévoyance - ont d'ores et déjà développé une offre en matière de dépendance. Le nombre de personnes assurées n'est aujourd'hui pas négligeable, même s'il faut faire la part des choses dans les chiffres officiels. Sur les 2 millions de personnes assurées, une grande partie ne sont assurées que pour un risque qui surviendrait dans l'année seulement, et non pour le risque futur. C'est pourtant ce deuxième type de garantie qu'il faut développer si nous voulons vraiment répondre aux enjeux.
C) En troisième lieu, il nous faut repenser l'organisation et la gouvernance locale. La mise en place des futures agences régionales de santé (ARS) doit être l'occasion de mener la démarche réellement cloisonnée entre l'hôpital, la médecine de ville et le médico-social. Je veillerai tout particulièrement, avec Roselyne BACHELOT, à deux objectifs :
* le premier, c'est que cette réforme de structure s'accompagne d'une ambitieuse politique de recomposition de l'offre de soins sur le territoire ;
* le second, c'est que le secteur médico-social ne soit pas la variable d'ajustement, notamment budgétaire, par rapport aux secteurs de la ville et de l'hôpital. Dans cette même logique, il faut également que les conseils généraux, comme les associations puissent faire entendre leur voix au sein de l'agence, en particulier en termes de programmation de l'offre d'établissements et services.
L'organisation locale doit également être adaptée pour replacer la personne en perte d'autonomie au centre des dispositifs publics, et davantage coordonner les interventions diverses. C'est l'ambition d'une proposition formulée par le professeur MENARD, que je reprends bien volontiers à mon compte, de favoriser l'émergence de lieux de coordination et de gestionnaires uniques de patients atteints de la maladie d'Alzheimer.
D) Enfin, il nous faut mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement en direction des personnels qui seront la cheville ouvrière du cinquième risque. C'est l'objet du plan métiers que prépare Valérie LETARD, dont elle vous présentera à l'instant la philosophie.
Je voudrais conclure en vous indiquant le calendrier que j'envisage pour la réforme du cinquième risque :
* une concertation qui s'ouvrira dans les semaines qui viennent avec les parties prenantes du secteur. Je sais que ces dernières ont déjà beaucoup réfléchi à la question, notamment au sein du conseil de la CNSA, comme le reflète le rapport qui m'a été remis en novembre dernier et qui fournira une base utile pour nos discussions ;
* un projet de loi qui devrait être présenté au Parlement au deuxième trimestre 2008. Je veux également réaffirmer ici notre conviction : nous voulons mettre en place le cinquième risque car nous croyons à la solidarité nationale.
Madame la Ministre, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs
Je sais pouvoir compter sur votre esprit constructif et votre exigence pour ce grand chantier qui s'annonce.
Je vous remercie.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 21 janvier 2008