Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à Public Sénat le 23 janvier 2008, notamment sur un accord pour la création d'une base militaire française permanente à Abu Dhabi, les contrats d'armements, le livre blanc de la Défense et sur les risques terroristes.

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Michel GROSSIORD - Hervé MORIN, le ministre de la Défense, est l'invité de « Face à nous ». Bienvenu dans le studio de Public Sénat, Monsieur le ministre. Pour vous interroger ce soir, Arnaud de La Grange du « Figaro », Jean-Dominique Merchet de « Libération » et Bernard Mazières du « Parisien - Aujourd'hui en France », notre partenaire.
Entre incertitudes et nouveaux paris stratégiques, l'armée française s'apprête à connaître de fortes mutations, une cure d'austérité est en vue. Peut-être aurez-vous des éléments nouveaux à nous communiquer pour rassurer les personnels. La récente annonce par Nicolas Sarkozy de l'installation d'une base française à Abu Dhabi, au coeur du Moyen-Orient, mérite des précisions et là encore, nous en attendons de votre part. Mais d'abord, quel est votre commentaire sur le rapport Attali qui vient d'être présenté au chef de l'État ? Est-ce qu'il est de nature selon vous à faire bouger la France et peut-être même à faire bouger les lignes politiques ?
(...)
Jean-Dominique MERCHET - Oui, Monsieur le ministre, Nicolas Sarkozy était dans le Golfe et lors de son passage aux Émirats, il a annoncé l'ouverture d'une base à Abu Dhabi. J'ai regardé sur Google Earth : c'est à deux cent vingt-cinq kilomètres des côtes iraniennes. C'est assez proche d'un pays avec lequel on a des rapports pas très bons toujours. A quoi elle va servir, cette base ? Qu'est-ce qu'on va y faire et accessoirement, qui va la payer ?
Hervé MORIN - C'est une base de soutien interarmées, ce qui veut dire qu'il y aura des éléments de l'armée de terre, de la marine, de l'armée de l'air. Cette base de soutien interarmées sera financée par les Émirats arabes unis, par Abu Dhabi.
Michel GROSSIORD - Entièrement ?
Hervé MORIN - Pour son équipement, pour le fonctionnement. L'idée de cette base, c'est de faire en sorte que nous apportions déjà en terme militaire, cela a un sens, le soutien et l'appui aux forces qui régulièrement sont dans cette région du monde. Pour vous donner quelques chiffres ou quelques éléments, nous avons - si vous voulez bien me laisser terminer - nous avons environ à peu près 50 escales de bateaux de la marine nationale dans les pays du Golfe dont par exemple une trentaine aux EAU (aux Émirats arabes unis). Nous effectuons énormément d'exercices militaires, vous le savez, avec les Qataris, avec Abu Dhabi, avec l'Arabie Saoudite, avec le Koweït. Nous allons avoir par exemple un énorme exercice militaire commun avec le Qatar et les EAU, les Émirats arabes unis, qui s'appelle « Gulf Shield » dans quelques semaines - il y aura près de deux mille hommes qui y seront, des hommes des trois armées - qui sera effectué. Nous avons des exercices comme « Red Shark » avec l'Arabie Saoudite. Bref, on en a avec tous les pays.
Michel GROSSIORD - Vous nous parlez des bonnes relations, mais nous voulons parler des mauvaises relations avec l'Iran.
Hervé MORIN - Non mais attendez, attendez ! Laissez-moi finir. Par exemple nous avons en permanence entre quatre-vingt et quatre-vingt-dix officiers et sous-officiers qui sont pour la formation des armées des Émirats arabes unis et donc, il y a une présence militaire permanente. Cette base va déjà avoir un rôle de soutien et d'appui aux forces françaises qui sont présentes dans la région. Ça c'est le premier point. Mais ce serait un peu court comme explication. Le second point, quel est le sens de l'ouverture de cette base ? 1/ C'est le partenariat stratégique que nous avons noué avec les Émirats arabes unis. Partenariat stratégique qui ne date pas d'hier, qui date d'un accord de défense qui a été signé avec François Mitterrand, président de la République, et Édouard Balladur, Premier ministre, le 17 janvier1995. Même si cet accord de défense est secret, je peux vous dire que c'est un accord de défense qui est extrêmement liant - et je pèse mes mots - extrêmement liant entre notre pays et les Émirats arabes unis.
Michel GROSSIORD - Vous nous dites que le danger n'est pas plus grand aujourd'hui.
Hervé MORIN - Tout ça étant lié, bien entendu, puisque tous ces accords ont été signés à la suite de la guerre du Golfe. Quelle est la portée de tout cela ? Il y a deux significations majeures. La première, c'est de dire que la France a un rôle à jouer et compte s'impliquer dans cette partie du monde qui est une zone névralgique de la planète. La deuxième signification de cet engagement, c'est le soutien de la France à un petit pays qui est en train de démontrer clairement à l'ensemble du monde arabe et du monde musulman qu'on peut associer tradition et Islam, et modernité et progrès. J'en veux pour preuve l'effort colossal qu'effectue cet Emirat en termes de formation, d'éducation, d'ouverture. On va avoir le Louvre à Abu Dhabi, la Sorbonne y est installée, deux grandes écoles d'ingénieurs françaises vont probablement aussi y installer une antenne. Donc on a un partenariat stratégique qui date de cet accord de défense, qui fait qu'aujourd'hui plus de la moitié par exemple des équipements militaires de l'armée des Émirats est un équipement français, et que ce partenariat stratégique trouve des domaines les plus divers - partenariat économique, partenariat culturel, partenariat éducatif - tout cela pour démontrer au monde que la France compte bien s'impliquer dans cette région du monde.
Michel GROSSIORD - Mais on risque effectivement de froisser l'Iran qui ne va pas voir là un geste de paix.
Hervé MORIN - Ça n'est pas fait contre l'Iran, ça n'est pas fait face à une problématique qui est une problématique du moment. L'accord de défense, il date de 1995 et cet accord de défense est un accord que la France a signé en toute connaissance de cause.
Michel GROSSIORD - Arnaud De La Grange ?
Arnaud de la GRANGE - Oui, alors au-delà de la légitimité géopolitique ou stratégique de cette base, il y a à la fois le tempo et la manière qui a un peu surpris certains. Le tempo parce que d'une part, on nous dit qu'il y a un livre blanc sur la défense et la sécurité qui est en cours, et donc les grandes décisions autour de nos alliances et nos intérêts stratégiques vont être prises et ça, ce sera fait au printemps. Là, c'est donc annoncé avant. Et deuxième chose, la manière aussi. Nicolas Sarkozy s'était engagé à ce qu'on sorte du domaine réservé des décisions prises à trois, quatre et que le Parlement soit consulté pour toutes ces décisions. On a vu votre ancien chef de file, François Bayrou, dénoncer d'ailleurs la semaine dernière l'annonce de cette base.
Hervé MORIN - Le jour où vous ne le verrez pas dénoncer quelque chose du gouvernement, vous me ferez signe.
Arnaud de la GRANGE - Soit. Paul Quilès à gauche aussi l'a fait et d'autres l'ont fait. Donc est-ce qu'il n'y a pas...
Hervé MORIN - Paul QUILES a oublié que l'accord de défense a été signé avec l'accord de François Mitterrand.
Michel GROSSIORD - Alors, sur la consultation du Parlement ?
Arnaud de la GRANGE - Sur la consultation, voilà, du Parlement et sur le fait que ce soit annoncé, en fait, avant que le livre blanc sorte et que tout soit mis à plat.
Michel GROSSIORD - Le Parlement sera-t-il consulté ?
Hervé MORIN - D'une part, moi je suis tout à fait à la disposition des commissions de la défense pour évoquer les relations et l'implication de la France dans les pays du Golfe. L'ensemble des relations que nous y nouons, les coopérations militaires que nous avons. J'ai toujours accepté l'idée d'être présent devant la commission de la défense. Par ailleurs comme vous le savez dans le cadre de la révision constitutionnelle qui sera proposée par le gouvernement, il est indiqué que d'une part le Parlement, il y aura un débat à chaque fois que le gouvernement décidera de s'engager notamment dans une opération extérieure et que par ailleurs, au bout d'un certain temps, il faudra un vote du Parlement. Je crois que dans le projet Balladur c'est six mois.
Arnaud de la GRANGE - Donc il y aura débat sur cette base.
Hervé MORIN - Non. Là pour l'instant, on est sous le règne d'une constitution qui existe. Il n'empêche pas qu'on puisse informer le Parlement. Moi, je n'ai été saisi d'aucune demande de la sorte par les deux commissions de la défense, de l'Assemblée et du Sénat. Mais que le Parlement soit consulté et informé sur cette question, il n'y a absolument aucun problème. Qu'en revanche on considère aussi que sur des sujets comme ceux-là, qui sont des sujets pour lesquels il y a aussi besoin de confidentialité, on ne peut pas faire tout sur la place publique.
Michel GROSSIORD - Oui. Alors vous l'avez dit, vous comptez notamment sur cette base pour poursuivre la vente d'armement et on prête l'intention à la France de changer de méthode dans la négociation de ses contrats sensibles. Qu'en est-il exactement ?
Jean-Dominique MERCHET - Et qu'est-ce qui n'a pas marché dans l'histoire du Rafale au Maroc ? Il y a eu manifestement un pataquès entre Français dans cette histoire. On devait le vendre, cet avion ; on ne l'a pas vendu. Je sais que ça vous un peu courroucé de voir que les choses ne se passaient pas comme elles auraient dû se passer. Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous pouvez nous en dire plus ? Quelque chose n'a pas marché chez nous, il faut peut-être...
Michel GROSSIORD - Laissez répondre, laissez répondre le ministre.
Hervé MORIN - Nous n'avons pas parlé assez d'une seule voix - ça, c'est le premier point. Ne m'en demandez pas plus.
Jean-Dominique MERCHET - Si, justement.
Hervé MORIN - Non, je ne vous en dirai pas plus. Et par ailleurs, nous avons été trop lents dans notre processus décisionnel. Alors il y a un facteur qui est hexogène si je puis dire, c'est le fait que nous étions en période préélectorale et qu'il était logique que le gouvernement précédent éventuellement se dise que ça relève de la future majorité. Mais d'un contrat qui nous était à peu près acquis un an avant, nous ayons mis plus de 18 mois - il y a normalement et très logiquement la discussion avec les industriels qui est la période où on définit les spécifications, quelle est la maintenance qu'on y met, etc, etc, quelles sont les armements qu'on y met. Et puis après, il y a le moment politique, c'est-à-dire le moment où, compte tenu des conditions de financement qui étaient souhaitées par le Maroc, la France prend ou non cette décision. Et là, moi c'est un dossier que j'ai sorti et exhumé le lendemain de ma prise de fonction, non pas parce que j'ai tout d'un coup eu un éclair de génie. C'est simplement parce que mon conseiller diplomatique avait dans un autre cabinet ministériel traité ce sujet, et quand j'ai vu la nécessité que nous avions à développer nos exportations, - il m'a dit : « Mais il y a ce dossier-là », alors on l'a ressorti. On a passé les processus interministériels, les arbitrages où, bien entendu, vous êtes dans un système où vous avez le ministère des Affaires étrangères qui a souvent une position assez retenue sur le sujet, le ministère de l'Economie et des finances qui trouve toujours que ça coûte cher et puis il y a le ministère de la Défense qui éventuellement pousse le dossier. Et la problématique, c'est qu'il nous faut un système décisionnel où quand il y a un arbitrage politique qui est rendu, qu'il soit rendu au plus haut niveau et qu'ensuite nous puissions rapidement répondre à la demande de nos clients.
Michel GROSSIORD - Et on dit que l'Arabie Saoudite impose de nouvelles conditions, par exemple un nouveau processus pour éviter le versement de commissions pour moraliser un peu la vente d'armes. C'est vrai ?
Hervé MORIN - L'Arabie Saoudite demande à ce que nous ayons des relations d'État à État. Un certain nombre de pays souhaite cela. Les Américains ont des procédures pour cela d'ailleurs et donc les Saoudiens souhaitent avoir des relations d'État à État pour leur contrat d'armement, et donc nous allons simplement supprimer la Sofresa, créer une structure qui sera sous l'autorité du ministre de la Défense.
Michel GROSSIORD - Une nouvelle société.
Hervé MORIN - Avec une société à capitaux publics - pas totalement à capitaux publics mais où nous aurons le contrôle, qui nous permettra de pouvoir remplir ce que demandent les Saoudiens.
Michel GROSSIORD - Deux petites questions puisqu'on a parlé des Rafale. Dites-nous si ça progresse avec la Libye puisqu'un accord avait été signé sur la vente de 14 Rafale et dites-nous si l'armée française va maintenir son objectif de 294 avions car Le Point cette semaine dit que la délégation générale pour l'armement suggère une réduction de 60 exemplaires. Est-ce que vous pouvez confirmer ?
Hervé MORIN - Moi je suis fasciné de voir l'ensemble des hebdomadaires, quotidiens, nous annoncer à l'avance des décisions sur lesquelles nous n'avons absolument pas travaillé.
Jean-Dominique MERCHET - Tranché disons, tranché.
Hervé MORIN - Non, ce n'est pas ça ! Nous avons fait - vous le savez très bien - nous avons fait ce qu'on a appelé la revue des programmes d'armement. La revue des programmes d'armement, cela consiste en quoi ? Cela consiste à prendre chaque programme et de dire combien ça nous a coûté, à savoir que nous sommes arrivés dans les ministères où l'ensemble des services n'avaient pas forcément les mêmes indicateurs entre notamment la délégation générale pour l'armement et l'état-major des armées. Donc maintenant, nous savons précisément ce que chaque programme nous a coûté, ce qu'il nous reste à payer, quelles sont éventuellement les sanctions financières qui seraient les nôtres si sur tel ou tel contrat nous venions à réviser les conditions du contrat signé. Bref, nous avons un système dans lequel nous savons aujourd'hui précisément, comme une espèce de boîte à outils, où nous en sommes. Bien entendu, puisque nous avons, comme vous le savez, une bosse qu'on estime en moyenne à 5 milliards d'euros sur la future loi de programmation militaire - je rappelle pour ceux qui ne le savent pas que nous consacrons 16 milliards d'euros à l'équipement de nos forces, ça veut dire que c'est un effort entre, disons, autour de 40 %. On a revu un peu les chiffres, c'est probablement un peu plus à la baisse, c'est peut-être 30 ou 35 mais c'est quand même très élevé et c'est très élevé dans la situation et dans le contexte budgétaire dans lequel nous sommes. Mais nous avons une boîte à outils et dans cette boîte à outils, qu'avons-nous fait ? Nous avons dit : « Mais si au lieu de faire tant de bateaux, nous en faisions un peu moins, quelle économie ferions-nous ? Quelle serait la marge que ça nous donnerait sur notre programmation ? » Et donc sur le Rafale on l'a fait mais c'est tout. Nos travaux se sont arrêtés là, au mois de novembre - puisque je crois qu'on a terminé ces travaux au mois de novembre et depuis le mois de novembre, nous attendons désormais le livre blanc des arbitrages...
Jean-Dominique MERCHET - Il n'y a pas de décision avant le mois de mars.
Arnaud de la GRANGE - Mais ce chiffre est une option.
Hervé MORIN - Mais toutes les options sont possibles. On a ouvert à chaque fois cinq, six, sept options parce qu'on a besoin clairement qu'en fonction des arbitrages du livre blanc, les décisions du président de la République, du volume budgétaire qui sera accordé à la défense de voir un peu des scénarios de crise qui seront les nôtres mais considérer qu'aujourd'hui on va supprimer 60 Rafale en cible, je m'inscris en faux.
Michel GROSSIORD - Vous apportez un démenti.
Jean-Dominique MERCHET - Excusez-moi d'en revenir à des dossiers triviaux, mais est-ce que ça progresse avec la Libye ? Est-ce qu'on va vendre des Rafale à la Libye ? À votre avis ? Est-ce que ça avance ? Est-ce qu'on ne va pas refaire les mêmes erreurs qu'avec le Maroc ?
Hervé MORIN - Il n'y a pas de risques, là il n'y a absolument pas de risques. La question désormais est dans la main des industriels. J'ai signé au nom de la République française un accord qui prévoit pour la Libye la possibilité d'acheter toute une série de matériels. Le tout représentait plusieurs milliards d'euros de contrat. Parmi ce matériel, il y avait l'achat de 14 Rafale. La discussion désormais est entre l'entreprise Dassault et son client et c'est à l'issue de cette discussion que je pourrai vous dire si nous allons signer.
Michel GROSSIORD - On a reçu les autorisations américaines, par exemple, pour certains matériaux sensibles ?
Hervé MORIN - Tout ce que je sais pour avoir rencontré il y a très, très peu de temps le président de la société Dassault, c'est que les discussions se passent tout à fait convenablement.
Bernard MAZIERE - C'est juste une question de néophyte, ce n'est pas du tout la question des sous-marins nucléaires posée aux deux candidats, mais pour le moment il y a eu zéro Rafale vendu à l'étranger.
Hervé MORIN - C'est en effet le bon chiffre.
Bernard MAZIERE - Et quel est le nombre de Rafale qu'il y a dans l'armée française ?
Hervé MORIN - On en a à peu près, opérationnels, une cinquantaine. Voilà.
Michel GROSSIORD - Alors on parle peut-être de ce fameux livre blanc que vous évoquez depuis le début de cette émission, monsieur le ministre. Arnaud de la Grange ?
Arnaud de la GRANGE - Oui, il y a des chiffres qui circulent là aussi. Ils sont lancés, il y a des petites fuites mais il y a d'ailleurs un chiffre qui nous a chagriné, c'est quand on a évoqué le nombre de suppressions d'emplois, le nombre d'effectifs. Vous avez dit : « On raconte tout et n'importe quoi ».
Hervé MORIN - Oui.
Arnaud de la GRANGE - Il y a un chiffre de soixante mille qui a été lancé comme ça.
Hervé MORIN - D'ailleurs par Le Point.
Michel GROSSIORD - Alors aidez-nous à peut-être resserrer les fourchettes.
Arnaud de la GRANGE - Sans rentrer dans des débats trop techniques, en gros combien d'hommes peuvent être concernés et comment ? Quel type d'effectif ?
Michel GROSSIORD - Vous sentez peut-être l'inquiétude des personnels ?
Hervé MORIN - C'est normal. Je serais à leur place, j'aurais aussi non pas l'inquiétude, au moins une incertitude et j'aurais besoin d'avoir des explications. Et donc je suis ravi que vous m'invitiez pour que nous puissions donner ces explications autant de fois qu'il le faut, parce que la communication c'est l'art de la répétition.
Michel GROSSIORD - Alors on vous écoute.
Hervé MORIN - Il n'y a pas d'objectif quantitatif. Nous n'avons pas dans la tête un chiffre idéal auquel nous souhaiterions arriver. Le chiffre sera le produit de la réforme. Le chiffre sera le produit de la réorganisation du ministère. Quand nous disons que probablement le chiffre sera entre vingt-cinq mille et trente-cinq mille, donc une fourchette moyenne en disant trente mille, cela correspond à l'effort que de toute façon le gouvernement a assigné à la totalité des administrations du pays, puisqu'il a été décidé que nous ne remplacerions pas un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Pour nous, il s'agit des militaires ayant plus de quinze ans de carrière et des fonctionnaires civils. Cela représente en 2008, six mille personnes, c'est-à-dire cinq mille militaires et mille personnels civils. Et donc si vous multipliez six par cinq, vous arrivez à trente puisque ce sont cinq ans la durée de la loi de programmation militaire. Voilà, j'allais dire que je ne fais pas une obsession sur le chiffre. Ce que je souhaite, c'est que nous préservions nos forces opérationnelles, que nous préservions notre capacité d'équipement puisque nous avons des échéances budgétaires difficiles, et qu'en plus, nous puissions mettre en oeuvre le plan d'amélioration de la condition militaire - engagement pris par Michèle Alliot-Marie en février 2007 - et qu'enfin nous ayons aussi des mesures pour le personnel civil. C'est cela que je souhaite faire. Et cela, nous ne pourrons le faire que si nous acceptons l'idée d'un certain nombre de mesures de réorganisation. Ce ne sont pas des mesures de réorganisation qui vont bouleverser. On n'est pas sur un système qui est la suppression d'un régiment sur deux, comme au moment de la professionnalisation. Nous sommes sur une réforme qui est plus une réforme de la gouvernance du ministère et de l'organisation de notre système. Je cite toujours le même exemple, les deux journalistes de défense me pardonneront parce qu'ils l'ont déjà entendu dix fois, mais je peux en citer bien d'autres.
Michel GROSSIORD - Ah oui ! Alors on va varier. Variez, hein...
Hervé MORIN - Mais non non non. Mais parce que celui-ci, il est très éclairant...
Michel GROSSIORD - Le Pentagone ?
Hervé MORIN - Non, mais non, pas du tout. Quand un Puma de l'armée de terre se pose sur une base de l'armée de l'air, il est à peu près identique au Puma de l'armée de l'air. Eh bien à l'heure actuelle, un mécanicien de l'armée de terre ne peut pas remplacer... réparer, pardon, ce Puma de l'armée de l'air et vice versa. Et moi, je souhaite qu'autant que possible, nous ayons une mutualisation de tous les moyens dédiés à l'administration générale et au soutien des armées en préservant les armées, en préservant l'identité de chaque armée, mais en faisant en sorte ce que nos militaires savent bien, c'est qu'on mette en commun tout ce qui peut être mis en commun...
Michel GROSSIORD - Bon, alors la communication, ce n'est pas seulement de la répétition, hein, c'est aussi de la nouveauté, hein, Monsieur le ministre. Question de Jean-Dominique Merchet qui veut des précisions.
Hervé MORIN - C'est l'obsession des journalistes, ce n'est pas la même chose...
Jean-Dominique MERCHET - Monsieur le ministre, vous parlez de mesures de réorganisation, on ne fermera pas un régiment sur deux, on fermera quand même un certain nombre de choses. Vous avez répété à plusieurs reprises, vous appuyant sur des propos du président de la République, que la défense n'avait pas vocation à faire de l'aménagement du territoire...
Hervé MORIN - Oui...
Jean-Dominique MERCHET - Alors évidemment vu de Paris, c'est bien, vu de province, c'est un peu plus compliqué parce que les gens se disent : qu'est-ce qui va arriver à mon régiment, à ma base ? Alors je vais vous poser une question directe. Vous êtes un élu de l'Eure.
Hervé MORIN - Oui...
Jean-Dominique MERCHET - Est-ce que vous accepteriez la fermeture de la base aérienne d'Évreux, mille six cents emplois ?
Hervé MORIN - Je suis un élu de l'Eure mais je suis ministre d'un gouvernement et j'ai une seule obligation qui s'impose à moi, c'est que je dois montrer l'exemple.
Jean-Dominique MERCHET - Donc la réponse est oui ? Si nécessaire ?
Hervé MORIN - S'il le fallait, si à l'issue des travaux de l'état-major des armées...
Michel GROSSIORD - Ben s'il faut montrer l'exemple, il faut aller jusqu'au bout...
Hervé MORIN - Non, on ne va pas être crétin au point de fermer une base aérienne dont on estime qu'elle serait absolument nécessaire pour notre défense. On ne va pas devenir... Mais je me permets de vous observer qu'en matière de tribunaux, nous avons tous, membres du gouvernement que nous sommes, subi les mêmes règles que l'ensemble des élus de la République française. Si, Xavier Bertrand, Hervé Novelli, ma propre personne...
Jean-Dominique MERCHET - Oui ! Non, mais là ce sont mille six cents emplois...
Hervé MORIN - Oui non, mais je vais vous dire, nous avons à montrer l'exemple...
Jean-Dominique MERCHET - C'est énorme. Dans un département comme le vôtre, mille six cents emplois, ce n'est pas rien...
Hervé MORIN - Oui, nous avons à montrer l'exemple. Quand le président de la République a en effet dit - ce que vous avez souvent repris - que la défense n'avait pas mission de faire de l'aménagement du territoire, ça ne veut pas dire pour autant qu'on doit écarter toute idée de faire en sorte que nos décisions puissent aussi intégrer une dimension d'aménagement du territoire. Ce que je veux dire par là, c'est que moi, ma mission, en tant que ministre de la Défense, c'est de faire en sorte que nos forces soient opérationnelles, que ma mission, c'est de faire en sorte que la défense et la protection de nos concitoyens soient assurées et que nos concitoyens et nos compatriotes peuvent comprendre qu'une armée, compte tenu des menaces et des risques nouveaux, elle a besoin de s'adapter et qu'au terrorisme, à la prolifération, aux conséquences du réchauffement climatique, à la nécessité pour nous de mettre l'accent sur la connaissance, l'information, le renseignement parce que notre pays est plus vulnérable au coeur même des cités qu'il ne l'était il y a dix ans, ça nous impose de faire des choix. Et je pense que nos compatriotes ne pardonneraient pas à un membre du gouvernement, surtout s'il est ministre de la Défense, de considérer que d'abord et avant tout, c'est l'aménagement du territoire qui doit gouverner nos décisions.
Jean-Dominique MERCHET - D'accord.
Hervé MORIN - En revanche, ce que je ferai quand nous aurons avancé sur le sujet - et c'est une information -, Je suis élu local : je suis maire, j'ai été conseiller général, je suis élu d'une zone rurale. Donc je sais à quel point des décisions peuvent avoir des conséquences très lourdes sur des bassins de milliers d'emplois. S'il y a des décisions qui sont en effet difficiles pour des territoires, je ferai en sorte que nous ayons une concertation et une discussion avec les élus et les responsables pour faire en sorte que de cette décision dure pour un pays, on puisse en faire un atout et qu'on puisse y trouver des compensations, c'est-à-dire que je ne vais pas passer ma nuit la veille de l'annonce à passer des coups de fil aux parlementaires et aux élus en disant : « Ben vous fermez votre régiment. » J'ai connu ça donc c'est pour ça que je le dis. Et qu'au contraire, dès lors qu'un certain nombre de décisions seront prises, nous allons faire en sorte qu'avec eux, dire qui on met autour de la table au Conseil général, au Conseil régional, la communauté d'agglomération, la Chambre de Commerce, nos fonds dédiés aux restructurations, la politique interministérielle et qu'on puisse en faire une chance.
Bernard MAZIÈRES - Mais vous pouvez nous dire... ?
Hervé MORIN - Je vous donne un exemple. Excusez-moi, je vous donne un exemple. Je ne citerai pas le nom du maire. Le maire m'a dit : « Si mon régiment est concerné, je te demande de me prévenir le plus tôt possible parce que je peux profiter de cette décision-là - qui ne me fait pas plaisir -, mais je peux en profiter pour mener un grand plan de réaménagement urbain de logements et de revitalisation de centre-bourg... »
Michel GROSSIORD - Ou un grand mouvement de protestation aussi.
Hervé MORIN - Oui, mais bon, je veux dire, on n'est pas là non plus uniquement pour faire plaisir...
Michel GROSSIORD - Oui...
Hervé MORIN - Parce que, voilà, on est là pour essayer de faire en sorte que la défense du pays soit assurée...
Michel GROSSIORD - Alors voilà pour la méthode Morin...
Hervé MORIN - Je prends un deuxième exemple. J'ai été, par le plus grand des hasards de la vie, invité par le maire de Fréjus, Élie Brun, à l'inauguration de la Base Nature François Léotard que nous avions fermée quand j'étais collaborateur de François Léotard en 1994. Base de l'aéronavale qui était la base mythique de l'aéronavale française. Douze ans ou treize ans après, pour Fréjus, eh bien ça a été vécu comme une chance extraordinaire parce qu'on y a mis des équipements socioculturels, on y a mis des équipements sportifs, on a reconquis le littoral, on y a fait un peu de logement et pour la ville de Fréjus, ça a été une chance extraordinaire de réaménagement de la ville. Donc il ne faut pas non plus considérer que chaque décision sera obligatoirement la punition absolue pour...
Arnaud de la GRANGE - Et donc vous pouvez nous dire que contrairement à ce qui s'est passé quand même très souvent ces dernières années, il y aura cette fois-ci une volonté politique nouvelle de résister aux pressions des maires-députés, quand ça sera motivé, de dire : « Non, on ferme. » Première chose. Et la deuxième chose, c'est : est-ce qu'on saura aussi résister aux mêmes demandes, aux pressions, par exemple, de chefs d'État africains ? Parce qu'il y a les bases en France mais il y a aussi tout notre dispositif basé outre-mer. Et apparemment, je ne sais pas, on ouvre à Abu Dhabi, va-t-on réduire à Djibouti ou à Bangui ? Enfin à Bangui, on n'a plus grand-chose mais en Côte d'Ivoire ou au Gabon. Ce dispositif en Afrique va-t-il évoluer ?
Hervé MORIN - Ça c'est un travail qui est mené à l'heure actuelle dans le cadre de la commission du livre blanc. Ce n'est pas pour évacuer le sujet, hein. Il est mené dans le cadre de la commission du livre blanc parce qu'il est directement lié à nos scénarii (ou scénarios) de crise. Et donc de ces scénarios de crise, on en tire un certain nombre de conséquences sur nos implantations, notamment outre-mer ou nos forces prépositionnées parce que bien entendu c'est notre capacité de réaction qui est en cause...
Arnaud de la GRANGE - Non, mais sans nous dire exactement ce qui va bouger, a priori les choses bougeront, on ne va pas rester en l'état...
Hervé MORIN - Les choses ne bougeront pas en outre-mer a priori, déjà, dans les DOM-TOM donc sur le territoire national. Quant à ce qui se passera en Afrique pour l'essentiel - puisque c'est là où nous y avons nos forces -, pour l'instant, je n'ai aucune information à vous donner.
Michel GROSSIORD - Vous avez cité le terrorisme il y a un instant. La France est présente en Afghanistan où les talibans marquent des points. Est-ce que selon vous la menace terroriste se renforce contre la France aujourd'hui ?
Hervé MORIN - La menace terroriste est toujours très forte. Nous ne sommes jamais à l'abri d'un attentat. Notre territoire est vulnérable, comme tous les territoires européens. Dès lors que vous êtes une puissance qui compte, qui cherche à régler un certain nombre de crises, nous sommes forcément susceptibles d'être frappés à tout moment. Mais j'allais dire, c'est malheureusement le lot de toutes les puissances occidentales.
Michel GROSSIORD - Mais la presse, là encore a fait état de menaces réitérées récemment sur Internet. Est-ce que là vous avez des informations que vous pouvez confirmer ?
Bernard MAZIÈRES - Et sans revenir...
Hervé MORIN - Je n'ai pas vu ces informations dans la presse.
Bernard MAZIÈRES - Et sans revenir justement au début de ce débat, cette ouverture de cette base à Abu Dhabi ne renforce-t-elle pas cette menace terroriste ?
Hervé MORIN - Non... Enfin il n'y a pas de lien entre l'un et l'autre. Et puis cette menace terroriste, elle existe quoi qu'il arrive. J'allais dire que lorsque vous voyez l'attentat en Afghanistan dans cet hôtel à Kaboul, qui aurait pu frapper, je crois, c'est le ministre des Affaires étrangères de Norvège de mémoire, honnêtement, on ne peut pas considérer que la Norvège soit un pays qui soit la cible première par son action diplomatique ou sa politique de défense, qui soit un pays qui devrait être la première cible. Donc on voit bien que c'est une menace qui existe pour la totalité des pays européens.
Arnaud de la GRANGE - Alors bon, le terrorisme, une menace, d'accord. On sait qu'aujourd'hui, la grande réflexion, on parle d'un livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Donc il y a une inquiétude dans les milieux défense, c'est-à-dire est-ce que tout ça n'est pas un emballage qui va permettre de dire : « Voilà, défense et sécurité intérieure, tout est mis sous le même chapeau » ? Et pouvoir affecter - enfin c'est un peu caricatural de le dire comme ça - des dépenses qui auraient dû aller à la défense, aux missions de défense stricto sensu sur des missions de sécurité intérieure ? On sent que c'est une inquiétude chez certains militaires. Que répondez-vous là-dessus ?
Hervé MORIN - Il n'y a aucune relation entre le fait de faire un livre blanc sur la défense et la sécurité nationale parce qu'on considère qu'il y a un continuum entre la défense et la sécurité nationale et les problématiques budgétaires. Que le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, par exemple, tire comme conséquences que nous devons mutualiser l'ensemble de nos moyens en matière de renseignement dont une partie appartiennent au ministère de l'Intérieur et une partie sont sous la tutelle du ministère de la Défense, ça me semble être une logique implacable. Qu'on mutualise les moyens matériels qu'on dédie pour être plus efficaces dans le renseignement, qu'on ait une meilleure coopération, qu'on ait de vrais axes politiques clairement définis avec des priorités pour cela, je crois que tout ça montre que ça n'est pas simplement une question budgétaire mais que c'est aussi une question liée à l'organisation de notre système.
Michel GROSSIORD - Jean-Dominique Merchet.
Jean-Dominique MERCHET - Oui, un tout autre sujet. Vous savez qu'un de nos confrères qui s'appelle Guillaume Dasquié est mis en examen pour avoir détenu et publié des documents confidentiels défense de la DGSE concernant le bon travail d'ailleurs de la DGSE dans la traque d'Al Qaïda. Ça fait suite à une plainte du ministère de la Défense avant votre arrivée. Est-ce que vous pensez que c'est bien qu'on poursuive en France des journalistes parce qu'ils ont dit que les services secrets français avaient fait correctement leur travail ?
Hervé MORIN - Écoutez, il y a une décision qui a été prise et j'ai pris une règle de base absolue. J'ai défendu depuis des années l'idée qu'un système qui marche bien, un système public qui marche bien, c'est un système dans lequel le pouvoir politique n'évoque pas les questions qui relèvent du judiciaire. Il y a des tas de pays où jamais un ministre n'évoque une question relevant du domaine judiciaire et c'est une pratique que j'ai toujours mise en oeuvre...
Jean-Dominique MERCHET - D'accord.
Hervé MORIN - Donc...
Michel GROSSIORD - Là la question porte sur la protection des sources pour un journaliste...
Hervé MORIN - Oui, il y a des sources...
Michel GROSSIORD - Et le président de la République, lui-même, a abordé cette question, hein, lors de ses voeux...
Hervé MORIN - Oui, d'accord. Mais enfin on a des sources. Si elles sont frappées du confidentiel défense ou du secret défense, c'est parce qu'a priori elles ne doivent pas être détenues par tout le monde.
Michel GROSSIORD - Donc vous ne souhaitez pas l'annulation de la procédure en cours.
Hervé MORIN - La procédure est en cours, laissons-la aller là où elle doit aller.
Jean-Dominique MERCHET - Par exemple, est-ce que vous feriez appel si la procédure était... ?
Hervé MORIN - Laissons la procédure judiciaire aller jusqu'au bout...
Michel GROSSIORD - Bon, allez, on va parler un peu...
Hervé MORIN - Nous verrons et nous en discuterons le moment venu...
Jean-Dominique MERCHET - D'accord...
(...)

source http://www.defense.gouv.fr, le 30 janvier 2008