Déclaration de M. Patrick Devedjian, secrétaire général de l'UMP, sur les enjeux de la présidence française de l'Union européenne, Paris le 30 janvier 2008.

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Circonstance : Convention sur l'Europe organisée par l'UMP à Paris le 30 janvier 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Mes chers amis,
Quand, d'un côté, je considère ce nouveau traité européen que nous allons adopter, quand je considère surtout ce qu'il représente : une victoire de l'Europe sur ses propres craintes ; quand, d'un autre côté, j'envisage le nouvel état de notre monde globalisé, tel qu'il s'est manifesté de la façon la plus brusque dans la crise financière des jours derniers ; je me dis que nous allons bientôt avoir les moyens de réguler la mondialisation, mais qu'il nous appartient encore de faire un choix que nous ne pouvons plus différer : voulons-nous, ferons-nous l'Europe politique ?
Le nouveau Traité est l'occasion d'un nouveau départ pour l'Europe. Voulons-nous, pouvons-nous réguler la mondialisation ? Voulons-nous, ferons-nous l'Europe politique ? Ces deux questions, mes chers amis, n'en font qu'une.
Nous avons réalisé le marché intérieur ; mais la mondialisation nous oblige à repenser notre stratégie : nous sommes maintenant dans une économie globale, le défi est à présent d'adapter le marché commun aux échanges mondiaux. Il nous faut plus de politique, car il nous faut parler d'une seule voix si nous voulons faire prévaloir nos intérêts aussi bien que nos principes.
L'ONU s'est inquiétée des émeutes que la pénurie alimentaire a déclenchées dans les mois passés, au Mexique, en Guinée, en Mauritanie, au Sénégal, en Ouzbékistan, au Yémen, au Maroc. Les gens veulent quitter leur pays, et qui, pour la plupart, choisissent l'Europe comme destination.
Enfin l'augmentation du prix des huiles alimentaires nous touche directement, non seulement parce qu'elle a des répercussions sur le pouvoir d'achat en Europe, mais aussi parce qu'elle nous conduit peut-être à revoir nos priorités en termes de production agricole.
À ce type de problèmes globaux, il ne peut y avoir de réponse que globale : nous ne les réglerons pas seul, ni même à deux, trois ou quatre, mais nous les réglerons peut-être à 27, à condition que l'Europe puisse élaborer une réponse unique, rapide, réactive, que l'on n'ait pas besoin de se réunir quatre mois à l'avance pour faire accoucher la montagne d'une souris - bref à condition que nous poursuivions sur la voie de l'intégration politique.
Les champs d'action que je viens de mentionner à propos de cet exemple seront les priorités de la présidence française : l'immigration, l'énergie, le développement durable, la diplomatie dans ses rapports avec la politique de sécurité et de défense.
Pour la présidence de l'Union : protection, adaptation, promotion, enthousiasme - voilà les quatre points cardinaux de notre action. Il s'agit de quatre enjeux transversaux, quatre défis de l'Europe politique - quatre défis qui réclament une Europe politique.
Protéger le modèle européen. Protéger l'Europe, ce n'est pas la fermer : ce qui est en jeu, c'est notre capacité à imposer des normes à nos partenaires dans le monde, et à garantir le développement harmonieux de nos sociétés.
Je veux parler de règles environnementales. Être exigeant avec nous-mêmes, dans nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous oblige à être exigeant avec les autres ; autrement nous allons créer un dumping environnemental, qui va pénaliser les entreprises de notre continent.
Je veux parler de règles sociales. Notre modèle de justice sociale est le bon ; si nous voulons le protéger, il faut que nous plaidions à l'Organisation mondiale du commerce pour l'introduction de normes sociales dans les échanges mondiaux. Aucun de nous n'y parviendra isolément, mais nous y réussirons tous ensemble.
Je veux parler aussi de règles financières. Nous avons accepté, sur nos places boursières, le système de comptabilité américain, si complexe qu'il en devient pervers, et nous voyons le drame que cela fut la semaine dernière : le système nous échappe ; et je crois qu'il est temps de réfléchir à l'introduction de normes comptables européennes sur les places financières de l'Union.
Je veux parler enfin de règles pour les flux migratoires, qui doivent être établies au niveau européen, maintenant que les frontières au sein de l'Union sont ouvertes.
L'Europe qui protège, l'Europe juste, c'est l'Europe forte politiquement.
Ensuite il faut que nous sachions adapter le modèle européen, si nous ne voulons pas, précisément, que la protection vire au protectionnisme. Chaque risque est une chance dans le monde globalisé, chacun de nos points faibles une raison d'innover.
Nous avons pris conscience très tôt que nous devions faire émerger en Europe une économie de la connaissance. Mais nous avons aussi trop discuté, trop disserté sur les grands objectifs, les lignes de force, les orientations majeures... Ce dont nos grandes écoles, nos universités et nos entreprises, surtout nos PME, ont besoin, c'est de concret : un investissement ciblé et suivi ici, un assouplissement des règles là, ailleurs une aide à la coordination, une incitation à collaborer.
En matière d'immigration, nous ne pouvons nous contenter de sécuriser les frontières et de réguler les flux ; adapter le modèle européen, c'est perfectionner ou inventer, au niveau de l'Union, des politiques d'accompagnement concrètes, qui simplifient la vie des immigrants et les aident à s'intégrer harmonieusement dans nos sociétés.
En matière d'énergie, adapter le modèle européen, c'est éviter que de grandes nations utilisent le gaz ou le pétrole comme armes diplomatiques ; c'est mettre la question de l'approvisionnement au coeur de notre Politique européenne de voisinage. Les pays du Caucase et d'Asie centrale ont les regards tournés vers nous : collaborons avec eux sur cet enjeu précis !
Le troisième point cardinal, c'est la promotion de notre modèle. Je ne parle pas d'élargissement : je pense à ce qui, dans l'idée européenne, est universel, à ce qui appartient à l'humanité entière. Ce que Monnet, Schuman, De Gasperi voulaient pour l'Europe (les valeurs de paix, de prospérité, de liberté), maintenant que nous les avons réalisées dans l'Union, il est de notre devoir de les promouvoir dans le monde. Il y a quelque chose, dans l'idée européenne, qui nous dépasse et qui nous oblige : partout dans le monde où ces valeurs sont menacées, naissantes, ou bafouées, l'Europe a un rôle à jouer.
Cela engage notre diplomatie : nous aurons bientôt la chance d'avoir un Haut commissaire aux relations extérieures ! Imaginez, dans une médiation, le poids de 27 pays parlant d'une seule voix ! Nous avons trop souvent joué notre partition diplomatique en sourdine par le passé ; nous avons laissé fuir trop d'occasions décisives, laissé s'envenimer trop de situations graves.
La situation est grave au Kosovo : ce sera un test pour la diplomatie européenne.
Promouvoir notre modèle, c'est parfois aussi intervenir militairement. Nous n'aurons de poids diplomatique qu'autant que nous aurons la capacité de nous défendre et d'intervenir militairement : nous devons être capables de sécuriser des processus d'autodétermination, d'indépendance ou de retour à la paix en Afrique, au Moyen-Orient ou dans les Balkans. Pour cela, il faut une défense européenne.
Le dernier point cardinal est, à mon sens, le plus important : c'est l'aimant de notre politique, c'est l'enthousiasme.
Oui, nous vivons des temps inquiets ; mais l'Europe doit trouver dans ses valeurs les ressources et les raisons de l'espérance.
Qu'allons-nous dire à ceux que l'avenir préoccupe ? On gère les affaires courantes et on attend des jours meilleurs ? Advienne que pourra ; après la pluie vient le beau temps ?
Je suis de ceux qui croient qu'il n'y a pas de fatalité du statu quo, qu'il n'y a pas d'attentisme fécond.
Notre tâche, ce n'est donc pas seulement de proposer des réformes, c'est d'animer ces réformes du souffle nécessaire. Notre tâche de femmes et d'hommes politiques, c'est que nos propositions redonnent à nos concitoyens le goût de la grandeur: c'est à dire l'enthousiasme.
On sait combien l'Europe peine à le susciter. Elle est pourtant, peut-être, la plus belle réalisation politique du XXe siècle.
On est souvent injuste avec l'Europe : sa principale occupation n'est pas de légiférer sur la hauteur des dos d'âne ou sur les procédés de pasteurisation du camembert et de la mimolette.
Nous devons oeuvrer à rendre l'Europe plus grande aux yeux de ses citoyens.
La France va présider l'Europe dans quelques mois : elle ne veut point se mettre aux commandes d'une machine, mais prendre la tête d'une aventure.
Pour cela, notre défi lorsque nous proposons des réformes, c'est de captiver l'intérêt de nos concitoyens et de susciter leur engagement.
Pour captiver leur intérêt, nous devons retremper la politique dans de grandes valeurs. Car si l'on se passionne rarement pour des mesures politiques, on s'enthousiasme plus souvent pour les valeurs qui les inspirent.
N'ayons pas peur des valeurs ! Nous devons enraciner notre action réformatrice dans ces valeurs fédératrices, ces valeurs liées aux grands sujets qui passionnent nos concitoyens :
- Je pense à l'écologie : regardez l'élan formidable qui a accompagné le Grenelle de l'environnement.
- Je pense à la culture : regardez le travail de toutes ces associations qui préservent les richesses parfois immatérielles de notre patrimoine historique, artistique, littéraire.
- Je pense à la solidarité et à l'aide aux plus démunis sur notre continent et dans les pays pauvres : regardez l'aura dont jouissent les meilleures des organisations humanitaires, qu'elles soient à notre porte ou parfois très loin de chez nous.
Pour inspirer l'enthousiasme, nous devons hisser nos projets, qu'ils soient locaux, nationaux ou européens, jusqu'aux grands principes qui les soutiennent.
Si nous avons la conviction que nos ambitions sont grandes et justes, nous rassemblerons suffisamment de bonnes volontés pour atteindre au but.
Les institutions européennes ne sont allées de l'avant que parce qu'elles étaient portées, emportées, par une vision toujours plus grande qu'elle. Chaque fois que cette vision a manqué, l'Europe a cessé d'avancer ; chaque fois que les Européens ont été effrayés par leur propre projet, la peur les a paralysés.
Je vous le répète : n'ayons pas peur de la grandeur ! Le général de Gaulle n'était sans doute pas l'européen le plus convaincu de sa génération, mais il disait une chose qui peut être utile à l'Europe aujourd'hui. Il disait : « La victoire ne s'offre qu'à ceux qui l'ont rêvée ».
Alors, tous ensemble, mes chers amis, rêvons. Source http://www.u-m-p.org, le 31 janvier 2008