Texte intégral
J.-J. Bourdin.- L'un des événements de la journée, c'est évidemment cette mobilisation dans la grande distribution. Mobilisation qui semble très suivie, nous avons eu beaucoup de témoignages ce matin à RMC. Etes-vous surpris ?
R.- Non, pas surpris, nous sommes surtout satisfaits d'être parvenus enfin à conjuguer les efforts et les forces de trois syndicats pour mettre en avant la situation sociale, la situation salariale des personnels de la grande distribution qui, parmi les salariés du commerce, sont parmi les plus précaires, les moins payés. Il va y avoir, effectivement, beaucoup de répondant à cet appel à une mobilisation aujourd'hui, avec des arrêts de travail significatifs - une heure, deux heures, parfois plus -, tout simplement, parce que, dans ce secteur-là comme dans bien d'autres, mais dans ce secteur-là en particulier, la réalité salariale n'est plus tenable, n'est plus supportable, et il faut que les employeurs acceptent de revaloriser les salaires.
Q.- Alors, est-ce la première grande grève dans le privé pour le pouvoir d'achat ?
R.- Ce n'est pas "la première". Celle-ci est effectivement coordonnée sur l'ensemble des chaînes de grande distribution. Donc, nous jouons notre rôle de coordinateur et d'impulsion sur le terrain national. Et nous ouvrons un cycle d'une quinzaine, que nous avons mis en avant avec la CFDT, où, dans les 15 prochains jours, nous appelons à la multiplication de mobilisation sur la question des salaires.
Q.- Vous appelez à une multiplication des mouvements de grève dans le privé ?
R.- Oui.
Q.- Dans le privé, sur la question des salaires ?
R.- Il y a déjà eu des mobilisations, elles sont montées en puissance, en particulier à partir du mois de décembre. Nous avons aussi retravaillé le terrain en janvier. Et du fait des non-réponses, soit du Gouvernement, pour ce qui lui revient, soit des employeurs dans la plupart des cas, nous appelons les salariés à aller chercher eux-mêmes les augmentations de salaires qu'on nous refuse dans les négociations.
Q.- Mais dans quelles branches, dans quels secteurs ?
R.- La plupart des branches, dans toutes les branches il y a un problème salarial aujourd'hui.
Q.- C'est-à-dire que, un peu partout en France, dans le privé, il va y avoir des grèves, des manifestations dans les jours qui viennent ?
R.- Je peux vous dire que, dans la métallurgie, par exemple, c'est la date du 7 qui a été retenue, 7 février ; la CGT, la CFDT appellent ensemble à des actions dans les entreprises pour mettre cette question des salaires là où elle n'a pas été traitée. Il y a eu en décembre, et c'est aussi un point d'appui pour nos initiatives, des mobilisations qui ont débouché sur des avancées dans les négociations salariales. Ce que nous voulons dire aujourd'hui, c'est que, là où les salariés se mobilisent, des avancées sont possibles. Là où on attend que les choses tombent du ciel, malheureusement, il n'y a rien qui tombe d'intéressant sur les salaires.
Q.- Alors, qu'a-t-on proposé aux salariés qui s'étaient mobilisés, avez-vous des exemples ?
R.- Des augmentations de salaires, de 3 - 4 - 5 %, qui n'étaient pas à l'ordre du jour. Certains obtiennent des primes pour l'année 2008. Mais on fait bouger la situation quand on se mobilise, c'est le sens du message que nous diffusons, et qui, nous l'espérons, va se traduire par des mobilisations plus intenses dans les 15 prochains jours.
Q.- Le pouvoir d'achat, nous allons parler du projet de loi sur le pouvoir d'achat, qui a été définitivement voté hier par le Parlement. Mais je voudrais revenir sur une idée qui est chère au président de la République, qui est le fameux "un tiers, un tiers, un tiers". Vous connaissez cette idée. C'est simple : une entreprise fait des bénéfices ; un tiers de ces bénéfices vont aux actionnaires, un tiers à l'investissement, et un tiers aux salariés. Cela vous paraît-il être une bonne idée ?
R.- Il y a une vraie question qui est posée au travers de la répartition des richesses produites, et en particulier, du retour pour les salariés. Aujourd'hui, le travail n'est pas reconnu à sa juste valeur, et il ne suffit pas de clamer, comme le Président a continué à le clamer qu'il fallait "travailler plus pour gagner plus". Si on parle du commerce, une des caractéristiques dans le secteur de la grande distribution c'est le très grand nombre de salariés à temps partiel. Ils ne souhaitent qu'une chose bien souvent : c'est d'obtenir un contrat de travail à temps plein...
Q.- Ils veulent travailler plus...
R.- Oui, eux, souhaitent travailler plus, ils gagneraient plus, mais on leur refuse. Donc on voit bien l'inadéquation qui est entre le slogan politique et la vie concrète.
Q.- Mais cette idée de partager en quelque sorte les bénéfices d'une entreprise, c'est une bonne idée ?
R.- Mais il est évident, et...
Q.- Vous pourriez la soutenir cette idée ? Alors, il faut qu'elle soit aménagée, mais vous pourriez la soutenir ?
R.- C'est [...] que de dire : les salariés, aujourd'hui, n'ont pas la reconnaissance et la rémunération du travail à la hauteur de ce qu'elles devraient être. Et il y a, y compris des entreprises en très bonne santé financière, qui ont des marges très importantes, qui privilégient la rémunération des actionnaires plutôt que la rémunération des salariés qui font l'entreprise et qui travaillent dans l'entreprise...
Q.- Quand vous voyez D. Bouton...
R.-...Ceci étant, excusez-moi, mais la règle stricte des "trois tiers", vous avouerez que, dans certains secteurs, si on répartissait un tiers des bénéfices sur les seuls salariés - je pense au secteur financier pour ceux qui ont des marges bénéficiaires très importantes, parce qu'il en existe, il y a des entreprises, des banques...
Q.- La BNP, qui a fait 8 milliards d'euros de bénéfices en 2007 !
R.- Si vous répartissez effectivement un tiers de ces bénéfices sur les seuls salariés qui travaillent dans ces établissements, il va y avoir quelques millionnaires à l'intérieur de ces entreprises.
Q.- Chez les salariés, oui.
R.- Par exemple.
Q.- B. Thibault, ça serait de trop d'ailleurs, au passage ?
R.- Mais ce n'est pas le sens de ces...
Q.- Ce serait une revendication inégale vis-à-vis de petites entreprises, par exemple ?
R.- Il faut penser que dans les marges créées par les entreprises, elles doivent assurer aussi un volume de moyens consacrés à leur propre investissement, investissement matériel et investissements humains, formation, c'est-à-dire préparer aussi l'avenir. La rémunération des personnels mais aussi l'amélioration de leurs conditions de travail, mais aussi la formation professionnelle pour assurer la pérennité de l'entreprise. On raisonne aujourd'hui sur le très court terme et on rémunère effectivement beaucoup plus facilement le capital que le travail.
Q.- Je vais revenir sur le projet de loi sur le pouvoir d'achat. D. Bouton, sept millions d'euros de stock-options négociées, vendues au cours de l'année 2007, cela vous paraît excessif ?
R.- Ce n'est pas parce que c'est D. Bouton, et D. Bouton, dans le contexte actuel de la situation de la Société Générale.
Q.- J'ai vu que les syndicats le soutenaient d'ailleurs. Les syndicats de la Société Générale le soutenaient, dont la CGT !
R.- Je ne crois pas que ce soit un soutien, non. Nous avons dit, après que des déclarations se soient précipitées pour considérer qu'il fallait le départ du PDG, que c'était une demande relativement commode ; c'était une manière de passer très rapidement sur ce qui s'était passé à la Société Générale. On ne s'interroge pas sur la manière dont les établissements financiers fonctionnent. On laisse entendre que tout cela est de la responsabilité d'un seul homme et qu'il suffirait de changer le bonhomme, pour que le système soit changé. Nous ne pensons pas que cela soit la bonne formule, qu'il y a justement, à s'interroger sur la manière dont fonctionnent les organismes financiers.
Q.- Sept millions d'euros de stock-options, c'est négocié ?
R.- Ce n'est pas la première fois que je dis qu'il est pour moi, pour nous scandaleux de constater ce type, ce niveau de rémunérations, lorsqu'on est dirigeant d'entreprise, peut-être performant, quoique, en l'occurrence, il y a de quoi s'interroger. Que l'on soit performant ou pas performant, rien ne justifie d'avoir des protections et des rémunérations de ce niveau là ! Absolument rien !
Q.- Le projet de loi sur le pouvoir d'achat : le rachat des RTT. Les salariés vont pouvoir vendre, peuvent vendre leurs RTT - enfin, vont pouvoir, dès que les décrets seront parus - vendre leurs RTT et toucher de l'argent jusqu'au 31 décembre 2009. C'est bien cela ?
R.- Cela n'a rien à voir avec le pouvoir d'achat.
Q.- Ah bon !
R.- Eh bien non ! Ils rachètent du temps qui leur appartient. Donc, il n'y a pas de mesures particulières en matière de pouvoir d'achat.
Q.- Cela va leur permettre d'avoir un peu d'oxygène !
R.- Pas davantage ! C'est un bien qui leur appartient. S'ils ont des journées de récupération - au passage, on continue de faire comme si tous les salariés en France avaient les 35 heures et avaient des RTT ; je souhaite ré-insister sur le fait que ce n'est pas le cas pour 40 % des salariés français, qui ne sont pas, aux 35 heures. Donc, ce n'est pas une mesure générale. Mais on demande, là, ou on laisse entendre qu'en rachetant son propre temps, on améliore son pouvoir d'achat. Non. C'est déjà quelque chose qui est acquis pour le salarié qui, s'il veut le monnayer, c'est une possibilité qui est ouverte. Mais, en aucun cas, cela ne modifie les marges de pouvoir d'achat supplémentaires, qui dépendent avant tout - c'est ce que l'on évoquait - d'une part de la richesse produite plus importante qui doit leur être distribuée.
Q.- La participation du salarié : dans certaines entreprises, les salariés ont droit à la participation. Cette participation peut être débloquée sur simple demande du bénéficiaire à concurrence de dix milles euros.
R.- Oui, mais c'est un élément variable de rémunération et d'ailleurs...
Q.- C'est bien aussi de pouvoir débloquer cette participation ! C'est une bonne mesure !
R.- Oui, mais en même temps, on aimerait renforcer les éléments variables de rémunération, donc, accroître une incertitude pour le salarié. Nous, nous préférons que le salarié soit rémunéré, régulièrement, pour le travail qu'il effectue, alors que l'on veut, de plus en plus, faire dépendre les rémunérations d'éléments fluctuants, notamment, sur la santé financière de l'entreprise. Mais l'actualité nous montre... prenez les salariés de la Société Générale, par exemple, quand tout va bien, quand les comptes financiers sont très bons, ils ont un retour, un intéressement sur le résultat. Quand cela ne va pas, et ce n'est pas de leur fait, pour la plupart des salariés de la Société Générale, si les comptes ne sont pas bons à la Société Générale, le niveau de leur rémunération annuel va s'en ressentir de manière considérable !
Q.- Apparemment, ils auront une prime exceptionnelle pour compenser les pertes !
R.- Bah oui, pour essayer de rendre plus digeste le mécanisme. On voit donc, et d'ailleurs, plusieurs études sont en train de le mettre en évidence pour les employeurs, qu'on ne peut pas rémunérer de manière variable, ou au mérite, sans limite, sauf avoir un climat social qui se détériore. Parce qu'il n'y a aucune raison que le travail ne soit pas reconnu, en fonction et indexé, à des résultats sur lesquels d'ailleurs les salariés n'ont pas totalement une prise en tant que décideurs. Ils ne sont pas décideurs sur les résultats finaux de l'entreprise.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er février 2008