Texte intégral
Je suis très heureux d'ouvrir aujourd'hui ce colloque, organisé à l'initiative du Pr. Jacques Glowinski dans le cadre de la chaire de Neuropharmacologie du Collège de France avec le soutien de la Société des Neurosciences et de la Fédération de Recherche sur le Cerveau.
Chacun de nos comportements reflète une fonction du cerveau. L'esprit, la conscience, la pensée sont des aspects de l'activité cérébrale, comme le sont les actions de courir, de sourire, d'apprendre ou de souffrir. Inversement, les troubles des émotions, de la pensée, ou des fonctions perceptives et motrices, caractérisent les maladies psychiatriques et neurologiques et résultent de lésions, fonctionnelles ou organiques, du cerveau. Quelles règles lient l'anatomie et la physiologie du cerveau aux actions de percevoir ou d'agir? Cette frontière, peut-être ultime, de la connaissance de l'homme par lui-même est l'un des enjeux majeurs de la science.
Votre colloque constitue l'un des temps fort en Ile-de-France de la Semaine du Cerveau qui se déroule du 17 au 23 mars à Paris, en région parisienne et dans 17 villes de province, et qui est soutenue par le ministère de la Recherche pour la première fois cette année. Cette manifestation a lieu cette année à la même date à travers toute l'Europe. De plus, cette Semaine du Cerveau sera complétée le 24 mars par une journée spéciale de sensibilisation du public aux maladies neurologiques à l'initiative de la FRC.
J'ai plaisir à retrouver ici nombre de scientifiques rencontrés à l'occasion d'autres colloques, car les occasions ne manquent pas d'aborder des sujets liés aux neurosciences, aux maladies touchant le système nerveux, sujets qui occupent régulièrement le devant de l'actualité tant scientifique, compte tenu des progrès extraordinaires réalisés récemment, que médiatique.
Je citerai comme simples exemples les trois colloques conjointement organisés par l'Académie des Sciences de l'Institut de France et la Royal Academy of Medicine britannique, car ils illustrent bien cette double interrogation des scientifiques sur des sujets encore mystérieux et du public qui souhaite être informé de l'état d'avancement des connaissances.
Car la compréhension des mécanismes qui gouvernent le fonctionnement cérébral est plus qu'une nouvelle frontière, elle doit être la fenêtre qui s'ouvre sur la possibilité de lutter contre le handicap sensoriel ou moteur, la dépendance, la maladie mentale voire la détérioration des fonctions intellectuelles au cours des démences. Vos travaux permettront donc de répondre en partie à la fameuse question "qui suis-je ", mais également à la demande sociale qui place l'intégrité des capacités physiques et intellectuelles comme priorité de la qualité de la vie.
Le premier colloque, que j'ai à la fois ouvert et clos la semaine dernière, portait sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles. Vous savez mieux que moi les ravages du prion pathologique lorsqu'il atteint le cerveau lors de la maladie de Creutzfeld-Jakob. Inversement, les équipes françaises d'Odile Kellerman, Sylvain Lehmann et Jean-François Launay ont montré que la protéine PrP normale jouait un rôle important lors du développement des neurones.
Ce colloque était la première manifestation scientifique soutenue par le GIS "Infections à prions" que j'ai créé fin 2000 et installé officiellement le 24 janvier 2001. A ma demande, le Gouvernement français au mois de novembre a décidé le triplement des moyens publics consacrés à la recherche sur les ESST et les prions : ceux-ci passent de 70 MF en 2000 à 210 MF en 2001.
Ces crédits permettront de poursuivre les objectifs suivants : renforcer les laboratoires de recherche sur les tests ; construire et aménager des animaleries et des banques de tissus infectés ; construire et aménager des laboratoires pour les recherches thérapeutiques sur l'homme ; recruter du personnel supplémentaire dans les organismes de recherche (120 chercheurs, ingénieurs et techniciens, dont 100 dès cette année).
Le Conseil scientifique, composé de 15 membres dont trois étrangers (un Américain, un Suisse et un Belge), est opérationnel depuis le 6 mars et a élu Dominique Dormont à sa présidence. Le premier appel d'offres portant sur les animaleries protégées est en cours d'analyse et les résultats devraient être rendus pour le 30 mars.
Je suis dès à présent très heureux de voir la forte mobilisation de la communauté scientifique sur le sujet. Ainsi nous avions envisagé une enveloppe de 75 MF pour les animaleries protégées et les projets reçus représenteraient au total 250 MF. La sélection sera donc rigoureuse et seuls les meilleurs projets seront retenus.
Si je prends maintenant l'exemple de la prochaine rencontre franco-britannique en octobre 2001, elle sera consacrée au vieillissement et abordera certainement le vieillissement cérébral.
Je constate d'ailleurs à la lecture de votre programme que vous aborderez ce sujet dès cet après-midi avec deux exposés sur les bases moléculaires de la maladie d'Alzheimer par Frédéric Checler et Luc Bué, ainsi que demain avec les exposés de Pierre Pollak et Mark Lathrop sur la maladie de Parkinson, ou celui de Françoise Forette sur les approches thérapeutiques des démences.
Je sais également que le vieillissement cérébral était au centre d'une journée que la Société des Neurosciences a organisé le 16 mars 2000 avec l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, dans le cadre de la Semaine du Cerveau de l'année dernière.
Vous savez certainement que sur une proposition initiale du Pr EE. Baulieu j'envisage la création d'un Institut de la Longévité, sous la forme d'un Institut sans murs, un Groupement d'Intérêt Scientifique.
Plusieurs chercheurs en Neurosciences, Jacques Epelbaum, Jean Mariani et Alain Prochiantz, aideront le Pr. Baulieu dans la préparation de propositions concrètes qu'il doit me remettre en juin prochain. Trois axes semblent privilégiés actuellement :
*la génétique de la longévité et des maladies multifactorielles, dans un but de comprendre les facteurs génétiques de la longévité et prévenir des affections comme le diabète ou les dégénérescences rétiniennes qui minent la qualité de vie des personnes âgées ;
*la physiologie du sujet âgé en travaillant par exemple sur le métabolisme des médicaments, les éléments de galénique et de pharmacocinétique, ainsi qu'au développement des connaissances issues des Neurosciences intégrées pour comprendre les troubles moteurs et de l'équilibre associés au vieillissement.
*les applications des nouvelles technologies à la prise en charge des personnes âgées : télémédecine, appartements intelligents, etc..
Comme je l'ai indiqué lors de la présentation du projet, la Fédération de Recherche sur le Cerveau, et plus particulièrement les associations France-Alzheimer et France-Parkinson, pourraient utilement devenir des partenaires du GIS.
Je terminerai ma série d'exemple avec la troisième réunion entre les académies qui traitera, en mars 2002, des questions soulevées par les techniques de clonage cellulaire et l'usage thérapeutique des cellules souches à des fins thérapeutiques. C'est ici la possibilité d'appliquer au système nerveux la médecine régénérative qui est en question. En effet, l'existence de cellules souches totipotentes dans le cerveau adulte ouvre de grands espoirs pour le traitement de plusieurs maladies neurologiques, dont la sclérose en plaque, la sclérose latérale amyotrophique, la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson. Il nous faut toutefois rester prudent et surtout encourager les recherches.
Prudence combien nécessaire pour ne pas donner de faux espoirs. Ainsi les premiers résultats récemment obtenus par l'équipe de Marc Peschanski et Pierre Césaro, qui en fera une présentation demain, avec des neurones foetaux dans le traitement de la maladie de Huntington sont à suivre avec intérêt, tandis qu'une étude américaine qui vient de paraître indique que cette méthode semble malheureusement inefficace pour la maladie de Parkinson.
Dans le cadre des Actions Concertées Incitatives du Ministère, un appel d'offre spécifique sera consacré à des projets de recherche portant sur les cellules souches au titre de l'ACI biologie Intégrative et du Développement.
Par ailleurs vous pouvez trouver depuis une quinzaine de jours sur le site web du ministère le rapport sur les cellules souches que j'avais demandé au Pr. François Gros en novembre dernier, dans le cadre de la préparation de la révision des lois de Bioéthiques de 1994.
Les neurosciences en France
Ce premier aperçu rapide dit déjà toute la mesure que j'ai prise de la richesse de la communauté scientifique travaillant dans le domaine des Neurosciences en France.
Je sais que votre Société savante compte actuellement 2585 adhérents et constitue la première d'Europe.
A l'INSERM comme au département des Sciences de la Vie du CNRS, près du quart des chercheurs travaillent dans le domaine des Neurosciences. En 2000 la part du BCRD consacrée à la recherche biomédicale a été de 8,6 milliards de francs. Elle avoisinera les 9 milliards de francs en 2001et sur cette somme nous pouvons évaluer à plus de 2 milliards de francs l'investissement concernant les Neurosciences et donc indirectement les maladies neurologiques.
C'est donc très naturellement à l'un des vôtres, le Pr. Michel Lazdunski, récemment honoré par la médaille d'or du CNRS, que j'ai confié la succession de Mme Nicole le Douarin à la présidence du Comité de Coordination des Sciences du Vivant, instance de conseil du ministère pour les ACI et les programmes.
Je souhaite évoquer devant vous quatre actions particulières qui me semblent très directement tournées vers vos préoccupations d'aujourd'hui : les Centres de Ressources Biologiques, l'action en faveur du développement de nouvelles molécules et procédés thérapeutiques et bien sûr les programmes spécifiques en Neurosciences.
Les collections de matériel biologique constituent à la fois un outil indispensable à l'avancement de certaines recherches, par exemple l'analyse génomique ou protéomique de maladies multifactorielles, y compris de tumeurs, et un élément patrimonial insuffisamment pris en considération. Les recherches sur les tissus humains sont de plus encadrées par une stricte réglementation, pour d'évidentes raisons de sécurité sanitaire et des personnes, et de respect de la non commercialisation d'éléments du corps humain. Ces considérations nous ont amené à considérer comme prioritaire la constitution de Centres de Ressources Biologiques qui devront permettre le recensement et/ou la constitution de collections de matériel biologique.
Dans le domaine de la recherche médicale il va de soi que cela doit être associé à un recueil des données cliniques afin de tirer le meilleur parti des informations biologiques obtenues.
Dès 2001, c'est 25 MF issus du Fonds de la Recherche Technologique (FRT) qui seront investis dans ce projet pour lequel j'ai installé le 22 février 2001 un Comité d'Orientation chargé d'examiner les premiers projets à soutenir en partenariat avec les EPST, et certaines grandes associations caritatives telles que la Ligue contre le Cancer ou l'Association Française contre les Myopathies. Je suis heureux que l'INSERM en pionnier considère ce projet comme l'une de ses priorités 2001 et ait décidé de s'y engager à une hauteur importante, permettant un premier appel d'offre conjoint INSERM-Ministère de 14 MF.
Le médicament et plus généralement la recherche en pharmacologie sont un domaine où la France s'est illustrée. L'évolution récente de l'industrie pharmaceutique, si elle nous permet de nous réjouir d'avoir le deuxième groupe mondial avec Aventis, ou peut-être maintenant le troisième ou le quatrième depuis la mégafusion Glaxo-Smith-Kline, nous inquiète également, car les centres de recherche de cette industrie s'éloignent ou s'amenuisent. Paradoxalement, les possibilités d'innovations thérapeutiques n'ont jamais été aussi nombreuses et variées.
Nous avons donc décidé d'engager une action en faveur des recherches sur les molécules d'intérêt thérapeutique, en nous appuyant sur plusieurs rapports de chercheurs du CNRS et/ou de l'INSERM, et par une action commune déjà initiée par le département de chimie du CNRS et l'INSERM en 2000. Pour 2001, nous mobiliserons 28 MF issus de crédits de la Direction de la Recherche et de la Direction de la Technologie en faveur de nouvelles recherches dans ce domaine.
Venons en maintenant à des programmes spécifiquement tournés vers les Neurosciences. L'action Cognitique entre maintenant dans sa troisième année. Elle est placée sous la présidence de François Clarac et dirigée par Catherine Fuchs. Son but est de développer les coopérations à l'interface entre SHS, neurosciences et informatique. Elle s'est concentrée en 2000 sur les relations entre sciences cognitives et langage, art, croyances et nouvelles technologies. Le premier appel d'offre de 2001 porte sur l'Action. Des ponts sont établis entre l'action cognitique et d'autres programmes, intéressés par l'imagerie cérébrale : réseau technologie et médecine de la DT, et une nouvelle action concernant l'imagerie cérébrale sur laquelle nous réfléchissons sur la base des qui nous ont été remis par les Prs Lebihan et Korn.
De plus, sur proposition du Conseil National de la Science, j'ai décidé d'enrichir le chapitre des ACI en physiologie intégrative d'une nouvelle action intitulée Neurosciences Intégratives et Computationnelles, dont la présidence sera assurée par Jean Bullier et la direction scientifique par Alain Berthoz. Le Comité de cette ACI c'est réuni une première fois le 12 mars et j'aurai le plaisir d'inaugurer officiellement ses travaux à l'occasion du lancement du premier appel d'offre le 4 avril prochain. Cette ACI sera dotée de 10 MF dès cette année.
Les dimensions sociales et politiques des maladies neurologiques
Les maladies neurologiques touchent une personne sur dix. Si l'on inclut les maladies psychiatriques, ce sont 30 % des dépenses de santé qui y sont consacrées, sans compter les coûts indirects par le retentissement de ces maladies souvent graves et invalidantes sur l'entourage des patients. La Semaine du Cerveau est à cet égard une manifestation importante pour mieux faire connaître vos travaux et mieux expliquer au public l'état des connaissances et les difficultés rencontrées.
La science n'est plus du tout repliée dans une tour d'ivoire, dans une forteresse du savoir académique. La science doit, au contraire, comme vous le faite cette semaine, aller à la rencontre du public et "descendre dans la ru ". L'impératif, c'est une science publique, agissant à ciel ouvert.
C'est l'objet même de cette "Semaine du Cerveau" : créer un sentiment de proximité et de familiarité avec la science, en l'occurrence les Neurosciences. Une science qui doit être proche de tous. Partout, dans toutes les régions et dans 17 villes dont Paris, Créteil et Gif-Sur-Yvette, sont organisés des rencontres entre les chercheurs et le public, des expositions, des ateliers scientifiques, des animations, des spectacles, des visites, des colloques, et des conférences.
Pour une science citoyenne
Par ailleurs, cette Semaine du Cerveau doit, comme le fait à l'automne la Fête de la Science, doit contribuer à un second objectif : développer une science citoyenne, une science au contact direct des citoyens et de leurs interrogations.
Il faut rapprocher science et société. Il faut "repolitiser la science", c'est-à-dire lui faire retrouver sa place dans la Cité, dans le débat civique et politique. Comme il importe en démocratie.
Ce qui est en jeu, c'est le droit de savoir, pour disposer du pouvoir de décider. Nos concitoyens doivent être pleinement informés des avancées mais aussi des incertitudes de la recherche scientifique, pleinement informés de ses enjeux. Ils doivent pouvoir en débattre avec les chercheurs et avec les responsables politiques.
Nos concitoyens aspirent à débattre et à participer à la décision sur les applications de la génomique et de la post-génomique, sur les recherches éventuelles sur les cellules souches embryonnaires, sur les OGM ou sur le devenir des déchets radioactifs. L'action de la Société des Neurosciences vers les professeurs de collèges me paraît à cet égard essentielle et je vous félicite d'avoir réuni quelques 1500 professeurs de l'APBG en novembre 2000 pour 3 journées de formation sur le cerveau.
Mieux se soigner, mieux s'alimenter, mieux vivre en sécurité : ce sont les enjeux et les défis auxquels est confrontée la recherche et auxquels il faut faire participer nos concitoyens. Sans cela, le débat démocratique serait incomplet ou "décalé" par rapport aux véritables préoccupations de chacun.
Je suis également heureux que cette manifestation "Semaine du Cerveau" se déroule dans un contexte européen. En tant que président en exercice des ministres de la Recherche de l'Union Européenne au cours du deuxième semestre 2000, j'ai uvré à la construction de l'Espace Européen de la Recherche. J'ai initié plusieurs actions, notamment la création d'une structure européenne consacrée aux essais thérapeutiques, à commencer par le SIDA, et une meilleure visibilité des actions de recherche dans le domaine des prions avec la création d'un groupe d'experts européens.
Je sais que la Société des Neurosciences a eu un rôle moteur dans la création de la Fédération Européenne des Neurosciences. Constantino Sotelo et Jean-Pierre Changeux au temps où existait encore l'ENA (European Neuroscience Association) puis Jacques Glowinski plus récemment ont permis la création de cet Espace Européen de la Recherche en Neurosciences dont vous accueillerez le congrès à Paris en 2002.
En effet, les problèmes de recherche fondamentale et de santé publique que soulèvent les maladies neurologiques n'ont, comme la science elle-même, pas de frontières. La maladie frappe ici un ancien président américain (Ronald Reagan, Alzheimer), là un génie de l'astrophysique (Stephen Hawkins, Sclérose Latérale Amyotrophique). Il est heureux que cinq associations aient choisi d'abolir les frontières et de se réunir en Fédération pour aider les recherches sur la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer, la sclérose en plaque, la sclérose latérale amyotrophique et l'épilepsie. L'union médicale permet une meilleure cohérence des projets, une meilleure visibilité de l'action : elle permet de réunir des masses critiques pour accélérer les travaux de recherche.
Il vous reste maintenant à engager vos travaux, et j'espère que la journée de sensibilisation du grand public du samedi 24 mars sera un grand succès pour la FRC.
La dernière décennie du XXeme siècle avait été décrétée "Decade of the Brain" par l'administration américaine. Une récente évaluation conduite par DANA Alliance for Brain Initiatives ne lui accorde qu'une mention B+. Et ceci malgré les avancées considérables dans le domaine de la génétique des maladies neurodégénératives et des déficits sensoriels (cécité, surdité,..).
A vous, avec une mobilisation solidaire de tous les partenaires de la Recherche, de transformer ce nouveau siècle en nouveau siècle des lumières, en commençant par ce que nous avons de plus précieux : notre cerveau.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 23 mars 2001)
Chacun de nos comportements reflète une fonction du cerveau. L'esprit, la conscience, la pensée sont des aspects de l'activité cérébrale, comme le sont les actions de courir, de sourire, d'apprendre ou de souffrir. Inversement, les troubles des émotions, de la pensée, ou des fonctions perceptives et motrices, caractérisent les maladies psychiatriques et neurologiques et résultent de lésions, fonctionnelles ou organiques, du cerveau. Quelles règles lient l'anatomie et la physiologie du cerveau aux actions de percevoir ou d'agir? Cette frontière, peut-être ultime, de la connaissance de l'homme par lui-même est l'un des enjeux majeurs de la science.
Votre colloque constitue l'un des temps fort en Ile-de-France de la Semaine du Cerveau qui se déroule du 17 au 23 mars à Paris, en région parisienne et dans 17 villes de province, et qui est soutenue par le ministère de la Recherche pour la première fois cette année. Cette manifestation a lieu cette année à la même date à travers toute l'Europe. De plus, cette Semaine du Cerveau sera complétée le 24 mars par une journée spéciale de sensibilisation du public aux maladies neurologiques à l'initiative de la FRC.
J'ai plaisir à retrouver ici nombre de scientifiques rencontrés à l'occasion d'autres colloques, car les occasions ne manquent pas d'aborder des sujets liés aux neurosciences, aux maladies touchant le système nerveux, sujets qui occupent régulièrement le devant de l'actualité tant scientifique, compte tenu des progrès extraordinaires réalisés récemment, que médiatique.
Je citerai comme simples exemples les trois colloques conjointement organisés par l'Académie des Sciences de l'Institut de France et la Royal Academy of Medicine britannique, car ils illustrent bien cette double interrogation des scientifiques sur des sujets encore mystérieux et du public qui souhaite être informé de l'état d'avancement des connaissances.
Car la compréhension des mécanismes qui gouvernent le fonctionnement cérébral est plus qu'une nouvelle frontière, elle doit être la fenêtre qui s'ouvre sur la possibilité de lutter contre le handicap sensoriel ou moteur, la dépendance, la maladie mentale voire la détérioration des fonctions intellectuelles au cours des démences. Vos travaux permettront donc de répondre en partie à la fameuse question "qui suis-je ", mais également à la demande sociale qui place l'intégrité des capacités physiques et intellectuelles comme priorité de la qualité de la vie.
Le premier colloque, que j'ai à la fois ouvert et clos la semaine dernière, portait sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles. Vous savez mieux que moi les ravages du prion pathologique lorsqu'il atteint le cerveau lors de la maladie de Creutzfeld-Jakob. Inversement, les équipes françaises d'Odile Kellerman, Sylvain Lehmann et Jean-François Launay ont montré que la protéine PrP normale jouait un rôle important lors du développement des neurones.
Ce colloque était la première manifestation scientifique soutenue par le GIS "Infections à prions" que j'ai créé fin 2000 et installé officiellement le 24 janvier 2001. A ma demande, le Gouvernement français au mois de novembre a décidé le triplement des moyens publics consacrés à la recherche sur les ESST et les prions : ceux-ci passent de 70 MF en 2000 à 210 MF en 2001.
Ces crédits permettront de poursuivre les objectifs suivants : renforcer les laboratoires de recherche sur les tests ; construire et aménager des animaleries et des banques de tissus infectés ; construire et aménager des laboratoires pour les recherches thérapeutiques sur l'homme ; recruter du personnel supplémentaire dans les organismes de recherche (120 chercheurs, ingénieurs et techniciens, dont 100 dès cette année).
Le Conseil scientifique, composé de 15 membres dont trois étrangers (un Américain, un Suisse et un Belge), est opérationnel depuis le 6 mars et a élu Dominique Dormont à sa présidence. Le premier appel d'offres portant sur les animaleries protégées est en cours d'analyse et les résultats devraient être rendus pour le 30 mars.
Je suis dès à présent très heureux de voir la forte mobilisation de la communauté scientifique sur le sujet. Ainsi nous avions envisagé une enveloppe de 75 MF pour les animaleries protégées et les projets reçus représenteraient au total 250 MF. La sélection sera donc rigoureuse et seuls les meilleurs projets seront retenus.
Si je prends maintenant l'exemple de la prochaine rencontre franco-britannique en octobre 2001, elle sera consacrée au vieillissement et abordera certainement le vieillissement cérébral.
Je constate d'ailleurs à la lecture de votre programme que vous aborderez ce sujet dès cet après-midi avec deux exposés sur les bases moléculaires de la maladie d'Alzheimer par Frédéric Checler et Luc Bué, ainsi que demain avec les exposés de Pierre Pollak et Mark Lathrop sur la maladie de Parkinson, ou celui de Françoise Forette sur les approches thérapeutiques des démences.
Je sais également que le vieillissement cérébral était au centre d'une journée que la Société des Neurosciences a organisé le 16 mars 2000 avec l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, dans le cadre de la Semaine du Cerveau de l'année dernière.
Vous savez certainement que sur une proposition initiale du Pr EE. Baulieu j'envisage la création d'un Institut de la Longévité, sous la forme d'un Institut sans murs, un Groupement d'Intérêt Scientifique.
Plusieurs chercheurs en Neurosciences, Jacques Epelbaum, Jean Mariani et Alain Prochiantz, aideront le Pr. Baulieu dans la préparation de propositions concrètes qu'il doit me remettre en juin prochain. Trois axes semblent privilégiés actuellement :
*la génétique de la longévité et des maladies multifactorielles, dans un but de comprendre les facteurs génétiques de la longévité et prévenir des affections comme le diabète ou les dégénérescences rétiniennes qui minent la qualité de vie des personnes âgées ;
*la physiologie du sujet âgé en travaillant par exemple sur le métabolisme des médicaments, les éléments de galénique et de pharmacocinétique, ainsi qu'au développement des connaissances issues des Neurosciences intégrées pour comprendre les troubles moteurs et de l'équilibre associés au vieillissement.
*les applications des nouvelles technologies à la prise en charge des personnes âgées : télémédecine, appartements intelligents, etc..
Comme je l'ai indiqué lors de la présentation du projet, la Fédération de Recherche sur le Cerveau, et plus particulièrement les associations France-Alzheimer et France-Parkinson, pourraient utilement devenir des partenaires du GIS.
Je terminerai ma série d'exemple avec la troisième réunion entre les académies qui traitera, en mars 2002, des questions soulevées par les techniques de clonage cellulaire et l'usage thérapeutique des cellules souches à des fins thérapeutiques. C'est ici la possibilité d'appliquer au système nerveux la médecine régénérative qui est en question. En effet, l'existence de cellules souches totipotentes dans le cerveau adulte ouvre de grands espoirs pour le traitement de plusieurs maladies neurologiques, dont la sclérose en plaque, la sclérose latérale amyotrophique, la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson. Il nous faut toutefois rester prudent et surtout encourager les recherches.
Prudence combien nécessaire pour ne pas donner de faux espoirs. Ainsi les premiers résultats récemment obtenus par l'équipe de Marc Peschanski et Pierre Césaro, qui en fera une présentation demain, avec des neurones foetaux dans le traitement de la maladie de Huntington sont à suivre avec intérêt, tandis qu'une étude américaine qui vient de paraître indique que cette méthode semble malheureusement inefficace pour la maladie de Parkinson.
Dans le cadre des Actions Concertées Incitatives du Ministère, un appel d'offre spécifique sera consacré à des projets de recherche portant sur les cellules souches au titre de l'ACI biologie Intégrative et du Développement.
Par ailleurs vous pouvez trouver depuis une quinzaine de jours sur le site web du ministère le rapport sur les cellules souches que j'avais demandé au Pr. François Gros en novembre dernier, dans le cadre de la préparation de la révision des lois de Bioéthiques de 1994.
Les neurosciences en France
Ce premier aperçu rapide dit déjà toute la mesure que j'ai prise de la richesse de la communauté scientifique travaillant dans le domaine des Neurosciences en France.
Je sais que votre Société savante compte actuellement 2585 adhérents et constitue la première d'Europe.
A l'INSERM comme au département des Sciences de la Vie du CNRS, près du quart des chercheurs travaillent dans le domaine des Neurosciences. En 2000 la part du BCRD consacrée à la recherche biomédicale a été de 8,6 milliards de francs. Elle avoisinera les 9 milliards de francs en 2001et sur cette somme nous pouvons évaluer à plus de 2 milliards de francs l'investissement concernant les Neurosciences et donc indirectement les maladies neurologiques.
C'est donc très naturellement à l'un des vôtres, le Pr. Michel Lazdunski, récemment honoré par la médaille d'or du CNRS, que j'ai confié la succession de Mme Nicole le Douarin à la présidence du Comité de Coordination des Sciences du Vivant, instance de conseil du ministère pour les ACI et les programmes.
Je souhaite évoquer devant vous quatre actions particulières qui me semblent très directement tournées vers vos préoccupations d'aujourd'hui : les Centres de Ressources Biologiques, l'action en faveur du développement de nouvelles molécules et procédés thérapeutiques et bien sûr les programmes spécifiques en Neurosciences.
Les collections de matériel biologique constituent à la fois un outil indispensable à l'avancement de certaines recherches, par exemple l'analyse génomique ou protéomique de maladies multifactorielles, y compris de tumeurs, et un élément patrimonial insuffisamment pris en considération. Les recherches sur les tissus humains sont de plus encadrées par une stricte réglementation, pour d'évidentes raisons de sécurité sanitaire et des personnes, et de respect de la non commercialisation d'éléments du corps humain. Ces considérations nous ont amené à considérer comme prioritaire la constitution de Centres de Ressources Biologiques qui devront permettre le recensement et/ou la constitution de collections de matériel biologique.
Dans le domaine de la recherche médicale il va de soi que cela doit être associé à un recueil des données cliniques afin de tirer le meilleur parti des informations biologiques obtenues.
Dès 2001, c'est 25 MF issus du Fonds de la Recherche Technologique (FRT) qui seront investis dans ce projet pour lequel j'ai installé le 22 février 2001 un Comité d'Orientation chargé d'examiner les premiers projets à soutenir en partenariat avec les EPST, et certaines grandes associations caritatives telles que la Ligue contre le Cancer ou l'Association Française contre les Myopathies. Je suis heureux que l'INSERM en pionnier considère ce projet comme l'une de ses priorités 2001 et ait décidé de s'y engager à une hauteur importante, permettant un premier appel d'offre conjoint INSERM-Ministère de 14 MF.
Le médicament et plus généralement la recherche en pharmacologie sont un domaine où la France s'est illustrée. L'évolution récente de l'industrie pharmaceutique, si elle nous permet de nous réjouir d'avoir le deuxième groupe mondial avec Aventis, ou peut-être maintenant le troisième ou le quatrième depuis la mégafusion Glaxo-Smith-Kline, nous inquiète également, car les centres de recherche de cette industrie s'éloignent ou s'amenuisent. Paradoxalement, les possibilités d'innovations thérapeutiques n'ont jamais été aussi nombreuses et variées.
Nous avons donc décidé d'engager une action en faveur des recherches sur les molécules d'intérêt thérapeutique, en nous appuyant sur plusieurs rapports de chercheurs du CNRS et/ou de l'INSERM, et par une action commune déjà initiée par le département de chimie du CNRS et l'INSERM en 2000. Pour 2001, nous mobiliserons 28 MF issus de crédits de la Direction de la Recherche et de la Direction de la Technologie en faveur de nouvelles recherches dans ce domaine.
Venons en maintenant à des programmes spécifiquement tournés vers les Neurosciences. L'action Cognitique entre maintenant dans sa troisième année. Elle est placée sous la présidence de François Clarac et dirigée par Catherine Fuchs. Son but est de développer les coopérations à l'interface entre SHS, neurosciences et informatique. Elle s'est concentrée en 2000 sur les relations entre sciences cognitives et langage, art, croyances et nouvelles technologies. Le premier appel d'offre de 2001 porte sur l'Action. Des ponts sont établis entre l'action cognitique et d'autres programmes, intéressés par l'imagerie cérébrale : réseau technologie et médecine de la DT, et une nouvelle action concernant l'imagerie cérébrale sur laquelle nous réfléchissons sur la base des qui nous ont été remis par les Prs Lebihan et Korn.
De plus, sur proposition du Conseil National de la Science, j'ai décidé d'enrichir le chapitre des ACI en physiologie intégrative d'une nouvelle action intitulée Neurosciences Intégratives et Computationnelles, dont la présidence sera assurée par Jean Bullier et la direction scientifique par Alain Berthoz. Le Comité de cette ACI c'est réuni une première fois le 12 mars et j'aurai le plaisir d'inaugurer officiellement ses travaux à l'occasion du lancement du premier appel d'offre le 4 avril prochain. Cette ACI sera dotée de 10 MF dès cette année.
Les dimensions sociales et politiques des maladies neurologiques
Les maladies neurologiques touchent une personne sur dix. Si l'on inclut les maladies psychiatriques, ce sont 30 % des dépenses de santé qui y sont consacrées, sans compter les coûts indirects par le retentissement de ces maladies souvent graves et invalidantes sur l'entourage des patients. La Semaine du Cerveau est à cet égard une manifestation importante pour mieux faire connaître vos travaux et mieux expliquer au public l'état des connaissances et les difficultés rencontrées.
La science n'est plus du tout repliée dans une tour d'ivoire, dans une forteresse du savoir académique. La science doit, au contraire, comme vous le faite cette semaine, aller à la rencontre du public et "descendre dans la ru ". L'impératif, c'est une science publique, agissant à ciel ouvert.
C'est l'objet même de cette "Semaine du Cerveau" : créer un sentiment de proximité et de familiarité avec la science, en l'occurrence les Neurosciences. Une science qui doit être proche de tous. Partout, dans toutes les régions et dans 17 villes dont Paris, Créteil et Gif-Sur-Yvette, sont organisés des rencontres entre les chercheurs et le public, des expositions, des ateliers scientifiques, des animations, des spectacles, des visites, des colloques, et des conférences.
Pour une science citoyenne
Par ailleurs, cette Semaine du Cerveau doit, comme le fait à l'automne la Fête de la Science, doit contribuer à un second objectif : développer une science citoyenne, une science au contact direct des citoyens et de leurs interrogations.
Il faut rapprocher science et société. Il faut "repolitiser la science", c'est-à-dire lui faire retrouver sa place dans la Cité, dans le débat civique et politique. Comme il importe en démocratie.
Ce qui est en jeu, c'est le droit de savoir, pour disposer du pouvoir de décider. Nos concitoyens doivent être pleinement informés des avancées mais aussi des incertitudes de la recherche scientifique, pleinement informés de ses enjeux. Ils doivent pouvoir en débattre avec les chercheurs et avec les responsables politiques.
Nos concitoyens aspirent à débattre et à participer à la décision sur les applications de la génomique et de la post-génomique, sur les recherches éventuelles sur les cellules souches embryonnaires, sur les OGM ou sur le devenir des déchets radioactifs. L'action de la Société des Neurosciences vers les professeurs de collèges me paraît à cet égard essentielle et je vous félicite d'avoir réuni quelques 1500 professeurs de l'APBG en novembre 2000 pour 3 journées de formation sur le cerveau.
Mieux se soigner, mieux s'alimenter, mieux vivre en sécurité : ce sont les enjeux et les défis auxquels est confrontée la recherche et auxquels il faut faire participer nos concitoyens. Sans cela, le débat démocratique serait incomplet ou "décalé" par rapport aux véritables préoccupations de chacun.
Je suis également heureux que cette manifestation "Semaine du Cerveau" se déroule dans un contexte européen. En tant que président en exercice des ministres de la Recherche de l'Union Européenne au cours du deuxième semestre 2000, j'ai uvré à la construction de l'Espace Européen de la Recherche. J'ai initié plusieurs actions, notamment la création d'une structure européenne consacrée aux essais thérapeutiques, à commencer par le SIDA, et une meilleure visibilité des actions de recherche dans le domaine des prions avec la création d'un groupe d'experts européens.
Je sais que la Société des Neurosciences a eu un rôle moteur dans la création de la Fédération Européenne des Neurosciences. Constantino Sotelo et Jean-Pierre Changeux au temps où existait encore l'ENA (European Neuroscience Association) puis Jacques Glowinski plus récemment ont permis la création de cet Espace Européen de la Recherche en Neurosciences dont vous accueillerez le congrès à Paris en 2002.
En effet, les problèmes de recherche fondamentale et de santé publique que soulèvent les maladies neurologiques n'ont, comme la science elle-même, pas de frontières. La maladie frappe ici un ancien président américain (Ronald Reagan, Alzheimer), là un génie de l'astrophysique (Stephen Hawkins, Sclérose Latérale Amyotrophique). Il est heureux que cinq associations aient choisi d'abolir les frontières et de se réunir en Fédération pour aider les recherches sur la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer, la sclérose en plaque, la sclérose latérale amyotrophique et l'épilepsie. L'union médicale permet une meilleure cohérence des projets, une meilleure visibilité de l'action : elle permet de réunir des masses critiques pour accélérer les travaux de recherche.
Il vous reste maintenant à engager vos travaux, et j'espère que la journée de sensibilisation du grand public du samedi 24 mars sera un grand succès pour la FRC.
La dernière décennie du XXeme siècle avait été décrétée "Decade of the Brain" par l'administration américaine. Une récente évaluation conduite par DANA Alliance for Brain Initiatives ne lui accorde qu'une mention B+. Et ceci malgré les avancées considérables dans le domaine de la génétique des maladies neurodégénératives et des déficits sensoriels (cécité, surdité,..).
A vous, avec une mobilisation solidaire de tous les partenaires de la Recherche, de transformer ce nouveau siècle en nouveau siècle des lumières, en commençant par ce que nous avons de plus précieux : notre cerveau.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 23 mars 2001)