Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Radio Classique le 24 janvier 2008, sur l'évaluation des universités et la création de pôles universitaires d'excellence.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

 
 
 
O. Nahum et D. Jeambar.- O. Nahum : Bonjour V. Pécresse. Et merci d'être venue jusqu'à nous, puisque dans quelques heures, vous décollez pour l'Inde dans l'avion présidentiel. Alors, (...) le rapport Attali concerne beaucoup des domaines qui sont dévolus à votre ministère, l'Enseignement supérieur et la Recherche. Est-ce vous pensez qu'il y a une volonté présidentielle, d'agir dans les domaines qui vous concernent au risque d'une certaine impopularité ? Puisque quand par exemple, le rapport propose cette évaluation des universités, qui viendrait finalement sous la forme d'un classement, on peut présumer que certains trouveront ça, comment dirais-je scandaleux, et même une rupture du principe d'égalité ?
 
R.- Ce que je crois, c'est que, quand on gouverne, le risque qu'on a au bout d'un moment, et Dieu sait que ce gouvernement a fait en huit mois, a lancé un grand nombre des réformes qu'il s'est engagé à lancer dans la campagne, mais le risque au bout de huit mois, c'est de baisser la tête, de se laisser engluer dans le quotidien et de ne plus mettre en perspective son action et de ne plus donner un nouveau souffle aux réformes. Donc le rapport Attali, de ce point de vue, à mon avis, il est précieux et utile, parce qu'il nous oblige à lever la tête, à regarder l'horizon, à regarder aussi autour de nous, tous les autres pays, et à se dire, voilà, toute une série de pistes de réflexions qui sont utiles ou toute une série de diagnostics sur la société française, qu'il faut marteler, rappeler, avoir en tête, pour savoir vers où on va. En même temps, moi, je e crois que ce que vous êtes en train de dire, c'est que par rapport au rapport ATTALI, maintenant, le temps du politique est venu. C'est-à-dire qu'Attali c'est l'expertise, c'est un regard, un peu détaché, qui donne des pistes, qui lui semblent être les bonnes. Après il y a le temps du politique, pourquoi le temps du politique ? Parce qu'un pays c'est aussi un consensus national, c'est aussi toute une série, une culture, une histoire, etc. Donc il faut faire évoluer ce pays, en tenant compte de ces fondamentaux, c'est des hommes, c'est des femmes, il va falloir dialoguer. Alors sur les questions de recherche...
 
O. Nahum : Et d'universités, qui sont très présentes dans le rapport.
 
R.- Et d'universités qui sont très présentes et elles sont très présentes à juste titre, parce que quand on est dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut investir dans la connaissance, investir dans la formation de nos enfants et investir dans le progrès scientifique, c'est une urgence, les rapports le disent tous, la France est en train de devenir une économie d'imitation, il faut qu'elle redevienne une économie d'innovation. On a des problèmes de qualification de nos jeunes, de formation de nos jeunes dans une économie mondialisée, qui font que nos jeunes n'ont pas confiance dans l'avenir et pensent qu'ils ont un avenir moins bon que celui de leurs parents, d'un univers qui pourtant offre des potentialités insoupçonnées pour des enfants formés en France, dans un bon système de formation. Donc je crois qu'il a raison de mettre l'enseignement supérieur et la recherche au coeur. Toute une série de pistes du rapport Attali valide complètement la stratégie du gouvernement. Que ce soit l'idée...
 
D. Jeambar : Mais sur la question de l'évaluation, vous n'avez pas répondu ?
 
R.- Typiquement, l'évaluation, nous sommes en train de monter, cette année et elle va monter en charge ; une agence indépendante d'évaluation de la Recherche et de l'Enseignement supérieur - cette agence s'appelle l'AERES - va venir auditer l'ensemble des organismes de recherche, des structures de recherche et des universités. Elle a déjà commencé, et il est impératif que cette agence réussisse parce que je crois qu'effectivement dans un monde de la connaissance qui est ultra compétitif, il faut que nous ayons des outils d'évaluation fiable pour pouvoir attribuer l'argent public là où il est le plus nécessaire.
 
O. Nahum : Ce que vous venez de dire est très important, surtout qu'il y a beaucoup de parents qui nous écoutent également. Cela veut dire que demain, dans un délai que vous allez peut-être nous préciser, on trouvera sur Internet ou ailleurs un classement pour savoir si la faculté où va mon enfant est une bonne fac ? D. Jeambar : Ça a été fait pour les lycées d'ailleurs ? O. Nahum : Est-ce que ça va être aussi conséquent, si j'ose dire ?
 
R.- Alors, le travail de l'AERES est un travail d'évaluation des cursus de formation, mais la loi sur l'autonomie des universités qui est passée à l'été, impose désormais aux universités, et je pense dans un délai d'un an, puisque c'est le délai de sa mise en place, de publier pour chaque diplôme, chaque filière universitaire, le taux de réussite des étudiants, le taux de poursuite d'études et les débouchés, le type de débouchés...
 
O. Nahum : Le taux d'emploi trouvé avec ce diplôme ?
 
R.- Exactement, ou de poursuite d'études si c'est une licence, la plupart vont poursuivre en master ou poursuivre... Donc on demande...
 
D. Jeambar : Il y a des règles très précises, parce qu'un taux de réussite ça se manipule selon que vous prenez pour référence la dernière année, la première année etc. ? Par exemple le taux de réussite au bac, vous avez des lycées qui le font monter assez facilement puisqu'il y a à l'heure actuelle déjà, un taux de réussite, une évaluation des lycées par le ministère de l'Education nationale ?
 
R.- Vous avez tout à fait raison. C'est pour cela que le couplage des trois critères est important. La réussite, est-ce qu'ils vont pouvoir poursuivre leurs études avec ce diplôme ? Est-ce qu'ils vont pouvoir trouver un emploi avec ce diplôme ? C'est les trois critères qui sont importants. Alors c'est vrai que c'est un peu une révolution, mais vous savez, cette mission d'insertion professionnelle donnée à l'université dans la loi autonomie, c'est la levée d'un tabou, c'est dire que l'université doit aussi de préoccuper de l'après. Mais c'est les étudiants eux-mêmes qui nous ont demandé de le mettre.
 
O. Nahum : Mais cela veut sire que vous ne redoutez pas, ce que beaucoup parfois évoquent, c'est-à-dire un classement et l'éternel problématique des universités qui sont classées dernière, parce que dans des zones difficiles et une espèce d'université à deux vitesses, les premières qui seront toujours les plus prisées, par ceux qui consulteront le classement, et les autres qui seront de fait, délaissées parce que dernières ?
 
R.- Oui, je crois d'abord que c'est une vision assez schématique de l'université. Parce que vous imaginez bien que dans une université pluridisciplinaire, il y a toute une série de disciplines qui sont enseignées. Donc vous pouvez avoir une très, très bonne filière de droit, une filière de médecine un peu moins bonne, une filière de sociologie, donc vous avez toute une série de filière. Donc voir une université en disant, cette université-là c'est un bloc, à mon avis ça ne reflète pas la réalité de l'université. En plus, il y a des universités qui sont dans des villes moyennes qui sont extrêmement dynamiques, des universités dans des grandes villes qui le sont moins. Le paysage universitaire, c'est 85 universités, 85 situations différentes. Moi, ce à quoi, je crois que nous devons nous atteler, et d'ailleurs c'est une des propositions du rapport Attali, c'est à rassembler et à mutualiser nos forces. Nous avons et dans toute l'Europe c'est comme ça, une université qui est beaucoup trop morcelée. 225 écoles, 85 universités c'est beaucoup trop. Donc il faut rassembler toutes ces forces, faire des passerelles...
 
D. Jeambar : Comme les départements, il faut en supprimer ?
 
R.- Il faut d'abord les rassembler dans des pôles et ces pôles auront des écoles de doctorat communes et des signatures communes...
 
O. Nahum : Mais justement...
 
R.- De recherche et donc on mettra la recherche en commun, ensuite on mettra le service aux étudiants en commun et ensuite on fera des diplômes conjoints.
 
O. Nahum : On parlait à l'instant de cette notion d'évaluation, qui est très importante en terme de service pour les parents et pour les étudiants eux-mêmes. Et c'est vrai, on se pose la question. Quand vous parlez de cette évaluation, on parlait des risques de l'impopularité. Est-ce que vous redoutez d'être impopulaire aux yeux d'un certain monde universitaire, même aux yeux des syndicats étudiants, qui vous objecteront que, peut-on classer le savoir etc. ? Est-ce qu'il y a ce risque ? Ou est-ce que notre université est suffisamment emplie de maturité, pour accepter cette loi du premier et donc forcément du dernier ?
 
R.- Je crois que quand on évalue effectivement la transmission du savoir, ou quand on évalue la recherche, il y a des règles d'évaluation qu'il faut respecter. L'évaluation doit être transparente, elle doit être légitime, et elle doit être fait par les pairs. Quand on évalue du qualitatif, on ne peut le faire évaluer que par des spécialistes, et ça c'est très important, on ne peut pas faire évaluer l'enseignement supérieur, uniquement par des outils statistiques ou même par des journaux. Il y a des journaux qui aiment bien faire des classements etc. Ça ne veut rien dire. Ce sont des outils d'indication, c'est intéressant, mais on ne sait pas quels sont les indicateurs qui sont pris. Donc il faut le faire évaluer par les pairs, je crois qu'il faut aussi aller et c'est d'ailleurs inscrit dans la loi autonomie, il faut aller aussi vers l'évaluation des enseignements par les usagers, c'est-à-dire par les étudiants. Je crois qu'il ne faut pas redouter...
 
O. Nahum : Mais est-ce que ça va être concrétisé ? Est-ce que ça va être possible qu'un jour, qu'un étudiant ait une question/réponse à remplir ? Es-ce que ça va être mis en place à la prochaine rentrée universitaire ?
 
R.- Moi, je souhaite que cela se mette en place, que cela se généralise. C'est prévu dans la loi, Les autres universités seront autonomes, elles pourront ne pas le faire. Mais je crois que c'est important de dire, qu'il ne faut pas avoir peur de l'évaluation. L'évaluation est un outil de pilotage, ce n'est pas un outil de sanction, ça permet de voir dans telle filière qui est prioritaire, qu'il faut y mettre davantage de moyens. Cela permet de voir que telle filière en revanche est surdimensionnée. Et vous savez les gens ne sont pas forcément très heureux, quand ils sont dans une licence, où il n'y a pas de débouché et où finalement, on leur met, comme par hasard, une épreuve extrêmement difficile, pour leur faire rater le diplôme à la fin parce qu'on ne veut pas avoir trop de personnes qui n'auront pas d'emploi, sur le marché du travail, parce que ça dévaloriserait la licence. Il faut faire très attention, il faut vraiment pouvoir avoir des outils intelligents. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il y a des parents qui savent et des parents qui ne savent pas - je crois que J. Attali le dit très bien dans son rapport - et ça, c'est injuste. Et quand on dit, il faut de la diversité, il faut de la mixité, il faut de l'égalité des chances. Je crois que la première condition d'égalité des chances, de la mixité, c'est d'abord de donner l'information à tout le monde de la même façon.
 
D. Jeambar : Moi, je suis très frappé par la réaction française, chaque année, quand est publié, je crois, le classement de l'université de Shanghai, dans laquelle il faut bien le dire, les universités françaises sont à la peine. En effet, c'est le moins que l'on puisse dire. Et on voit là le signe d'une difficulté quasiment culturelle, française, à accepter ce type de jugement !
 
R.- Alors il y a deux choses à dire sur le classement de Shanghai. La première, c'est que c'est un classement qui s'adapte très, très mal à notre système universitaire qui est composé de grandes écoles qui ne font que très peu de recherches, qui forment peu de doctorant et des universités qui elles, forment des doctorants mais sont plus petites en taille. Donc on a un système universitaire qui ne nous, j'allais dire structurellement, qualifie pour les critères de Shanghai. Les critères de Shanghai, c'est les très grosses universités. Les universités chinoises sont des universités où il y a des centaines de milliers d'étudiants, avec des très fortes écoles de doctorats.
 
D. Jeambar : C'est pour ça que vous plaidez pour un regroupement des universités ?
 
R.- Oui, je plaide pour une évolution de notre paysage universitaire où grandes écoles et universités noueraient des vrais partenariats, auraient des vraies passerelles. Parce que la faiblesse du système française, c'est que nous n'avons pas assez de docteurs. Le diplôme du doctorat n'est pas assez valorisé. Or c'est le diplôme, j'allais dire, roi, dans tous les autres systèmes, parce que c'est un diplôme dans lequel on a fait de la recherche. Et après, on a des conséquences en chaîne, nos entreprises n'investissent pas suffisamment dans la recherche privée. Si on regarde par rapport à l'Allemagne, la grande différence structurelle entre le système allemand et le système français, c'est qu'en Allemagne le diplôme, c'est le doctorat. Et donc les chefs d'entreprises allemands ont un doctorat, les chefs d'entreprises allemands ont fait de la recherche. Les chefs d'entreprise français, ont fait des grandes écoles, n'ont jamais fait de recherche, je crois que ça donne un regard très différent, vis-à-vis de l'innovation à incorporer dans l'entreprise.
 
O. Nahum : Mais donc vous qui êtes ministre de l'Enseignement supérieur, le rapport Attali parle de ces créations de pôles universitaires d'excellence. Vous, vous avez parlé de mutualisation des moyens. Est-ce que ça veut dire que parce qu'elles ne remplissent pas certains critères de rentabilité pédagogique, si j'ose m'exprimer, que vous allez être obligée de fermer des facs, comme d'autres ont fermé des tribunaux ?
 
R.- On est plutôt aujourd'hui dans une logique d'augmentation des moyens pour l'université. Nous n'avons pas assez d'étudiants en France ; c'est ça la situation actuelle. Alors, cela ne veut pas dire qu'il faut créer des filières de formation n'importe où ? Et c'est en cela que tous ces outils de pilotage dont je vous parle, vont être cruciaux. Il faudra mettre les moyens, là où c'est nécessaire et je pense notamment investir dans les filières professionnalisantes courtes ou les licences professionnelles...
 
D. Jeambar : Vous croyez aux filières courtes professionnalisantes ?
 
R.- Ecoutez, elles ont le taux de chômage...
 
D. Jeambar : Est-ce que les IUT ne sont pas devenues parfois des impasses aujourd'hui ?
 
R.- Alors justement, non. Non, j'y crois énormément parce que le taux de chômage aujourd'hui est de l'ordre de trois mois. Donc c'est des filières qui forment des jeunes qui trouvent un emploi, qui sont très adaptées. Le problème, c'est qu'il faut faire évoluer cette carte. Aujourd'hui, cette carte est assez ancienne et il faut qu'elle tienne compte de l'évolution très considérable des métiers que connaît notre pays. Typiquement aujourd'hui, alors que tous les cadres ont un ordinateur, utilisent des traitements de textes, on ne forme plus les secrétaires, comme on les formait avant. Aujourd'hui, un poste de secrétaire, c'est un poste quasiment de cadre, c'est-à-dire qu'il faut, former la secrétaire à des choses qui sont beaucoup plus du domaine de l'autonomie que du simple domaine de la sténodactylo. Donc et moi, d'ailleurs un de mes objectifs, serait qu'on puisse apprendre la dactylo à l'université. C'est-à- dire que tous les jeunes étudiants qui sortent de l'université aient un ordinateur et sachent taper dessus. Ça c'est peut-être une révolution, mais enfin, je crois que c'est des savoirs qui doivent s'incorporer désormais dans les cursus universitaires eux-mêmes.
 
O. Nahum : Mais dans le rapport, on parle aussi du fait d'accompagner à un certain moment l'étudiant, un peu comme dans la psychologie d'une classe prépa. C'est possible ou pas ?
 
R.- C'est l'objectif du plan "Réussir en licence" que j'ai lancé il y a un mois. Le drame aujourd'hui de l'université française, c'est dans le premier cycle, le sentiment d'abandon et d'anonymat dans lequel se sente les étudiants, et notamment en première année. Pourquoi ? Parce qu'il y a un taux d'échec, à peu près de 50 % à la fin ; donc en fait la première année, sert un peu de gare de triage. Mais de gare de triage où l'étudiant est totalement livré à lui-même. Donc, l'objectif du plan licence, c'est de signer un contrat de réussite de l'étudiant avec l'université au début de la première année, d'avoir un professeur référent...
 
O. Nahum : Ça, c'est à la prochaine rentrée ?
 
R.- Oui, d'avoir un professeur référent qui va le suivre toute l'année, d'avoir du tutorat, y compris du tutorat obligatoire si ses notes le nécessitent dans certaines matières et vraiment qu'on le prenne par la main. Et qu'il y ait un rendez-vous à mi-parcours en février, pour voir en fonction de ses résultats, s'il n'a pas commis une erreur, s'il n'est pas allé dans la mauvaise formation. Et évidemment, tout ça commence en terminale, avec l'arrivée de professeurs d'universités dans les terminales pour expliquer à tous les élèves de terminale quels sont les pré requis de chaque filière universitaire.
 
D. Jeambar : Est-ce que ce n'est pas le slogan, 80 % de réussite au Bac qui est responsable de cet échec massif en première année d'université ?
 
R.- Les objectifs de Lisbonne, les objectifs européens, c'est d'avoir en Europe, pour que l'Europe soit l'économie la plus puissante, économie de la connaissance, la plus compétitive, c'est d'avoir 50 % d'une classe d'âge au niveau de la licence. Le problème - j'imagine que c'est à cela que vous faites allusion -, c'est qu'il faut évidemment atteindre ses objectifs sans baisser le niveau. Il faut les atteindre en élevant le niveau de qualification ...
 
O. Nahum : C'est ça la problématique !
 
R.- Oui, mais en même temps, on a tous les atouts pour ça. Je pense que, simplement, il y a des recettes qu'il faut effectivement emprunter, peut-être aux classes préparatoires aux grandes écoles, peut-être à des enseignements étrangers ; il faut en tout cas, que nous acceptions d'encadrer et d'accompagner chacun.
 
O. Nahum : Alors, avant de conclure, d'abord il y a un auditeur de Béziers, Claude qui s'interroge, parce qu'il dit : "la ministre est issue des classes prépa, comme moi, dit l'auditeur. Que comptez-vous faire pour les classes prépa ? Vous ne les oubliez pas les classes prépa ?
 
R.- Alors je ne les oublie pas, mais je ressens vraiment une nécessité de les ouvrir davantage. Et là aussi, sur les classes prépa, nous avons un objectif, que nous nous sommes fixés, enfin j'ai un objectif que je me suis fixé, c'est 30 % d'étudiants boursiers en classe prépa, on est aujourd'hui à 23 % seulement. Cela veut dire que les classes prépa sont plus sélectives socialement. Et quel est le problème des classes prépa ? A mon avis, il y en a deux : d'abord c'est qu'il faut avoir un certain nombre de codes sociaux et culturels, notamment dans les classes prépa commerciales et classe prépa littéraire.
 
O. Nahum : C'est la société des réseaux que vous dénoncez, là ?
 
R.- Non, c'est plutôt l'éducation de départ, l'éducation donnée par la famille qui finalement qui vous classe et qui fait qu'ensuite, vous avez du mal. Si vous n'avez jamais été à une exposition, si vous n'avez jamais lu de la littérature, si vous n'avez jamais voyagé à l'étranger, que vous ne parlez pas de langues étrangères, et ça, il n'y a rien de plus socialement discriminant que la maîtrise des langues étrangères.
 
O. Nahum : Donc il faut ouvrir plus les classes prépa ?
 
R.- Donc il faut ouvrir plus les classes prépa, mais ça aussi, ça nécessite un accompagnement spécifique. Parce que on ne peut pas acquérir l'anglais en trois mois, quand on n'a jamais été en Angleterre.
 
O. Nahum : Vous partez avec le président en Inde. Pourquoi ? D. Jeambar : Pour penser le modèle universitaire français ? O. Nahum : Ou pour se nouer des accords de recherche avec le pays ?
 
R.- Alors pour tout vous dire, j'ai été en Inde, il y a trois mois, et j'ai découvert une situation qui est tout à fait, enfin... un retard français absolu en Inde. Nous avons 1500 étudiants indiens en France, alors que nous avons 17.000 étudiants chinois en France. Donc dix fois moins d'Indiens. Donc, je crois que c'est une partie du monde avec laquelle nous n'avons pas su nouer des vrais partenariats universitaires. Et nos partenariats de recherche, s'ils sont importants dans le domaine spatial, dans le domaine énergétique, restent encore ou dans le domaine de la biodiversité, restent encore insuffisants. Donc je crois qu'il faut absolument que nous renforcions notre partenariat avec ce pays qui fait quand même un milliard d'habitants. Le problème de l'Inde, c'est qu'ils sont anglophones, et là je peux peut-être parler d'un autre tabou à l'université, c'est les cursus en anglais, moi, je souhaite qu'on puisse venir étudier à l'université française, avec...
 
O. Nahum : Et Libération redoute justement, ce matin, dans une fiction, le fait que, demain, les cours à la fac soient donnés en anglais ?
 
R.- Pas tous les cours, mais un certain nombre de cours doit pouvoir l'être. On est la langue de la recherche aujourd'hui...
 
D. Jeambar : C'est ce qui se pratique à Sciences-Po, par exemple ?
 
R.- C'est ce qui se pratique dans un grand nombre d'universités, qui commencent à s'y mettre. Mais c'est vrai qu'il y a des réticences psychologiques et moi, je crois surtout qu'aujourd'hui, il faut donner des armes à nos enfants. S'ils ont peur, les jeunes, s'ils votent "non" à la Constitution européenne, s'ils ont peur de la mondialisation, c'est parce qu'ils ne s'y sentent pas à l'aise. Et quand on ne peut pas communiquer avec l'autre, quand on ne parle pas de langue étrangère, on a un handicap et on a peur de la mondialisation.
 
O. Nahum : En conclusion, V. Pécresse, pour vous laisser aller prendre l'avion, l'ambiance au sein du gouvernement est-elle bonne ? Parce qu'on parle tout le temps de remaniement après les municipales etc. l'ambiance est bonne, vous nous confirmez tout va bien, tout le monde travaille ?
 
R.- Je crois qu'aujourd'hui, on a fait toute une série de réformes, je crois qu'il faut en relancer d'autres. On parlait de popularité, d'impopularité. La popularité, c'est très important, pour aider les réformes et le président, s'agissant par exemple de l'université a mis toute sa popularité dans la balance pour faire passer la réforme. Maintenant, je crois qu'il faut aussi accepter la part d'impopularité qui est nécessairement liée au changement.
 
D. Jeambar : Donc, c'est un mot d'ordre, ce matin : impopulaire pour réussir.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 janvier 2008