Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à LCI le 7 février 2008, sur la hausse des petites retraites et du minimum vieillesse, la revalorisation du SMIC et les salaires des fonctionnaires.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.- F. Chérèque, bonjour. 200 euros de prime pour les détenteurs du minimum vieillesse, c'est une avance sur une future hausse des petites retraites. Le cadeau de N. Sarkozy vous convient-il ?
 
R.- Tout d'abord, c'est une bonne chose pour les personnes qui vont en bénéficier. Il faut rappeler que le minimum retraite est en dessous du seuil de pauvreté, donc c'est des personnes qui vivent avec des difficultés. Donc, 200 euros c'est bien pour eux. Maintenant, ça pose un problème de méthode, ça pose un problème de financement. Le président de la République a parlé d'une augmentation de 25 % de ce minimum retraite sur cinq ans ! Alors qu'on commence à rentrer dans le débat sur les retraites, il décide déjà d'une des décisions qu'il va y avoir pour cette réforme sans nous dire comment on va financer. Donc, là, on a un vrai problème sur la méthode et sur la façon de fonctionner.
 
Q.- C'est à vous, les partenaires sociaux, de trouver les solutions de financement.
 
R.- Ah oui !
 
Q.- Il y a la CSG, il y a peut-être l'assurance privée, les fonds de pension.
 
R.- Oui, mais c'est un partage des rôles que je n'accepte pas. Le président de la République décide des dépenses et nous, les partenaires sociaux, on déciderait des recettes ? Imaginez-vous le fonctionnement ? C'est-à-dire qu'on nous demande à nous de décider comment les salariés vont payer des promesses électorales ou des décisions électorales que décide le président de la République. Ce n'est pas un fonctionnement normal dans une démocratie. Je pense qu'il faut faire les deux choses en même temps.
 
Q.- Mais 25 % de hausse sur cinq ans, c'est un objectif qui vous convient ?
 
R.- C'est un objectif qui est bien, 25 %, ça mènera les minimums retraite autour de 85, 90 % du Smic. C'est quand même pas énorme. Ceci dit, ça pose un problème. Là, ce sont les personnes qui n'ont pas travaillé, qui bénéficient de la solidarité nationale. Le minimum des retraites pour ceux qui ont travaillé toute leur vie au Smic, c'est 85 % du Smic. Donc, on va avoir un niveau de minimum, le même pour ceux qui n'ont pas travaillé que ceux qui ont travaillé toute leur vie. Donc, si on veut valoriser le travail, il va falloir aussi augmenter le minimum de retraite pour ceux qui ont travaillé toute leur vie au Smic. Donc, vous voyez bien, c'est quelque chose de très complexe et on ne peut pas prendre une décision comme ça à la légère.
 
Q.- Alors, justement, les régimes de retraite, le régime général, c'est l'objet d'une discussion qui va s'amorcer. Avant l'été, un projet de loi sera voté. Ça vous convient comme calendrier ? On a le temps de travailler ?
 
R.- Oui, c'est le calendrier qui était prévu en 2003. Là, on n'est pas pris, je dirais en surprise. En 2003, on a décidé de faire une deuxième partie de réforme avant l'été 2008. Donc, on est dans le calendrier, c'est normal qu'on le respecte.
 
Q.- Et à la rentrée, l'Assurance maladie, les agences régionales de santé ?
 
R.- Alors, là, j'ai posé un problème au président de la République. Je lui ai dit : à vouloir tout faire en même temps, dans un délai aussi court, on va exacerber des résistances professionnelles corporatistes, ce qui nous posera des gros problèmes dans la société.
 
Q.- C'est une menace ? C'est une menace de grève, de manifestation ?
 
R.- Ce n'est pas une menace, c'est la réalité. Regardez ce qui s'est passé pour les taxis, regardez ce qui s'est passé quand on a voulu revoir le problème de l'installation des médecins, les internes ont bloqué les hôpitaux et le Gouvernement a reculé. Si on ne fait pas de la pédagogie, si on n'explique pas, si on ne prend pas son temps, les réformes seront ou des mini réformes ou on ira à l'échec.
 
Q.- Mais les déficits se creusent pendant ce temps-là.
 
R.- Attendez, « les déficits se creusent », on ne dit pas nous, la CFDT : il faut remettre les réformes aux calendes grecques. Le président de la République nous a dit qu'il fallait réformer les retraites, l'Assurance maladie, les hôpitaux, la dépendance, la politique familiale avant l'été. Vous connaissez, vous, un Gouvernement ou un pays qui a réussi à faire ces cinq choses-là en trois mois ? En plus de toutes les autres réformes qui sont déjà faites ? Je pense que... non mais...
 
Q.- Il est prêt à déborder un peu sur septembre. Vous lui avez dit : « tout ça c'est anxiogène ». Mais il vous dit que ce qui est anxiogène, c'est de ne rien faire.
 
R.- Oui, on est d'accord qu'il faut faire des choses, mais là, on a un vrai problème de méthode actuellement dans notre pays. On est en train de faire des réformes, on ne donne pas le temps de les expliquer, on ne donne pas le temps de faire comprendre pourquoi il faut les faire. Et j'ai dit au président de la République que c'était anxiogène, qu'il fallait sur certains sujets avoir du temps pour le faire, ce qui ne veut pas dire faire les choses en 2020.
 
Q.- Pour les retraites, cotiser 41 ans c'est une piste raisonnable, envisageable ou c'est, comme le dit Force ouvrière, un casus belli ?
 
R.- Alors, je rappelle que cette décision est prise dans la réforme de 2003, passer à 41 ans. Ceci dit, le pari qui avait été fait en 2003, c'était de pouvoir y arriver en augmentant l'emploi des seniors, c'est-à-dire faire en sorte que les plus de 55 ans travaillent plus dans notre pays. Or, aujourd'hui, on voit qu'on est le pays en Europe où les salariés de 55 à 65 ans travaillent le moins. Donc, augmenter la durée de cotisations de 41 ans, ça ne donnera aucun résultat financer sur le régime parce que c'est augmenter la durée de cotisations de seulement de 35 % des salariés qui travaillent à cet âge-là. Donc, on a dit au président de la République qu'aujourd'hui prendre cette décision était inefficace et en plus injuste.
 
Q.- La pénibilité pour les seniors, le patronat propose de passer à mi-temps quand on arrive en fin de carrière pour les travaux pénibles.
 
R.- Ce n'est pas sérieux ! On était rentré dans une négociation avec le patronat où on commençait à trouver des solutions pour permettre à ceux qui ont des emplois pénibles et une espérance de vie plus faible - je rappelle qu'un ouvrier a une espérance de vie de cinq à sept ans plus faible qu'un cadre - donc on voulait leur permettre de partir plus tôt. Aujourd'hui, on nous propose des demies mesures. Travailler à mi-temps plus longtemps ce n'est pas sérieux. Le patronat recule. Donc, il faut sérieusement revenir à cette négociation et trouver des solutions. Autrement qu'est-ce qui se passe ? Les personnes sont tellement fatiguées à 50-56 ans, on le voit bien, je viens de l'expliquer, ils sont ou en invalidité ou ils sont au chômage. Donc, de toute façon on paie le fait que ces gens-là ne travaillent pas.
 
Q.- La France va créer des agences régionales de santé. Est-ce qu'elles doivent s'occuper uniquement de l'organisation des soins ou est-ce qu'on doit leur confier également tout le financement et la gestion du financement ?
 
R.- Elles doivent travailler sur l'organisation des soins, c'est-à-dire le lien entre la médecine de ville et l'hôpital. Faire en sorte que partout sur le territoire, on ait une réponse hospitalière ou médicale de qualité. Après, le financement c'est l'Assurance maladie au niveau national qui répartie les moyens selon les régions. Nous, on n'est pas favorable à ce que les agences s'occupent du financement, autrement on aura des inégalités régionales. Les régions pauvres auront moins de moyens, les régions riches auront plus de moyens. Et là, on va creuser les inégalités entre régions.
 
Q.- Dans ce contexte d'agenda social, de réformes à marche forcée, est- ce que la CFDT participera à la grande manifestation que la CGT et Force ouvrière programment pour fin mars, début avril ?
 
R.- Ecoutez, c'est trop tôt pour le dire. On n'a encore pas ouvert le débat sur les retraites qu'on est déjà sur des manifestations. J'ai connu ça en 2003. On annonce des manifestations avant même d'avoir les mesures du Gouvernement. Donc, nous, la CFDT, on veut consolider la réforme des retraites de 2003, on veut sauver notre système par répartition, donc on va rentrer dans le débat avec le Gouvernement, et si on n'est pas d'accord avec le Gouvernement, à ce moment-là, on organisera les manifestations. Mais c'est très tôt pour le dire.
 
Q.- Un peu de capitalisation, un peu d'assurance privée, un peu de retraite sur les fonds de pension ?
 
R.- Ecoutez, notre débat aujourd'hui ce n'est pas celui-là. Notre débat aujourd'hui c'est comment on garde notre système par répartition, c'est-à-dire ceux qui travaillent financent les retraites pour ceux qui sont à la retraite. C'est ça le principe de solidarité dans notre pays. Donc c'est ça qu'il faut sauver dans un premier temps. Ensuite, on verra ce qu'on appelle les systèmes de retraite par épargne salariale, à condition que tous les salariés puissent en bénéficier.
 
Q.- Le gouvernement recule sur la réforme des taxis issue des propositions Attali. Est-ce sage ou bien a-t-on manqué une bonne occasion d'améliorer ce service ?
 
R.- Je pense que là ça fait écho avec ce que j'ai dit au Président de la République hier. On a annoncé cinq ou six réformes sur le domaine du travail : la formation, le marché du travail, l'assurance chômage. On vient d'annoncer quatre réformes dans le domaine de la protection sociale ; on vient de le dire : les retraites, la santé, la famille, etc. On a 317 mesures du rapport Balladur...
 
Q.-...Attali !
 
R.-...Ah ! Le rapport Balladur c'est un autre rapport. Donc vous voyez, on commence à s'y perdre.
 
Q.- C'était les institutions.
 
R.- Du rapport Attali. Donc, tout le monde se perd là-dessus. Donc, on est en train de faire sortir des revendications catégorielles. C'est, je l'ai dit, professionnelles ou corporatistes. Donc, on risque d'avoir une multiplication de ces problèmes-là dans notre pays. Donc, faisons en sorte qu'on prenne le temps de débattre pour pouvoir arriver à de bonnes réformes. Autrement, ça va être la pagaille et le Gouvernement va reculer à chaque fois qu'on aura une corporation dans la rue.
 
Q.- La mise sous condition de revenus pour les allocations familiales, ça vous plaît ?
 
R.- Ecoutez, ce n'est pas comme ça qu'il faut regarder le problème. Nous, notre démarche, la CFDT, c'est qu'on finance des prestations, c'est-à-dire notre problème aujourd'hui c'est quand les gens travaillent, qui ont des enfants, ils ont des difficultés pour faire garder leurs enfants. Donc, il faudrait passer des prestations, des finances aux personnes à financer des prestations - des gardes d'enfants, des activités pour les enfants, de la formation, des choses comme ça. Donc, il faut essayer de réfléchir globalement sur la politique familiale, après on verra ce problème-là.
 
Q.- Une commission du Smic sera sans doute créée pour mieux gérer la revalorisation du Smic C'est une bonne idée ?
 
R.- Tout dépend de ce qu'elle va faire cette commission du Smic. Si cette commission elle dit simplement : « voilà ce qu'on pense de ce qu'il faut faire » et qu'on laissera un débat entre partenaires sociaux et le Gouvernement sur l'évolution du Smic, pourquoi pas se faire éclairer par une commission. Mais si c'est pour décider en dehors du débat avec les partenaires sociaux, on n'est pas d'accord.
 
Q.- Si elle propose, par exemple, que les allègements de charges des entreprises sont supprimés pour les entreprises qui n'ont pas d'accords salariaux depuis deux ans ?
 
R.- Ca, c'est le débat qu'on a actuellement avec le Gouvernement. Donc, on est en train d'étudier ce problème-là, c'était une proposition CFDT, à condition qu'elle soit vraiment dissuasive pour les entreprises, c'est-à-dire qu'elle pousse les entreprises à vraiment négocier. Si c'est simplement des petites menaces, ça n'engagera pas les entreprises dans les négociations.
 
Q.- +0,5 points pour cent, pour le point d'indice pour les salaires des fonctionnaires. C'est bien ?
 
R.- C'est un début de négociation qui est somme toute très faible, on le voit bien.
 
Q.- Vous voulez plus ?
 
R.- Ecoutez, l'inflation, l'année dernière, les fonctionnaires ont perdu sur l'inflation. On leur propose déjà, alors que l'inflation va être presque de 2 % cette année, une augmentation de 0,5 point. Donc, on voit bien que ça ne peut pas être le niveau. Mais ceci dit, il faut qu'on ne soit pas que sur les négociations sur l'augmentation du point d'indice, c'est-à-dire en fonction de l'inflation. Il faut qu'on négocie aussi les évolutions de carrière, et là le Gouvernement nous dit, « on va rentrer dans ce débat-là », nous on veut aussi rentrer dans ce débat-là parce que peut-être qu'il y a des choses à tirer de ce débat-là.
 
Q.- Vous avez parlé avec N. Sarkozy, hier, de l'usine Mittal de Gandrange, du plan de l'Etat, vous avez compris ce que l'Etat veut faire ?
 
R.- Non, je n'en ai pas parlé, hier, au président de la République. Que le président de la République s'intéresse au problème de l'industrie dans notre pays, c'est important. Politique et industriel, investir dans la recherche, dans le développement. Mais ceci dit, Monsieur Mittal a racheté cette entreprise de Gandrange pour un euro symbolique en 99. Il n'a pas investi dans cette entreprise, ni dans la formation dans les moyens technologiques. C'est quand même pas au Gouvernement, aujourd'hui, à investir dans cette entreprise alors que Monsieur Mittal fait 8 milliards d'euros de bénéfice. Donc, faisons en sorte que ça soit Monsieur Mittal qui investisse dans ses entreprises.
 
F. Chérèque, merci et bonne journée.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 février 2008