Interview de M. Christian Estrosi, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, à France 2 le 22 février 2008, sur l'éventualité d'une réforme du "droit du sol" à Mayotte et sur diverses polémiques portant sur la vie politique.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Avec vous, on va parler d'une décision qui risque de faire beaucoup de bruit : vous avez décidé que dans l'île française de Mayotte - c'est à l'Est de l'Afrique -, dans cette île, vous allez remettre en cause un principe qui paraissait acquis, celui du "droit du sol". Pour faire simple : un enfant né de parents étrangers à Mayotte ne sera plus automatiquement français.
 
R.- Vous savez que nous sommes là, dans les heures qui viennent, sous une invasion imminente de la fédération des Comores en direction de l'île d'Anjouan, qui est à 70 kilomètres de Mayotte. Mayotte, c'est une île française au coeur de l'Afrique, c'est là que nous avons eu le plus grand nombre de reconduites à la frontière au cours de l'année écoulée, 14.000. Il y a aujourd'hui...
 
Q.- 14.000 reconduites pour combien d'habitants ?
 
R.- Pour une population de près de 230.000 habitants. C'est-à-dire que nous avons aujourd'hui à Mayotte 30 % de la population qui est en situation clandestine et irrégulière, et que, dans dix ans, elle pourrait être majoritaire par rapport à la population franco-maoraise. Donc il est important d'envoyer un signe fort. Nous en avons débattu avec le président de la République, le Premier ministre et B. Hortefeux, le ministre de l'Immigration, et nous pourrions prendre une décision exceptionnelle, qui fasse que, tout enfant né de parents en situation irrégulière, ne puisse plus réclamer son appartenance à la nationalité française.
 
Q.- Mais c'est une remise en cause de ce qui paraissait acquis, en France, c'est-à-dire le droit du sol ?
 
R.- C'est une disposition exceptionnelle, sur un territoire qui a une situation géographique exceptionnelle, sachant qu'en 2008 qui plus est, avec le référendum que nous proposons aux Maorais, Mayotte pourrait devenir le 101ème département de France. Il faut donc, en même temps, prendre des mesures de protection. C'est l'intérêt de Mayotte, c'est l'intérêt de la France, et c'est en même temps l'intérêt des Comores, parce que nous proposerons en contrepartie une grande politique de coopération et de co-développement avec les Comores, pour permettre aux Comores d'arriver au même développement économique et social que Mayotte, pour que Mayotte n'attire plus ces vagues migratoires qui ont des conséquences. Il y a eu quand même près de 70 candidats à l'immigration qui sont morts noyés dans des kouassa kouassa en tentant...
 
Q.- Des petits bateaux...
 
R.-...de venir sur Mayotte cette année. C'est aussi une situation dramatique que je ne veux plus voir.
 
Q.- Est-ce que c'est une décision, cette remise en cause du droit du sol, qui pourrait, par la suite, être étendue à toute la France ?
 
R.- C'est pour l'heure, une seule expérimentation avec un inventaire qui sera fait de la loi dans cinq ans. Donc nous réfléchissons à tout cela pour le proposer au printemps dans une réforme spécifique qui pourrait intervenir. Pour l'instant, il n'est pas question de le rapporter à d'autres territoires français.
 
Q.- On est à deux semaines des élections municipales, ne risquez-vous pas d'être accusé d'une certaine façon, en remettant sur la table le dossier de l'immigration, de chercher les voix du Front national ?
 
R.- On ne remet pas sur la table le dossier de l'immigration, elle parfaitement traitée par B. Hortefeux qui, aujourd'hui, est en train d'édicter des règles particulièrement claires en matière d'immigration choisie, face à l'immigration subie. C'est un grand débat qui a été admis par une très large majorité. Pour l'heure, il y a une situation spécifique en outre-mer, c'est le territoire d'outre-mer où nous sommes confrontés au plus de vagues migratoires qui peuvent avoir des conséquences économiques et sociales considérables pour l'avenir de Mayotte dans la France. Il y a donc des décisions à prendre.
 
Q.- Sur les élections municipales, les sondages ne sont pas très bons pour l'UMP : Six points de retard par rapport à la gauche. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce dû au cafouillage du Gouvernement ?
 
R.- Non, tout simplement, j'ai le sentiment qu'il y a, à la fois, un acharnement injustifié sur la personne du président de la République, une cote de popularité du Gouvernement qui n'est pas si mauvaise, et si on fait la moyenne de celle du Président et du Gouvernement, on voit bien qu'est au milieu du gué. Il vaut mieux être en haut qu'en bas d'ailleurs, c'est une confidence que je vous fais. Et en même temps, les Français exigent que nous respections le programme pour lequel nous avons pris des engagements derrière le président de la République au mois de mai dernier. On les a tenus, on continue à les tenir. Je me réjouis de cette décision du Conseil constitutionnel qui vient de valider le texte de R. Dati...
 
Q.- Partiellement, seulement...
 
R.- Oui, mais en grande partie, sur l'application future, il lui donne raison. Cela veut dire que dans ce domaine, dans le domaine du pouvoir d'achat, où je suis convaincu que la croissance va permettre à nos mesures de porter leurs fruits, l'enregistrement de la baisse du chômage, qui est la plus significative depuis près de dix ans dans notre pays, ce sont autant de résultats qui vont être portés au crédit du président de la République.
 
Q.- Mais quand même, il y a polémique sur polémique - la dernière, c'est celle sur les sectes. N'y a-t-il pas un manque de professionnalisme dans l'équipe gouvernementale ?
 
R.- Mais qui peut douter un seul instant que nous ayons la moindre faiblesse dans ce domaine ?
 
Q.- Sur les sectes...
 
R.- Le Président a réaffirmé hier que c'était une situation inacceptable et inadmissible pour la France, qu'il fallait combattre avec la plus grande fermeté. D'ailleurs, personne ne peut en douter. On a vu avec quelle détermination il l'a fait lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, je l'ai vu lorsque j'étais d'ailleurs son ministre délégué à ce poste.
 
Q.- Mais les conseillers du Président ne parlent-ils pas trop ? Là, c'est une conseillère, en l'occurrence, qui a lancé la polémique.
 
R.- J'ai confiance en E. Mignon, qui, elle-même, a dit qu'on avait trahi ses propos dans un magazine. Donc je crois que le débat est clos et que le président de la République, comme le Premier ministre, y ont mis un terme hier.
 
Q.- Vous-même, vous n'avez pas échappé à la polémique, avec un billet d'avion Paris-New York pour lequel vous avez pris un avion privé...
 
R.- Cela procède de cet acharnement. S'agit-il d'un avion privé ? Non ! A partir du moment où c'est une mission officielle qu'utilisent tous les ministres qui en ont besoin, dans les conditions traditionnelles du Gouvernement. C'était donc, quelque part, un mensonge. Là où j'ai conduit une mission diplomatique importante, avec des membres du gouvernement calédonien, des diplomates, des scientifiques, pour obtenir le classement au patrimoine mondial de l'Unesco du récif corallien de la France des Trois océans. J'en étais fier mais en même temps j'ai été blessé, je vous le dis. J'ai été indigné et je me demande si tout cela ne procède pas d'un amalgame général, pour jeter l'anathème en période électorale, c'est une sorte d'acharnement. Je vous pose la question : à qui profite le crime, M. Sicard ?
 
Q.- Je n'ai pas la réponse, mais je vais vous poser une question sur la Polynésie, en revenant à votre dossier des Territoires d'outre-mer. Demain, il y a l'élection du président de la Polynésie : est-ce que les autonomistes, c'est-à-dire, ceux qui sont contre l'indépendance, vont réussir à se mettre d'accord ?
 
R.- Oui. Et j'ai d'ailleurs une bonne nouvelle, ce matin, puisque le Président autonomiste de l'Assemblée de Polynésie française a été élu cette nuit par 36 voix contre 21. Cela veut dire que le camp indépendantiste a voté contre le camp autonomiste uni, ceux conduits, largement majoritaires, par G. Tong Sang et ceux du Tahoera, et que nous aurons sans doute le même résultat samedi avec l'élection de G. Tong Sang à la présidence de la Polynésie française.
 
Q.- Donc, ce ne sera pas un indépendantiste qui aura la présidence ?
 
R.- Ça veut dire que, la loi que nous avons voulu voter, à la demande du président de la République, que j'ai présentée devant le Parlement, assure définitivement la stabilité, la transparence, et enfin, notre capacité à apporter la prospérité, le développement économique à la Polynésie française.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 février  2008