Texte intégral
Q - L'Algérie a toujours refusé d'adhérer à l'Organisation mondiale de la Francophonie, car elle voyait en elle, une nouvelle forme de colonisation culturelle, a-t-elle eu tort de voir les choses sous cet angle-là ?
R - Il me semble que la position de l'Algérie est un peu différente: elle y est en tant qu'observateur de la Francophonie, ce qui témoigne de son intérêt. Le président Bouteflika a participé à plusieurs sommets de la Francophonie, à commencer par celui de Beyrouth dès 2002 et cela a constitué une évolution très significative. En outre, au-delà de la seule question de la langue, on sait aussi que la Francophonie constitue un espace de solidarité, un dépassement du clivage Nord-Sud. Je crois que cette vision est partagée par les autorités algériennes et je m'en réjouis. Je note également que l'Algérie a développé des liens multiples avec les opérateurs de la coopération multilatérale francophone. Je pense notamment à l'Agence universitaire de la Francophonie, à laquelle 35 universités ou instituts de recherche algériens ont adhéré. On peut également citer la Fédération internationale des Professeurs de français (FIPF) ou la Conférence internationale des Doyens des Facultés de Médecine d'Expression française (CIDMEF), et je ne suis pas exhaustif.
Q - Qu'est ce que vous pensez du fait que l'Algérie commence à s'intéresser à la Francophonie ?
R - C'est évidemment une très bonne nouvelle pour la famille francophone, qui ne serait pas au complet sans l'Algérie. Soyons clairs : le Maghreb constitue le premier espace de la francophonie, hors d'Europe. L'Algérie est au premier rang. Je suis par exemple toujours impressionné par la vitalité de la presse algérienne francophone : il y a en Algérie huit fois plus de quotidiens en français qu'au moment de l'indépendance et trois fois plus qu'à Paris. L'Algérie a, comme d'autres pays, peut-être plus que d'autres pays, le français en partage, ce français que Kateb Yacine qualifiait, joliment à mon sens, de "butin de guerre".
Q - Est-ce que vous encouragez l'Algérie à rejoindre officiellement cette organisation ?
R - C'est à chaque pays de se déterminer et nous ne voulons presser ou solliciter personne. Ceci dit, nous accueillerions très favorablement un rapprochement de l'Algérie.
Q - Que peut apporter l'Algérie à la Francophonie, et qu'est ce que la Francophonie peut apporter à l'Algérie ?
R - L'Algérie apporterait à la Francophonie sa voix, sa vision du monde, sa vision de la Méditerranée, de l'Afrique. Elle renforcerait ce groupe, qui est incomplet sans elle. Quant à la Francophonie, elle apporterait à l'Algérie une enceinte pour faire entendre sa voix, une enceinte à partir de laquelle ses positions peuvent résonner plus fort, des programmes de coopération, etc.
Q - Est ce que la France a des raisons de s'inquiéter pour sa "place" dans les pays du Maghreb, du fait de l'"invasion" américaine ?
R - Soyons clairs : le Maghreb n'est pas une chasse gardée, ni pour la France, ni pour personne d'autre. C'est la conséquence évidente et positive, je dis bien positive, de l'intégration des pays du Maghreb dans le vaste mouvement de la mondialisation. Il n'y a donc pas de "place" acquise mais des succès mérités, des échecs qui, parfois, le sont aussi. A chaque pays d'offrir ce qu'il a de meilleur en toute transparence et dans le respect de la souveraineté des pays du Maghreb. Si les règles du jeu sont claires, elles jouent au bénéfice de tous. Et je considère qu'au Maghreb et singulièrement en Algérie, la France se défend bien. Je pense ainsi au succès de la visite d'Etat du président de la République en décembre dernier, à laquelle j'ai eu l'honneur de participer. Nous avons signé avec l'Algérie des accords importants, qu'il s'agisse d'une convention de partenariat tout à fait exemplaire ou du premier accord de coopération dans le domaine du nucléaire civil conclu avec un Etat arabe. Nos entreprises remportent également des succès significatifs et, je le répète, mérités.
Q - Quel rôle peut jouer votre secrétariat d'Etat dans le projet de l'Union méditerranéenne lancé par le président Sarkozy ?
R - Nous sommes tous mobilisés pour faire réussir ce projet qui est une belle idée. Et nous sommes très sensibles à l'accueil très positif que lui ont réservé les autorités algériennes. Mon premier rôle, en tant que membre du gouvernement, est d'être à l'écoute des souhaits et des propositions de nos partenaires du Sud, car ce que nous voulons bâtir, c'est un véritable partenariat entre les deux rives de la Méditerranée et non une enceinte ou le Nord déciderait pour le Sud.
Q - La Francophonie sera-t-elle un stimulant dans le projet de l'Union méditerranéenne ?
R - Huit pays membres de la Francophonie sont méditerranéens: c'est déjà stimulant. Et l'Union pour la Méditerranée a vocation à se construire autour de projets concrets, qui associeront à chaque fois les pays qui le souhaitent. Les complémentarités et les convergences entre pays francophones trouveront naturellement leur place dans cette architecture.
Q - Etes-vous satisfait de la coopération entre l'Algérie et la France dans les différents domaines ?
R - Je pense que nous avons beaucoup progressé dans la concrétisation de ce partenariat d'exception que nos deux pays ont appelé de leurs voeux et auquel nous donnons chaque jour davantage de consistance. J'ai mentionné la convention de partenariat signée en décembre 2007 à Alger : c'est un texte très vaste, très englobant, qui nous donne les moyens de développer notre coopération dans tous les domaines considérés par nos deux pays comme prioritaires. Et nous en avons dressé la liste, au moyen d'un Document cadre de partenariat, qui nous sert de feuille de route. Notre coopération est ainsi multiforme et s'enrichit de domaines nouveaux : qu'il s'agisse du secteur clé de la formation, du développement durable, du nucléaire civil ou de la lutte contre le terrorisme. Nous sommes avec l'Algérie dans une relation où nos deux pays n'ont que des avantages à approfondir leurs échanges et leur travail en commun. Et la volonté politique est forte de part et d'autre.
Q - Est-ce que vous avez des projets en cours de réalisation ou de préparation, en rapport avec l'Algérie ?
R - Les actions communes ne manquent pas, qu'il s'agisse, en matière de formation, de l'Ecole supérieure des Affaires d'Alger, qui s'avère déjà une grande réussite, ou de nos actions en matière de formation technologique. Nous sommes d'ailleurs prêts à faire beaucoup plus pour la formation des Algériens en Algérie, si l'Algérie en a le désir et si nous tombons d'accord sur les modalités. D'une manière générale, nous souhaitons nous adresser à la jeunesse algérienne et contribuer à lui offrir les moyens de développer ses formidables potentialités.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 2008