Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étangères et européennes, avec France Info le 29 janvier 2008, sur la position de la France et de l'ONU lors du génocide rwandais de 1994 et la volonté de rétablir les relations diplomatiques entre le Rwanda et la France.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

Q - La France a commis une faute politique au Rwanda. Cette déclaration de Bernard Kouchner samedi dernier à Kigali a provoqué de nombreuses réactions en France.
Parmi elles, celle de l'ancien Premier ministre Alain Juppé.
A l'époque du génocide rwandais en 1994, le maire de Bordeaux dirigeait le Quai d'Orsay dans le gouvernement Balladur. Alain Juppé juge normal le processus de réconciliation, quatorze années après les faits mais pas au prix de la vérité historique.
"D'accord", répond Bernard Kouchner, écoutez le ministre des Affaires étrangères qui précise sa pensée :
R - Je ne visais ni Alain Juppé, ni Edouard Balladur, ni même son gouvernement. C'est moi qui ai convaincu, au nom d'Alain Juppé, Paul Kagamé qui à l'époque était dans le maquis, d'accepter l'Opération turquoise.
Je serais vraiment mal fondé de le lui reprocher. Je ne visais pas non plus les militaires, je répondais à une question : "Est-ce une faute militaire ?"
Et j'ai dit : "Non, c'est politique".
L'erreur, puisqu'il me faut préciser, vient de loin; C'est un défaut d'analyse politique depuis les années 1970 et particulièrement en 1990. Je n'ai présenté ni repentance, ni demande de pardon. Il s'agit de faire la vérité et d'établir la justice et de rétablir les relations diplomatiques avec un pays qui les a rompues.
Je pense que c'est en bonne voie mais ce n'est pas fait et il ne s'agit de rien d'autres, ni d'attaques, ni de dénonciations, mais d'un lourd climat qui datait depuis très longtemps et dans lequel je me suis trouvé mêlé, de surcroît, au moment du génocide.
C'était très long, c'était très difficile, nous ne nous comprenions pas, il y avait des interférences partout. Je pense que cela a été très dommageable mais dommageable pour qui ?
Sans doute pour notre réputation qu'il faut défendre, aussi bien la réputation militaire que politique. Je n'attaque personne. Mais surtout, quand même, cela a été dommageable pour les Tutsis dont on pense qu'ils sont 800.000 à être morts. C'est cela qu'il ne faut pas oublier. Il n'y a pas eu deux génocides, il y en a eu un fait par les Hutus sur les Tutsis.
Q - Et la faillite de l'ONU dans cette affaire ?
R - Bien sûr, j'y étais et nous appelions chaque soir, M. Kofi Annan qui dirigeait à l'époque les opérations de maintien de la paix. Nous appelions tous les soirs M. Boutros Boutros-Ghali, nous ne trouvions personne pour venir.
C'est pourquoi, j'ai non seulement accepté, - et c'est Alain Juppé qui me l'a proposé -, d'aller moi-même présenter, dans la brousse, à Paul Kagamé, la nécessité d'accueillir l'armée française.
S'il vous plaît, qu'on ne se méprenne pas, et que l'on ne me fasse de procès d'intentions. Je veux que l'on rétablisse la justice et les relations entre deux pays qui le méritent et qui ne méritent pas de voir le malentendu s'installer.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 janvier 2008