Déclaration de Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat à la solidarité, sur les violences faites aux femmes, la liberté et la dignité humaine, Paris le 25 novembre 2007.

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Circonstance : Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes à Paris le 25 novembre 2007

Texte intégral


Avant que ne s'engage cette manifestation, je voudrais d'ores et déjà remercier ceux qui se sont mobilisés aujourd'hui et ont répondu présent à ce grand rassemblement Place du Trocadéro. La plupart d'entre vous n'êtes pas connus du grand public. Mais c'est aussi à vous, les anonymes, que j'ai souhaité donner la parole. Vous qui connaissez mieux que quiconque la question des violences faites aux femmes, tout simplement pour l'avoir vécue ou pour la côtoyer tous les jours. Vous qui avez accepté de venir parler ici d'une question douloureuse, si douloureuse qu'elle en devient silencieuse, voire même parfois honteuse pour celles qui en sont victimes.
Catherine Mahéo a accepté d'animer ce rassemblement et je l'en remercie du fond du coeur : elle vous dira qui sont ceux et celles qui ont bien voulu venir témoigner aujourd'hui. Merci à vous, passants et anonymes, d'être là, autour de moi...et je pense plus particulièrement aux jeunes garçons et aux hommes qui s'associent à cette cause. Elle est en grande partie entre vos mains. Nous sommes rassemblés pour évoquer une question très grave.
Un sujet que le progrès social ne règle pas, nous le savons maintenant. Un sujet qui échappe à l'analyse parce qu'il échappe à la statistique. Un sujet que la modernité n'épuise pas : au pays des Droits de l'Homme - je veux parler de la France- 137 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint en 2007. La violence faite aux femmes remet en cause, au quotidien, silencieusement trop souvent, la cohésion de notre société, elle sape les fondements de notre modèle républicain. C'est un sujet qui nous touche tous, depuis le plus intime jusqu'à notre vision de ce que doit être le respect de la dignité humaine.
Comme ils se trompent ceux qui croient que ce combat est un combat d'arrière-garde. Ou qu'il est le fait de mouvements féministes excessifs !
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En l'absence de données statistiques internationales fiables, je vous livre ceux que nous connaissons ici en France. Et vous allez le voir, ils sont édifiants : en 2005 et 2006, 330 000 femmes déclarent vivre avec un conjoint qui a porté la main sur elle.
Et seulement 8,8 % des victimes subissant des violences intra familiales portent plainte.
En Espagne et malgré la loi globale adoptée en 2005, le gouvernement de José-Luis Zapatero admettait tout récemment que la violence conjugale n'a pas diminué. Depuis le début de l'année, 70 femmes y sont mortes sous les coups de leur conjoint ou compagnon. C'est déjà plus que l'an dernier, ce qui montre que dans ce domaine, les lois aussi nécessaires soient-elles doivent être accompagnées d'une prise de conscience.
Mesdames et messieurs, pouvez vous tenter de vous représenter ce que cela peut être à l'échelle du monde ? violences sexuelles systématiques et organisées en temps de guerre dénoncées par médecins du monde, violences intra-familiales perpétrées par le mari ou le frère, violences au travail, aussi.
Et ces violences peuvent aussi être entretenues par une forme de violence symbolique, celle de l'image dégradante humiliante que relaient tel ou tel média, notamment audiovisuel. Nous avons ici en France, décidé de travailler sur cette question dans le double respect de la liberté de création et de la dignité humaine.
Et ce sont les professionnels eux-mêmes qui nous diront où sont les pistes d'action. Je saisis l'occasion ici de remercier Madame Michèle Reiser, réalisatrice, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'avoir accepté de conduire ce travail dans notre pays.
Nous reviendrons tout à l'heure sur les racines de ce mal, sur l'action du gouvernement et sur les engagements des grandes institutions internationales sur cette question.
Je vous le disais, je souhaite maintenant donner la parole à ceux qui, associations ou particuliers ne l'ont jamais. Et leur laisser vous dire combien ces violences touchent toutes les cultures, tous les continents et laissent les mêmes traces au fond de chaque femme victime, quels que soient son âge, sa couleur de peau, sa religion, et le pays d'où elle vient.
DISCOURS DE CLOTURE
Merci infiniment à tous ceux qui ont bien voulu venir parler. Vos témoignages émeuvent, troublent et laissent perplexes.
Nous sommes en 2007, derrière moi 137 silhouettes qui représentent les femmes décédées sous les coups de leur conjoint ou compagnon..
Je comprendrais que vous vous interrogiez...
Où en sommes-nous, quelles mesures sont prises, aujourd'hui, concrètement au plan international ?
Vous ne le savez peut être pas mais il y a bien peu de temps que cette question « existe » au plan international.
Il a été nécessaire d'attendre 1999 et une initiative de la république Dominicaine pour que l'ONU adopte par une résolution en date du 17 décembre, le principe d'une journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Et c'est aux pays d'Amérique du sud que toutes les femmes du Monde doivent cette occasion annuelle d'évoquer un sujet tabou ou minimisé dans tous les pays du globe...
Devant la gravité du sujet et l'universalité de ce fléau, le secrétaire général des nations Unies a, le 24 octobre dernier, alerté l'opinion publique internationale sur les « proportions pandémiques » du phénomène. Sur ce sujet, une campagne mondiale sera lancée par l'ONU avant la fin de l'année.
Le Conseil de l'Europe s'est également emparé de la question. En ce moment même plusieurs manifestations ont lieu dans toute l'Europe. Le Président du Congrès du conseil de l'Europe a souligné hier l'atteinte à la dignité humaine que constituent ces violences. Il en appelle à chaque élu pour combattre ce fléau.
Vous le voyez, mesdames et messieurs, la mobilisation internationale est grande. Elle est indispensable. Comment prendre conscience de l'inacceptable si on n'en parle jamais ?
Mais elle ne suffit pas. Elle est essentielle mais les prises de position internationales ne suffiront pas à régler très concrètement la situation des victimes que nous venons d'entendre. C'est la raison pour laquelle, le Président de la République a souhaité engager fortement l'action de son gouvernement contre ces violences. J'ai présenté mercredi dernier le second plan de lutte contre les violences faites aux femmes.
Mon ambition est de permettre sur le terrain :
. Une réponse immédiate et sécurisante à chaque femme qui se trouve dans cette situation
. Une protection durable et un accompagnement vers l'autonomie de ces femmes
. Un dispositif de protection de la femme et des enfants
. Des actions de prévention, notamment par l'aide aux hommes auteurs de violences.
Tout cela, je l'ai annoncé et je le ferai.
Mais cela ne suffira toujours pas. Cela ne suffira toujours pas si vous tous qui êtes autour de moi, ne faites pas de cette question une affaire personnelle.
Vous les jeunes garçons, n'acceptez pas que les filles soient maltraitées, vous les hommes ne passez pas votre chemin si vous savez qu'une femme est en difficulté.
Et vous les femmes, n'autorisez pas que soit perpétré ce que peut être vous avez-vous-même subi.
Ne transmettez pas le devoir de silence à vos filles. La famille doit les protéger, pas les briser. La famille doit leur apprendre qu'elles méritent la liberté et le respect.
Pour leur donner les moyens d'avancer dignement sur le chemin de la vie.
Ne laissez jamais croire à vos enfants que vous acceptez cette situation. Même si pour les femmes concernées, parler est une épreuve.
Briser la loi du silence, c'est l'objet de cette journée.
Je suis là pour évoquer l'inacceptable. Avec au fond de moi l'espoir secret de ne plus jamais avoir à me présenter devant la silhouette de 137 femmes mortes cette année.
Pour elles, mesdames et messieurs, je vous demande de faire silence une minute.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 28 février 2008