Déclaration de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur la spoliation des biens juifs pendant la deuxième guerre mondiale et le pillage des richesses artistiques par les nazis, Jérusalem le 15 février 2008.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "A qui appartiennent ces tableaux" à Jérusalem le 15 février 2008

Texte intégral


Je suis heureuse d'inaugurer avec vous cette exposition très particulière. Particulière parce qu'au-delà de l'intérêt artistique évident des pièces qu'elle rassemble, elle remplit une mission essentielle, tout simplement un devoir de mémoire.
Ces tableaux nous renvoient au chapitre le plus sombre de notre histoire, celui des tourments de la seconde guerre mondiale. Ils nous racontent le pillage des richesses artistiques d'un pays, planifié par les nazis bien avant le début des hostilités, la traque des collections exceptionnelles des grands amateurs d'art et galeristes français, juifs pour beaucoup d'entre eux. Ce sont des dizaines de milliers d'objets d'art qui pendant près de 4 ans, sont passés de la France à l'Allemagne, parfois par trains entiers. Objets d'art le plus souvent volés, ou bien saisis via des ventes forcées. Ces actions, si elles ne sont bien sûr pas comparables aux tragédies humaines évoquées puissamment au mémorial de Yad Vachem que j'ai visité cet après-midi, témoignent aussi d'un véritable crime contre les hommes : piller et spolier des oeuvres d'art, n'est-ce pas voler une part de la mémoire et même un peu de l'âme d'une nation ?
Et ces tableaux que vous voyons aujourd'hui sont aussi le signe tangible et émouvant de l'absence. Absence d'un propriétaire à qui les restituer, mais aussi de toute une famille, de tout descendant, proche ou lointain. Ces tableaux sont comme des appels qui restent sans réponse, et c'est, je le crois, ce qui rend cette exposition si singulière.
Mais ces tableaux nous racontent également les efforts constants, et heureusement souvent fructueux, de la France pour rechercher et retrouver leurs propriétaires légitimes.
A la fin de la guerre, la France récupéra en Allemagne environ 60 000 biens culturels qu'elle rapatria sur son territoire et entama leur restitution. Avant même la fin du conflit, dès 1943, la France libre et le gouvernement provisoire du Général de Gaulle avaient affirmé clairement cette restitution comme un principe.
Ainsi, sur les 60 000 oeuvres revenues, 45 000 furent rendues à leurs propriétaires ou à leurs ayant-droits. Mais les circonstances de la guerre, les vols, les ventes forcées qui n'ont pas laissé de traces, ou encore la destruction des archives furent autant d'obstacles à l'identification de tous les propriétaires.
Parmi les 15 000 oeuvres qui n'avaient pas été réclamées, 13 000 pièces ne présentaient pas d'intérêt artistique particulier et furent vendues. Le produit de cette vente fut affecté à la réparation des dommages de guerre.
Les quelque 2000 oeuvres dont la valeur artistique était réelle furent placées sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères et confiées à la garde des musées de France. J'insiste bien sur la notion de garde. Ces oeuvres n'ont jamais été intégrées à nos collections nationales. Les musées de France ont eu pour mission de les accueillir et de les conserver jusqu'à ce que des éléments d'information nouveaux permettent leur restitution. Et quel que soit le temps que prennent les recherches. Car l'action en revendication est par nature imprescriptible.
Ces oeuvres ont été exposées au château de Compiègne de 1950 à 1954. Elles ont ensuite été réparties dans différents musées à travers tout le territoire français pour être présentées au public. Elles ont ainsi, pour reprendre l'expression de la mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France, « contribué utilement à la poursuite d'un double objectif de restitution et de pédagogie ».
Le temps a passé, les recherches se sont peu à peu essoufflées.
Il a fallu toute la hauteur de vue et la détermination du Président Jacques Chirac pour relancer en 1997, après le discours essentiel du Vél d'Hiv de 1995 - qui reconnaît la responsabilité des autorités françaises dans l'organisation de la déportation des juifs de France - l'étude sur les spoliations dont ont été victimes les Juifs de France pendant la guerre. Je veux ici rendre un hommage appuyé et ému à Jean Mattéoli, grand résistant, serviteur exigeant de l'Etat, qui nous a quittés il y a peu. Son action à la tête de la Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France fut aussi forte qu'exemplaire.
Cette mission a permis de mieux mettre en évidence les liens entre discrimination raciale et spoliations. Elle a abouti à la création de deux organismes, la Commission d'indemnisation des victimes de spoliations en 1999, et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah en 2000.
Elle a également relancé le processus de restitution par l'information systématique du public et la reprise de recherches actives sur la provenance des objets d'art. Depuis 1999, plus de 30 oeuvres, dont un Cézanne, un Picasso et un Guardi, ont ainsi été restituées grâce à ces travaux approfondis.
Cette exposition s'inscrit dans cette démarche. Elle éclaire le travail accompli par la France depuis plus de soixante ans : elle présente des oeuvres saisies par les services nazis ou acquises sur le marché parisien pendant la guerre, ainsi que des oeuvres de provenance inconnue. Elle montre aussi des tableaux spoliés et restitués à leurs propriétaires dans l'immédiat après-guerre, comme La Buveuse de Pieter de Hooch, qui a été donnée au Louvre en 1974 par la fille d'Edouard de Rothschild. Ce serait bien évidemment pour moi un grand bonheur que cette exposition permette à de nouveaux dossiers de s'ouvrir.
Je tiens à saluer le travail exceptionnel des commissaires français dont Isabelle Le Masne de Chermont présente ici ce soir à Jérusalem et israéliens, Shlomit Steinberg, qui ont dressé le dernier état de nos connaissances sur l'histoire de ces tableaux.
Cette exposition est le fruit d'une collaboration exemplaire. Je remercie chaleureusement toutes celles et tous ceux qui ont permis qu'elle se tienne à Jérusalem. Merci bien sûr à Monsieur James Snyder pour son implication dans ce projet. Notre reconnaissance va aussi à la Vice-Présidente de la Knesset, Madame Colette Avital, et au Président de la Commission de la culture et de l'éducation, Monsieur Michaël Melchior, dont je veux saluer le rôle majeur dans l'adoption de la loi sur l'insaisissabilité votée à la Knesset.
Je suis très heureuse que cette exposition rejoigne ensuite le Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme de Paris pour être présentée au public français.
Je vois dans ce dialogue fécond entre nos deux pays un fort symbole en cette année 2008 qui marque les 60 ans de la création de l'Etat d'Israël. La France s'associera bien évidemment, et avec enthousiasme, à cette célébration.
Elle le fera en France, au Salon du livre de Paris, dont Israël est le pays invité d'honneur, qui sera inauguré le 13 mars prochain par les Présidents Shimon Peres et Nicolas Sarkozy. 39 écrivains israéliens traduits en français viendront présenter leurs livres et rencontrer le public. Vous le savez, la littérature israélienne rencontre un grand succès en France, tout comme la littérature française occupe une place de choix en Israël.
Elle le fera aussi en Israël, et en musique puisque 2008 verra le lancement de « Harmoniques 60 », une grande saison de rencontres musicales classiques franco-israéliennes. Avec des événements exceptionnels, et notamment le concert des « Arts Florissants » au Festival d'Israël ou encore les soirées « à la française » du Jerusalem Symphony Orchestra.
Je souhaite que ce 60e anniversaire soit un moment de fête et d'émotion qui témoigne de l'amitié profonde entre nos deux pays.
Se souvenir, ce n'est pas s'enfermer dans le passé, c'est en tirer les leçons pour mieux construire l'avenir. C'est lutter contre tous les visages de la haine et leur opposer un front uni par des liens solides, indéfectibles, fraternels, c'est aussi raconter, témoigner, transmettre. Tel est le sens de cette exposition partagée et des projets que nous nourrissons ensemble pour l'anniversaire de votre pays.Source http://www.culture.gouv.fr, le 26 février 2008