Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à l'Assemblée générale des Nations unies sur le thème "Faire face aux changements climatiques : les Nations unies et le monde au travail", New York le 12 février 2008.

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Circonstance : Intervention de Bernard Kouchner à l'Assemblée générale des Nations unies dans le débat thématique consacré aux changements climatiques, à New York le 12 février 2008

Texte intégral

La France s'associe au discours de la présidence européenne.
Je voudrais tout d'abord saluer l'initiative du président de l'Assemblée générale des Nations unies, M. Kerim. Notre réunion d'aujourd'hui est particulièrement opportune, c'est-à-dire qu'elle porte sur le bon sujet, qu'elle se déroule au bon endroit et intervient au bon moment.
Le bon sujet, car nous savons que le changement climatique est aujourd'hui un enjeu qui nécessite la mobilisation de l'ensemble des Nations unies.
Le bon endroit, car l'Assemblée générale doit prendre ses responsabilités sur une question si lourde de conséquences en matière économique et de développement.
Le bon moment, enfin, car, après la réunion organisée par le Secrétaire général le 24 septembre, nous partageons les principaux diagnostics et connaissons les directions à emprunter. Après l'accord inespéré sur la feuille de route de Bali, le chemin qui nous mène à Copenhague est court, mais il est semé d'embûches.
Trois principes doivent donc très vite guider l'action de la communauté internationale : la responsabilité, l'équité et le pragmatisme.
La responsabilité. Grâce au travail formidable du Groupe d'experts intergouvernemental sur le Climat (GIEC), prix Nobel de la Paix, les acteurs économiques et l'opinion mondiale sont désormais conscients des enjeux. Un accord global sur le régime post 2012 est à portée de mains : c'est maintenant aux décideurs politiques du monde entier de s'engager. Comme l'a souligné le rapport Stern, le coût de l'inaction est trop élevé, nous ne pouvons pas l'imposer aux générations futures.
L'Europe connaît son devoir, elle sait ce que l'on attend d'elle et ne s'y dérobera pas. L'Union européenne met aujourd'hui en place des mesures sans équivalent, qui lui permettront de réduire de 20 % ses émissions en 2020. La France a, quant à elle, inscrit dans sa loi l'engagement de réduire ses émissions de 75 % d'ici 2050. C'est une volonté partagée par l'ensemble de la société française, consciente de l'importance de ces enjeux.
Second principe : l'équité. L'exemplarité de quelques-uns ne suffira pas ; c'est l'ensemble de la communauté internationale qui doit réagir. Les Nations unies sont le seul cadre d'une action universelle. L'ONU seule peut affirmer et réaliser le principe fondateur d'une responsabilité commune et différenciée.
Ici, les pays les moins développés peuvent se faire entendre. C'est dans cette enceinte aussi que ceux qui accèdent enfin à la croissance économique peuvent faire valoir leurs intérêts légitimes. C'est là encore que peuvent peser ceux dont l'existence même est menacée par la montée des océans, la désertification, la raréfaction des ressources naturelles, les risques sanitaires, les catastrophes naturelles - périls comme toujours à la fois universels et inégalitaires, comme toujours à la fois aveugles et tristement ciblés. Et c'est dans ce forum que peut se résorber la contradiction apparente entre développement et défis environnementaux, comme l'esquisse le dernier rapport sur le développement humain du PNUD.
Les liens entre la lutte contre la pauvreté, les impératifs de la croissance économique (notamment la sécurité énergétique) et l'indispensable combat contre le changement climatique peuvent et doivent être articulés dans une politique innovante qui contribuera, j'en suis convaincu, à la définition d'un nouveau paradigme de sécurité collective et de développement. L'ONU seule est capable de porter cette gigantesque ambition.
Ceci n'empêche pas, bien sûr, que les autres lieux de dialogue ont leur utilité, qu'il s'agisse du G8 ou du dialogue entre les grandes économies ("MEM, major economics meeting"). Mais leur rôle est d'aider à dégager un accord qui ne peut s'inscrire que dans le cadre des Nations unies.
Troisième principe, le pragmatisme. L'ampleur des enjeux et de la tâche nous interdisent de privilégier tel ou tel moyen d'action. Il n'y a pas de panacée, pas de solution unique. Les progrès, comme souvent, ne viendront qu'en tâtonnant, en essayant, en diversifiant les initiatives et les niveaux d'action.
Si nous devons recourir à des mécanismes de marche pour établir enfin un prix mondial du carbone, il faut peut-être aussi réfléchir à l'idée d'une taxe carbone. Si nous devons développer les transferts de technologie du Nord vers le Sud, il nous faudra aussi favoriser les coopérations Sud-Sud, très prometteuses. Il nous faudra surtout privilégier des accords de coopération concrets basés sur une approche sectorielle, en identifiant les projets adaptés à chaque situation locale.
Responsabilité, équité, pragmatisme : forte de ces trois principes, l'action des Nations unies peut aujourd'hui prendre une dimension nouvelle et nous permettre de faire le pas décisif que les citoyens attendent, que notre devoir nous impose. Le temps presse. La France est déterminée à répondre à cette exigence.
C'est ce que nous avons fait au niveau national, avec le grand moment de débat, de diagnostic et de proposition transversal que fut le Grenelle de l'Environnement.
C'est ce que nous ferons ici, avec vous. Comme tous nos partenaires de l'Union européenne, nous voulons que la gouvernance des questions de climat et d'environnement progresse rapidement. Attachés aux valeurs du multilatéralisme, nous soutiendrons donc toutes les initiatives qui permettront d'accroître l'efficacité de l'action des Nations unies en la matière. Nous voulons que l'"unité d'action" face au changement climatique devienne réalité. Il ne tient qu'à nous d'y parvenir. C'est le sens de ma présence ici.
Mais nous devons nous garder de disperser nos efforts. La prise de conscience nouvelle et salutaire des enjeux environnementaux entraîne une multiplication des initiatives. Elles doivent être mieux coordonnées.
Le système des Nations unies bénéficie d'ores et déjà d'irremplaçables outils d'expertise scientifique, d'observation, d'alerte et de prévention des catastrophes. Avec une meilleure coordination, nous aurons enfin un outil sans équivalent pour traiter le défi climatique dans toutes ses dimensions.
Modification des équilibres écologiques, désertification, raréfaction des ressources, déplacements de populations : le changement climatique contribue aujourd'hui à exacerber les situations de crises ou de conflits. C'est un défi global, qui impose une réponse des Nations unies. Le Conseil de sécurité, responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationale, doit se doter des outils adaptés à ces nouvelles menaces.
Soyons audacieux, soyons déterminés, soyons unis : nous n'avons pas le choix.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2008