Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Ambassadrices,
Je devrais dire Mesdames les Ambassadrices,
Messieurs les Ambassadeurs,
C'est une grande journée, pas seulement parce que c'est la journée internationale des femmes. Nous avons choisi cette journée pour parler avec les femmes et surtout pour les écouter. C'est une grande journée parce que, personnellement, et je pense qu'à la tribune on ne dira pas le contraire, nous les avons entendues. Je vous assure que ce fut un exercice que l'on vit toujours - c'est toujours comme cela avec la vérité - aux dépens de soi-même.
Ce matin et à midi il y a eu des séances parlant de ce ministère et de cette diplomatie, qui ont été des moments de vérité, des moments sans langue de bois comme, sous ses lambris dorés, sous ses plafonds travaillés, on aimerait en entendre plus.
Nous parlions de la réalité. La réalité, nous n'avons pas particulièrement à en rougir, ici au ministère des Affaires étrangères et européennes, par rapport aux autres ministères. Mais, par rapport à d'autres, nous sommes, les Français, sans doute très en retard.
Alors, pour vous faire perdre un peu plus de votre temps, je vais vous infliger quelques paroles sentencieuses, et puis nous commencerons le débat. C'est du débat que nous attendons, comme ce matin, un certain nombre d'évidences, d'éclairages et de conduites à tenir. Parce que le code de conduite, et en particulier concernant le temps de travail, qui m'a été remis ce matin par les femmes de ce ministère, c'est un élément essentiel. Nous pouvons non pas travailler six heures mais travailler six heures comme il faut en choisissant nos heures. C'est un exemple, mais comme je l'ai reçu ce matin, j'espère que nous en tiendrons compte. La directrice des Nations unies à côté de moi devra modifier son plan, mais elle, c'est une femme, alors elle se débrouillera. Les autres auront à suivre.
"Partout où l'homme a dégradé la femme, il s'est dégradé lui-même " écrivait Fourier : nous sommes ici réunis, femmes et hommes, pour un sujet qui nous concerne tous. Non seulement parce que les mauvais traitements infligés aux femmes rejaillissent sur l'humanité tout entière, mais aussi parce qu'il n'est hélas pas un pays qui échappe à la dure maxime de Fourier. Partout, l'homme dégrade la femme, partout, il se dégrade lui-même.
C'est pourquoi notre réunion d'aujourd'hui est essentielle pour le Ministère des Affaires étrangères et pour ce que nous appelons avec un peu d'arrogance parce que nous ne sommes pas les seuls mais quand même, la patrie des Droits de l'Homme. Partout dans le monde où il y a des atteintes à la dignité et à l'intégrité de la femme, il y a une responsabilité particulière de la France. Le Ministère des Affaires étrangères et européennes, lien entre la France et le monde, doit être au coeur de cette responsabilité.
Cette responsabilité s'applique d'abord à nous-mêmes : même si la France, fort heureusement, n'est pas la plus mauvaise élève en la matière, il serait grave et mensonger de se congratuler nous-mêmes. Il serait, dans cette maison, impossible même de le faire.
Cette responsabilité s'applique ensuite partout où les femmes sont menacées, martyrisées, battues, violées, enfermées, et vous verrez des exemples tout à l'heure. La France doit être aux côtés de ceux qui défendent les droits des femmes partout dans le monde. Il y en a beaucoup dans cette salle. Votre travail est fondamental et je vous remercie de nous en faire profiter.
Mais la question des droits des femmes va plus loin : parce qu'elles sont au coeur des équilibres familiaux, culturels, sanitaires et sociaux de chaque pays, et en particulier dans les pays les moins avancés, les femmes jouent un rôle central en matière de santé, de développement, d'éducation. A ce titre, leur sort nous concerne doublement : pour elles mais aussi pour l'ensemble de leurs pays, qui ne progresseront pas sans elles.
Vigies de toutes les menaces pesant sur les Droits de l'Homme, actrices incontournables du développement, défi d'égalité majeur pour notre ministère : tels sont les trois aspects du droit des femmes que je voudrais évoquer brièvement maintenant.
Les femmes, sentinelles des Droits de l'Homme
Premièrement, et je serai bref, les femmes sentinelles des Droits de l'Homme. Je sais bien que l'on pourrait dire "human rights" et puis ce serait réglé, mais nous, nous avons choisi, et ce n'est pas un hasard, de parler des Droits de l'Homme. Mais moi, je veux parler du droit des femmes.
Ayant côtoyé dans bien des sociétés et vécu dans bien des pays en crise, ayant rencontré bien des combattantes, j'en ai tiré une certitude : une société qui maltraite ses femmes est une société malade.
Nous connaissons tous ici la violence, l'insupportable cruauté des inégalités à travers le monde. Nous savons l'intarissable inventivité des hommes dès qu'il s'agit de maltraiter les femmes et de le justifier par la coutume, la religion, la guerre ou d'autres belles inventions viriles. Mais il nous faut comprendre et faire comprendre, nous aussi particulièrement, que ces inégalités sont les premiers signes d'un dysfonctionnement généralisé d'une société.
Quand 14.000 femmes meurent chaque année en Russie de violences domestiques, c'est toute une société qui est minée par la violence ; quand une saoudienne est condamnée à la flagellation pour avoir été violée, c'est tout un pays qui a perdu la notion d'humanité ; quand 130 millions de femmes africaines sont victimes de mutilations sexuelles, c'est tout un continent qui se détruit lui-même ; quand les salariées françaises gagnent 15% de moins que les hommes à travail égal, et qu'elles assument dans le même temps 80% des tâches domestiques, c'est toute une organisation sociale qui révèle son injustice.
C'est pourquoi le combat pour les droits des femmes doit être pour nous - pardonnez-moi l'expression- un étalon de notre combat pour les Droits de l'Homme - peut-être devrais-je dire les droits humains. Il ne sert à rien d'oeuvrer à la démocratie, si la moitié d'un pays en est exclue. Il ne sert à rien de proclamer la liberté, si 50 % de l'humanité en est privée. Et il ne sert peut-être à rien de faire de la politique, si c'est en oubliant les femmes : "Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?" disait le MLF quand Charles Josselin et moi défilions. Eh bien, elles avaient raison et cela doit être à peu près toujours vrai.
Je souhaite donc que le Ministère des Affaires étrangères et européennes s'engage très vigoureusement en faveur des droits des femmes. C'est pourquoi la présidence française de l'Union européenne sera pour nous l'occasion de faire des droits des femmes un thème prioritaire.
A l'occasion de la PFUE, nous comptons en effet lancer plusieurs chantiers importants :
- la définition d'orientations précises et opérationnelles qui serviront dans les enceintes internationales et sur le terrain, en mobilisant les ambassades et les délégations de l'Union européenne ;
- des initiatives au sein du système des Nations unies contre les violences à l'égard des femmes ; il y en a, renforçons-les, il n'y en a pas assez, inventons-en d'autres. Et merci, Madame, avec Mary Robinson, d'inventer cela à propos du Darfour et d'être aussi obstinée et efficace.
- une association à l'initiative de Ban Ki-moon présentée le 25 février dernier d'un plan d'action mondial sur les violences contre les femmes ;
- un forum des ONG consacré en décembre 2008 à ces questions ;
- l'adoption d'indicateurs sur le thème "les femmes et les conflits armés".
Nous organiserons également en décembre prochain un Conseil des ministres chargés de l'emploi et des affaires sociales qui se penchera sur trois sujets importants : la sécurité et la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail ; le congé parental et l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante.
L'Europe doit en effet être sur ce sujet à la pointe du combat. Par son histoire, par ses valeurs, par les progrès qu'elle a déjà accomplis, elle se trouve-là en face d'une responsabilité historique. Depuis le Traité de Rome, qui affirmait la nécessaire égalité des rémunérations, jusqu'au Traité de Lisbonne, qui renforce la lutte contre les discriminations, l'Europe a toujours montré le chemin - pas toujours nous.
L'initiative ambitieuse impulsée par Gisèle Halimi - que je salue - d'une "clause de l'Européenne la plus favorisée". Dans chacun des domaines, il y a un pays qui est en avance, et il faudrait que les autres pays rejoignent ce niveau, c'est une belle initiative, très intéressante. Elle sera difficile à mettre en oeuvre surtout si on ne l'essaie pas. Donc, nous essaierons. Je souhaite que nous explorions toutes les manières d'avancer dans ce sens.
Pour nous Français, comme pour tous les Européens, l'Europe doit être en matière de droits des femmes une exigence, une remise en cause de nos habitudes, de nos imperfections, de nos défauts. C'est aussi à cela que sert l'ouverture européenne : à progresser.
Quelles que soient les initiatives concrètes, l'Europe doit en tout cas continuer d'avancer, en étant exigeante en interne, en particulier en ce qui concerne la santé génésique et l'avortement, sujets sur lesquels nous ne parvenons pas, hélas, à une nécessaire unanimité.
Elle doit continuer également à être à la pointe du combat partout dans le monde, par exemple sur les questions des conflits armés, de la polygamie ou des inégalités civiles. Partout dans le monde, ce sont-là les principaux obstacles au développement.
Les femmes, actrices du développement.
Puisqu'il est désormais de bon ton d'en référer à Edgar Morin, je n'ai pas besoin de revenir sur le rôle d'agent secret de la modernité qui est souvent celui des femmes - mais c'est une belle phrase "agent secret de la modernité".:Chacun de vous a en tête cette formule et les réalités qu'elle recouvre.
Je voudrais simplement vous faire part de mon expérience, expérience à la fois des guerres et du développement, des systèmes de santé balbutiants et des massacres planifiés.
J'ai vu depuis quarante ans les pires horreurs que les hommes sont capables d'imaginer. Derrière chaque fusil tuant des enfants, derrière chaque machette éventrant une femme enceinte, derrière chaque micro beuglant des appels au meurtre, j'ai toujours vu des mâles, très rarement des femelles. Des petits mâles, sans doute, pleins de problèmes d'identité, de pulsions sexuelles mal canalisées ou d'egos surdimensionnés, mais des mâles exprimant leur virilité par la violence et la mort.
Et tout à l'heure, il y aura un film formidable fait par le docteur Luci qui est de Goma, dans cet extraordinaire hôpital qu'il a fondé et qui s'appelle "Doc". Il y a Pierre Foldes qui a été le premier ici à Médecins du monde à prendre en charge les conséquences de l'excision. Il vous racontera, je pense qu'il sera nécessaire de les écouter tous les deux, les difficultés qu'il a connues en France, pas seulement au Mali ou dans d'autres pays. Donc, je vous demanderai d'assister à la projection de ce film. Cela dure une demi-heure, mais je crois que c'est mieux qu'un long discours.
J'ai aussi vu fonctionner des hôpitaux, j'ai vu des familles survivre dans les pires conditions, j'ai rencontré des gens qui tentaient de bâtir la paix et la prospérité. Et vous en êtes, si on devait faire une statistique, ce sont souvent des femmes qui se battaient dans ces conditions, ce sont souvent les femmes qui savent gérer l'argent de la récolte, soigner les enfants, prévoir l'avenir et organiser la communauté, quand leurs maris ou leurs fils sont trop occupés par leur orgueil et par leurs hormones mâles.
C'est pourquoi une politique de développement efficace doit nécessairement s'appuyer sur les femmes, se faire en partenariat avec elles. Il en va de leur propre avenir comme de celui de la société tout entière. La lutte pour les droits des femmes est à la fois un objectif à part entière et un moyen d'améliorer toute action dans les domaines de la gouvernance et des progrès sociaux et économiques.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si trois des huit Objectifs du Millénaire pour le développement énoncés par l'ONU en l'an 2000 concernent les femmes
Le ministère des Affaires étrangères et européennes, pour mener une politique de développement prenant en compte la condition des femmes, s'appuie aujourd'hui sur trois instances :
- Le réseau "genre en action", réseau d'expertise créé en 2003 à l'initiative du MAE pour mettre en contact les différents acteurs français et internationaux sur ces sujets et diffuser les bonnes pratiques.
- La plate-forme "genre et développement", qui remplit un rôle consultatif pour la politique française de développement.
- La commission "genre" de Coordination sud, dont la fonction est de promouvoir la question du genre dans les ONG de solidarité internationale.
Avec ces partenaires, nous disposons des moyens de mener une vraie politique globale de développement.
Les mêmes raisonnements valent pour la santé, qui est une condition majeure du développement. Qu'il s'agisse de la lutte contre le VIH/SIDA, de la santé maternelle et infantile, de la malnutrition, de l'hygiène élémentaire ou, plus ambitieuse, de la mise en place d'une assurance maladie dans les pays en développement, et pour laquelle une deuxième conférence sera organisée début mai. Là, ce sont les expériences pratiques, les expériences réussies que nous illustrerons.
Les femmes, avenir de la diplomatie.
Si nous avons vocation à nous adresser chaque jour davantage aux femmes, nous devons évidemment être conscients des progrès qui nous restent à faire. Je le disais en commençant : il n'y a hélas pas un pays au monde qui puisse se targuer d'être irréprochable en la matière, et surtout pas le nôtre. Nous ne sommes certes pas les pires, mais nous ne sommes pas les meilleurs, et nous aurions beaucoup à apprendre de certains de nos partenaires européens, en particulier scandinaves.
C'est pourquoi nous devons, en France comme ailleurs, être particulièrement vigilants, et reprendre à notre compte quotidiennement, inlassablement, ce combat toujours inachevé pour les droits des femmes et pour l'égalité.
Je ne parlerai ici que de ce qui me concerne directement : le Ministère des Affaires étrangères et européennes.
Autant le reconnaître d'emblée, nous ne sommes pas en position de donner des leçons : 8 directrices sur 32, 8 directrices adjointes et chefs de service sur 31, 19 sous-directrices sur 83, 12 % de femmes ambassadeurs, 12 % de ministres plénipotentiaires, 22 % de conseillers des Affaires étrangères, mais 47 % de secrétaires de chancellerie et 68 % d'adjoints administratifs et techniques... La parité, ici comme souvent ailleurs, ne devient réalité que lorsque l'on s'éloigne des fonctions dirigeantes.
Il serait bien sûr facile et mensonger d'accuser uniquement la machine, et particulièrement la machine du ministère, dont je mesure à chaque promotion que les femmes y sont insuffisamment nombreuses à presque tous les niveaux et c'est cela qui ne permet pas la promotion. Si elles sont nombreuses en bas, il faut les promouvoir. Cela n'est pas fait suffisamment. C'est le fruit d'une histoire ancienne, et Rome ne s'est pas faite en un jour. Maintenant nous allons nous atteler à égaliser l'ensemble et à tous les niveaux - facile à dire ! Il serait aussi facile et mensonger d'accuser la machine.
Mais ce constat ne doit pas nous dédouaner ni nous déresponsabiliser. Il est aujourd'hui nécessaire d'aller vers l'égalité. C'est une question de justice, c'est une question politique, c'est une question aussi d'efficacité.
Les diplomates français, pas plus que les ouvriers asiatiques ou les paysans africains, ne sont à l'abri des poussées viriles déplacées que j'évoquais à l'instant. Pourquoi devrions-nous leur accorder un monopole que nous redoutons ailleurs ? Et comment ne pas comprendre que pour vanter les mérites de l'égalité à nos interlocuteurs, nous ne sommes pas un modèle, mais nous nous devons d'être exemplaires ou presque, et nous ne le sommes pas.
Disant cela, je ne prétends surtout pas que les femmes seraient plus à même de penser certaines choses, de s'intéresser au développement ou à la santé. Ce qui laisserait aux hommes les choses sérieuses : la guerre et le grand jeu, la politique.
Nous devons plutôt reconnaître l'apport indispensable de la mixité dans la construction d'une pensée et d'une action humaines cohérentes. La mixité, c'est une première ouverture à l'autre, à l'altérité, à la différence. Or, je ne crois pas que la diplomatie puisse faire l'impasse sur l'altérité.
C'est pourquoi je me félicite d'avoir réussi, timidement encore, à faire évoluer les choses depuis quelques mois. Je nous remercie, je ne m'en attribue pas le mérite. A ma place, avec les moyens qui sont les nôtres, tous ensemble, je reste, je demeure, je serai méticuleux sur les nominations, je suis intraitable sur les promotions et j'essaye de conserver toujours cette nécessaire exigence dans mes rapports avec tous les agents de ce ministère. Mais il y a aussi un comité de sélection ici. Le comité de sélection lui-même qui vous présente des noms - pour tel poste d'ambassadeur, il y a trois noms -, je ne suis pas sûr qu'il tienne compte terriblement de l'égalité nécessaire des sexes. Quand il n'y a que trois hommes à choisir, cela devient difficile ! Donc, il faut aussi se rebeller de temps en temps.
Et je me félicite donc de tenter d'y parvenir. J'en ai cité certaines, pas toutes bien sûr, mais je crois qu'il y a globalement une ouverture du Quai d'Orsay à la question de l'égalité hommes - femmes qui est indéniable. J'en veux par exemple pour preuve les invitations de "femmes d'avenir" par le CAP dans le cadre de son programme sur les personnalités d'avenir. Universitaire soudanaise, juriste sud-africaine, médecin péruvienne, elles viennent régulièrement nous faire part de leurs expériences, nous enrichir de leurs réflexions. A nous de nous montrer réceptifs. Je salue d'ailleurs Mme Noura Hamad Abdelaziz Al-Joumaih, universitaire saoudienne actuellement invitée et qui est parmi nous aujourd'hui.
Il y a bien sûr bien d'autres initiatives du même esprit qui mériteraient d'être citées ici, mais j'ai déjà été trop long. Je vous remercie. Je pense qu'il ne sera pas nécessaire pour refaire ces réunions consacrées aux femmes d'attendre l'année prochaine la Journée Internationale, je pense qu'il faut continuer toute l'année. Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 2008
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Ambassadrices,
Je devrais dire Mesdames les Ambassadrices,
Messieurs les Ambassadeurs,
C'est une grande journée, pas seulement parce que c'est la journée internationale des femmes. Nous avons choisi cette journée pour parler avec les femmes et surtout pour les écouter. C'est une grande journée parce que, personnellement, et je pense qu'à la tribune on ne dira pas le contraire, nous les avons entendues. Je vous assure que ce fut un exercice que l'on vit toujours - c'est toujours comme cela avec la vérité - aux dépens de soi-même.
Ce matin et à midi il y a eu des séances parlant de ce ministère et de cette diplomatie, qui ont été des moments de vérité, des moments sans langue de bois comme, sous ses lambris dorés, sous ses plafonds travaillés, on aimerait en entendre plus.
Nous parlions de la réalité. La réalité, nous n'avons pas particulièrement à en rougir, ici au ministère des Affaires étrangères et européennes, par rapport aux autres ministères. Mais, par rapport à d'autres, nous sommes, les Français, sans doute très en retard.
Alors, pour vous faire perdre un peu plus de votre temps, je vais vous infliger quelques paroles sentencieuses, et puis nous commencerons le débat. C'est du débat que nous attendons, comme ce matin, un certain nombre d'évidences, d'éclairages et de conduites à tenir. Parce que le code de conduite, et en particulier concernant le temps de travail, qui m'a été remis ce matin par les femmes de ce ministère, c'est un élément essentiel. Nous pouvons non pas travailler six heures mais travailler six heures comme il faut en choisissant nos heures. C'est un exemple, mais comme je l'ai reçu ce matin, j'espère que nous en tiendrons compte. La directrice des Nations unies à côté de moi devra modifier son plan, mais elle, c'est une femme, alors elle se débrouillera. Les autres auront à suivre.
"Partout où l'homme a dégradé la femme, il s'est dégradé lui-même " écrivait Fourier : nous sommes ici réunis, femmes et hommes, pour un sujet qui nous concerne tous. Non seulement parce que les mauvais traitements infligés aux femmes rejaillissent sur l'humanité tout entière, mais aussi parce qu'il n'est hélas pas un pays qui échappe à la dure maxime de Fourier. Partout, l'homme dégrade la femme, partout, il se dégrade lui-même.
C'est pourquoi notre réunion d'aujourd'hui est essentielle pour le Ministère des Affaires étrangères et pour ce que nous appelons avec un peu d'arrogance parce que nous ne sommes pas les seuls mais quand même, la patrie des Droits de l'Homme. Partout dans le monde où il y a des atteintes à la dignité et à l'intégrité de la femme, il y a une responsabilité particulière de la France. Le Ministère des Affaires étrangères et européennes, lien entre la France et le monde, doit être au coeur de cette responsabilité.
Cette responsabilité s'applique d'abord à nous-mêmes : même si la France, fort heureusement, n'est pas la plus mauvaise élève en la matière, il serait grave et mensonger de se congratuler nous-mêmes. Il serait, dans cette maison, impossible même de le faire.
Cette responsabilité s'applique ensuite partout où les femmes sont menacées, martyrisées, battues, violées, enfermées, et vous verrez des exemples tout à l'heure. La France doit être aux côtés de ceux qui défendent les droits des femmes partout dans le monde. Il y en a beaucoup dans cette salle. Votre travail est fondamental et je vous remercie de nous en faire profiter.
Mais la question des droits des femmes va plus loin : parce qu'elles sont au coeur des équilibres familiaux, culturels, sanitaires et sociaux de chaque pays, et en particulier dans les pays les moins avancés, les femmes jouent un rôle central en matière de santé, de développement, d'éducation. A ce titre, leur sort nous concerne doublement : pour elles mais aussi pour l'ensemble de leurs pays, qui ne progresseront pas sans elles.
Vigies de toutes les menaces pesant sur les Droits de l'Homme, actrices incontournables du développement, défi d'égalité majeur pour notre ministère : tels sont les trois aspects du droit des femmes que je voudrais évoquer brièvement maintenant.
Les femmes, sentinelles des Droits de l'Homme
Premièrement, et je serai bref, les femmes sentinelles des Droits de l'Homme. Je sais bien que l'on pourrait dire "human rights" et puis ce serait réglé, mais nous, nous avons choisi, et ce n'est pas un hasard, de parler des Droits de l'Homme. Mais moi, je veux parler du droit des femmes.
Ayant côtoyé dans bien des sociétés et vécu dans bien des pays en crise, ayant rencontré bien des combattantes, j'en ai tiré une certitude : une société qui maltraite ses femmes est une société malade.
Nous connaissons tous ici la violence, l'insupportable cruauté des inégalités à travers le monde. Nous savons l'intarissable inventivité des hommes dès qu'il s'agit de maltraiter les femmes et de le justifier par la coutume, la religion, la guerre ou d'autres belles inventions viriles. Mais il nous faut comprendre et faire comprendre, nous aussi particulièrement, que ces inégalités sont les premiers signes d'un dysfonctionnement généralisé d'une société.
Quand 14.000 femmes meurent chaque année en Russie de violences domestiques, c'est toute une société qui est minée par la violence ; quand une saoudienne est condamnée à la flagellation pour avoir été violée, c'est tout un pays qui a perdu la notion d'humanité ; quand 130 millions de femmes africaines sont victimes de mutilations sexuelles, c'est tout un continent qui se détruit lui-même ; quand les salariées françaises gagnent 15% de moins que les hommes à travail égal, et qu'elles assument dans le même temps 80% des tâches domestiques, c'est toute une organisation sociale qui révèle son injustice.
C'est pourquoi le combat pour les droits des femmes doit être pour nous - pardonnez-moi l'expression- un étalon de notre combat pour les Droits de l'Homme - peut-être devrais-je dire les droits humains. Il ne sert à rien d'oeuvrer à la démocratie, si la moitié d'un pays en est exclue. Il ne sert à rien de proclamer la liberté, si 50 % de l'humanité en est privée. Et il ne sert peut-être à rien de faire de la politique, si c'est en oubliant les femmes : "Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?" disait le MLF quand Charles Josselin et moi défilions. Eh bien, elles avaient raison et cela doit être à peu près toujours vrai.
Je souhaite donc que le Ministère des Affaires étrangères et européennes s'engage très vigoureusement en faveur des droits des femmes. C'est pourquoi la présidence française de l'Union européenne sera pour nous l'occasion de faire des droits des femmes un thème prioritaire.
A l'occasion de la PFUE, nous comptons en effet lancer plusieurs chantiers importants :
- la définition d'orientations précises et opérationnelles qui serviront dans les enceintes internationales et sur le terrain, en mobilisant les ambassades et les délégations de l'Union européenne ;
- des initiatives au sein du système des Nations unies contre les violences à l'égard des femmes ; il y en a, renforçons-les, il n'y en a pas assez, inventons-en d'autres. Et merci, Madame, avec Mary Robinson, d'inventer cela à propos du Darfour et d'être aussi obstinée et efficace.
- une association à l'initiative de Ban Ki-moon présentée le 25 février dernier d'un plan d'action mondial sur les violences contre les femmes ;
- un forum des ONG consacré en décembre 2008 à ces questions ;
- l'adoption d'indicateurs sur le thème "les femmes et les conflits armés".
Nous organiserons également en décembre prochain un Conseil des ministres chargés de l'emploi et des affaires sociales qui se penchera sur trois sujets importants : la sécurité et la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail ; le congé parental et l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante.
L'Europe doit en effet être sur ce sujet à la pointe du combat. Par son histoire, par ses valeurs, par les progrès qu'elle a déjà accomplis, elle se trouve-là en face d'une responsabilité historique. Depuis le Traité de Rome, qui affirmait la nécessaire égalité des rémunérations, jusqu'au Traité de Lisbonne, qui renforce la lutte contre les discriminations, l'Europe a toujours montré le chemin - pas toujours nous.
L'initiative ambitieuse impulsée par Gisèle Halimi - que je salue - d'une "clause de l'Européenne la plus favorisée". Dans chacun des domaines, il y a un pays qui est en avance, et il faudrait que les autres pays rejoignent ce niveau, c'est une belle initiative, très intéressante. Elle sera difficile à mettre en oeuvre surtout si on ne l'essaie pas. Donc, nous essaierons. Je souhaite que nous explorions toutes les manières d'avancer dans ce sens.
Pour nous Français, comme pour tous les Européens, l'Europe doit être en matière de droits des femmes une exigence, une remise en cause de nos habitudes, de nos imperfections, de nos défauts. C'est aussi à cela que sert l'ouverture européenne : à progresser.
Quelles que soient les initiatives concrètes, l'Europe doit en tout cas continuer d'avancer, en étant exigeante en interne, en particulier en ce qui concerne la santé génésique et l'avortement, sujets sur lesquels nous ne parvenons pas, hélas, à une nécessaire unanimité.
Elle doit continuer également à être à la pointe du combat partout dans le monde, par exemple sur les questions des conflits armés, de la polygamie ou des inégalités civiles. Partout dans le monde, ce sont-là les principaux obstacles au développement.
Les femmes, actrices du développement.
Puisqu'il est désormais de bon ton d'en référer à Edgar Morin, je n'ai pas besoin de revenir sur le rôle d'agent secret de la modernité qui est souvent celui des femmes - mais c'est une belle phrase "agent secret de la modernité".:Chacun de vous a en tête cette formule et les réalités qu'elle recouvre.
Je voudrais simplement vous faire part de mon expérience, expérience à la fois des guerres et du développement, des systèmes de santé balbutiants et des massacres planifiés.
J'ai vu depuis quarante ans les pires horreurs que les hommes sont capables d'imaginer. Derrière chaque fusil tuant des enfants, derrière chaque machette éventrant une femme enceinte, derrière chaque micro beuglant des appels au meurtre, j'ai toujours vu des mâles, très rarement des femelles. Des petits mâles, sans doute, pleins de problèmes d'identité, de pulsions sexuelles mal canalisées ou d'egos surdimensionnés, mais des mâles exprimant leur virilité par la violence et la mort.
Et tout à l'heure, il y aura un film formidable fait par le docteur Luci qui est de Goma, dans cet extraordinaire hôpital qu'il a fondé et qui s'appelle "Doc". Il y a Pierre Foldes qui a été le premier ici à Médecins du monde à prendre en charge les conséquences de l'excision. Il vous racontera, je pense qu'il sera nécessaire de les écouter tous les deux, les difficultés qu'il a connues en France, pas seulement au Mali ou dans d'autres pays. Donc, je vous demanderai d'assister à la projection de ce film. Cela dure une demi-heure, mais je crois que c'est mieux qu'un long discours.
J'ai aussi vu fonctionner des hôpitaux, j'ai vu des familles survivre dans les pires conditions, j'ai rencontré des gens qui tentaient de bâtir la paix et la prospérité. Et vous en êtes, si on devait faire une statistique, ce sont souvent des femmes qui se battaient dans ces conditions, ce sont souvent les femmes qui savent gérer l'argent de la récolte, soigner les enfants, prévoir l'avenir et organiser la communauté, quand leurs maris ou leurs fils sont trop occupés par leur orgueil et par leurs hormones mâles.
C'est pourquoi une politique de développement efficace doit nécessairement s'appuyer sur les femmes, se faire en partenariat avec elles. Il en va de leur propre avenir comme de celui de la société tout entière. La lutte pour les droits des femmes est à la fois un objectif à part entière et un moyen d'améliorer toute action dans les domaines de la gouvernance et des progrès sociaux et économiques.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si trois des huit Objectifs du Millénaire pour le développement énoncés par l'ONU en l'an 2000 concernent les femmes
Le ministère des Affaires étrangères et européennes, pour mener une politique de développement prenant en compte la condition des femmes, s'appuie aujourd'hui sur trois instances :
- Le réseau "genre en action", réseau d'expertise créé en 2003 à l'initiative du MAE pour mettre en contact les différents acteurs français et internationaux sur ces sujets et diffuser les bonnes pratiques.
- La plate-forme "genre et développement", qui remplit un rôle consultatif pour la politique française de développement.
- La commission "genre" de Coordination sud, dont la fonction est de promouvoir la question du genre dans les ONG de solidarité internationale.
Avec ces partenaires, nous disposons des moyens de mener une vraie politique globale de développement.
Les mêmes raisonnements valent pour la santé, qui est une condition majeure du développement. Qu'il s'agisse de la lutte contre le VIH/SIDA, de la santé maternelle et infantile, de la malnutrition, de l'hygiène élémentaire ou, plus ambitieuse, de la mise en place d'une assurance maladie dans les pays en développement, et pour laquelle une deuxième conférence sera organisée début mai. Là, ce sont les expériences pratiques, les expériences réussies que nous illustrerons.
Les femmes, avenir de la diplomatie.
Si nous avons vocation à nous adresser chaque jour davantage aux femmes, nous devons évidemment être conscients des progrès qui nous restent à faire. Je le disais en commençant : il n'y a hélas pas un pays au monde qui puisse se targuer d'être irréprochable en la matière, et surtout pas le nôtre. Nous ne sommes certes pas les pires, mais nous ne sommes pas les meilleurs, et nous aurions beaucoup à apprendre de certains de nos partenaires européens, en particulier scandinaves.
C'est pourquoi nous devons, en France comme ailleurs, être particulièrement vigilants, et reprendre à notre compte quotidiennement, inlassablement, ce combat toujours inachevé pour les droits des femmes et pour l'égalité.
Je ne parlerai ici que de ce qui me concerne directement : le Ministère des Affaires étrangères et européennes.
Autant le reconnaître d'emblée, nous ne sommes pas en position de donner des leçons : 8 directrices sur 32, 8 directrices adjointes et chefs de service sur 31, 19 sous-directrices sur 83, 12 % de femmes ambassadeurs, 12 % de ministres plénipotentiaires, 22 % de conseillers des Affaires étrangères, mais 47 % de secrétaires de chancellerie et 68 % d'adjoints administratifs et techniques... La parité, ici comme souvent ailleurs, ne devient réalité que lorsque l'on s'éloigne des fonctions dirigeantes.
Il serait bien sûr facile et mensonger d'accuser uniquement la machine, et particulièrement la machine du ministère, dont je mesure à chaque promotion que les femmes y sont insuffisamment nombreuses à presque tous les niveaux et c'est cela qui ne permet pas la promotion. Si elles sont nombreuses en bas, il faut les promouvoir. Cela n'est pas fait suffisamment. C'est le fruit d'une histoire ancienne, et Rome ne s'est pas faite en un jour. Maintenant nous allons nous atteler à égaliser l'ensemble et à tous les niveaux - facile à dire ! Il serait aussi facile et mensonger d'accuser la machine.
Mais ce constat ne doit pas nous dédouaner ni nous déresponsabiliser. Il est aujourd'hui nécessaire d'aller vers l'égalité. C'est une question de justice, c'est une question politique, c'est une question aussi d'efficacité.
Les diplomates français, pas plus que les ouvriers asiatiques ou les paysans africains, ne sont à l'abri des poussées viriles déplacées que j'évoquais à l'instant. Pourquoi devrions-nous leur accorder un monopole que nous redoutons ailleurs ? Et comment ne pas comprendre que pour vanter les mérites de l'égalité à nos interlocuteurs, nous ne sommes pas un modèle, mais nous nous devons d'être exemplaires ou presque, et nous ne le sommes pas.
Disant cela, je ne prétends surtout pas que les femmes seraient plus à même de penser certaines choses, de s'intéresser au développement ou à la santé. Ce qui laisserait aux hommes les choses sérieuses : la guerre et le grand jeu, la politique.
Nous devons plutôt reconnaître l'apport indispensable de la mixité dans la construction d'une pensée et d'une action humaines cohérentes. La mixité, c'est une première ouverture à l'autre, à l'altérité, à la différence. Or, je ne crois pas que la diplomatie puisse faire l'impasse sur l'altérité.
C'est pourquoi je me félicite d'avoir réussi, timidement encore, à faire évoluer les choses depuis quelques mois. Je nous remercie, je ne m'en attribue pas le mérite. A ma place, avec les moyens qui sont les nôtres, tous ensemble, je reste, je demeure, je serai méticuleux sur les nominations, je suis intraitable sur les promotions et j'essaye de conserver toujours cette nécessaire exigence dans mes rapports avec tous les agents de ce ministère. Mais il y a aussi un comité de sélection ici. Le comité de sélection lui-même qui vous présente des noms - pour tel poste d'ambassadeur, il y a trois noms -, je ne suis pas sûr qu'il tienne compte terriblement de l'égalité nécessaire des sexes. Quand il n'y a que trois hommes à choisir, cela devient difficile ! Donc, il faut aussi se rebeller de temps en temps.
Et je me félicite donc de tenter d'y parvenir. J'en ai cité certaines, pas toutes bien sûr, mais je crois qu'il y a globalement une ouverture du Quai d'Orsay à la question de l'égalité hommes - femmes qui est indéniable. J'en veux par exemple pour preuve les invitations de "femmes d'avenir" par le CAP dans le cadre de son programme sur les personnalités d'avenir. Universitaire soudanaise, juriste sud-africaine, médecin péruvienne, elles viennent régulièrement nous faire part de leurs expériences, nous enrichir de leurs réflexions. A nous de nous montrer réceptifs. Je salue d'ailleurs Mme Noura Hamad Abdelaziz Al-Joumaih, universitaire saoudienne actuellement invitée et qui est parmi nous aujourd'hui.
Il y a bien sûr bien d'autres initiatives du même esprit qui mériteraient d'être citées ici, mais j'ai déjà été trop long. Je vous remercie. Je pense qu'il ne sera pas nécessaire pour refaire ces réunions consacrées aux femmes d'attendre l'année prochaine la Journée Internationale, je pense qu'il faut continuer toute l'année. Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 2008