Texte intégral
A la veille de la Journée internationale de la Femme du 8 mars, je suis particulièrement heureux de recevoir ici, au Ministère de la Recherche, 25 femmes qui honorent la recherche française. Pour réfléchir ensemble aux mesures à prendre pour renforcer la représentation féminine dans les études et carrières scientifiques.
Je voudrais mentionner d'abord Nicole Le Douarin, qui a été élue secrétaire perpétuelle de l'Académie des Sciences. Ainsi que Geneviève Berger et Marion Guillou que j'ai fait nommer, il y a quelques mois, en conseil des ministres, la première à la direction générale du CNRS, la seconde à la direction générale de l'INRA.
Je veux aussi remercier les autres personnalités scientifiques qui participent à ce dîner :
Hélène ARRWEILHER, ancienne rectrice de Paris
Marina CAVAZZANA-CALVO, de l'Hôpital Necker
Monique CANTO-SPERBER, directrice de recherche au CNRS, philosophe
Françoise CYROT-LACKMANN, directrice de recherche au CNRS
Francine DEMICHEL, directrice de l'enseignement supérieur
Claire DUPAS, directrice de l'Ecole normale supérieure de Cachan
Elisabeth DUPONT-KERLAN, directrice générale de l'INRETS
Michèle GENDREAU-MASSALOUX, directrice de l'Agence universitaire de la francophonie
Elisabeth GIACOBINO, directrice du département des sciences physiques et mathématiques au CNRS
Jacqueline GODET, directrice du département des sciences de la vie, au CNRS
Françoise HERITIER, professeure au Collège de France
Claudine HERMANN, professeure à l'Ecole polytechnique
Marie-Claude MAUREL, directrice du département des sciences de l'homme et de la société au CNRS
Sylvie MOREAU, déléguée régionale de Paris au CNRS
Roxanne SILBERMAN, directrice du Lasmas Institut du Longitudinal (CNRS)
Geneviève VINEY, professeure de droit. Co-auteur du rapport sur " le Principe de précaution "
Annette WIEVIORKA, historienne
Je remercie aussi la presse de sa présence, avec : Corinne Bensimon, Ariane Chemin, Anita Hausser, Béatrice Nivois, Catherine Pégard et Michèle Stouvenot. Car sans la presse et donc sans l'opinion publique, il serait très difficile d'agir pour le changement dans un domaine qui concerne à ce point les représentations collectives.
La Journée internationale de la femme de 1975
Quand un homme intervient pour défendre les droits des femmes, il est souvent suspecté de démagogie. Puis-je cependant plaider l'argument d'antériorité ? Dès mars 1975 - il y a donc 26 ans de cela - à la "Journée internationale de la femme", organisée par Françoise Giroud, alors secrétaire d'Etat à la Condition féminine, j'avais présenté à sa demande un rapport sur "Les femmes en politique". Rapport que j'avais ensuite résumé dans un article du " Monde " du 4 mars 1975, intitulé "La politique au féminin". J'y écrivais ceci, il y a donc 26 ans: "En 1975, le pouvoir se conjugue toujours au masculin. En France et ailleurs. La société politique reste une société mâle. La place des femmes y est très modeste. Et elle se réduit toujours plus à mesure qu'on gravit les degrés du pouvoir. Une femme dans un parti, c'est une exception. Une femme au Parlement, c'est une surprise. Une femme au gouvernement, c'est une prouesse. Il faut donc passer du féminin singulier au féminin pluriel."
Vingt-cinq ans après, la loi du 6 juillet 2000 sur "l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs et fonctions électives" a, enfin, imposé la parité dans la société politique. Reste à poursuivre cet effort dans la société tout entière. Et, pour ce qui nous concerne, dans le domaine des sciences et technologies.
Le colloque du 26 octobre 2000 "Sciences et technologies : pourquoi les filles?"
Le 26 octobre 2000, le ministère de la Recherche avait organisé au CNAM un Colloque intitulé "Sciences et technologies : pourquoi les filles ?".
L'objectif de cette manifestation, c'est d'aller vers la parité dans les sciences, de faire que davantage de jeunes filles se dirigent vers les études et carrières scientifiques et technologiques, de faire aussi que davantage de femmes universitaires et de chercheuses accèdent à des fonctions de responsabilité.
En finir avec les clichés sexistes
Nous sommes tous victimes, hommes et femmes, des clichés relatifs à la distribution des rôles sociaux, féminins et masculins. Malgré les livres déjà anciens de Betty Friedan et Kate Millett, les stéréotypes persistent.
Littérature et cinéma nous présentent le plus souvent la recherche comme un métier d'homme.
Pourtant, dans la réalité, c'est aussi un métier de femme. C'est une femme, Irène Joliot-Curie, qui a été nommée en France à la tête du premier département ministériel de la Recherche par Léon Blum en 1936. De même, aujourd'hui, c'est une femme qui est directrice générale du Cnrs. C'est une femme qui préside l'Inserm. C'est une femme qui dirige l'Inra. Et c'est aussi une femme qui a été élue Secrétaire perpétuelle de l'Académie des Sciences.
Il faut donc informer, au plus tôt et à égalité, filles et garçons, des opportunités que leur offrent les métiers de la recherche. Nous devons mettre à profit l'opportunité que représentent les départs massifs à la retraite qui vont concerner les organismes comme le Cnrs, l'Inserm, l'Inra et d'autres, pour non seulement rééquilibrer la pyramide des âges mais aussi pour y rendre plus paritaire la répartition des sexes.
A ce colloque d'octobre dernier, j'ai donc proposé cinq actions concrètes pour accroître la représentation féminine dans les études et carrières scientifiques et technologiques. J'y ajoute aujourd'hui deux autres mesures. Ensemble, elles offriront sept nouvelles chances pour parvenir à un équilibre des sexes dans les sciences et technologies.
1 - Améliorer l'information des filles et leur orientation vers les études supérieures scientifiques.
Il faut effectuer dans les écoles, les collèges et les lycées un travail d'orientation de qualité, qui aille dans le sens de la politique du gouvernement pour l'égalité entre les hommes et les femmes. Cette action se situe dans la continuité de la Convention signée le 25 février 2000 par les cinq ministères concernés "pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif".
Pour que cette volonté d'égalité ne reste pas lettre morte, il faut mettre fin à un paradoxe.
Dans les lycées, les jeunes filles sont nombreuses dans les filières scientifiques. En revanche, elles sont beaucoup moins présentes ensuite dans les filières scientifiques des universités et des grandes écoles.
Les jeunes filles représentent plus de 40 % des élèves de terminale scientifique et 43 % des candidats reçus au bac S.
Alors qu'elles réussissent mieux que les garçons - ainsi, en 1998, 82 % des filles ont obtenu leur bac S contre seulement 77 % des garçons - , elles ne poursuivent pas leurs études ensuite dans l'enseignement supérieur scientifique.
En 2000, 28 ans après l'instauration de la mixité à l'Ecole Polytechnique, on ne comptait encore que 15 % de jeunes filles admises
Au lycée, les filles sont en moyenne plus jeunes que les garçons et plus nombreuses à être "à l'heure" dans chacune des sections. On constate une meilleure capacité des filles en ce qui concerne la rapidité d'acquisition des connaissances et un moindre redoublement.
Que se passe-t-il entre le lycée et le supérieur ? Il faut ensemble trouver des réponses à ce paradoxe, élaborer un diagnostic et lutter contre ce gâchis. C'est en amont, bien avant le bac, qu'il faut faire comprendre aux filles que s'offrent à elles les mêmes opportunités qu'aux garçons. Et ce travail en amont suppose une remise en cause de nos manières d'enseigner et d'orienter, tout un effort d'analyse et d'éradiction des stéréotypes que nous véhiculons malgré nous.
2 - Relancer l'Opération "1000 classes/1000 chercheurs et chercheuses"
Pour contribuer à une meilleure information et orientation des filles vers les études et carrières et scientifiques, je propose une deuxième action : relancer l'opération " 1000 classes, 1000 chercheurs ".
Celle-ci consiste à inciter les chercheurs à se rendre dans les classes d'enseignement secondaire pour y informer les élèves sur la recherche et ses carrières.
Je souhaite que ces mille chercheurs soient pour moitié des chercheuses, afin que les jeunes puissent constater, très concrètement, que les carrières scientifiques sont ouvertes aux femmes comme aux hommes.
Dans le même but, j'ai fait tirer 1000 copies du film " Femmes et sciences ", réalisé pour le colloque du 26 octobre 2000, pour qu'il soit diffusé dans les établissements scolaires et serve de support à des débats organisés le 8 mars entre élèves, chercheuses, ingénieures et techniciennes.
3 - Attribuer davantage d'allocation de recherche aux jeunes filles
Troisième action concrète : attribuer davantage d'allocations de recherche aux jeunes filles. Il importe, en effet, de mener une action plus volontariste en ce domaine. Actuellement, seulement 16,3 % des allocations de recherche en mathématiques et informatique et 20,3 % des allocations en physique et sciences pour l'ingénieur sont attribuées à des jeunes filles. Nous devons aller vers une répartition plus équilibrée de ces allocations de recherche, et j'ai appelé l'attention des groupes de formation doctorale sur cette nécessité.
4 - Assurer un meilleur équilibre des sexes dans les jurys de recrutement et les fonctions.
Il faut aussi surmonter le blocage qui affecte la carrière de femmes dans le supérieur, et leur sous-représentation au niveau directeur de recherche dans Etablissements publics à carrière scientifique et technique (EPST) ou au niveau professeur des Universités. Ce n'est qu'en garantissant une égalité de traitement dans les carrières que nous serons réellement cohérents dans notre démarche.
Ainsi, dans l'EPST, alors qu'on trouve plus de 38 % de femmes au niveau chargé de Recherche, le pourcentage tombe à 24 % au niveau directeur de Recherche DR2, et à 13 % au niveau DR1. Au Conseil National des Universités, ne siègent encore que 25 % de femmes. Et même si elles représentent 34 % des maîtres de conférences, elles ne représentent que 14 % des professeurs d'Université. Le plus inquiétant, c'est que ce pourcentage de 14 % nous place parmi les premiers en Europe.
J'ai lu, dans le rapport de Claudine Hermann à l'Etan, que pour ce qui touche à l'évaluation par nos pairs, une étude montre qu'en 1995, en Suède, une femme devait avoir publié 2,6 fois plus qu'un homme pour obtenir le même succès dans ses demandes de financement.
Nous nous efforcerons d'aller vers la parité dans les jurys, et de veiller à un meilleur équilibre en haut de la pyramide entre les hommes et les femmes. Il est par exemple très anormal qu'en sciences de la vie ou en médecine, où les femmes sont majoritaires dans le corps des chargés de recherche, on trouve si peu de directeurs de recherche de sexe féminin.
Ces chiffres nous aident à prendre conscience des inégalités et nous donnent les premiers outils pour nous aider à les réduire. Le gouvernement, en liaison avec l'Insee, travaille depuis le mois de mars 2000 à mettre au point un appareil statistique adapté à son programme de promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes. Produire des données sexuées et les rendre publiques, les analyser et faire apparaître les causes des inégalités sont des conditions nécessaires la prise de conscience que nous voulons provoquer. Disposer de données sexuées nous permettra également de fixer des objectifs de progression des filles dans les filières d'avenir. La 4ème action est donc la suivante : assurer un meilleur équilibre des sexes dans les jurys de recrutement et de promotion, aller vers une répartition plus équilibrée des sexes dans les jurys et instances chargés d'assurer le le recrutement et l'avancement des chercheurs.
5 - Favoriser la création par des femmes d'entreprises technologiques innovantes
Cinquième action : favoriser la création d'entreprises technologiques innovantes par des femmes. J'ai doté de 200 millions de francs, pour sa 2ème édition, le "Concours national d'aide à la création d'entreprises technologiques innovantes". En septembre 2000, sur les six prix spéciaux, le premier a été décerné à Madame Véronique Bienvenu, qui est en train de créer une entreprise spécialisée dans les reconnaissances géotechniques en mer profonde. Je demande au Directeur de la Technologie d'identifier et de proposer pour le 3ème concours, qui a lieu en 2001, des actions qui incitent encore davantage les femmes à déposer des projets, notamment en assurant une publicité accrue de ce concours en leur direction.
La 3ème édition de ce concours toujours doté de 200 MF a lieu actuellement. Pour succéder à Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, j'ai nommé Anne Lauvergeon présidente de la Cogema, à la présidence du jury de ce concours. J'ajoute aujourd'hui deux autres actions.
6 - L'ACI " Jeunes chercheurs et chercheuses "
L'ACI (Action concertée incitative) "Jeunes chercheurs" est destinée à sélectionner les meilleurs jeunes chercheurs et chercheuses, qui sont maîtres de conférence ou chargé(e)s de recherche depuis moins de 3 ans, à leur attribuer des crédits pour accélérer leur prise de responsabilité et leur autonomie par rapport aux équipes établies, en favorisant l'innovation scientifique et le non-conformisme. La présidence de cette ACI "Jeunes chercheurs" que je vais désormais dénommer "Jeunes chercheurs et chercheuses", revient maintenant à une femme, Thérèse de Saint-Julien, professeure à l'Institut national de géographie, qui a succédé à Michel Ladzunski à cette présidence.
Je lui demande d'accorder une attention particulière aux jeunes chercheuses, qui sont déjà nombreuses tant parmi les lauréats des deux premiers concours que parmi les candidats du troisième, qui se déroule actuellement.
7 - Créer au ministère une Unité Femmes, Science et Technologies
J'ajoute aujourd'hui une 7ème action : créer au ministère de la Recherche une "Unité Femmes, Sciences et Technologie"
Cette unité administrative servira de cellule de "veille", pour assurer le suivi de l'intégration de la dimension égalité des chances dans la politique de la recherche et éviter, par là, les discriminations négatives. Elle développera les bonnes pratiques : développer les opérations de communication en direction des filles, encourager les opérations de type "1000 classes, 1000 chercheurs et chercheuses", améliorer l'équilibre des sexes dans les jurys de recrutement et de promotion, etc..
De la science masculine à la science unisexe
Un gouvernement de progrès ne peut laisser subsister une division du savoir entre les sexes, qui contredit le principe de mixité.
Il ne peut laisser persister une répartition très inégale des sexes dans les disciplines scientifiques et technologiques, avec, en particulier, une hégémonie masculine dans les sciences "dures" (mathématiques, physique, etc) et dans les technologies.
Ensemble, agissons pour mettre en uvre concrètement cette valeur républicaine essentielle. Ensemble, faisons que la science fasse toute leur place aux femmes, pour qu'elles contribuent à dessiner le devenir du 21ème siècle. Ce siècle nouveau, qui n'a encore que 56 jours, et dont je souhaite qu'il diffère profondément des deux siècles précédents pour la place des femmes dans notre société.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 12 mars 2001)
Je voudrais mentionner d'abord Nicole Le Douarin, qui a été élue secrétaire perpétuelle de l'Académie des Sciences. Ainsi que Geneviève Berger et Marion Guillou que j'ai fait nommer, il y a quelques mois, en conseil des ministres, la première à la direction générale du CNRS, la seconde à la direction générale de l'INRA.
Je veux aussi remercier les autres personnalités scientifiques qui participent à ce dîner :
Hélène ARRWEILHER, ancienne rectrice de Paris
Marina CAVAZZANA-CALVO, de l'Hôpital Necker
Monique CANTO-SPERBER, directrice de recherche au CNRS, philosophe
Françoise CYROT-LACKMANN, directrice de recherche au CNRS
Francine DEMICHEL, directrice de l'enseignement supérieur
Claire DUPAS, directrice de l'Ecole normale supérieure de Cachan
Elisabeth DUPONT-KERLAN, directrice générale de l'INRETS
Michèle GENDREAU-MASSALOUX, directrice de l'Agence universitaire de la francophonie
Elisabeth GIACOBINO, directrice du département des sciences physiques et mathématiques au CNRS
Jacqueline GODET, directrice du département des sciences de la vie, au CNRS
Françoise HERITIER, professeure au Collège de France
Claudine HERMANN, professeure à l'Ecole polytechnique
Marie-Claude MAUREL, directrice du département des sciences de l'homme et de la société au CNRS
Sylvie MOREAU, déléguée régionale de Paris au CNRS
Roxanne SILBERMAN, directrice du Lasmas Institut du Longitudinal (CNRS)
Geneviève VINEY, professeure de droit. Co-auteur du rapport sur " le Principe de précaution "
Annette WIEVIORKA, historienne
Je remercie aussi la presse de sa présence, avec : Corinne Bensimon, Ariane Chemin, Anita Hausser, Béatrice Nivois, Catherine Pégard et Michèle Stouvenot. Car sans la presse et donc sans l'opinion publique, il serait très difficile d'agir pour le changement dans un domaine qui concerne à ce point les représentations collectives.
La Journée internationale de la femme de 1975
Quand un homme intervient pour défendre les droits des femmes, il est souvent suspecté de démagogie. Puis-je cependant plaider l'argument d'antériorité ? Dès mars 1975 - il y a donc 26 ans de cela - à la "Journée internationale de la femme", organisée par Françoise Giroud, alors secrétaire d'Etat à la Condition féminine, j'avais présenté à sa demande un rapport sur "Les femmes en politique". Rapport que j'avais ensuite résumé dans un article du " Monde " du 4 mars 1975, intitulé "La politique au féminin". J'y écrivais ceci, il y a donc 26 ans: "En 1975, le pouvoir se conjugue toujours au masculin. En France et ailleurs. La société politique reste une société mâle. La place des femmes y est très modeste. Et elle se réduit toujours plus à mesure qu'on gravit les degrés du pouvoir. Une femme dans un parti, c'est une exception. Une femme au Parlement, c'est une surprise. Une femme au gouvernement, c'est une prouesse. Il faut donc passer du féminin singulier au féminin pluriel."
Vingt-cinq ans après, la loi du 6 juillet 2000 sur "l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs et fonctions électives" a, enfin, imposé la parité dans la société politique. Reste à poursuivre cet effort dans la société tout entière. Et, pour ce qui nous concerne, dans le domaine des sciences et technologies.
Le colloque du 26 octobre 2000 "Sciences et technologies : pourquoi les filles?"
Le 26 octobre 2000, le ministère de la Recherche avait organisé au CNAM un Colloque intitulé "Sciences et technologies : pourquoi les filles ?".
L'objectif de cette manifestation, c'est d'aller vers la parité dans les sciences, de faire que davantage de jeunes filles se dirigent vers les études et carrières scientifiques et technologiques, de faire aussi que davantage de femmes universitaires et de chercheuses accèdent à des fonctions de responsabilité.
En finir avec les clichés sexistes
Nous sommes tous victimes, hommes et femmes, des clichés relatifs à la distribution des rôles sociaux, féminins et masculins. Malgré les livres déjà anciens de Betty Friedan et Kate Millett, les stéréotypes persistent.
Littérature et cinéma nous présentent le plus souvent la recherche comme un métier d'homme.
Pourtant, dans la réalité, c'est aussi un métier de femme. C'est une femme, Irène Joliot-Curie, qui a été nommée en France à la tête du premier département ministériel de la Recherche par Léon Blum en 1936. De même, aujourd'hui, c'est une femme qui est directrice générale du Cnrs. C'est une femme qui préside l'Inserm. C'est une femme qui dirige l'Inra. Et c'est aussi une femme qui a été élue Secrétaire perpétuelle de l'Académie des Sciences.
Il faut donc informer, au plus tôt et à égalité, filles et garçons, des opportunités que leur offrent les métiers de la recherche. Nous devons mettre à profit l'opportunité que représentent les départs massifs à la retraite qui vont concerner les organismes comme le Cnrs, l'Inserm, l'Inra et d'autres, pour non seulement rééquilibrer la pyramide des âges mais aussi pour y rendre plus paritaire la répartition des sexes.
A ce colloque d'octobre dernier, j'ai donc proposé cinq actions concrètes pour accroître la représentation féminine dans les études et carrières scientifiques et technologiques. J'y ajoute aujourd'hui deux autres mesures. Ensemble, elles offriront sept nouvelles chances pour parvenir à un équilibre des sexes dans les sciences et technologies.
1 - Améliorer l'information des filles et leur orientation vers les études supérieures scientifiques.
Il faut effectuer dans les écoles, les collèges et les lycées un travail d'orientation de qualité, qui aille dans le sens de la politique du gouvernement pour l'égalité entre les hommes et les femmes. Cette action se situe dans la continuité de la Convention signée le 25 février 2000 par les cinq ministères concernés "pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif".
Pour que cette volonté d'égalité ne reste pas lettre morte, il faut mettre fin à un paradoxe.
Dans les lycées, les jeunes filles sont nombreuses dans les filières scientifiques. En revanche, elles sont beaucoup moins présentes ensuite dans les filières scientifiques des universités et des grandes écoles.
Les jeunes filles représentent plus de 40 % des élèves de terminale scientifique et 43 % des candidats reçus au bac S.
Alors qu'elles réussissent mieux que les garçons - ainsi, en 1998, 82 % des filles ont obtenu leur bac S contre seulement 77 % des garçons - , elles ne poursuivent pas leurs études ensuite dans l'enseignement supérieur scientifique.
En 2000, 28 ans après l'instauration de la mixité à l'Ecole Polytechnique, on ne comptait encore que 15 % de jeunes filles admises
Au lycée, les filles sont en moyenne plus jeunes que les garçons et plus nombreuses à être "à l'heure" dans chacune des sections. On constate une meilleure capacité des filles en ce qui concerne la rapidité d'acquisition des connaissances et un moindre redoublement.
Que se passe-t-il entre le lycée et le supérieur ? Il faut ensemble trouver des réponses à ce paradoxe, élaborer un diagnostic et lutter contre ce gâchis. C'est en amont, bien avant le bac, qu'il faut faire comprendre aux filles que s'offrent à elles les mêmes opportunités qu'aux garçons. Et ce travail en amont suppose une remise en cause de nos manières d'enseigner et d'orienter, tout un effort d'analyse et d'éradiction des stéréotypes que nous véhiculons malgré nous.
2 - Relancer l'Opération "1000 classes/1000 chercheurs et chercheuses"
Pour contribuer à une meilleure information et orientation des filles vers les études et carrières et scientifiques, je propose une deuxième action : relancer l'opération " 1000 classes, 1000 chercheurs ".
Celle-ci consiste à inciter les chercheurs à se rendre dans les classes d'enseignement secondaire pour y informer les élèves sur la recherche et ses carrières.
Je souhaite que ces mille chercheurs soient pour moitié des chercheuses, afin que les jeunes puissent constater, très concrètement, que les carrières scientifiques sont ouvertes aux femmes comme aux hommes.
Dans le même but, j'ai fait tirer 1000 copies du film " Femmes et sciences ", réalisé pour le colloque du 26 octobre 2000, pour qu'il soit diffusé dans les établissements scolaires et serve de support à des débats organisés le 8 mars entre élèves, chercheuses, ingénieures et techniciennes.
3 - Attribuer davantage d'allocation de recherche aux jeunes filles
Troisième action concrète : attribuer davantage d'allocations de recherche aux jeunes filles. Il importe, en effet, de mener une action plus volontariste en ce domaine. Actuellement, seulement 16,3 % des allocations de recherche en mathématiques et informatique et 20,3 % des allocations en physique et sciences pour l'ingénieur sont attribuées à des jeunes filles. Nous devons aller vers une répartition plus équilibrée de ces allocations de recherche, et j'ai appelé l'attention des groupes de formation doctorale sur cette nécessité.
4 - Assurer un meilleur équilibre des sexes dans les jurys de recrutement et les fonctions.
Il faut aussi surmonter le blocage qui affecte la carrière de femmes dans le supérieur, et leur sous-représentation au niveau directeur de recherche dans Etablissements publics à carrière scientifique et technique (EPST) ou au niveau professeur des Universités. Ce n'est qu'en garantissant une égalité de traitement dans les carrières que nous serons réellement cohérents dans notre démarche.
Ainsi, dans l'EPST, alors qu'on trouve plus de 38 % de femmes au niveau chargé de Recherche, le pourcentage tombe à 24 % au niveau directeur de Recherche DR2, et à 13 % au niveau DR1. Au Conseil National des Universités, ne siègent encore que 25 % de femmes. Et même si elles représentent 34 % des maîtres de conférences, elles ne représentent que 14 % des professeurs d'Université. Le plus inquiétant, c'est que ce pourcentage de 14 % nous place parmi les premiers en Europe.
J'ai lu, dans le rapport de Claudine Hermann à l'Etan, que pour ce qui touche à l'évaluation par nos pairs, une étude montre qu'en 1995, en Suède, une femme devait avoir publié 2,6 fois plus qu'un homme pour obtenir le même succès dans ses demandes de financement.
Nous nous efforcerons d'aller vers la parité dans les jurys, et de veiller à un meilleur équilibre en haut de la pyramide entre les hommes et les femmes. Il est par exemple très anormal qu'en sciences de la vie ou en médecine, où les femmes sont majoritaires dans le corps des chargés de recherche, on trouve si peu de directeurs de recherche de sexe féminin.
Ces chiffres nous aident à prendre conscience des inégalités et nous donnent les premiers outils pour nous aider à les réduire. Le gouvernement, en liaison avec l'Insee, travaille depuis le mois de mars 2000 à mettre au point un appareil statistique adapté à son programme de promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes. Produire des données sexuées et les rendre publiques, les analyser et faire apparaître les causes des inégalités sont des conditions nécessaires la prise de conscience que nous voulons provoquer. Disposer de données sexuées nous permettra également de fixer des objectifs de progression des filles dans les filières d'avenir. La 4ème action est donc la suivante : assurer un meilleur équilibre des sexes dans les jurys de recrutement et de promotion, aller vers une répartition plus équilibrée des sexes dans les jurys et instances chargés d'assurer le le recrutement et l'avancement des chercheurs.
5 - Favoriser la création par des femmes d'entreprises technologiques innovantes
Cinquième action : favoriser la création d'entreprises technologiques innovantes par des femmes. J'ai doté de 200 millions de francs, pour sa 2ème édition, le "Concours national d'aide à la création d'entreprises technologiques innovantes". En septembre 2000, sur les six prix spéciaux, le premier a été décerné à Madame Véronique Bienvenu, qui est en train de créer une entreprise spécialisée dans les reconnaissances géotechniques en mer profonde. Je demande au Directeur de la Technologie d'identifier et de proposer pour le 3ème concours, qui a lieu en 2001, des actions qui incitent encore davantage les femmes à déposer des projets, notamment en assurant une publicité accrue de ce concours en leur direction.
La 3ème édition de ce concours toujours doté de 200 MF a lieu actuellement. Pour succéder à Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, j'ai nommé Anne Lauvergeon présidente de la Cogema, à la présidence du jury de ce concours. J'ajoute aujourd'hui deux autres actions.
6 - L'ACI " Jeunes chercheurs et chercheuses "
L'ACI (Action concertée incitative) "Jeunes chercheurs" est destinée à sélectionner les meilleurs jeunes chercheurs et chercheuses, qui sont maîtres de conférence ou chargé(e)s de recherche depuis moins de 3 ans, à leur attribuer des crédits pour accélérer leur prise de responsabilité et leur autonomie par rapport aux équipes établies, en favorisant l'innovation scientifique et le non-conformisme. La présidence de cette ACI "Jeunes chercheurs" que je vais désormais dénommer "Jeunes chercheurs et chercheuses", revient maintenant à une femme, Thérèse de Saint-Julien, professeure à l'Institut national de géographie, qui a succédé à Michel Ladzunski à cette présidence.
Je lui demande d'accorder une attention particulière aux jeunes chercheuses, qui sont déjà nombreuses tant parmi les lauréats des deux premiers concours que parmi les candidats du troisième, qui se déroule actuellement.
7 - Créer au ministère une Unité Femmes, Science et Technologies
J'ajoute aujourd'hui une 7ème action : créer au ministère de la Recherche une "Unité Femmes, Sciences et Technologie"
Cette unité administrative servira de cellule de "veille", pour assurer le suivi de l'intégration de la dimension égalité des chances dans la politique de la recherche et éviter, par là, les discriminations négatives. Elle développera les bonnes pratiques : développer les opérations de communication en direction des filles, encourager les opérations de type "1000 classes, 1000 chercheurs et chercheuses", améliorer l'équilibre des sexes dans les jurys de recrutement et de promotion, etc..
De la science masculine à la science unisexe
Un gouvernement de progrès ne peut laisser subsister une division du savoir entre les sexes, qui contredit le principe de mixité.
Il ne peut laisser persister une répartition très inégale des sexes dans les disciplines scientifiques et technologiques, avec, en particulier, une hégémonie masculine dans les sciences "dures" (mathématiques, physique, etc) et dans les technologies.
Ensemble, agissons pour mettre en uvre concrètement cette valeur républicaine essentielle. Ensemble, faisons que la science fasse toute leur place aux femmes, pour qu'elles contribuent à dessiner le devenir du 21ème siècle. Ce siècle nouveau, qui n'a encore que 56 jours, et dont je souhaite qu'il diffère profondément des deux siècles précédents pour la place des femmes dans notre société.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 12 mars 2001)