Texte intégral
F. Laborde.- Cette semaine, nous parlons livres. Eh bien, on continue avec C. Albanel, puisque vous allez inaugurer le Salon du livre qui s'ouvre à Paris. Ce sont des circonstances un peu particulières ce Salon du livre, puisqu'il y a un pays qui est mis à l'honneur chaque année, cette année c'est Israël, et cela a suscité des réactions contrastées ?
R.- Oui, enfin, je regrette beaucoup, je suis même assez choquée de ce boycott de certains pays. Israël donc. Chaque année, il y a en effet un pays invité par le Syndicat de l'édition. Cette année, c'est Israël. Dans le passé, on le sait bien, il y a au quand même des pays qui auraient pu susciter la polémique aussi, je ne dirai pas de noms, mais enfin, on sait bien quand même, certains pays pour les droits de l'homme, bon. Israël est une grande démocratie, elle est représentée par des écrivains, mais vraiment de premier plan, qui sont nobélisables...
Q.- Qui viennent tous les ans d'ailleurs.
R.- Qui viennent tous les ans, et qui sont tous, en plus, des artisans de paix. Il y a des gens comme D. Grossman, A. Oz, qui portent le mouvement "La paix maintenant", et dont on sait qu'ils sont à fond pour un Etat palestinien, pour le dialogue, pour l'ouverture. Ce sont des travaillistes. Enfin, bon. Donc, je crois que ce boycott n'a vraiment pas lieu d'être. Et c'est vrai que je comprends qu'il soit très mal perçu parce que, 60 ans quand même, cela remet en question, c'est vrai, d'une manière un peu indirecte, la création même au fond de l'Etat d'Israël.
Q.- C'est plus les pays d'ailleurs que les auteurs qui appellent au boycott...
R.- Oui, absolument.
Q.- Ces pays disent qu'en effet on invite Israël l'année de ses 60 ans. Mais c'est un hasard ?
R.- Cela n'a pas été non plus complètement un hasard. Je crois que l'invitation des Israéliens, justement, cette année justement d'anniversaire de la création de l'Etat d'Israël, je crois qu'il n'y avait rien là de choquant, je veux dire, à moins de contester justement l'existence même d'Israël. Et c'est pourquoi je trouve que ce boycott a une connotation vraiment extrêmement regrettable. Parce que, s'il y a bien un endroit où on peut se parler, où on peut se découvrir et dialoguer, c'est bien le Salon du livre.
Q.- Il y aura de toute façon des auteurs qui vont venir des différents pays du Maghreb et qui ne boycottent pas, qui seront présents.
R.- Bien sûr. D'abord, il y a des auteurs arabo-israéliens qui seront présents, et cela c'est évidemment très important. Et puis, bien sûr, parmi tous les auteurs, il y aura des auteurs d'origine maghrébine. Je pense au Liban, Maghreb. Je pense à T. Ben Jelloun, à d'immenses écrivains qui heureusement sont là.
Q.- Et c'est donc demain que vous l'inaugurez en présence de S. Peres. Avec S. Peres. Et le président de la République ne sera pas là ?
R.- Je crois qu'il est à l'étranger demain.
Q.- Il ne faut pas y voir un signe particulier ?
R.- Oh ! Non, non, je ne crois pas du tout.
Q.- Puisqu'on évoque le livre, on sait qu'il y a eu beaucoup de questionnement sur le rôle d'Internet...
R.- Oui.
Q.- ...On a vu que cela avait mérité de grandes réflexions sur le volet, si je puis dire, musique, chanson, etc. Que va-t-il se passer pour le livre ? Comment va-t-on, par exemple, riposter au grand projet que Google veut lancer sur la numérisation de toute la littérature mondiale ?
R.- On riposte en fait de deux façons : d'abord, en numérisant nous-mêmes, évidemment ; il va y avoir un accord qui a été passé, et qui va permettre d'avoir une offre vraiment exceptionnelle, et d'anticiper d'ailleurs sur tous les autres pays en réalité, avec un portail, qui va s'appeler "Gallica" - réalité qui s'appelle "Gallica" - qui est un petit peu dans la suite de ce qu'avait prévu J.-N. Jeanneney, et qui a ensuite s'intégrer à la plateforme européenne, qui s'appelle "Europeana", et qui permettra d'avoir accès à des livres historiques et du patrimoine. Et vraiment, on est en train de les numériser à un rythme extrêmement rapide...
Q.- Et que trouvera-t-on ? Les plus beaux fonds de la bibliothèque de.... ?
R.- On pourra trouver tous les fonds de la bibliothèque, évidemment, la BNF, la Bibliothèque Nationale. Mais vous pourrez aussi trouver des livres sous droits, parce qu'en allant sur ce portail, vous serez renvoyée sur un site dit "distributeur", vous pourrez voir un extrait, avoir des renseignements, par exemple, sur un livre, et après...
Q.- Après une option payante ou gratuite...
R.- ...Et après, effectivement, le télécharger. Et la deuxième chose, j'ai donné une mission justement à B. Péquinot, pour anticiper toute cette problématique du numérique du livre. Parce que, pour l'instant, on se dit : bon, le livre, je ne vais pas aller le lire sur un écran, enfin, ce n'est pas la première idée qui vient. Mais on oublie d'abord que cela peut arriver. Et deuxièmement, on oublie que le livre, c'est aussi toutes les sciences humaines, c'est aussi les guides, les livres de recettes, ce sont les scolaires. Et on s'interroge tout le temps sur le poids du cartable, mais, à mon avis, dans peu...
Q.- Surtout qu'on voit maintenant, et dans la presse y compris, des tout-petits écrans qui permettent, en effet, de télécharger tous les matins son journal, ou on peut imaginer cela.
R.- Voilà, exactement. On peut énormément télécharger, et on peut très bien avoir nos enfants demain qui auront dans le cartable, non pas, en effet, dix livres qui leur arrachent les épaules...
Q.- Quelle bonne nouvelle !
R.- ...mais un écran, avec leurs livres scolaires...
Q.- Et ils chargent histoire, géo, français, maths...
R.- Voilà, ils pourraient tout télécharger. Et c'est pour cela qu'on a besoin de prévoir toutes ces conséquences. Et B. Péquinot va faire justement une mission, pour, ainsi dire comment on doit peut-être apporter quelque chose dans la loi que nous préparons contre le téléchargement pour la musique et le cinéma. Comment aussi l'amender, pour que cette loi réponde aussi aux problématiques du livre.
Q.- Quand on parle de téléchargement, il s'agit parfois simplement d'avoir l'écrit, mais aussi d'avoir, j'allais dire la reproduction du papier dans ce qu'il y a de plus ancien. Parce qu'il y a des manuscrits, il y a des enluminures, il y a des choses qui sont magnifiques. Comment cela se passe-t-il ?
R.- Oui, cela, je ne crois pas que les manuscrits historiques, les enluminures du Moyen-Âge seront numérisés, parce que tout cela est quand même d'une très grande fragilité. Donc, je crains que... C'est quand même difficile.
Q.- Dommage. Bon, ce sera pour une autre fois. Alors, j'aimerais vous interroger sur un autre volet de votre activité qui nous intéresse, nous aussi, à la télévision, c'est justement l'avenir de l'audiovisuel public. On sait que la commission dirigée par J.-F. Copé auditionne un certain nombre de professionnels. Qu'attend-on des conclusions de cette commission et que savez-vous des travaux en cours ? Où en sont-ils de la réflexion ?
R.- Je sais qu'ils travaillent intensément. On sait qu'il y a plusieurs groupes de travail, dont certains, par exemple, travaillent sur le financement, évidemment. D'autres travaillent sur les contenus. Enfin, il y a plusieurs groupes. On sait qu'ils rendent compte des premières recommandations vers le 15 avril, ça va aller assez vite. Et ensuite, le rapport complet sera rendu fin mai. Ce qu'ils ont déjà dit, c'est qu'ils travaillaient à la compensation complète de ce qu'il pourrait manquer en 2008, et cela c'est l'engagement qui a été pris par tout le monde. Ils sont en train de travailler sur le modèle économique pour la suite. Le modèle économique, c'est quoi ? Cela veut dire : on réfléchit à toutes les sources de financement, et aussi à ce qui devrait être, finalement, le périmètre de la publicité demain. Est-ce qu'il y a suppression complète, ou est-ce que, par exemple, il y a suppression uniquement pour le soir, à partir de 20 heures sur le modèle allemand ? C'est une question. Evidemment...
Q.- Et là, ça change totalement la donne ?
R.- Cela change totalement la donne.
Q.- Si jamais on dit : on garde la publicité dans la journée, à Télématin...
R.- Oui, absolument, il y a beaucoup moins d'argent à trouver, voilà. Je crois que c'est très bien, parce que le dossier est absolument rouvert aujourd'hui. Il y a un travail très approfondi mené avec tous les professionnels, en liaison évidemment avec mon ministère. Et je crois que l'on avance dans de bonnes directions. En tout cas, je veux redire à tous les personnels et à France Télévisions, qui est en train de réussir en ce moment des choses magnifiques... Hier soir, Maupassant, encore le petit plus... Un moment de bonheur !
Q.- On est une télévision de service public dont on en est fiers !
R.- On est très fiers. Voilà, un moment de bonheur absolu. Vraiment, tous les besoins de France Télévisions et son avenir seront absolument assurés et pris en compte. Et je crois que les choses vont dans une très bonne direction.
Q.- On sait que TF1 et M6 s'inquiètent si on supprime la publicité, que l'on ait une sorte de décalage dans les horaires et que les soirées du service public commencent plus tôt que les soirées des chaînes privées. C'est un avantage que l'on pourrait conserver ?
R.- Je crois que c'est un avantage justement qui sera...C'est l'un des grands enjeux de la suppression de la publicité, c'est d'avoir des programmes qui commencent à 20h30 et 22h15, pour la deuxième partie de soirée. Une grande émission, je ne sais pas quoi, littéraire, sur le cinéma ou autre, à 22h15, on la voit plus volontiers que quand elle est à 01 heure
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 mars 2008