Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères à "Nin" le 11 mars 1999 et déclaration conjointe avec M. Robin Cook, ministre des affaires étrangères de Grande-Bretagne, sur la poursuite des négociations de Rambouillet sur le Kosovo et sur les entretiens du négociateur Holbrooke avec M. Milosevic à Belgrade, Abidjan le 11 mars 1999.

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Média : CBS Evening News - Nin - Presse étrangère

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC L'HEBDOMADAIRE YOUGOSLAVE "NIN"
Q - Monsieur le Ministre, comment appréciez-vous les résultats obtenus jusquà ce jour à la réunion de Rambouillet, plus spécialement à la lumière des commentaires variés apparus postérieurement dans la presse européenne et mondiale ?
R - Avant Rambouillet, il ny avait pas de perspective de solution. La situation sur le terrain était à nouveau en train de se dégrader malgré les accords conclus entre MM. Holbrooke et Milosevic en octobre dernier. La diplomatie de la navette, quoique très utile, navait pas permis daboutir à un accord. Cest pourquoi nous avons décidé, lors du Groupe de contact réuni au niveau ministériel à Londres le 29 janvier, denjoindre les parties de venir à Rambouillet. Les deux parties sont venues, elles ont négocié par médiateurs interposés, elles ont donné leur accord de principe à ce cadre politique. Au bout de deux semaines et demi de négociations, nous avons défini un cadre politique pour le règlement de la question du Kossovo. Un processus a été enclenché à Rambouillet. Processus fragile, contesté, mais qui existe. Bâtissons sur cette dynamique pour aboutir à un accord densemble, garantissant une autonomie substantielle pour le Kossovo.
Q - Ne trouvez-vous pas un peu paradoxal que tous les participants à la réunion de Rambouillet, aussi bien la délégation dEtat de la République de Serbie que toutes les autres délégations, les ministres et les membres du Groupe de contact, parlent dun succès, alors quau Kossovo la violence, le terrorisme et les meurtres se poursuivent ?
R - Pour ma part, je ne parle pas de « succès ». Je souligne que nous étions au début dun processus. Ce sera un travail de longue haleine. Personne nimagine que les tensions vont disparaître du jour au lendemain. Au début de cette semaine encore, des affrontements avaient repris, y compris à larme lourde. Mais à Rambouillet, les ministres du Groupe de contact ont adressé un signal très clair aux deux parties : nous naccepterons pas les provocations doù quelles viennent et ceux qui en sont les auteurs en seront tenus pour responsables.
Q - Si lon parle de succès, à qui ce mot se rapporte-t-il le plus ? Lequel des participants a le plus de raisons dafficher sa satisfaction ? Lequel en a le moins et par la faute de qui ?
R - Aucun. Aucune des deux parties na, à ce stade, complètement saisi la chance que représente le projet daccord présenté par le Groupe de contact. Dans le processus de Rambouillet, il ne doit y avoir ni vainqueur ni vaincu et pour cela lobjectif est la paix. Cest des deux parties que nous attendons les concessions nécessaires pour aboutir à un accord densemble.
Q - Il ne reste que quelques jours avant la poursuite des pourparlers. Est-ce que cette poursuite aura lieu ? Comment la diplomatie européenne, et plus particulièrement la France en tant que pays hôte, a-t-elle profité de cet intervalle pour contribuer à laboutissement positif de cette deuxième rencontre ?
R - Nous navons pas perdu de temps. En concertation avec nos partenaires, nous navons cessé de multiplier les contacts, de faire passer des messages aux autorités de Belgrade comme aux Kossovars. Vous savez quil y a eu de nombreuses visites à Belgrade et à Pristina : M. Fischer, président de lUnion européenne, M. Vollebaek, président de lOSCE ; MM. Hill et Petritsch, les médiateurs des Etats-Unis et de lUnion européenne ; M. Huntzinger, mon envoyé spécial pour le Kossovo ; dautres encore tout au long de cette semaine. Avec Robin Cook, qui a présidé avec moi la réunion de Rambouillet, je suis en relation constante avec chacun dentre eux. Tous ces contacts convergent vers le même but et notre message est clair : ne perdez pas la chance que vous ouvre le processus de Rambouillet ; abstenez-vous de toute provocation sur le terrain, respectez la mission de paix des observateurs de lOSCE. Je nimagine pas que lune des parties puisse prendre la lourde responsabilité de ne pas poursuivre la négociation, qui doit reprendre le 15 mars pour finaliser et mettre en oeuvre le cadre défini à Rambouillet.
Q - On connaît déjà les clauses dun accord sur le Kossovo, dont la mise en oeuvre devrait être assurée par la présence de forces de lOTAN, à linsistance particulière de la communauté internationale. Quest-ce que la présence de ces forces apporterait aux Serbes, aux Albanais, ou à lEurope et à lAmérique en général ? Quelquun ne risquerait-il pas de sy perdre ?
R - Tout accord politique suppose des garanties : cest la condition nécessaire pour que les parties fassent les concessions nécessaires en toute confiance. Cest encore plus vrai dans la situation où est aujourdhui le Kossovo, avec un climat dextrême tension et un face-à-face explosif entre les forces de sécurité serbes ou yougoslaves et les groupes paramilitaires de lUCK. Dans ce contexte, une présence internationale civile et militaire est un gage de paix et de confiance restaurée. Aux Serbes, une force militaire apportera la garantie du maintien de lintégrité territoriale et de la souveraineté de la République fédérale de Yougoslavie ainsi que du respect des droits de tous les citoyens, conformément au cadre politique agréé à Rambouillet. Pour les Albanais du Kossovo, cette présence apporterait la sécurité. Il ne sagit pas dune force doccupation et il est mensonger de la présenter comme telle : cest une force de garantie et de paix. Personne ny perdrait, bien au contraire. Cest dailleurs pour cette raison que tant de pays sont prêts à y participer.
Q - Que se passerait-il si Belgrade refusait la présence militaire de lOTAN au Kossovo et, le cas échéant, à quelle alternative peut sattendre la Serbie ?
R - La présence dune force militaire internationale est indissociable de laccord politique, dont elle constitue la garantie. Encore une fois, je le souligne, cest lintérêt des deux parties. Les autorités de Belgrade prendraient une lourde responsabilité si, en persistant dans le refus de toute force de garantie militaire, elles bloquaient en fait un accord densemble que lautre partie aurait accepté. Elles devraient alors en supporter toutes les conséquences. Jappelle les dirigeants et le peuple de la Yougoslavie à bien réfléchir et à faire le bon choix : celui dun accord politique qui transformera radicalement la perspective de vos relations avec la famille européenne. Nous, les Européens, sommes prêts à vous aider. Vous avez une occasion unique de rompre votre isolement, de trouver une issue pacifique au conflit du Kossovo et de renouer avec la communauté internationale : ne gâchez pas cette chance !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 1999)
DECLARATION CONJOINTE AVEC M. ROBIN COOK A ABIDJAN
Nous avons été informés chaque jour, en tant que co-présidents, de toutes les démarches entreprises par les uns et par les autres à Belgrade. Et, encore tout à lheure, Mme Albright nous a appelés pour nous faire part de son évaluation des résultats des entretiens de M. Holbrooke avec M. Milosevic.
Il ne reste que moins de quatre jours avant la reprise à Paris des négociations. Il doit être clair que cette conférence a pour objet de parachever sur la base du cadre établi à Rambouillet un accord complet portant sur tous les aspects de mise en oeuvre civile et militaire. Les parties doivent sy rendre pour finaliser et mettre en oeuvre les accords de Rambouillet.
La partie, ou les parties, qui ferait obstacle à la tenue et à la conclusion positive de la conférence serait tenue pour responsable. Nous sommes déterminés à en tirer alors toutes les conséquences./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 1999)