Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 20 mars 2008, sur l'opportunité d'une évolution de la loi Léonetti, sur la crise financière venue d'Amérique et sur le projet de loi de modernisation économique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

B. Duquesne On va, bien sûr, parler économie. Mais d'abord, C. Sébire est décédée hier soir, on ne connaît pas bien sûr encore les causes de cette mort. S'agit-il d'un suicide, ce qu'elle refusait ? S'est-elle faite aider de quelqu'un, ce qu'elle réclamait ? Ou est-elle morte de la suite de cette tumeur qui la ravageait depuis des années ? Que faut-il retenir déjà, passée l'émotion, de cette mort, là ?

R.- Je crois que vous avez raisons de dire "passée l'émotion", parce que c'est un moment qui est évidemment très très douloureux pour les familles, pour ceux qui l'ont entourée, ceux qui l'ont accompagnée, et puis cela réveille évidemment toutes les douleurs de ceux qui sont passés par des situations comparables, et qui ont subi la mort de proches dans des situations similaires. Donc, je crois que la sérénité est indispensable. En même temps, je crois que réexaminer la législation, le cadre dans lequel s'inscrivent ces décisions, qui sont lourdes évidemment, mais qui sont aussi bien souvent un apaisement me paraît parfaitement légitime.

Q.- Vous pensez qu'il faut le faire, qu'il faut revoir cette fameuse loi Leonetti, parce qu'il y a des dissensions au sein du Gouvernement, on sent qu'il y a débat entre les positions de M. Kouchner, Mme Morano, Mme Boutin... ?

R.- C'est une question qui est tellement profondément intime, qu'il n'est pas surprenant qu'il y des dissensions au sein d'un Gouvernement. Je crois qu'il y a des principes de fond qui engagent les individus, et je crois qu'il est bon que, dans ces conditions-là le débat puisse se mener au niveau national et par la représentation parlementaire.

Q.- L'actualité n'est pas rose non plus du côté de l'économie. Il y a cette situation financière, cette crise financière qui rôde autour de la France ; on a l'impression qu'elle tourne autour sans vraiment la toucher. Alors, va-t-on être touchés par cette crise, ou est-ce que ce qu'à fait la FED, hier, aux Etats-Unis, en diminuant massivement ses taux d'intérêt, cela va réussir à calmer le jeu ?

R.- Vous avez raison de rappeler que c'est une crise américaine. Son origine est américaine, son développement est clairement américain, et affecte surtout le domaine financier, avec des répercussion maintenant, on l'a vu, puisque mon homologue américain a reconnu qu'il y aurait des effet, un ralentissement de la croissance américaine. Mais c'est bien circonscrit sur le continent américain. De là à penser que nous n'en serons pas du tout affectés, je crois qu'il y a un pas que je ne franchirai pas. Mais je constate aujourd'hui...

Q.- Parce qu'on a un peu l'impression qu'on nous fait un peu le coup de Tchernobyl, que la crise tourne autour mais curieusement elle ne touche pas les banques françaises...

R.- Alors, un, je crois que le système bancaire, en dépit de ce qui est arrivé à la Société Générale, qui est une chose tout à fait différente et particulière, je crois que les banques françaises sont beaucoup plus solides et certainement moins affectées, même que des homologues européennes, telles que les banques allemandes ou les banques anglaise, on l'a vu cet été. Mais je crois aussi, il faut le remarquer, que l'économie française est plutôt plus solide et plus résistante, que même nos voisins européens. J'en veux pour preuve le fait que, tant le FMI que la Commission, que l'OCDE sont en train de réviser à la baisse, pour l'ensemble des pays, les prévisions de croissance, et que la France tient mieux que les autres.

Q.- Vous restez toujours avec des prévisions de croissance de l'ordre de 2 %, vous pensez toujours que c'est jouable quand les experts parlent de 1,3, 1,6, 1,8 % ?

R.- Les experts ont dit tout un tas de choses cet été aussi. La réalité, c'est qu'aujourd'hui, nous faisons retourner l'ensemble de nos modèles économiques sur la base d'éléments chiffrés qui sont un peu différents. Il faut se souvenir qu'on a bâti nos budgets que la base d'une euro à 1,35, d'un baril à 75 dollars, qu'évidemment, ces données-là ont changé fondamentalement, parce que l'environnement international a changé. Donc, on fait tourner nos modèles, et à la mi-avril on republiera les prévisionnels de croissance. Je serais surprise qu'ils soient exactement les mêmes, et je pense qu'on aura une légère baisse. Mais je note surtout que la baisse...

Q.- C'est-à-dire, vous situez la baisse à combien ?

R.- Je ne peux pas vous le dire aujourd'hui précisément. Je pense que la baisse sera nettement inférieure en tout cas à ce qui est envisagé, ce qui a été indiqué par mes homologues allemands pour l'Allemagne, anglais pour la Grande-Bretagne. Pourquoi ? Parce qu'on tient mieux...

Q.- Et donc, 1,8... ?

R.- Non, je ne vais pas me livrer au petit jeu du chiffre, mais je pense que l'économie française résiste mieux, pour tout un tas de raisons, notamment pour des mesures que nous avons prises cet été, et qui permettent la libération du travail grâce aux heures supplémentaires. On va prendre d'autres mesures, et on ne s'arrêtera pas de prendre des mesures de ce type pour que l'économie française résiste mieux que les autres.

Q.- C'est-à-dire que les schémas auxquels on a assisté aux Etats-Unis, avec les banques en difficulté, en Allemagne, où on se dit quand même que c'est solide, cela ne va pas a priori se produire en France, on ne va pas être frappés de la même façon, nous ?

R.- Je ne le crois pas, à condition que les Américains, évidemment, continuent à mettre en place des garde-fous, et continuent à véritablement régler un certain nombre de problèmes de fond de la finance américaine. Et cela, clairement, tous les Européens ensemble, et nous, les Français en tête, nous le leur demandons. Ils ont commencé à prendre un certain nombre de mesures, et nous allons continuer à peser pour qu'ils les prennent. Cela concerne, la transparence, la gouvernance, un meilleur système d'évaluation des valeurs, et puis un certain nombre de mesures d'ordre comptable qui me paraissent indispensables.

Q.- Alors, vous êtes maintenue, après ce remaniement dans vos fonctions de ministre de l'Economie, épaulée par de nouveaux secrétaires d'Etat. C'est une façon d'être épaulée ou c'est une façon, dirais-je, de vous manger un peu la laine sur le dos, et de vous priver de certaines de vos responsabilités ? Comment faut-il le dire ça ? Vous êtes confortée ou vous êtes sous surveillance ?

R.- A la limite, cela m'importe peu. Ce qui me réjouit fondamentalement, étant toujours en charge de l'Economie, des Finances, de l'Industrie et de l'Emploi, ce qui me réjouit infiniment, c'est d'avoir autour de moi quatre talents d'exception : A.-M. Idrac, ancienne responsable de la RATP, de la SNCF, avec un passé de femme d'entreprise et de femme politique ; H. Novelli, un homme d'entreprise, qui va se concentrer sur ces secteurs fondamentaux comme les PME, comme le Tourisme, comme les Services ; L. Chatel, dont vous avez beaucoup parlé déjà, et qui va, lui, se consacrer à l'Industrie, si importante, en même temps qu'à ses questions de consommation et de concurrence....

Q.- Donc, vous dites "une nouvelle équipe, et je suis la patronne d'une nouvelle équipe" ?

R.-... Et puis, L. Wauquiez, qui va apporter tout son talent à l'Emploi. Je suis très contente, parce que c'est une équipe de talents parce que j'ai toujours dans ma vie pour habitude d'organiser des équipes de talent, y compris avec de gros ego, et que mon travail à moi aujourd'hui, c'est d'éviter qu'il y ait des hématomes, et qu'on soit tous au service d'une belle mission avec de grands projets.

Q.- Belle équipe face à un gros boulot aussi, parce que le moral des Français n'est pas au meilleur ; les gens s'inquiètent, ils se disent "et la croissance" ; il se disent "et mon pouvoir d'achat". Donc, comment est-ce qu'on rétablit tout ça ? On a dit qu'on maintenait le chemin des réformes. Il y a une loi de modernisation économique, vous travaillez dessus aujourd'hui, je crois, avec M. Fillon. Que va- t-elle changer cette loi ? Et en quoi va-t-elle nous redonner du pouvoir d'achat éventuellement ?

R.- Alors, la loi de modernisation de l'économie va être centrée sur deux grands principes : un, aider les entrepreneurs, les encourager, faire en sorte que tous ces Français qui ont envie de créer des entreprises, qui les ont créées, qui souhaitent les développer puissent le faire facilement sans être écrasés par des contrôles, par une fiscalité qui anticipe même la création de valeurs et de chiffres d'affaire, c'est un exemple que je vous donne. Le deuxième grand pilier va être celui qui va encourager la concurrence, et qui va permettre notamment à un certain nombre de grandes surfaces de distribution, de s'implanter de manière beaucoup libre en France, en même temps qu'on permettra la négociabilité des conditions générales de vente. Donc, ça, ce sont des mesures de libération de la concurrence pour peser sur les prix et permettre de dégager du pouvoir d'achat pour les Français. Il y a toute une série d'autres mesures qui relèveront d'un texte sur l'intéressement et la participation pour, là aussi, libérer du pouvoir d'achat.

Q.- Mais dans le contexte qu'on a décrit tout à l'heure, c'est-à-dire avec effectivement, un euro qui n'est plus le même, avec un pétrole qui n'en finit pas de s'envoler, même s'il redescend un petit peu ce matin, est-ce que tous ces beaux plans ne vont pas s'effondrer face à une réalité économique mondiale, qui, elle, est beaucoup plus sombre ?

R.- Je ne crois pas. Un exemple. 2007, la France n'a jamais autant créé d'entreprises ; 2007, la France n'a jamais aussi bas en chômage que depuis 1983. On a donc une économie qui tourne un peu moins vite en ce moment, mais qui est très fortement créatrice d'emplois. Et je crois que ça, c'est véritablement un positif, parce que, un emploi c'est une salaire, un salaire, c'est du pouvoir d'achat, et que le vrai combat fondamental, c'est celui qui consiste à lutter contre le chômage. Ce combat-là, on est en train de le gagner, et j'espère que nous mettrons tout en oeuvre pour continuer à le gagner, et pour permettre que ces emplois gagnent eux aussi en valeur ajoutée.

Q.- Deux petites questions sur la BNP. Paribas qui, ce matin, dit qu'elle ne se lance pas vers un rapprochement vis-à-vis de la Société Générale, trouve l'opération "trop risquée" après ce qui s'est passé à la Société Générale. Ça veut dire que cette banque est en danger ?

R.- Non, pas du tout, et ça veut dire en tout cas qu'on aura deux grands opérateurs en France, en plus des autres, Crédit Agricole et autres. Mais cela me paraît très favorable à la concurrence, importante dans ce secteur d'activité.

Q.- Entre les banques...Et deuxième et dernière question : G. Pépy a 130 millions de dividendes à vous remettre. Qu'allez-vous faire de cet argent-là ?

R.- D'abord, je le remercie pour la bonne gestion à laquelle il était associé au côté d'A.-M. Idrac jusqu'à ce qu'il prenne la présidence de l'institution. Donc, je suis très heureuse que la SNCF paye un dividende à l'Etat. Et nous allons sans aucun doute le consacrer à de bonnes causes, je pense à un certain nombre de questions concernant les transports, concernant des énergies alternatives, concernant le Grenelle de l'environnement qui a besoin de financements, au service de M. Borloo.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 mars 2008