Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RMC Info le 19 mars 2008, sur la situation en Irak et l'accueil des réfugiés irakiens en France, la répression au Tibet et l'éventualité d'un boycott des jeux olympiques de Pékin, l'indépendance du Kosovo, le sort des otages en Colombie, notamment d'Ingrid Betancourt, la loi sur l'euthanasie, le remaniement ministériel et l'affaire de l'Arche de Zoé.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- B. Kouchner bonjour. Merci d'être avec nous. Alors, on va parler de l'Irak, on va parler du Népal, on va parler du Kosovo. Mais je voudrais commencer avec l'Irak. On va faire le bilan. Vous le connaissez. Ensemble, on va le rappeler aux téléspectateurs de BFM TV, aux auditeurs de RMC. Cinq ans de guerre, près de 4.000 soldats américains tués. Combien de civils irakiens tués ? On ne sait pas : 80.000, 100.000, 200.000. Des millions d'Irakiens réfugiés en Irak, en Syrie, en Jordanie, au point même de déstabiliser ces pays, des réfugiés rejetés par les populations bien souvent ; 40 % d'Irakiens au chômage, des quartiers de Bagdad sans eau ni électricité, une guerre qui a déjà coûté 500 milliards de dollars aux Américains et qui pourrait coûter encore beaucoup plus. Et la violence, attentats, des morts. La violence qui est presque quotidienne. B. Kouchner regrettez-vous d'avoir approuvé l'invasion de l'Irak ?

R.- Je n'ai pas approuvé cette manière d'invasion. Ce que j'ai approuvé, c'est la nécessité par les moyens de l'ONU, comme on venait de le faire au Kosovo, de séparer le bon grain de l'ivraie, c'était de le séparer, S. Hussein le dictateur, du peuple irakien qu'il assassinait. Cela n'a rien à voir. J'ai dit : "non à la guerre, non à Saddam". C'est tout à fait différent. J'ai proposé...

Q.- Vous avez approuvé l'intervention américaine quand même !

R.- Non. J'ai approuvé - relisez l'article, tout le monde dit cela ; c'est quand même embêtant, l'histoire est sans mémoire - première page du Monde, j'ai dit au contraire que c'est par les moyens de l'ONU, avec le consentement international, par le multilatéralisme qu'il fallait se débarrasser. Cela pouvait prendre plus de temps. Alors ce n'est pas du tout cela. Mais en réalité, ce qui est triste et sinistre : triste bilan, c'est ce que vous venez de faire. Où en sommes nous ? Et puis moi, il y a une image qui me frappe terriblement depuis quelques semaines, c'est l'image de Monsieur Ahmadinejad à Bagdad, c'est-à-dire protégé par les troupes américaines. C'est quand même un échec extraordinaire. Je sais que les Américains s'en rendent compte, bien entendu. Et la situation, on doit le dire, s'améliore un peu sur le plan des attentats.

Q.- Enfin, sauf sur les dernières semaines !

R.- Oui, ces dernières semaines non !

Q.- Sept irakiens sur dix demandent le départ des troupes américaines. Est-ce que les troupes doivent partir ?

R.- Sûrement, elles doivent partir. Quand ? Je n'en sais rien. Cela dépend du calendrier...

Q.- Est-ce qu'on doit fixer un calendrier de retrait ?

R.- Ce n'est pas à moi de le dire, mais je pense que oui. Mais c'est aux troupes américaines et surtout aux Irakiens. Ce que les américains ont fait de bien, depuis quelques mois, c'est de confier les responsabilités, y compris les responsabilités de sécurité aux Irakiens. Alors là, il y a une réunion de réconciliation menée par le Gouvernement irakien, mais les Sunnites n'y sont pas. Réconciliation entre chiites, ce serait déjà pas mal d'ailleurs. Et je crois qu'il faut continuer comme cela, c'est-à-dire donner...

Q.- Principale milice chiite qui est contrôlé par l'Iran, il faut quand même ne pas l'oublier !

R.- Monsieur Bourdin, dans la région, beaucoup de choses sont contrôlées par l'Iran. Je pense plus loin : je pense à la Syrie, je pense au Liban. Oui, l'Iran est un, j'allais dire partenaire, il faudrait qu'il soit un partenaire central. Il faut absolument que nous parlions avec l'Iran. En même temps, vous savez qu'il y a eu un grand succès de l'ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité - les Chinois, les Russes, les Américains, les Anglais, les Français plus les Allemands - avec une troisième résolution aux Nations Unies, qui est à l'unanimité moins l'Indonésie d'ailleurs, qui s'est abstenue disant : sanctions contre l'Iran mais dialogue avec les l'Iran. C'était la position française depuis longtemps : dialogue nécessaire avec l'Iran.

Q.- Vous allez vous rendre en Irak prochainement, je crois savoir.

R.- Oui, parce que nous avons ouvert un consulat dans le Nord et nous souhaitons en ouvrir un autre dans la région Sud, à Bassora. Et je vais en effet inaugurer ce consulat, retourner à Bagdad et écouter nos amis irakiens.

Q.- En 2007 B. Kouchner l'Union européenne a accueilli plusieurs milliers de réfugiés irakiens ; la France, cent. La France qui devrait bientôt accueillir des réfugiés irakiens chrétiens. Vous confirmez ?

R.- Ah oui, oui, oui, je confirme, j'appelle.

Q.- Pourquoi que des chrétiens et pas des musulmans ou d'autres, des laïques ?

R.- Non, c'est parce qu'ils sont plus menacés que les autres.

Q.- Vous avez également des musulmans qui sont menacés là-bas !

R.- Si bien sûr, mais nous ne refusons pas d'accueillir des musulmans. Le problème c'est que personne n'accueillait les chrétiens et qu'il y a une communauté chaldéenne à Paris. Ce sont les chrétiens chaldéens qui sont là depuis le premier siècle après Jésus-Christ, qui parlent souvent français, qui étaient 1.2 million et qui maintenant ne sont plus que 400.000. Ils sont réfugiés dans le Nord où nous avons ouvert notre consulat.

Q.- A Mossoul.

R.- Oui, et ils sont réfugiés également en Jordanie. Donc, nous allons, je l'espère en accueillir près de 500 dans les semaines qui viennent et on verra après.

Q.- 500 chrétiens.

R.- Mais encore une fois, ce n'est pas un critère décisif. Des réfugiés irakiens, sûrement. Vous savez qu'il y en a des millions. Et d'ailleurs, au passage, j'ai effleuré la Syrie. La Syrie accueille très bien, et heureusement qu'elle est là, d'une certaine façon, des centaines de milliers de réfugiés irakiens.

Q.- Oui, au risque quand même de déstabiliser ces pays ! La Syrie et la Jordanie.

R.- Comme d'habitude !

Q.- La Chine maintenant. Au-delà du Tibet, c'est la dictature chinoise qui est en cause. Pourquoi ? Parce que, vous le savez, des journalistes sont censurés, les internautes sont censurés, parce que 8.000 à 10.000 Chinois sont exécutés chaque année. Alors, question que tout le monde a posée : faut-il boycotter les Jeux Olympiques de Pékin ?

R.- Je ne le crois pas. En tout cas, ce n'est pas la position de la France. Ce n'est la position de personne d'ailleurs. Même pas du Dalaï-lama. Ce serait inutile. Moi je crois à l'ouverture, parce que dictature dites-vous, je vous laisse ce mot. Il y a 10 ans, il y 20 ans, là vraiment c'était terrible. Les choses ont évolué parce que les portes ont été ouvertes. Je crois à la circulation des idées, aux militants, bien sûr. Première chose pour le Tibet : il faut que les journalistes puissent s'y rendre. Il faut que l'information circule.

Q.- Il y a des députés qui le demandent.

R.- Ils ont raison de demander.

Q.- L. Luca et tout le groupe Tibet à l'Assemblée nationale demandent à se rendre à Lhassa.

R.- Si je peux les aider, je les aiderai.

Q.- Vous allez les aider ?

R.- Mais comment voulez-vous que je les aide si les Chinois refusent ? Bien sûr, nous allons, avec l'Ambassadeur, ici et peut-être même à Pékin, demander que nos ressortissants puissent s'y rendre. Le problème, c'est que ça ne dépend pas de nous. Il faut d'abord, je le répète, que l'information circule, mais pas seulement vis-à-vis des députés français ou la France, vis-à-vis des Chinois qui ne savent pas ce qui se passe. Ce serait l'exigence et je pense que, quand même, cette exigence peut être présentée de façon suffisamment objective pour que nos amis Chinois le comprennent.

Q.- Comment faire ? Reporters Sans Frontières propose un boycott par les chefs d'Etat et de Gouvernement de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, c'est une bonne idée ?

R.- Ce n'est pas une mauvaise idée. Pourquoi ? Parce que Reporters Sans Frontières se rend compte, et l'explique d'ailleurs très bien, que les Jeux Olympiques auront lieu. Alors tout le reste, l'évolution de la situation...

Q.- Demander aux chefs d'Etat et de gouvernement du monde entier de ne pas se rendre à la cérémonie ?

R.- Cela paraît irréaliste. Et pourtant nous verrons.

Q.- Et pourtant, c'est une bonne idée ou une mauvaise idée ?

R.- Il y a des tas de bonnes idées qui ne sont pas applicables.

Q.- Ce n'est pas applicable ?

R.- Je n'en sais rien. Ce qui est certain, c'est que la situation doit évoluer vers la paix. Il faut que ces manifestations cessent et, surtout, la répression de ces manifestations.

Q.- Alors comment faire ?

R.- Par des pressions, comme d'habitude, qui sont des pressions diplomatiques, politiques, économiques, etc. Mais il se trouve, arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt, il se trouve que, en économie, nous dépendons beaucoup plus de la Chine qu'ils dépendent de nous. Evidemment, c'est vrai dans les deux sens. Mais c'est un partenaire essentiel pour à peu près tous les pays du monde, de l'Afrique à Washington, évidemment pour l'Europe. Donc, il ne peut qu'y avoir, à mon avis et je l'ai dit trois fois déjà, une position européenne. Peut-on en parler ? Nous en avons parlé fugitivement vendredi dernier...

Q.- Est-ce qu'il va y avoir une initiative européenne ? Vous le souhaitez ?

R.- Attendez, pour une initiative européenne, il faut que les 27 pays soient d'accord, alors mettons-les d'accord. La semaine prochaine, nous en parlerons. Nous verrons bien. En tout cas, j'en parlerai. La France proposera...

Q.- Qu'est-ce que vous allez dire ?

R.- Cela dépendra de l'évolution. Ou, ce que j'espère, ça se sera calmé et il n'y aura plus de morts dans les rues de Lhassa et au-delà d'ailleurs du Tibet, dans d'autres villes. Je pense qu'il faudra prendre une initiative politique et sinon, il faudrait être plus exigeant. Je ne souhaite pas que nous ayons à être plus exigeants car, honnêtement, c'est très joli de parler des Droits de l'homme, j'en ai parlé toute ma vie et je continue d'en parler, mais il faut voir qu'il y a deux faces à la médaille : quand on fait de la politique extérieure avec des pays aussi importants que la Chine, évidemment, quand on prend des décisions économiques, c'est parfois aux dépends des Droits de l'homme, c'est le réalisme élémentaire. Qu'est-ce qu'on doit faire ? Cesser nos relations économiques avec la Chine, c'est sérieux ça ? Est-ce que ce sera sérieux pour un pays ? Ce sera sérieux pour personne. D'abord, il faut penser aussi aux sportifs. D'abord, nous avons pensé aux victimes, bien entendu. Il faut que ça cesse, que les violences cessent. Mais les sportifs se sont préparés. Pourquoi les pénaliser, eux ? Je crois ça aussi très irréaliste. Mais surtout l'opinion publique, j'y tiens beaucoup. Si on parle aux Chinois de bonnes manières, si on pouvait parler aux Iraniens de bonnes manières.

Q.- Ou aux Irakiens ?

R.- Aux Irakiens on peut plus parler. Ça c'est peut-être un peu plus difficile. Aux Irakiens aussi. Nos positions de l'extérieur, les positions d'hostilité sont toujours très mal interprétées. Moi je crois à l'ouverture, je crois au contact, je crois aux militants. Je suis très attentif à ce que disent les militants des Droits de l'homme.

Q.- Les sportifs pourraient manifester d'une manière ou d'une autre, ceux qui participent aux Jeux ?

R.- Ça s'est déjà fait et on en a parlé.

Q.- En 1968, à Mexico.

R.- Oui, mais ce qui s'est fait aussi, vous vous en souvenez, c'est qu'en 1980, nous avons tous voulu boycotter les Jeux de Moscou, y compris la Chine. La Chine était du coté du boycott. Qu'est-ce que ça a donné ? Pas grand-chose, n'est-ce pas ? C'était l'invasion de l'Afghanistan, l'Afghanistan a été envahi et la guerre s'est prolongée. Alors, il faut être plus réaliste. Je crois qu'il faut parler positivement, avec une chance d'être entendu. L'hostilité face aux Chinois, face à nos amis Chinois - je suis désolé, non je ne suis pas désolé, ce sont nos amis Chinois - au gouvernement chinois, ne sera pas payante. Inventons autre chose mais soyons attentifs à toutes les réclamations des militants des Droits de l'homme.

Q.- Franchement, nous sommes assez impuissants.

R.- Non, non, je ne le pense pas. Je pense qu'en effet les Chinois sont attentifs à ce que les Jeux de Pékin se déroulent bien et je pense qu'ils écouteront plus facilement, en tout cas je le souhaite ardemment et je voudrais, je voudrais, je souhaite, je veux, que les Tibétains cessent d'être poursuivis dans les rues de Lhassa comme ils le sont. Et puis que le Dalaï-lama, qui est un homme de paix - on ne peut pas faire plus pacifique que le Dalaï-lama - soit écouté, non pas comme un individu semeur de troubles, mais comme le représentant authentique de son peuple.

[8h50 : 2ème partie]

Q.- On va parler du Kosovo. J'ai un auditeur, Etienne, qui a écrit sur mon blog ce petit mot, qui vous est adressé : "Comment peut-on soutenir à coup de millions d'euros, et en risquant la vie de nos soldats, la pseudo indépendance de Kosovars albanais musulmans, et interdire l'indépendance de Serbes chrétiens et orthodoxes de Bosnie ? Imposer à un Etat multiethnique les communautés qui n'en veulent pas - d'un côté la Bosnie - et de l'autre, encourager l'indépendance des Albanais du Kosovo ? Ce sont des finesses de votre politique qui m'échappent".

R.- En effet, cela lui échappe. Il n'y avait pas d'autre solution. Pas d'autre solution. Les deux groupes majoritaires - il y en a d'autres au Kosovo - ne voulaient pas se parler et ne se supportaient pas. Nous avons essayé depuis plus de deux ans de les faire parler, d'abord Martti Ahtisaari et puis toute l'Europe, avec les Etats-Unis et avec la Russie. Nous avons demandé un délai supplémentaire. Cela dure depuis 1999 et c'est en 1989 que monsieur Milosevic a suspendu l'autonomie du Kosovo. A partir de là, il y a eu ces massacres, il y a eu des morts, il y a eu l'intervention de l'Otan, les bombardements. Et puis l'ONU, c'est-à-dire les Nations unies, la résolution 1244, pour apaiser les choses, avec l'objectif qui s'appelle statut final. Nous avons essayé. Nous ne pouvions pas, dans l'intérêt, pour que les Serbes puissent accéder à l'Europe, qui est leur destin, surtout pour la jeune génération serbe, nos amis serbes, nous ne pouvions pas les laisser avec un Kosovo fracassé et avec une ligne dardée des troupes de l'ONU pendant... On ne pouvait refaire Chypres. C'était impossible, c'est cela qui fait la différence. Il y avait des milliers de soldats qui étaient nos soldats, et en effet il faut les économiser. Voilà. Alors, nous avons décidé, c'était la seule solution, que l'indépendance était, pas parce que cela nous fait plaisir, une partie de la solution et que nous allions l'aménager au mieux, pour protéger les Serbes à l'intérieur du Kosovo, et surtout pour que la Serbie, ce pays majeur au centre des Balkans, région difficile des Balkans, puisse se diriger vers l'Europe, comme l'avait fait... et ce qui est drôle, c'est que cela s'est passé sous... en ce moment c'est la présidence slovène de l'Union européenne, et c'est le premier pays qui a quitté la Fédération yougoslave, et qui est responsable maintenant de ce dernier morceau de la Fédération qu'est le Kosovo.

Q.- Des soldats français pourraient mourir l'indépendance du Kosovo ?

R.- Mais les soldats français sont des soldats internationaux. Ils ont en effet accepté ce risque. Non, il ne faut pas qu'ils meurent, bien entendu, et pour que les soldats puissent quitter le Kosovo, il faut trouver la paix. C'est ce que nous tentons de faire avec difficulté, et je tends à nouveau la main à nos amis serbes. Ce n'est pas une défaite pour eux, c'est le début de la renaissance de la Serbie allant vers l'Europe. C'est cela qu'avec Carl Bildt - nous avons des responsabilités dans les Balkans en général, et avec l'ONU en particulier -nous avons retendu, comme si on avait cessé de le faire d'ailleurs, la main à nos amis serbes et à la jeune génération. Il y aura en mai des élections en Serbie, à Belgrade, en Serbie en général. J'espère qu'elles seront gagnées par la jeunesse et les partisans de l'entrée dans l'Europe.

Q.- "I. Betancourt est au bord de la mort", c'est ce que dit l'ex sénateur colombien, Luis Eladio Perez, qui était otage lui aussi. Où est-ce qu'on en est ?

R.- On en est à faire flèche de tout bois, on en est à écouter monsieur Perez, et je vous assure que c'est très douloureux d'évoquer notre amie I. Betancourt, notre compatriote, et la façon dont ils ont été enchaînés pendant des années, la façon dont elle est traitée, la façon dont cette urgence humanitaire s'impose à des gens, à tout le monde bien sûr, et à nous d'abord, mais à des gens...

Q.- Mais alors, où en est-on ? Est-ce qu'on a des nouvelles...

R.- Mais où en est-on ? Vous croyez qu'il faut claquer dans ses doigts en demandant à la radio où on en est ? Voyons ! Bien sûr, il y a des militants, vous êtes un militant monsieur Bourdin, bravo ! Seulement, cela ne suffit pas de signer des pétitions, j'en ai signées toute ma vie. Il faut travailler avec acharnement...

Q.- Mais qu'est-ce qu'on dit à monsieur Uribe, qu'est-ce qu'on dit à monsieur Chavez aujourd'hui ?

R.-...On lui parle tout le temps. On parle à monsieur Chavez, et l'intérêt d'ailleurs, c'est que la France parle à la fois à monsieur Chavez et à monsieur Uribe, et ce n'est pas si commode, parce que l'un et l'autre, comme vous le savez, sont dans des rapports très particuliers. Et puis, cela représente deux voies en Amérique latine, et puis I. Betancourt, notre amie que nous voulons sortir, c'est une urgence absolue, n'est-ce pas - la description encore de l'otage libéré... Eh bien, monsieur Chavez il en a libéré six déjà, il en a fait libérer six. Et monsieur Uribe ne s'y est pas opposé. Mais monsieur Uribe a bombardé le camp et a tué R. Reyes. Alors, maintenant, c'est compliqué...

Q.- [Ces bombardements était-ce] pour s'opposer à une libération d'I. Betancourt ?

R.- Pas s'opposer, il ne le dit pas, c'est la guerre depuis quarante ans. Ces gens, les FARC se croient encore comme au début de la guerre où ils avaient pris le maquis contre les dictatures, et ils continuent depuis plus de quarante ans. Monsieur Marulanda, le chef des FARC est dans cette immense... Vous savez que... Comment les libérer ? On se pose la question tous les jours avec le Président Sarkozy. C'est la surface de la France qui est forêt vierge. 500.000 km² ! Alors, ce n'est pas avec notre bonne volonté seule que nous allons y arriver. Il faut avoir des soutiens politiques, il faut parler. En ce moment, il y a eu le Conseil de l'Organisation des Etats américains. Nous avons rencontré, nous avons téléphoné à tous les chefs d'Etat, ce qu'a réussi la France. Alors, quand j'entends dire que la politique de la France (rires) n'existe plus, mais en Amérique latine on ne parle que de cela, et pas seulement en Amérique latine. Nous avons bougé l'ensemble des dirigeants. Maintenant, c'est une préoccupation latino-américaine. Maintenant, personne ne peut, et pas seulement penser à I. Betancourt mais à tous les otages, il faut les libérer. Nous ne faisons que cela, hier encore avec le président de la République.

Q.- Est-ce qu'il faut changer la loi ? Le cas Chantal Sébire. Vous êtes médecin, B. Kouchner, elle demande une euthanasie. Est-ce qu'il faut changer la loi ou l'améliorer ?

R.- Oui.

Q.- Oui ?

R.- Absolument. Moi, j'ai commencé avec les soins palliatifs, j'ai fait la loi Droits des malades. J'ai pris position pour le cas de M. Humbert, j'ai fait la préface du livre (...) et je me suis battu, battu, battu pour qu'on ait le droit de mourir...

Q.-... Dans la dignité.

R.- Oui, c'est dans la dignité. Je ne fais pas partie de cette association, mais je respecte leur combat, très largement. D'abord, j'ai beaucoup, beaucoup d'admiration pour Chantal Sébire, et beaucoup d'amour pour elle. Je trouve très difficile de ne pas lui offrir une porte de sortie qui sera une porte d'amour avec les siens. Qu'est-ce qu'elle demande ?

Q.- Lui permettre de mourir dans la dignité, c'est une preuve d'amour ?

R.- Lui permettre de ne pas avoir besoin de se suicider dans une espèce de clandestinité dont tout le monde souffrirait, surtout ses proches. Si à la fin de sa vie, et surtout lorsqu'on est malade, comme elle l'est, avec des souffrances infinies, avec un visage déformé qu'on ne supporte plus, lorsqu'on est en accord avec soi-même, pleinement, avec les siens, avec les gens qu'on aime, pourquoi ne pas quitter la vie en leur tenant la main ? Est-ce que c'est une demande excessive ? Il faudrait faire une exception à la loi. Il y a une loi qui a fait faire des progrès, bien sûr.

Q.- On n'est pas allé assez loin ?

R.- Non. Il faut que des gens lucides... A qui appartient la vie d'un homme ? A Dieu ? C'est possible, mais moi je n'y crois pas. Laissons les gens en pleine conscience être libres d'eux-mêmes, surtout dans les cas comme celui-là. Demandons des exceptions à cette loi. Ce serait humain, nécessaire et, je pense, approuvé par 80 % des Français. Cela n'empêche pas de croire en Dieu, cela n'empêche pas d'avoir la foi. Au contraire, au contraire.

Q.- On va écouter P. Dufreigne, avec les questions d'auditeurs.

P. Dufreigne : Rapidement, avec une question qui revient souvent : pourquoi, monsieur Kouchner, créer six postes supplémentaires de secrétaire d'Etat, alors que N. Sarkozy demande aux Français de se serrer la ceinture ?

Q.- Pourquoi créer six postes nouveaux de secrétaire d'Etat alors que N. Sarkozy demande aux Français de se serrer la ceinture, c'est ce que disent beaucoup d'auditeurs de RMC ce matin.

R.- Parce que ce n'est pas un problème d'argent. Il y avait les nécessités politiques pour s'occuper d'aménagement du territoire, ou pour s'occuper de choses essentielles, du Grand... enfin...

Q.- Du Grand Paris ?

R.- Du Grand Paris, on peut dire cela, de la région parisienne, oui. Etc. Ce ne sont pas ces dépenses-là qui comptent, au contraire, souvent, quand on fait bien le travail, cela économise de l'argent. Ce n'est vraiment pas un problème d'argent. C'est peut-être un problème politique. Enfin, c'est au Président et au Premier ministre de le décider. Ils l'ont fait.

P. Dufreigne : L'Arche de Zoé, question de Nathalie : qu'en est-il d'une éventuelle grâce pour les membres de l'Arche de Zoé. Cela fait six semaines que les avocats ont déposé leurs demandes. Oui, ce n'est pas beaucoup six semaines, quand on traverse la guerre. Mais il faut se fier à la parole de monsieur Deby. I. Deby a dit qu'il envisageait d'accorder la grâce. Je crois que les avocats ont proposé les dossiers, je le sais. D'ailleurs, je ne sais pas où en est l'étude au cas par cas de ces dossiers à N'Djamena, mais la période, évidemment, est très troublée au Tchad, et vous savez qu'au Tchad, la présence de cette opération européenne - il y a 1.700 soldats, je crois, aujourd'hui, il y en aura 3.700 - est une garantie supplémentaire que nous nous intéressions au sort des populations tchadiennes et aux personnes déplacées. Mais je pense que monsieur Deby ne tardera pas, je ne sais pas quelle est al date, à mettre sa promesse à exécution.

Q.- Et nous verserons plusieurs millions d'euros ?

R.- Alors, ça, la réponse est très claire : ce n'est pas à nous de la verser. Et j'ai déjà répondu que si on pouvait essayer de participer à quelque chose, inventer une solution, nous serions là. Mais enfin, ce n'est pas au Gouvernement que cette demande s'adresse.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 mars 2008