Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à France Inter le 28 mars 2008, sur l'envoi de militaires supplémentaires en Afghanistan et sur la place de la France dans l'OTAN.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.-  On va en venir aux questions de doctrine que soulevait B. Guetta, à  savoir s'il y a ou non rupture diplomatique et stratégique, de votre  point de vue. D'abord les faits : combien de militaires seront  envoyés en Afghanistan dans les renforts promis par le président de  la République ? 
 
R.- Ce qu'a dit le président de la République à Londres, c'est ce que le  président de la République a écrit il y a un mois à l'ensemble de ses  partenaires au sein, notamment, de l'Alliance atlantique. En leur disant  quoi ? En leur disant : il faut qu'on fasse en sorte qu'un jour nous  puissions sortir, et faire en sorte que l'Afghanistan puisse trouver par  elle-même les voies du progrès et de la modernité. Pour cela, nous  avons un effort commun à effectuer. Cet effort passe notamment par  éventuellement un effort militaire supplémentaire, mais aussi par toute  une série de préalables. Et ce sont ces préalables-là que le président de  la République a aussi rappelés et qu'on oublie. Ces préalables, c'est  quoi ? C'est l'amélioration de la gouvernance en Afghanistan, c'est un  vrai modèle de développement, c'est la coordination de l'ensemble des  moyens qui sont mis en oeuvre par l'ensemble des institutions  internationales ; c'est de faire en sorte qu'on ait un vrai plan de lutte  contre le narcotrafic, puisque vous savez que l'Afghanistan c'est 91 %  des exportations de drogue à travers le monde ; "l'afghanisation" des  institutions, c'est-à-dire de faire en sorte que progressivement, les  Afghans prennent en main leurs institutions. Voilà ce qu'on a dit. Et  nous avons dit par ailleurs, et le président de la République a dit par  ailleurs : si la France venait à faire un effort supplémentaire, il faut que  l'ensemble de nos partenaires s'engagent, un, à rester, et s'engagement  éventuellement à faire un effort supplémentaire. Et ce sont ces  conditions-là, ces préalables-là qui sont posés. Et dans ces préalables-là,  nous avons éventuellement indiqué que nous ferions un effort  supplémentaire. 
 
Q.- De combien de militaires ? 
 
R.- Tout dépendra de l'état des discussions qui seront à Bucarest la semaine  prochaine. 
 
Q.- Donc le chiffre n'est pas fixé aujourd'hui ? 
 
R.- Le chiffre n'est pas fixé par le président de la République ; nous lui  avons fait toute une série de propositions. Et à partir de cela et à partir  des discussions, avec les préalables que je rappelle, faire en sorte qu'il y  ait un nouveau modèle, qu'on réfléchisse à la coordination des moyens,  qu'on "afghanise" les institutions pour que progressivement les  Afghans prennent en main leur destin. Bref, tout cela, nous l'avons mis  sur la table. Et c'est après ces conversations-là que nous déciderons du  niveau d'engagement des Français. 
 
Q.- Très vaste programme... Pour combien de temps les troupes sont-elles  sur place en Afghanistan ? 
 
R.- Mais vous comprenez bien que si la communauté internationale ne fait  pas un effort considérable pour l'Afghanistan, nous ne pourrons jamais  en sortir. Et que la condition... 
 
Q.- On est enlisés en Afghanistan aujourd'hui ? 
 
R.- Non, nous ne sommes pas enlisés, nous avons besoin de faire en sorte  que les efforts considérables qui ont été effectués par la communauté  internationale finissent par être payants. On oublie toujours les éléments  positifs dans tout cela : moins de 10 % des Afghans avaient accès à la  santé, aujourd'hui près de 80 %. On oublie ce qu'était le régime des  taliban : le régime des taliban, c'était le ministère de la répression du  vice et la promotion de la vertu, la condition des femmes, c'était  l'interdiction du théâtre, du cinéma... 
 
Q.- Même des cerfs-volants... 
 
R.- Oui, même des cerfs-volants. Bref, la France... 
 
Q.- ..."On ne peut pas se permettre, dit le président de la République,  de perdre en Afghanistan". La situation a l'air tout de même  extrêmement critique sur place, c'est-à-dire qu'après cette  intervention militaire, les taliban sont encore dans le paysage et très  actifs, Al-Qaïda a cité également le président de la République.  Donc je vous repose la question de l'efficacité. 
 
R.- La victoire ne peut pas être uniquement une victoire militaire, c'est très  clair. Mais il faut à la fois éradiquer les taliban, l'extrémisme et en  même temps mener une politique de développement, c'est l'un et  l'autre. Et c'est ce que nous disons : il faut à la fois faire en sorte qu'on  éradique l'extrémisme et en même temps qu'on mette en place les  conditions du développement. C'est l'un qui va avec l'autre, et c'est ce  que nous disons, et c'est ce que nous voulons dans le cadre des  discussions que nous aurons à Bucarest la semaine prochaine. 
 
Q.- Un mot de doctrine précisément : "atlantisme", disait B. Guetta.  Vous acceptez le terme pour décrire la réinflexion, on va dire, de la  politique étrangère française ? 
 
R.- Non, je conteste l'analyse qu'a faite B. Guetta. Le président de la  République a fait de l'Europe de la défense une priorité. Cette Europe  de la défense, que vous le vouliez ou non, nous ne la construirons que si  elle est vécue par l'ensemble de nos partenaires, non pas américains  uniquement, mais par l'ensemble de nos partenaires européens, comme  quelque chose qui n'est pas en contradiction avec l'Alliance atlantique.  Que l'Europe de la défense ne se fait pas contre l'Alliance atlantique,  parce que l'ensemble de nos partenaires européens considère que  l'Alliance atlantique c'est le système de sécurité qui assure leur paix  depuis plus de cinquante ans. Et donc, la démarche du président de la  République qui est de dire que l'un n'est pas contre l'autre, mais nous  devons à la fois rénover l'Alliance atlantique, et en même temps faire  en sorte que nous construisions l'Europe de la défense, cette démarche-là  est maintenant comprise. Et contrairement à ce que disait B. Guetta,  l'Europe de la défense va faire des progrès considérables sous la  présidence française, parce que cette nouvelle démarche fait qu'il n'y a  plus d'hostilité de nos partenaires sur la construction de l'Europe de la  défense. 
 
Q.- La France va revenir au sein de l'OTAN ? 
 
R.- Ce n'est pas la question du moment. La question du moment c'est la  construction de l'Europe... 
 
Q.- Et elle sera (inaud.) quand cette question, la semaine prochaine ou  elle est déjà tranchée ? 
 
R.- Cette question-là se posera après le travail que nous sommes en train de  mener dans le cadre de l'Europe de la défense. Et vous verrez que grâce  à cette démarche, grâce à l'entente avec les Britanniques, grâce à nos  nouvelles relations avec les Américains, l'Europe de la défense va  évoluer et progresser comme elle n'a pas progressé depuis des années. 
 
Q.- Mais la possibilité que la France revienne au sein de l'OTAN, c'est  une possibilité, c'est une option ? 
 
R.- Il y a des travaux qui sont en cours. Nous avons un livre blanc, tout cela  va être discuté, mais ce n'est pas le... Ce que je voudrais essayer de  vous faire comprendre, c'est que si vous voulez faire naître et émerger  un pilier européen de sécurité, ce pilier européen de sécurité, vous ne  pouvez pas le faire émerger si, pour l'ensemble de nos partenaires, c'est  vécu comme une façon de porter atteinte à l'Alliance atlantique. L'un  doit aller avec l'autre parce que nos partenaires européens  n'abandonneront jamais ce système de sécurité qui assure leur paix  depuis cinquante ans. 
 
Q.- Donc, continuité ou rupture sur tous ces dossiers avec la présidence  de N. Sarkozy ? 
 
R.- Il y a une continuité dans la volonté française de faire en sorte que  l'Europe de la défense trouve un nouvel essor. Et il y a aussi de la  rupture dans, j'allais dire, l'approche que nous pouvons avoir de ce  sujet, qui est de ne pas opposer Alliance atlantique et Europe de la  défense. 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 mars 2008