Texte intégral
Q - Quelle est votre feuille de route pour la présidence française de l'Union européenne ?
R - Le président de la République, Nicolas Sarkozy, a fait de la question climatique et du développement durable la première des trois priorités de la présidence française de l'Union européenne (les trois priorités de la Présidence française sont les dossiers énergie-climat, immigration et sécurité-défense). Le moment est crucial, nous entrons dans une des grandes négociations de l'histoire de la planète. Il s'agit de se mettre d'accord sur un effort de réduction de nos émissions de CO2 et, par ce biais, de définir les modalités d'une transformation en profondeur de notre modèle économique. Rappelez-vous, le Protocole de Kyoto concernait les gouvernements de 650 millions d'habitants, mais la négociation actuelle doit engager l'ensemble des Etats du monde et leurs 6,7 milliards d'hommes et de femmes.
Q - Quel est le calendrier ?
R - Nous allons donc tout faire pour obtenir un accord politique entre Européens avant le redémarrage des négociations de la conférence des Nations unies à Poznan, en décembre. L'idéal serait que le Parlement européen vote les directives climat en première lecture avant cette date. A défaut, que les versions des projets de directives du Parlement et du Conseil coïncident. C'est vital. L'Union européenne doit être en position de donner l'exemple afin d'entraîner les autres grandes puissances lors des négociations climatiques. L'Union est le pilier de cette négociation : la seule à avoir montré que respecter les objectifs de Kyoto est possible.
A ce titre, je souligne que la France, avec des émissions de gaz à effet de serre en baisse de 2,5 % par rapport à 1990 (et même 3,7 % en tenant compte des UTCF, les puits de carbone que nous avons créés), est l'un des très rares pays du monde à faire mieux que ses objectifs. L'Union va mener les deux prochaines conférences à Poznan, en Pologne, et à Copenhague, au Danemark, en 2009, et les vieux routiers de ces conférences internationales savent à quel point le rôle du pays qui préside est important pour créer du consensus. Nous n'avons pas droit à l'erreur : si nous ratons la marche de Poznan, il ne sera pas possible d'obtenir un consensus à Copenhague.
Q - Etes-vous optimiste sur la possibilité de dégager un consensus entre les Vingt-Sept ?
R - Les discussions sur la répartition de l'effort entre Etats membres vont être très serrées. Bien qu'aucun Etat ne conteste la nécessité de diminuer de 20 % nos émissions en 2020, certains responsables évoquent des spécificités de leur pays pour contester l'objectif assigné. Je constate que ceux qui ont le plus confiance dans les capacités d'adaptation de leurs entreprises et de leurs citoyens sont aussi les moins angoissés. La France en fait partie : notre pays d'ingénieurs a des compétences dans tous les domaines concernés.
Pour moi, trois dossiers sont prioritaires : entamer un vaste chantier dans le bâtiment pour diminuer son bilan thermique, faire un immense effort d'efficacité énergétique et de captation du carbone, et développer une filière solaire ambitieuse. Le chantier thermique bâtiment à venir est un gisement fantastique de création d'emplois et d'activité pour nos entreprises ! Avec un climat tempéré, une électricité historiquement peu chère et une société nationale, EDF, très bien organisée, nous n'avons plus fait d'effort depuis longtemps. Les consommateurs ont été incités à acheter des radiateurs électriques et pas du tout à isoler leurs logements ! Il faut trouver des montages financiers pour rénover notre patrimoine résidentiel : le temps de retour des investissements sera de sept à huit ans.
Q - Y a-t-il un accord en vue sur le dossier de l'automobile ?
R - Les constructeurs doivent sortir de leur petite bataille sur les 130 grammes de CO2. Dans les dix prochaines années, le vainqueur sera celui qui aura été capable de produire une voiture émettant entre 0 et 50 grammes. Souvenons-nous des dernières décisions du gouvernement chinois : dans quatre ans, Pékin exige qu'une voiture sur quatre soit électrique ou à zéro émission. De toute façon, le consommateur est impatient, comme en témoignent les conséquences sur la demande de la mise en place de l'écopastille. Après la création du malus sur les ventes de grosses cylindrées, les ventes ont reculé de 71 %, tandis que celles des voitures plus petites ont à l'inverse augmenté de 31 %.
Q - Les quotas de CO2 doivent-ils être mis aux enchères ?
R - Oui, le carbone doit avoir un prix. Mais le risque de distorsion de concurrence avec des industries de pays n'ayant pas souscrit au processus post-Kyoto doit être pris en compte. Délocaliser vers ces contrées aboutit à des fuites de carbone nocives pour l'emploi et néfastes pour le climat. Lors de la réunion des ministres européens de l'Environnement de mars, j'ai insisté pour que le communiqué final reconnaisse la nécessité de réfléchir, de manière urgente, à la façon de protéger les entreprises européennes. Par protéger, je n'entends pas protectionnisme mais rétablissement d'une concurrence équitable. Il faut cependant reconnaître que nous ne pouvons mener une grande négociation internationale avec un discours menaçant.
Q - Quelle est la solution ?
R - Il n'y a pas de recette miracle. Ce peut être un accord interprofessionnel pour certains, une taxe aux frontières pour d'autres ou bien l'obligation d'acheter des quotas de CO2 pour les importateurs.
Les gouvernements n'auront-ils pas besoin de l'argent tiré de cette mise aux enchères pour financer leurs plans anti-CO2 ?
Certains économistes l'affirment. Je les entends, mais je ne suis pas convaincu. Je crois que la sobriété coûte rarement très cher. Mailler les grandes villes de réseaux de tramways et de transports de bus en site propre est à terme moins cher que de gérer les embouteillages. La bataille de la voiture peu émettrice en CO2 ne se gagnera pas avec des fonds publics. S'il y a un pic d'investissements nécessaires, notamment dans le bâtiment, nous n'avons pas besoin de nouvelles recettes de fonctionnement. L'allongement de la durée de vie au niveau mondial et le bouleversement du mode de financement des modèles sociaux que cela entraîne me semblent des sujets plus préoccupants financièrement à long terme.
Q - La France étudie-t-elle encore la création d'une fiscalité sur le carbone ?
R - Le débat se poursuit avec Bercy et les autres collèges. Reconnaissons que, si nous avions créé il y a trois ans une taxe climat, elle n'aurait jamais été aussi forte que l'augmentation du prix à la pompe. A 110 dollars le baril, faut-il faire plus ? Quoi qu'il en soit, si le gouvernement crée ce nouvel instrument fiscal, il sera neutre : il n'y aura pas de prélèvement supplémentaire puisque d'autres taxes seront allégées. Je suis par ailleurs convaincu par l'autre piste, celle de l'écopastille qui introduit une valeur écologique, entre les prix dirigés et les prix marchands. Inaugurée avec les voitures, cette politique va se poursuivre avec 20 autres familles de produits. En outre, je constate qu'aucune autorité européenne chargée de la concurrence n'a émis de critique. Enfin, le président a obtenu de nos partenaires l'étude de la taxe écologique.
Q - A quand le projet de loi tiré du Grenelle de l'environnement ?
R - Il est presque achevé et contient à ce stade plus de 150 articles. Il sera divisé en deux parties : une loi de programme qui reprend les grands objectifs du Grenelle et une deuxième partie pour fixer les règles d'application. Nous avons déjà commencé à rencontrer les parlementaires, qui sont très associés. L'objectif est de transmettre la première partie au Conseil économique et social entre le 10 et le 15 avril et au Conseil d'Etat en mai. Le premier examen parlementaire pourrait démarrer en juin.
Q - Quelle que soit la loi française, le dossier OGM n'est-il pas dans une impasse ?
R - La loi française va introduire de la transparence : les agriculteurs devront s'assurer et déclarer chaque parcelle d'OGM cultivée s'il est possible d'en semer. Pour avancer sur ce dossier conflictuel pour les Européens, Bruxelles doit se poser le problème des expertises. Nous avons demandé avec une dizaine de pays, dont l'Espagne, qui cultive du maïs OGM, de revoir le fonctionnement des autorisations de mise sur le marché. On est sur des autorisations dont les critères relèvent davantage du droit de la concurrence que de l'expertise scientifique. J'attends aussi avec impatience le résultat d'une expertise conduite par les Nations unies sur les OGM. Ses conclusions sont, semble-t-il, nuancées ou réservées.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2008
R - Le président de la République, Nicolas Sarkozy, a fait de la question climatique et du développement durable la première des trois priorités de la présidence française de l'Union européenne (les trois priorités de la Présidence française sont les dossiers énergie-climat, immigration et sécurité-défense). Le moment est crucial, nous entrons dans une des grandes négociations de l'histoire de la planète. Il s'agit de se mettre d'accord sur un effort de réduction de nos émissions de CO2 et, par ce biais, de définir les modalités d'une transformation en profondeur de notre modèle économique. Rappelez-vous, le Protocole de Kyoto concernait les gouvernements de 650 millions d'habitants, mais la négociation actuelle doit engager l'ensemble des Etats du monde et leurs 6,7 milliards d'hommes et de femmes.
Q - Quel est le calendrier ?
R - Nous allons donc tout faire pour obtenir un accord politique entre Européens avant le redémarrage des négociations de la conférence des Nations unies à Poznan, en décembre. L'idéal serait que le Parlement européen vote les directives climat en première lecture avant cette date. A défaut, que les versions des projets de directives du Parlement et du Conseil coïncident. C'est vital. L'Union européenne doit être en position de donner l'exemple afin d'entraîner les autres grandes puissances lors des négociations climatiques. L'Union est le pilier de cette négociation : la seule à avoir montré que respecter les objectifs de Kyoto est possible.
A ce titre, je souligne que la France, avec des émissions de gaz à effet de serre en baisse de 2,5 % par rapport à 1990 (et même 3,7 % en tenant compte des UTCF, les puits de carbone que nous avons créés), est l'un des très rares pays du monde à faire mieux que ses objectifs. L'Union va mener les deux prochaines conférences à Poznan, en Pologne, et à Copenhague, au Danemark, en 2009, et les vieux routiers de ces conférences internationales savent à quel point le rôle du pays qui préside est important pour créer du consensus. Nous n'avons pas droit à l'erreur : si nous ratons la marche de Poznan, il ne sera pas possible d'obtenir un consensus à Copenhague.
Q - Etes-vous optimiste sur la possibilité de dégager un consensus entre les Vingt-Sept ?
R - Les discussions sur la répartition de l'effort entre Etats membres vont être très serrées. Bien qu'aucun Etat ne conteste la nécessité de diminuer de 20 % nos émissions en 2020, certains responsables évoquent des spécificités de leur pays pour contester l'objectif assigné. Je constate que ceux qui ont le plus confiance dans les capacités d'adaptation de leurs entreprises et de leurs citoyens sont aussi les moins angoissés. La France en fait partie : notre pays d'ingénieurs a des compétences dans tous les domaines concernés.
Pour moi, trois dossiers sont prioritaires : entamer un vaste chantier dans le bâtiment pour diminuer son bilan thermique, faire un immense effort d'efficacité énergétique et de captation du carbone, et développer une filière solaire ambitieuse. Le chantier thermique bâtiment à venir est un gisement fantastique de création d'emplois et d'activité pour nos entreprises ! Avec un climat tempéré, une électricité historiquement peu chère et une société nationale, EDF, très bien organisée, nous n'avons plus fait d'effort depuis longtemps. Les consommateurs ont été incités à acheter des radiateurs électriques et pas du tout à isoler leurs logements ! Il faut trouver des montages financiers pour rénover notre patrimoine résidentiel : le temps de retour des investissements sera de sept à huit ans.
Q - Y a-t-il un accord en vue sur le dossier de l'automobile ?
R - Les constructeurs doivent sortir de leur petite bataille sur les 130 grammes de CO2. Dans les dix prochaines années, le vainqueur sera celui qui aura été capable de produire une voiture émettant entre 0 et 50 grammes. Souvenons-nous des dernières décisions du gouvernement chinois : dans quatre ans, Pékin exige qu'une voiture sur quatre soit électrique ou à zéro émission. De toute façon, le consommateur est impatient, comme en témoignent les conséquences sur la demande de la mise en place de l'écopastille. Après la création du malus sur les ventes de grosses cylindrées, les ventes ont reculé de 71 %, tandis que celles des voitures plus petites ont à l'inverse augmenté de 31 %.
Q - Les quotas de CO2 doivent-ils être mis aux enchères ?
R - Oui, le carbone doit avoir un prix. Mais le risque de distorsion de concurrence avec des industries de pays n'ayant pas souscrit au processus post-Kyoto doit être pris en compte. Délocaliser vers ces contrées aboutit à des fuites de carbone nocives pour l'emploi et néfastes pour le climat. Lors de la réunion des ministres européens de l'Environnement de mars, j'ai insisté pour que le communiqué final reconnaisse la nécessité de réfléchir, de manière urgente, à la façon de protéger les entreprises européennes. Par protéger, je n'entends pas protectionnisme mais rétablissement d'une concurrence équitable. Il faut cependant reconnaître que nous ne pouvons mener une grande négociation internationale avec un discours menaçant.
Q - Quelle est la solution ?
R - Il n'y a pas de recette miracle. Ce peut être un accord interprofessionnel pour certains, une taxe aux frontières pour d'autres ou bien l'obligation d'acheter des quotas de CO2 pour les importateurs.
Les gouvernements n'auront-ils pas besoin de l'argent tiré de cette mise aux enchères pour financer leurs plans anti-CO2 ?
Certains économistes l'affirment. Je les entends, mais je ne suis pas convaincu. Je crois que la sobriété coûte rarement très cher. Mailler les grandes villes de réseaux de tramways et de transports de bus en site propre est à terme moins cher que de gérer les embouteillages. La bataille de la voiture peu émettrice en CO2 ne se gagnera pas avec des fonds publics. S'il y a un pic d'investissements nécessaires, notamment dans le bâtiment, nous n'avons pas besoin de nouvelles recettes de fonctionnement. L'allongement de la durée de vie au niveau mondial et le bouleversement du mode de financement des modèles sociaux que cela entraîne me semblent des sujets plus préoccupants financièrement à long terme.
Q - La France étudie-t-elle encore la création d'une fiscalité sur le carbone ?
R - Le débat se poursuit avec Bercy et les autres collèges. Reconnaissons que, si nous avions créé il y a trois ans une taxe climat, elle n'aurait jamais été aussi forte que l'augmentation du prix à la pompe. A 110 dollars le baril, faut-il faire plus ? Quoi qu'il en soit, si le gouvernement crée ce nouvel instrument fiscal, il sera neutre : il n'y aura pas de prélèvement supplémentaire puisque d'autres taxes seront allégées. Je suis par ailleurs convaincu par l'autre piste, celle de l'écopastille qui introduit une valeur écologique, entre les prix dirigés et les prix marchands. Inaugurée avec les voitures, cette politique va se poursuivre avec 20 autres familles de produits. En outre, je constate qu'aucune autorité européenne chargée de la concurrence n'a émis de critique. Enfin, le président a obtenu de nos partenaires l'étude de la taxe écologique.
Q - A quand le projet de loi tiré du Grenelle de l'environnement ?
R - Il est presque achevé et contient à ce stade plus de 150 articles. Il sera divisé en deux parties : une loi de programme qui reprend les grands objectifs du Grenelle et une deuxième partie pour fixer les règles d'application. Nous avons déjà commencé à rencontrer les parlementaires, qui sont très associés. L'objectif est de transmettre la première partie au Conseil économique et social entre le 10 et le 15 avril et au Conseil d'Etat en mai. Le premier examen parlementaire pourrait démarrer en juin.
Q - Quelle que soit la loi française, le dossier OGM n'est-il pas dans une impasse ?
R - La loi française va introduire de la transparence : les agriculteurs devront s'assurer et déclarer chaque parcelle d'OGM cultivée s'il est possible d'en semer. Pour avancer sur ce dossier conflictuel pour les Européens, Bruxelles doit se poser le problème des expertises. Nous avons demandé avec une dizaine de pays, dont l'Espagne, qui cultive du maïs OGM, de revoir le fonctionnement des autorisations de mise sur le marché. On est sur des autorisations dont les critères relèvent davantage du droit de la concurrence que de l'expertise scientifique. J'attends aussi avec impatience le résultat d'une expertise conduite par les Nations unies sur les OGM. Ses conclusions sont, semble-t-il, nuancées ou réservées.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2008