Interview de M. Eric Besson, à La Chaîne Info le 28 mars 2008, notamment sur le déficit public, la situation économique, la baisse des perspectives de croissance, l'augmentation de la durée de cotisation pour les retraites, la politique fiscale.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.-  Le déficit public français pour 2007 est donc de 2,7 %, supérieur  aux 2,4 % promis par N. Sarkozy. Faut-il tirer le signal d'alarme ? 
 
R.- Non, pas de signal d'alarme. Il y a des circonstances un peu  particulières, je ne dirais pas "exceptionnelles" à ce jour au sens du  pacte de stabilité, mais on est dans une situation de conjoncture  internationale qui explique probablement cette situation. 
 
Q.- Sur ces 0,3 % de dérapage, on nous dit que les deux tiers sont dus  aux collectivités locales. Est-ce que ce n'est pas un peu facile  d'accuser justement l'échelon territorial où la gauche est  dominante ? 
 
R.- E. Woerth l'a dit ce matin, ce à quoi vous faites allusion ; si j'ai bien  compris, il dit en même temps qu'il n'accuse pas les collectivités  locales mais qu'il constate qu'elles ont un problème d'autofinancement  et de financement. Il publiera lui-même les chiffres dans les heures ou  dans les jours qui viennent, expliquant ce dérapage de 0,2. 
 
Q.- Demandez-vous aux instances européennes d'être un petit peu plus  coulantes sur les perspectives données à toutes les économies  européennes, dont la française ? 
 
R.- On aimerait - mais ça, c'est l'éternel débat, vous savez que le président  de la République y a fait allusion hier soir à Londres -, on aimerait  probablement que l'euro soit moins fort, à un niveau moins élevé et  deuxièmement, que les monnaies asiatiques soient moins liées au dollar  et à la baisse du dollar actuellement, qu'elles ne le sont. Donc il y a une  conjoncture de change qui, clairement, n'est pas favorable, ni à la zone  européenne ni à la France, c'est une évidence. Mais en même temps,  vous connaissez nos partenaires européens et la BCE, qui est très  sensible sur la question de son indépendance, très franchement, ce n'est  pas moins qui vais réclamer quelque chose que tous les économistes  réclament depuis plusieurs mois maintenant. 
 
Q.- Mais N. Sarkozy doit-il et peut-il profiter de la présidence française  de l'Union européenne, de juillet à décembre, pour reprendre le  dialogue un peu musclé avec J.-C. Trichet ? 
 
R.- Ce n'est pas un dialogue musclé, c'est une... Vous savez, les Anglais,  par exemple, ont un objectif d'inflation et la Banque d'Angleterre a  pour mission d'essayer de tenir cet objectif d'inflation. La Réserve  fédérale américaine, elle, a la croissance, l'emploi et l'inflation parmi  ses objectifs. Et le traité de Maastricht - il ne faut pas le reprocher à la  BCE, elle met en oeuvre un traité qui a été négocié par les partenaires  européens - ne lui donne que l'inflation comme objectif. Mais à sa  décharge, soyons justes, les tensions inflationnistes sont quand même,  du fait du renchérissement du prix des matières premières et des prix  des produits alimentaires, plus fortes aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il  y a quelques mois. 
 
Q.- Le Premier ministre, cette semaine, a révisé aussi à la baisse la  perspective de croissance pour 2008, plutôt entre 1,7 et 2 contre 2 et  2,5. Est-ce que le budget 2008 tient encore dans ces conditions ? 
 
R.- Oui, il pourra éventuellement être révisé le moment venu par un  collectif budgétaire, par ce qu'on appelle des réserves. Mais ce qui est  important... 
 
Q.- Il y a eu 7 milliards de crédits un peu gelés, il faut les supprimer, les  annuler ? 
 
R.- C'est au Premier ministre de le dire. Très franchement, on ne serait pas  très surpris que le gel soit renforcé, si je peux me permettre. Mais ce qui  est important, c'est à la fois de donner les bases d'une croissance  soutenue en France, et il y a des éléments favorables pour ça : la  création d'emplois est forte, le moral des chefs d'entreprise est fort, les  éléments constitutifs de la consommation des ménages -et vous savez  qu'on a une économie en France largement portée par la consommation  - sont bons. Donc il ne faut pas nier la réalité de la crise internationale  et ne pas suggérer qu'elle ne nous concernera pas, elle nous touchera,  c'est une évidence. Et en même temps, elle n'empêche pas l'économie  française, elle ne doit pas empêcher l'économie française de poursuivre  sur des fondamentaux qui ne sont pas mauvais et qui ont des atouts  qu'il s'agit de valoriser. Et par ailleurs, il faut maintenir le cap des  réformes, non pas par obstination, non pas parce que simplement la  France aurait dit depuis dix mois que le président de la République  réformera, mais parce que c'est une nécessité absolue pour une  croissance durable et puis pour sauvegarder un certain nombre de nos  acquis sociaux. 
 
Q.- Cap des réformes, donc 41 ans de cotisations pour les retraites,  vous êtes pour, il faut le faire ? 
 
R.- D'abord, les 41 ans, je dirais, ils sont presque inscrits dans la loi de  2003. Maintenant, c'est à X. Bertrand de faire ses propositions. J'ai  compris qu'il dirait mi-avril aux partenaires sociaux ce que serait la  proposition qu'il leur ferait sur la tendance. (inaud.) Qu'on aille vers  l'allongement de la durée de cotisation, ça paraît inéluctable et ça paraît  inscrit dans la loi de 2003. 
 
Q.- Mais il faut que les seniors travaillent plus, c'est la condition posée  des syndicats. 
 
R.- Absolument. On a un problème en France que vous connaissez :  l'entrée des jeunes sur le marché du travail et l'insuffisant emploi des  plus de 50 ans. La France s'y attelle et X. Bertrand travaille sur cette  question avec C. Lagarde. 
 
Q.- Autre réforme : un fonctionnaire sur deux partant à la retraite  n'est pas remplacé, il faut se tenir absolument, voire durcir encore  ce... 
 
R.- Il ne s'agit pas de durcir, il s'agit de constater simplement que la  dépense publique est proportionnellement aujourd'hui la plus élevée en  Europe, avec une efficacité qui est aléatoire. Je dirais, elle peut être  grande dans un certain nombre de domaines et dans un certain nombre  d'autres, on ne peut pas dire que la France dépensant plus a  nécessairement des services publics beaucoup plus performants que  d'autres pays européens. Donc oui, il faut adapter la dépense publique à  la nécessité d'une compétitivité et d'une solidarité.  
 
Q.- N. Sarkozy a critiqué hier le capitalisme de la frivolité ; l'inverse de  la frivolité c'est la rigueur, est-ce qu'on ne doit pas basculer vers la  rigueur, un vrai plan de rigueur pour donner l'exemple au  capitalisme ? 
 
R.- Non, ce n'est pas ce qu'il a dit hier soir. J'y étais et je suis heureux  d'avoir entendu ce discours, parce que d'abord, il a été porté au coeur du  temple de la finance, la City. C'était extraordinaire d'écouter ces 500  financiers anglais écouter le président de la République, et  accessoirement l'applaudir très chaleureusement à la fin, sur un thème  qui était celui de la régulation. Ce que N. Sarkozy a dit de plus fort,  c'est de dire : "je crois à la liberté, je crois à la concurrence, à l'esprit  d'entreprise, mais je suis régulationiste (sic) parce que je crois que le  capitalisme, l'économie de marché ont besoin de règles". Ce qui était en  cause, c'est non pas la finance en tant que telle, la finance est une  industrie, mais les excès de la financiarisation, la sophistication de plus  en plus grande des outils financiers qu'on voit à l'oeuvre dans la crise  financière. Et ce que N. Sarkozy a dit, ce n'était pas la première fois  qu'il le disait, mais avec une force particulière compte tenu de l'endroit  où il était, c'est : "je suis pour un capitalisme d'entrepreneurs et pas  pour un capitalisme de spéculateurs". Et cela engendre un certain  nombre de nécessités, de règles. 
 
Q.- Pourquoi ne pas supprimer le paquet fiscal et récupérer les 15  milliards ? C'est ce que suggère la gauche... 
 
R.- Mais ça veut dire quoi "supprimer le paquet fiscal" ? Cela voudrait dire  qu'on supprimerait les avantages pour ceux qui font des heures  supplémentaires, ça veut dire qu'on supprimerait les avantages qui ont  été donnés aux classes moyennes qui accèdent à l'immobilier. Donc  cette formule politique qui peut être de bonne guerre, mais ça n'a aucun  sens concrètement. Ce serait aggraver la situation à un moment où, au  contraire, nous avons besoin que la consommation reste forte et où la  demande de pouvoir d'achat est extrêmement élevée. Le recours aux  heures supplémentaires est très important, cela veut donc dire qu'il y  avait des potentialités. 
 
Q.- Alors continuons dans les recherches d'économie : le Revenu social  d'activité, 2 ou 3 milliards nécessaires, faut-il y renoncer ? 
 
R.- Je ne crois pas. Là, je ne veux pas me prononcer parce que vous savez  ce qu'a été le choix qui a été fait, expérimenté. M. Hirsch expérimente  le RSA dans une trentaine de départements. Et ensuite, il y a  appréciation, et de son efficacité et de son coût, avant une décision fin  d'année, début d'année prochaine. 
 
Q.- Pourquoi ne pas privatiser ? 
 
R.- Privatiser quoi, pardon ? 
 
Q.- L'Etat a plein de participations dans des entreprises, à hauteur de  190 milliards, cela fait de l'argent à récupérer. 
 
R.- Il faut qu'il y ait une stratégie industrielle. Privatiser en soi pour, si  vous me permettez, "vendre les bijoux de famille" comme on dit, cela  n'a aucun sens. Il faut qu'il y ait une stratégie industrielle derrière, je  crois que le président de la République et le Premier ministre ont  montré qu'en la matière, il n'y avait pas de tabou. 
 
Q.- C. Lagarde évoque des ventes de biens de l'Etat ; il y a des choses à  faire de ce côté-là ? 
 
R.- Elle est mieux informée que moi et c'est son domaine de compétence. 
 
Q.- C'est une petite économie mais quand on voit qu'il y a 30 % de  dépassement pour les frais de représentation au ministère de la  Justice, cela ne donne pas un bon exemple. 
 
R.- Je ne suis pas sûr. Je ne sais pas ce qu'est le chiffre exact, mais  l'ensemble de... 
 
Q.- 100.000 euros, visiblement, de dépassement en frais de bouche, en  frais de réception... 
 
R.- Je crois que c'est un mauvais procès qu'on fait à R. Dati, puisque c'est  clairement elle qui est visée quand on dit ce type de chose, elle y  répondra. Je ne crois pas une seule seconde qu'il y ait des excès de sa  part en la matière. 
 
Q.- Vous êtes chargé de développer l'économie numérique, vous allez  avoir une lettre de mission sur ce sujet. Taxer Internet, taxer les  opérateurs de téléphonie pour financer l'audiovisuel public, est-ce  que c'est une bonne idée ? 
 
R.- C'était l'une des pistes qui avait été citée. Je vais vous dire la vérité :  j'en parle avec J.-F. Copé la semaine prochaine, puisque le président de  la République l'a chargé d'une mission sur le sujet. Je ne vous mentirai  pas en disant que les acteurs d'Internet n'en veulent pas. Cette étude  n'est... 
 
Q.- Et vous plaiderez contre vous aussi ?
 
R.- Je plaiderai contre tout en sachant que le président de la République  l'avait dit comme une des pistes de travail. Donc il y aura des arbitrages  sur le sujet ; on en parle la semaine prochaine. 
 
Q.- Vous êtes chargé également d'un rapport sur la compétitivité du  foot français. Est-ce que vous allez prôner un changement de la  fiscalité pour les joueurs, qu'ils paient moins d'impôts dans notre  pays pour y rester ? 
 
R.- Je ne suis pas sûr que ce soit le premier sujet. Le premier sujet, c'est  sûrement l'insuffisance des fonds propres des grands clubs français.  Hier, vous l'avez vu, on a été reçu - c'était assez surprenant -, à  Arsenal, dans le stade d'Arsenal pour la rencontre bilatérale entre le  gouvernement britannique et le Gouvernement français. Arsenal est  propriétaire de son stade, il est en plein coeur de Londres, les produits  dérivés sont extrêmement nombreux. Ça veut dire quoi ? Que le club a  tout de suite des bases de fonds propres qui sont sans commune mesure  avec le plus gros club français, qui est le club de Lyon. Donc il y a toute  une réflexion sur l'économie du sport. Je ne suis pas sûr que la question  fiscale et la question sociale - je suis à l'entrée de cette mission donc je  ne peux pas préjuger des conclusions -, mais mon a priori, c'est que ce  n'est pas la question fiscale et sociale qui est la plus déterminante  aujourd'hui. 
 
Q.- L'UMP se réorganise, en tant que chef des progressistes, êtes-vous  satisfait de voir X. Bertrand prendre du galon auprès de P.  Devedjian ? 
 
R.- Je n'ai pas de commentaire à faire sur l'organisation de l'UMP, même  si X. Bertrand est de toute évidence quelqu'un de grand talent et  d'avenir. Mais ce qui est plus important, c'est l'organisation de la  majorité présidentielle, que le président de la République et le Premier  ministre appellent de leurs voeux et veulent organiser. 
 
Q.- Jusqu'où êtes-vous prêt à aller ? 
 
R.- Vers une confédération de la majorité présidentielle que le président de  la République et le Premier ministre veulent mettre en oeuvre. Moi, je  suis clairement dans la majorité présidentielle, je ne biaise pas avec  cela, il faut nous organiser pour que les différentes sensibilités, celles  du centre, celles du centre-gauche puissent s'exprimer à l'intérieur de la  majorité. Nous allons le faire. 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 mars 2008