Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, à France Info le 1er avril 2008, sur le débat sur les OGM à l'Assemblée nationale.

Prononcé le 1er avril 2008

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Merci d'être en direct, ce matin, avec nous, sur France Info. On va bien sûr parler de ce débat qui s'annonce, comme le disait Eric, il y a un instant, houleux à l'Assemblée, le débat sur les OGM, puisque le projet de loi vient en lecture cet après-midi. Mais d'abord, je voudrais vous faire écouter quelqu'un. Il s'appelle B. Guidez, il est éleveur de porcs, de canards et producteur aussi de céréales, il se situe dans le Tarn. Lui, les OGM, ça ne le rebute pas vraiment, et il y a une raison à cela...
 
B. Guidez : J'ai des animaux, je nourris, je sème du maïs pour nourrir mes animaux, ce sont des porcs, et il y a des normes européennes, en particulier de mycotoxine, c'est un champignon dans le grain, et il se trouve que les maïs OGM ont des mycotoxines très faibles. Sur un maïs OGM, j'ai une garantie, c'est que je n'aurai pas forcément plus de récoltes mais j'aurai moins de perte. Donc si le potentiel, par exemple, est de 12 tonnes, eh bien j'ai la totalité de mes 12 tonnes. J'ai la quasi-garantie d'avoir un maïs de qualité. Ces deux éléments-là font que si j'avais la liberté de le faire, je pense que je sèmerais des maïs OGM. Ce que je ne comprends pas et ce que ne comprennent pas les agriculteurs, c'est qu'on nous dit : vous n'avez pas le droit de cultiver des OGM, mais vous pouvez en acheter tant que vous voulez.
 
Q.- Alors, Bernard ne comprend pas, nous non plus, pour dire vrai. Pour l'instant, le principe de précaution s'applique avec la clause de sauvegarde, mais, est-ce que l'attitude de la France, finalement, sur cette question, n'est pas, quand même, un petit peu hypocrite ?
 
R.- Quelle était la situation il y a six mois ? Il y a six mois, un, on pouvait produire ce que l'on voulait, notamment le maïs BT 810. Deux, il n'y avait pas de réglementation, c'est-à-dire que si vous produisiez et que ça posait un problème à quelqu'un d'autre, il n'y avait pas de responsabilité, il n'y avait pas de transparence, vous pouviez le faire n'importe où. Alors, face à ce grand débat, le Grenelle, qui est un compromis, a arrêté des positions. Je les ai sous les yeux, elles ont été prises à l'unanimité des acteurs, ONG comme agriculteurs. Que dit ce texte du Grenelle sur un sujet extrêmement difficile - les pays ont des positions différentes les unes les autres ? Point numéro 1 : sur le seul OGM cultivé en France, qui est le maïs 810...
 
Q.- Monsanto 810...
 
R.- La France a fait jouer la clause de sauvegarde, c'est-à-dire, a dit à l'Europe : "nous, en France, pour l'instant, on n'en veut pas".
 
Q.- On suspend...
 
R.- Voilà. Donc, il y avait 22.000 hectares qui étaient produits l'année dernière, il n'y en a plus. Pourquoi ? Essentiellement, parce qu'il y a un problème qui est assez crucial, c'est la dissémination à d'autres agriculteurs, à d'autres formes d'agriculture ; c'est ça le problème central. Donc, un, on fait jouer la clause de sauvegarde, on l'a fait à l'égard de l'Europe. Deuxièmement, on a demandé que le niveau d'expertise européen s'élève considérablement. Troisièmement, vous avez vu qu'un certain nombre de pays, comme la Roumanie, il y a encore quatre jours, a pris la même position que la France. Ça, c'était ce qui était convenu pour la seule culture en France, le maïs. En ce qui concerne le reste des biotechnologies et OGM, ce qui a été arrêté par le Grenelle, c'est quoi ? Il faut d'abord qu'on transcrive la loi européenne, c'est une obligation. Deuxièmement, qu'il y ait un principe de transparence, qu'il y ait un principe de responsabilité et qu'il y ait une haute autorité qui, OGM par OGM, sujet par sujet, dans le temps et durablement, qu'il y ait une haute autorité avec plusieurs scientifiques qui donnent leur point de vue. Voilà, c'est ça le principe. Alors, vous savez, moi-même, j'ai du mal à l'expliquer à ma propre famille, parce que, à la fois, on dit "on suspend", "il n'y en a plus", la vérité, c'est qu'il n'y en a plus de cultivés en France et en même temps, on fait une loi de transcription pour dire "dans l'hypothèse où d'autres cas, un jour, peut-être, quels sont les principes de responsabilité et de transparence ?" Donc c'est vrai que cela fait une forme de télescopage pas compréhensible, mais en attendant, c'était une obligation européenne et légale.
 
Q.- Et c'est vrai que les sénateurs ont quand même un petit peu modifié le texte, c'est ce qui fait qu'aujourd'hui Greenpeace, les Verts, sont quand même vent debout contre ce projet.
 
R.- Oui, enfin, ils respectent quand même l'essentiel. Alors, après, vous savez, quand vous avez un compromis, chaque phrase est pesée. N. Kosciusko, comme moi, on préférait le texte initial du Gouvernement que celui qui a été un peu amendé. Bon, après, chacun a sa sensibilité...
 
Q.- Vous souhaiteriez qu'on y revienne, qu'on revienne aux fondamentaux de ce texte ?
 
R.- Moi, je préfère le texte initial qu'avait présenté le Gouvernement, mais il ne sort pas de la contradiction.
 
Q.- Qu'est-ce que vous préférez dans ce texte ?
 
R.- Il y avait un principe général, c'est que cette haute autorité, l'ensemble des membres, parce que la...
 
Q.- Parce que là, dans la mouture actuelle disons, ce sont les scientifiques qui vont "dominer" - entre guillemets - cette haute autorité...
 
R.- Il y a un problème de cohabitation entre les chercheurs purs et les autres sciences, et la société civile, or je crois que c'est un débat... On a besoin des scientifiques, évidemment, pour éclairer, et en même temps il y a des enjeux, notamment environnementaux, notamment socioéconomiques, qu'il faut prendre en compte. Si vous voulez, le grand piège dans ce genre de situation, est le suivant : il y a ceux qui disent "Pas du tout, aucune recherche sur les OGM, vous tournez le dos à la science, et si demain on peut sauver des gens, vous n'avez pas le droit, à ce point, de tourner le dos à la science" ; et puis, en même temps, ceux qui disent "attention, principe de précaution, il n'est pas du tout évident que les OGM -reprenons l'exemple du maïs - soient si pertinents que ça pour l'avenir".
 
Q.- Il y a un lobby qui est quand même assez fort. On a vu certains députés dirent qu'ils étaient, y compris dans la majorité, favorables à ce que l'on utilise le maïs génétiquement modifié...
 
R.- Oui, bien sûr...
 
Q.- Vous pensez que ce lobby très fort peut avoir, aujourd'hui, une incidence sur le vote qui va se faire cet après-midi à l'Assemblée ?
 
R.- Non, je pense que l'on est vraiment, après, sur des nuances d'organisation. Le vrai moment fort, on peut aujourd'hui dire ce que l'on veut, le moment fort c'est quand, pour la première fois, on interdit le maïs 810 en France. C'est là qu'il y a eu une vraie polémique, c'est là qu'il y avait des gens qui trouvaient qu'on avait tort, des gens qui trouvent qu'on a raison. C'est là et c'est à nouveau sur d'autres maïs éventuels. Et j'observe que la Commission européenne, en tous les cas, le commissaire s'est exprimé en disant : il y a deux nouvelles demandes de maïs et l'avis, pour l'instant, de la Commission, est défavorable.
 
Q.- Vigilance pour la suite donc ?
 
R.- Absolument.
 
Q.- Il nous reste peu de temps. Deux questions, quand même. La première concerne la semaine du Développement durable, puisqu'elle commence aujourd'hui. Le message c'est quoi ? Chacun, à son échelle, peut apporter sa petite pierre à l'édifice ?
 
R.- Oui, c'est une affaire de 62 millions de Français, évidemment. Alors, d'abord, moi, je suis absolument fasciné par l'incroyable mobilisation de la presse, le nombre d'articles, de suppléments aujourd'hui dans tous les quotidiens, dans tous les hebdos. C'est extraordinaire, parce que, quel est le sujet ? Comment je fais ? Vous avez envie de sauver la planète, mais comment vous faites ? Ce matin, comment, pratiquement, ...
 
Q.- On a tous envie de sauver la planète...
 
R.- Alors, c'est les ampoules. A chaque fois que vous rentrez dans un magasin, vous votez pour un produit durable ou pas durable. Vous achetez des briques : il y en a qui sont trente fois plus économes que d'autres, je voulais dire en termes calorique. C'est vrai des ampoules, le bain, la douche, acheter une voiture qui consomme beaucoup moins, prendre le TGV, prendre le tramway. Bref, ce sont des gestes du quotidien, évidemment. Et la semaine du Développement durable, elle est géniale, et j'observe qu'en un an, il y a 260 % d'augmentation des manifestations qui expliquent comment on peut faire.
 
Q.- D'un mot, parce qu'il nous reste très peu de temps : vous êtes l'ancien maire de Valenciennes, vous êtes Ch'tis donc...
 
R.- Eh oui...
 
Q.- Vous vous êtes senti touché, ému, scandalisé, révolté par ce qui s'est passé samedi ?
 
R.- Ecoeuré, il n'y a pas d'autre mot. C'est tellement, je ne sais pas comment vous dire... C'est tellement minable, c'est tellement... Ça me fait mal, y compris pour ces gens qui ont mis ces banderoles, je veux dire, qu'est-ce qu'il y a dans le coeur, qu'est-ce qu'il y a dans le respect de l'autre ? C'est invraisemblable, franchement, je le dis, sans tomber dans un pathos inutile, mais de grâce, arrêtons même de montrer cette banderole. Ce n'est vraiment pas en honneur de l'homme, tout simplement.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er avril 2008