Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à RFI le 4 avril 2008, sur l'envoi de militaires français supplémentaires en Afghanistan et sur la France dans l'OTAN.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.-  Le président de la République a donc confirmé ce qu'il avait  annoncé la semaine dernière à Londres : la France va renforcer sa  présence militaire en Afghanistan. 700 soldats supplémentaires  vont être engagés dans l'Est du pays. On voit bien que depuis des  mois, les Talibans ont repris des forces et qu'ils posent de plus en  plus de problèmes aux soldats de la coalition. Est-ce que vous  croyez vraiment que c'est avec un renforcement des troupes sur  place que l'on va régler le problème ? 
 
R.- Ce n'est pas qu'en renforçant les troupes sur place que l'on règlera le  problème, mais c'est d'abord en assurant la sécurité maximale de  l'Afghanistan que l'on pourra faire en sorte que l'on mette en place les  conditions du développement. Je crois qu'il y a quelque chose  d'extraordinaire dans cette histoire. S'il y a bien un combat juste, c'est  le combat de l'Afghanistan, c'est le combat contre les Talibans, c'est le  combat contre le terrorisme, c'est le combat contre l'extrémisme  absolu. Souvenez-vous ce qu'était le régime des Talibans ! Le régime  des Talibans c'était le régime où les jeunes filles n'allaient pas à  l'école, c'était le régime où la culture était interdite, le théâtre était  interdit, où les cerfs volants même étaient interdits pour les enfants. Il y  a un régime démocratique qui a été instauré ; pour la première fois les  femmes ont pu voter. Il y a une Constitution avec Karzaï à la tête. De  quoi s'agit-il ? Il s'agit de faire en sorte que l'Afghanistan ne soit pas  un pays de déstabilisation majeure, d'un arc de crise que l'on connaît  qui va de l'Asie du Sud, j'allais dire, presque jusqu'à l'Atlantique. Et  nous avons une responsabilité majeure qui concerne d'ailleurs notre  propre sécurité. Faire de l'Afghanistan la base arrière du terrorisme,  c'est mettre en place les éléments qui menacent notre propre sécurité. 
 
Q.- Pendant sa campagne électorale, en avril 2007 - pendant la  campagne présidentielle -, N. Sarkozy avait dit sur France 2, la  chose suivante : "la présence à long terme des troupes françaises  dans cet endroit du monde, l'Afghanistan, ne me parait pas  décisive". Qu'est-ce qui justifie, à peine un an plus tard, de prendre  une décision qui est totalement contraire à celle là ? 
 
R.- Parce que, si vous vous dites que partir est impossible, partir c'est  échouer. 
 
Q.- A l'époque il disait qu'il poursuivrait la politique de J. Chirac, qui  lui, avait commencé à rapatrier un certain nombre d'éléments des  forces françaises. 
 
R.- Il n'a jamais dit ça, il a dit... 
 
Q.- Textuellement : « c'est la politique que je poursuivrai, disait-il ». 
 
R.- Il a dit que nous n'avions pas à rester éternellement, nous n'avions pas  vocation à rester éternellement en Afghanistan, voilà ce qu'il disait. Si  vous n'avez pas vocation à rester éternellement en Afghanistan, cela  veut dire qu'il faut que vous fassiez l'effort maximal. Si vous faites un  effort intermédiaire, vous y êtes là, en effet pour l'éternité si je puis  dire. Si en revanche, la communauté internationale décide de mettre le  maximum d'atouts de son côté pour que l'Afghanistan puisse prendre  son destin en main, eh bien vous donnez des chances pour que nous  puissions partir. Mais de toute façon, les opérations internationales de  maintien de la paix, de stabilisation, ce sont des opérations qui durent  toujours sur de longues périodes. Je me permets de vous signaler que  quand vous regardez dans les autres opérations de maintien de la paix  ou de sécurité ou de stabilisation que nous menons, nous y sommes  parfois depuis 20, voire 30 ans, je pense au Liban par exemple. Et donc,  si nous voulons faire en sorte qu'un jour nous puissions partir, il faut  que la communauté internationale fasse l'effort maximum maintenant.  Et d'ailleurs, ce qu'a fait la France hier, ce qu'a annoncé la France hier  a eu un facteur d'entraînement extraordinaire, c'est que d'autres pays  ont annoncé aussi qu'ils allaient renforcer leurs moyens : les  Australiens - les Australiens, on pourrait considérer que cela ne les  concerne pas directement, quand on se situe là, où on se situe  géographiquement - eh bien ! L'Australie fait un effort maximum. Nos  amis allemands ont indiqué que probablement ils allaient aussi  renforcer leurs troupes. On a un effort de nombre de pays d'Europe  centrale et orientale. Bref, l'effort de la communauté internationale va  être accentué et c'est ce que nous voulons, dans la perspective un jour,  en effet, de partir et de laisser aux Afghans le soin de gérer leur propre  pays. 
 
Q.- Est-ce que le coût de ces renforts, pour la France a été chiffré ? 
 
R.- Oui, bien sûr cela a été chiffré : ça sera autour de 150 millions d'euros. 
 
Alors, autre confirmation très importante hier à Bucarest : le désir  de N. Sarkozy de replacer la France dans le commandement intégré  de l'Otan, si possible, a-t-il dit, dès le prochain sommet de  l'organisation en 2009... 
 
R.- Il n'a pas dit ça comme ça, mais enfin... 
 
Q.- Enfin, c'est assez clairement son souhait, après il faudra que les  conditions soient réunies en effet et notamment les progrès en  matière d'Europe de la Défense. Mais si la France rejoignait le  commandement intégré, cela serait un tournant historique, depuis  que le Général de Gaulle en 1966 en avait claqué la porte. Quels  avantages la France aurait-elle à rejoindre les structures du  commandement intégré de l'Otan ? 
 
R.- D'abord et avant tout, la question c'est celle de l'Europe de la Défense,  c'est de faire en sorte que nous fassions des progrès maximum et des  progrès considérables sur la construction de l'Europe de la Défense.  Nos amis américains ont eu hier des mots, comme jamais ils n'ont eu au  sein de l'Alliance atlantique. Hier, G. Bush - et c'est historique - a  indiqué qu'il y avait une nécessité de construire l'Europe de la Défense.  Mon homologue, le secrétaire d'Etat, R. Gates, qui a eu les plus grandes  responsabilités au sein de la Défense américaine depuis 25 ans, a dit,  devant tout le monde : "Je crois que j'ai fait une erreur qui est de penser  que seul l'Alliance atlantique était en mesure d'assurer notre sécurité,  l'Europe doit prendre sa part". Et c'est cela... 
 
Q.- Donc, il faut faire une concession aux Etats-Unis, en rejoignant  l'Alliance atlantique ? 
 
R.- Il ne faut pas faire une concession. Alors, d'une part, nous voulons faire  évoluer l'Europe de la Défense, et vous ne la ferez évoluer dans la tête  des Européens que si les Européens ont la conviction que l'Europe de la  Défense ne se joue pas contre l'Otan - mais que l'Europe de la Défense  et l'Otan c'est complémentaire, et que l'Europe de la Défense ce n'est  pas un moyen d'affaiblir l'Otan. Si vous présentez l'Europe de la  Défense comme un substitut à l'Otan, vous n'avancerez jamais, parce  que pour tous les Européens, le système de sécurité qui leur a permis  d'être en paix depuis 60 ans, c'est l'Alliance atlantique. C'est comme  ça. On peut le regretter, mais c'est comme ça. Deuxième point, sur  l'alliance atlantique, je voudrais vous poser une question : cela veut dire  quoi, intégrer le commandement de l'Otan ? 
 
Q.- Retourner dans le commandement... 
 
R.- Oui, cela veut dire quoi ? 
 
Q.- Passer dans une structure où tout est commandé par les  Américains. C'est vrai qu'aujourd'hui c'est en grande partie le  cas ! 
 
R.- Eh bien non, ce n'est pas ça l'Otan. Nous sommes au sein de l'Alliance  atlantique, nous participons à toutes les opérations militaires de l'Otan,  depuis 1995. Nous avons même des généraux français qui assurent le  commandement d'opération de l'Otan, je pense au Kosovo, le général  Bout de Marnhac - il est le patron des forces de l'Otan au Kosovo ; le  général Peel (phon) y a été avant. 
 
Q.- Donc, vous voulez dire que cela ne changerait pas grand-chose ? 
 
R.- Cela ne change rien. 
 
Q.- Alors pourquoi le faire si cela ne change rien ? 
 
R.- Cela ne change que si, cela change une chose : c'est que dès lors que  vous voulez faire monter l'Europe, faire en sorte que l'Europe de la  Défense existe, vous devez faire en sorte que l'Europe de la Défense  elle existe et que l'Europe de la Défense, elle prenne... et que les  Européens prennent toute leur place au sein de l'Alliance, c'est l'un  avec l'autre. 
 
Q.- Pourquoi y a-t-il alors cette crainte, comme l'explique par exemple  F. Bayrou, le président du MoDem, qui dit : la France est en train  de perdre son indépendance ; la période où la France était indocile  est derrière nous ? 
 
R.- Mais parce qu'il ne connaît pas le sujet, alors il dit n'importe quoi. Mais  il a le droit. Les Allemands, ils sont bien dans le commandement  intégré de l'Otan, cela ne les a pas empêché de s'opposer aux  Américains sur l'Irak. 
 
Q.- L'Allemagne n'est pas une puissance militaire comparable à la  France ! 
 
R.- Je prends un deuxième exemple : hier - toutes les décisions de  l'Alliance atlantique elles se prennent à l'unanimité - hier, les  Américains voulaient absolument que l'Ukraine et la Géorgie rentrent  au sein de l'Otan. C'est quoi ? Ce sont les Européens, qui ensemble ont  expliqué aux Américains que certes l'Ukraine et la Géorgie avaient  vocation à entrer au sein de l'Alliance, mais que ce n'était pas le  moment. Et donc, le fait de réintégrer l'Otan, le commandement intégré  de l'Otan, c'est... on est du domaine du symbole sans que personne ne  sache de quoi on parle. On n'est plus dans le système des années 60 où  grosso modo, chaque régiment avait une affectation pour aller dans tel  ou tel pays en cas de conflit avec le Pacte de Varsovie. Aujourd'hui,  intégrer l'Otan ça veut dire participer aux comités des plans généraux,  c'est la seule structure à laquelle nous ne participons pas et aux comités  des plans nucléaires. Ce sont les deux seules structures auxquelles nous  ne participons pas. Et c'est avoir plus d'officiers dans l'ensemble des  structures militaires pour avoir plus d'influence. C'est tout. Il n'y a,  dans l'idée du commandement intégré aucune conséquence sur la  souveraineté et l'indépendance de nos forces, et l'indépendance de  notre décision, à chaque fois que l'Otan décide de faire quelque chose. 
 
Q.- Soumettre cette initiative à référendum, ce serait une bonne idée,  comme le suggère N. Dupont Aignan ? 
 
R.- Il y a un Parlement, il fait pour ça. 
 
Q.- D'un mot H. Morin, on dit que l'armée de terre se prépare à une  cure d'austérité. Vous allez effectivement annoncer, dans les jours  qui viennent, des suppressions de garnisons ? 
 
R.- Je conteste l'idée de la cure d'austérité, quand on maintient l'effort de  défense. 
 
Q.- Merci H. Morin, bonne journée ! 
 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 avril 2008