Texte intégral
Q - Comment abordez-vous la présidence (Présidence du Conseil de l'Union européenne), alors que Nicolas Sarkozy est accusé de tirer la couverture à lui ?
R - Premier faux procès, il n'y pas d'arrogance française dans cette présidence, mais plutôt des attentes à une période charnière : mise en place du traité de Lisbonne au 1er janvier 2009, élections européennes en juin et renouvellement de la Commission européenne à l'été. Nous avons défini des priorités qui coïncident avec l'agenda européen, avec par exemple le bilan de santé de la PAC et un programme législatif à achever. Sur le réchauffement climatique, il n'y a pas moins d'une dizaine d'accords politiques à trouver pour que l'Europe puisse être leader lors de la conférence internationale de 2009 à Copenhague.
Deuxième faux procès, celui d'être plus nationaliste qu'européen. Nicolas Sarkozy a pris, avant son élection, le risque de dire qu'il ne convoquerait pas de référendum sur le traité européen. Il va proposer qu'il n'y ait plus de référendum automatique en cas d'élargissement. Jamais un président français n'a autant rencontré un président de la Commission. Il va recevoir les présidents de chacun des groupes politiques du Parlement européen. C'est une première. Ce sont des actes éminemment européens.
Côté français, il me paraît anormal que le Parlement national soit si mal traité en matière de politique étrangère et européenne. Il doit avoir des prérogatives beaucoup plus larges. Mes homologues européens sont deux jours par semaine devant le Parlement européen et deux jours devant leur Parlement national. Il faut anticiper la réforme des institutions françaises.
Q - Comment allez-vous nommer le président du Conseil européen ?
R - Il faut une personnalité qui ait conscience des solidarités européennes, qui ait suffisamment d'autorité pour éclairer les travaux du Conseil européen mais sache être en retrait quand il le faut pour que le consensus puisse se trouver au niveau du conseil. Jacques Delors savait très bien le faire. Il faut retrouver pour décembre quelqu'un qui ait un peu ce profil. La majorité de nos partenaires ne souhaitent pas un représentant d'un pays qui a le plus d'exemptions. Tony Blair a beaucoup de charisme, mais il ne me semble pas qu'un consensus émerge en sa faveur.
Q - Voulez-vous un accord global avec le ministre des Affaires étrangères ?
R - L'ensemble des nominations doit respecter les équilibres politiques entre le Parti populaire européen (PPE), le Parti socialiste européen (PSE) et les libéraux et géographiques. Plusieurs solutions sont possibles dès lors qu'il y a un accord institutionnel avec le Parlement européen. C'est pour cela qu'il faut mener dès à présent un dialogue approfondi avec le Parlement.
Q - Etes-vous pour la poursuite du mandat de Javier Solana à la tête de la diplomatie européenne ?
R - Ce n'est pas exclu. Mais s'agissant de toutes ces nominations, il ne faut pas sous-estimer l'attente de nos concitoyens. Avec le Traité de Lisbonne, ils jugent que nous entrons dans une nouvelle ère et qu'elle doit être incarnée par de nouvelles personnalités. Il serait dangereux qu'en Europe, nous mésestimions cette aspiration au renouvellement.
Q - La visite d'Etat de Nicolas Sarkozy au Royaume-Uni n'a pas apporté beaucoup de progrès sur la défense européenne.
R - Nous essayerons de faire en sorte qu'il y ait des progrès irréversibles sous notre présidence. Nous avons trois objectifs : disposer d'une capacité européenne de déploiement et de planification plus importante - il est anormal, sur une opération au Darfour ou en Afghanistan, d'être réduit à quémander trois hélicoptères ou deux hôpitaux de campagne. Deuxièmement, accélérer les efforts de standardisation des équipements militaires ; troisièmement, renforcer le marché intérieur en matière d'équipements et de transferts de technologie. A la fin, il faudra aborder le problème budgétaire. La solidarité en matière de sécurité ne doit pas aller sans un examen de la solidarité budgétaire.
Q - Les désaccords avec Berlin sur l'Union pour la Méditerranée vont-ils rendre la présidence plus dure ?
R - Avec les Allemands, nous avons réussi à faire un traité, à s'entendre sur la régulation financière, à résoudre la gouvernance d'EADS : les points positifs l'emportent largement. Sur l'Union pour la Méditerranée, il fallait clarifier le fait qu'il n'y avait pas d'union qui se substituait à l'Union européenne. L'essentiel de la vision originelle de Nicolas Sarkozy et Henri Guaino est maintenu.
Q - A l'approche de la présidence de l'Union, la France, incapable de tenir ses engagements budgétaires, est-elle en situation de faiblesse ?
R - Les engagements de revenir à l'équilibre en 2010 ont été pris à un mois de la présidentielle - par le gouvernement Villepin -, dans un contexte économique totalement différent de celui d'aujourd'hui. La situation budgétaire est plus difficile pour l'ensemble des Etats européens. Il est important que nous ayons une réduction du déficit en 2008 par rapport à 2007. Viser 2,5 % me paraît indispensable.
Q - La tendance pour 2008 semble plutôt à la dégradation.
R - C'est pour cela qu'il faut donner des signes clairs pour 2008, avec des gels de dépenses et une accélération de la révision générale des politiques publiques et de la réforme de l'Etat. Je mets à part le programme de Martin Hirsch. Il a parfaitement raison de demander les moyens nécessaires pour le retour à l'activité des personnes exclues du travail. C'est un impératif de solidarité. Il ne faut pas barguigner, mais trouver des marges de manoeuvre ailleurs.
Q - Les Français ont vanté pendant des années la souplesse de la Banque fédérale américaine et dénoncé la rigidité de la Banque centrale européenne et de son président, Jean-Claude Trichet. La crise lui donne-t-elle raison ?
R - Nous avons toujours dit que les Etats-Unis traînaient une montagne de dettes derrière eux et que leur système n'était pas soutenable. Ce qui est arrivé devait arriver. La BCE a très bien géré la crise financière. Le mouvement n'est pas terminé, alors qu'on aura encore besoin de liquidités et que l'inflation est au-dessus de l'objectif de 2 %. La BCE doit trouver un juste équilibre entre préservation du pouvoir d'achat et maintien de la croissance. Elle n'a plus à faire le complexe d'une institution naissante. Elle doit avoir un comportement adulte sur le plan de la communication et des signaux psychologiques à adresser. Si la BCE arrive à faire que l'Europe soit moins affectée par la crise, à contenir l'inflation et à éviter que la récession américaine touche l'Europe, elle sortira comme l'institution la plus renforcée.
Q - Qui porte la voix de la France, le ministre des Affaires européennes ou le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino ?
R - Sur la moralisation du capitalisme financier, il n'y a pas beaucoup de différence entre nous. Nous sommes partisans d'une régulation financière plus forte. Je suis tout à fait d'accord avec Henri Guaino : le capitalisme des spéculateurs finira par tuer le capitalisme des entrepreneurs. Sur la BCE, nous pouvons avoir des différences intellectuelles. Mais la construction européenne est une construction de droit et l'indépendance de la BCE fait partie du pacte européen. Nous devons y être fidèles.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2008