Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à France Info le 26 mars 2008, sur la réforme des retraites, la loi sur la modernisation du travail et la flexibilité.

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Média : France Info

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R. Duchemin.- Vous serez demain chez X. Bertrand pour parler retraite, bien sûr. La réforme est en marche, F. Fillon l'a d'ailleurs redit dans un entretien à paraître dans les colonnes de L'Express. Le cap, désormais, c'est 41 ans de cotisations pour tous d'ici 2012 et la loi s'appliquera.
 
R.- Oui, on voit déjà les limites de l'exercice qui consiste à traduire ce que l'on a appelé jusqu'à présent "le rendez-vous retraite 2008", et vous vous souvenez que durant la campagne de l'élection présidentielle d'ailleurs, cela faisait partie des sujets d'intérêt, demandant aux candidats ce qu'il en pensait, comment ils voyaient les choses. On nous avait, à l'époque, beaucoup renvoyés sur cette échéance qui se précise désormais. Moi, je le dis tout à fait clairement, il y a manifestement le risque que le Gouvernement cherche à priver les salariés des termes du débat concernant l'avenir des retraites dans notre pays. Les déclarations récentes de plusieurs ministres, du Premier ministre à son tour, laissent entendre que pour le Gouvernement, les arbitrages sont déjà faits et que nous n'allons rencontrer le Gouvernement comme représentant des salariés que pour la photographie. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas attendu pour en appeler à la mobilisation des salariés, et vous le savez - en tout cas, je le rappelle -, samedi, nous organisons dans tout le pays des manifestations locales et départementales, parce que nous voulons que les salariés puissent être maîtres des termes du débat et naturellement, porter les revendications qui sont les leurs sur l'avenir des retraites.
 
Q.- Visiblement, le Gouvernement dit en parallèle qu'il n'est pas question de toucher à l'âge légal de la retraite. La CFDT, elle, a déjà dit qu'elle était contre le rallongement du nombre d'années de cotisations. Vous, votre position, c'est la même ?
 
R.- Bien sûr ! D'ailleurs, nous sommes très critiques sur les conséquences. Et je pense que de ce point de vue-là, la CGT a eu raison d'être critique et opposée à la réforme de 2003 parce qu'une des conséquences que l'on mesure mieux aujourd'hui - c'est la raison pour laquelle nous disons au Gouvernement "vous ne pouvez pas simplement reprendre les recettes qui ont été définies il y a plusieurs années sans les conséquences sur les niveaux des retraites versées -, s'il y a eu des manifestations ces dernières semaines, je le rappelle, des cinq organisations syndicales de retraités, pour clamer la dégradation des niveaux des retraites versées, nous devrons en retenir compte dans ce rendez-vous 2008 et pas simplement s'inspirer des anciennes recettes pour continuer dans la même direction. Sinon, nous allons vers une paupérisation des retraités et salariés dans notre pays.
 
Q.- Mais qu'est-ce que vous allez dire demain à X. Bertrand ? Vous avez des solutions à lui proposer ? Des solutions en échange ?
 
R.- Il y a bien sûr plusieurs points qu'il faut accepter de traiter. Mais déjà, il faut accepter le principe de la négociation, or le Gouvernement refuse le principe même d'une négociation sur le sujet. Il veut bien entendre les différents acteurs mais c'est lui qui décidera et il laisse entendre que pour une part, il a déjà largement décidé. C'est dire que pour nous, l'ambiance, la pression, la mobilisation qui va s'exercer dans les toutes prochaines semaines à ce propos, va être très importante sur la manière dont le Gouvernement va raisonner. Nous avons plusieurs axes à défendre, c'est assurer un autre niveau des retraites que celui qui est prévu aujourd'hui. On ne peut pas assister à cette dégradation du niveau des pensions versées, au fur et à mesure que les années s'écoulent. Il nous faut conforter le droit au départ à la retraite à 60 ans. Alors, vous l'avez dit, le Gouvernement dit "on ne touche pas au droit au départ à 60 ans", certes. Mais enfin, si vous partez avec...
 
Q.- Cela signifie quoi ? Cela signifie appauvrissement, à terme, des retraités qui vont peut-être devoir passer par une case chômage avant ?
 
R.- C'est déjà le cas aujourd'hui et ce que l'on prépare, parce que le niveau des retraites est trop bas, et si l'on s'en tient aux recettes actuelles, va continuer de diminuer. On envisage du côté du Gouvernement d'autres formules, permettant par exemple aux retraités d'être en retraite et au travail, c'est-à-dire de cumuler une retraite et un revenu d'activité, de travail. Cela, pour ceux qui, physiquement, pourraient éventuellement continuer à travailler.
 
Q.- Ce n'est pas complètement dissocié de ce que vous être en train de négocier en ce moment, à savoir la pénibilité du travail. Aujourd'hui, en fonction des métiers que l'on exerce, peut-on systématiquement appliquer, justement, ce principe des 41 annuités ?
 
R.- Non, et d'ailleurs, nous, nous souhaitons, d'une part que le droit au départ à 60 ans demeure le repère commun, mais nous souhaitons aussi - c'était une demande déjà en 2003 et la majorité de l'époque n'avait pas voulu reconnaître la pénibilité du travail. Toutes les expertises, toutes les enquêtes montrent que suivant le métier que l'on exerce et qu'il soit plus ou moins pénible, son espérance de vie n'est pas identique à un homologue qui n'a pas la même pénibilité du travail. Autrement dit les ouvriers, qui travaillent en trois huit, qui travaillent sur des travaux physiques particulièrement pénibles sont plus usés et ont une espérance de vie en moyenne inférieure de l'ordre de sept années. Il y avait une négociation hier avec le patronat, dix-septième séance négociation depuis trois ans. Constat d'échec !
 
Q.- Et ça bloque toujours ?
 
R.- Constat d'échec ! Au point que nous nous posons la question, pour ce qui nous concerne, je le dis très clairement, de l'utilité d'aller à la dix-huitième réunion, puisque depuis trois ans, nous n'avons pas avancé d'un millimètre. Les entreprises disant, "nous ne mettrons pas un euro pour la reconnaissance de la pénibilité au travail", ce qui est quand même assez savoureux. C'est en quelque sorte à la collectivité nationale de faire face à ce besoin de reconnaissance au départ anticipé, si la collectivité accepte de la reconnaître. Mais les entreprises ne mettront pas un euro de plus.
 
Q.- Cela signifie que vous n'allez pas poursuivre les discussions avec le patronat sur cette question ?
 
R.- Nous allons faire le point demain, puisque nous rencontrons le ministre, sur son opinion, puisque, c'est le gouvernement de l'époque, en 2003, qui nous a dit, "la reconnaissance de la pénibilité du travail, c'est une affaire de négociation entre patronat et syndicat". Trois ans après, on fait le constat d'un échec de cette négociation. Comment le gouvernement aujourd'hui va-t-il raisonner ? Va-t-il continuer de faire jouer la montre à une reconnaissance, une prise en compte d'une revendication sociale...
 
Q.- Vous attendez un arbitrage de X. Bertrand ?
 
R.- Je pense qu'il faut que maintenant que le pouvoir politique intervienne sur cette revendication.
 
Q.- B. Thibault, sur le projet de loi sur la modernisation du marché du travail : il arrive aujourd'hui devant le Conseil des ministres, il est le fruit au départ d'une large concertation avec toutes les organisations syndicales, mais vous, ce texte, vous ne l'avez pas validé. Il y a pourtant des choses qui vont plutôt dans le bon sens ? Je pense au CNE transformé en CDI, c'était une avancée.
 
R.- C'est la seule, c'est la seule et encore, ce n'est pas le résultat de la négociation. C'est la conclusion à laquelle est arrivée le Gouvernement après - je le rappelle - une condamnation du CNE par les institutions internationales, l'organisation internationale du travail, qui a considéré que l'absence de motivation d'un licenciement était condamnable tout comme une période d'essai trop importante. D'ailleurs, je précise pour les salariés qui sont en CNE, donc susceptibles d'avoir un contrat de travail transformé en contrat à durée indéterminée, que s'ils sont menacés dans ces quelques jours de licenciement, parce que les entreprises pourraient s'efforcer de se séparer d'eux avant de devoir les réintégrer, la CGT a un service de conseil et d'accompagnement s'ils s'avéraient menacés. Je pense que sur ce texte nous avons eu raison de nous y opposer. D'ailleurs, je remarque...
 
Q.- Trop de flexibilité pas assez de sécurité, je crois, que c'est la ligne de la CGT.
 
R.- Je remarque qu'au fur et à mesure des étapes juridiques que ce texte a parcouru, pour arriver au Conseil des ministres aujourd'hui, bien des arguments que nous avons mis en avant pour le contester on été entendu par différentes instances. Aujourd'hui, le Conseil des prud'hommes est reconnu comme l'instance d'arbitrage des séparations, des ruptures négociées du contrat de travail. La partie qui est à l'origine de la rupture du contrat de travail doit être précisée. Autrement dit, si c'est l'employeur qui souhaite se séparer d'un salarié, cela doit être précisé parce que c'est synonyme d'un licenciement et à ce moment là, les procédures classiques devront pouvoir s'exercer. Et d'autre part, contrairement à ce que souhaitait le patronat, des périodes d'essais plus courtes que ce que prévoit le texte pourront toujours être possibles par accord de branche. Donc, je pense que la CGT même si elle a été seule a eu tout à fait raison de contester le bien fondé de cet accord.
 
Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 mars 2008