Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à LCI le 4 avril 2008, sur la réforme de l'Etat, notamment la RGPP, les effectifs et les salaires des fonctionnaires, ainsi que sur le revenu de solidarité active.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

 
 
 
C. Barbier.-  140 mesures annoncées : un fonctionnaire engagé seulement pour  deux partant en retraite, cinq à sept milliards d'euros d'économies  attendues pour 2011, le Conseil de modernisation des politiques  publiques, présidé aujourd'hui par N. Sarkozy, va-t-il dans le bon  sens ? 
 
R.- D'abord, il y a un problème, ça fait un côté "opération commando",  puisqu'on n'est au courant de rien. Personne n'a été informé, concerté  sur cette question, qui s'est, si j'ai bien compris, traitée en vase clos  entre quelques hauts responsables de l'administration politique et des  cabinets privés. Donc, on verra ce qui va être annoncé. Mais ce que l'on  craint vraiment, moi j'appelle ça "une rupture républicaine", dans le  mauvais sens du terme. C'est que ça conduise à des externalisations,  des privatisations, et que demain, c'est l'avenir même du service public  qui soit en jeu. 
 
Q.- Et vous pensez qu'au sein de l'Elysée, puisque c'est le Secrétaire  général qui pilote ça, on donne au privé des bouts de service  public ? 
 
R.- Ah oui, c'est une crainte que l'on a. D'ailleurs, si ça intéresse les gens,  on a fait un scénario : nous sommes le 1er janvier 2012, voilà ce qu'il  risque de se passer avec la RGPP. Sur notre site, force-ouvrière.fr.  Donc, on a essayé de voir un peu comment cela allait tourner, et il y a  vraiment possibilité de remise en cause de services publics. Il y a des  cabinets qui participent à certaines réflexions, d'après ce que l'on arrive  à savoir, qui, demain, pourront bénéficier de services privatisés. C'est  quand même une drôle de conception. 
 
Q.- Alors, dans cette "Revue générale des politiques publiques", il y a  une bonne nouvelle quand même pour les fonctionnaires : 1,7  milliards sur ces économies seront redistribués en augmentations  de salaires. Vous approuvez ? 
 
R.- Mais attendez, c'est une...on l'a déjà fait ce genre de choses, on nous l'a  déjà dit. L'année dernière, on nous disait : toutes les économies qui  seront faites en suppressions de postes...en gros, plus vous acceptez des  suppressions de postes, mieux vous serez rémunérés. 
 
Q.- Moins nombreux, mieux payés ? 
 
R.- Ah oui, non, mais attendez. Ce n'est pas comme cela qu'on raisonne. Si  on est attaché au principe républicain, ça suppose une certaine  couverture de la part des services publics, et à partir de là, on regarde  l'adaptation. Nous, on est pour une réforme de l'Etat, mais encore faut-il qu'on en discute. Tandis que là, c'est vraiment : ah, il y a les déficits,  il faut qu'on coupe à la serpette, donc on va faire tant d'économies,  donc ça fait tant de postes de moins. 
 
Q.- Par exemple, la fusion de la Direction générale des impôts et de  celle de la Comptabilité publique, qui est effective aujourd'hui,  c'est plutôt un exemple de réforme réussie ? 
 
R.- Il y a eu des discussions avec les organisations syndicales, ça coince  encore sur pas mal de points, puisqu'on est en train de retirer toute une  série de missions à la Comptabilité publique aujourd'hui. Il faut bien  comprendre, quand on ferme une Perception, par exemple, c'est aussi  bien souvent le percepteur qui aide le maire à faire son budget.  Comment fait-il le maire demain pour faire son budget ? Il va devoir  faire appel à un cabinet privé ? Cela aura des conséquences sur les  impôts locaux. Voilà, ça, c'est...Quand on ferme des garnisons, on peut  réfléchir...je ne pas un spécialiste des questions militaires, mais dans un  département comme la Meuse par exemple, quand vous fermez une ou  deux garnisons, quels problèmes en termes d'aménagements du  territoire, en termes d'activité économique ? Tout cela passe à la trappe.  C'est vraiment une lecture à la serpe, budgétaire et comptable. 
 
Q.- Le Revenu de solidarité active est aussi en question ; il s'agit  d'aider les chômeurs longue urée à reprendre un emploi. Force Ouvrière était plutôt contre l'expérimentation sur trois ans de ce  RSA. Et aujourd'hui ? 
 
R.- Non, non, on n'a pas été contre, on a discuté, on a rencontré M. Hirsch,  il a rencontré tout le monde, et on a discuté de la méthode ave lui. On a  dit qu'on était d'accord pour une expérimentation, parce qu'il faut voir  les conséquences à terme de ce type de processus, le lien avec la Prime  pour l'emploi, enfin, je ne rentre pas dans les détails. Nous, on est assez  critiques sur la Prime pour l'emploi, de manière structurelle. Par contre,  là, s'il est remis en cause. Pourquoi ? Parce que dès qu'il y a une  dépense nouvelle, maintenant, on coupe. C'est cela que ça signifie. On  est enfermés, au-delà des discours etc, enfermés dans une logique  économique, y compris au niveau européen. Et ça, il n'y a pas de  courage politique pour dire, de taper du poing du poing sur la table, y  compris au niveau européen, pour dire : attendez, il y a d'autres choix  possibles. 
 
Q.- Alors, la RGPP veut baisser le plafond jusqu'auquel on peut  demander un logement social. C'est plutôt bien ça ? On va limiter  le nombre de gens qui vont demander un logement ? 
 
R.- S'il y a des gens qui se situent dans des logements sociaux et qui ne  devraient pas y être, bien entendu. Il y a des choses qui peuvent se  regarder. Mais je vais voir par exemple, si, encore une fois, dans le  cadre de la RGPP, on va vouloir remettre en cause le système paritaire  du logement social, ce qu'on appelle le 1 % logement, qui n'est  d'ailleurs plus 1 % mais à 0,45 %. Tenez, l'Etat est en train de lorgner  partout où il pense qu'il y a de l'argent. C'est vrai dans le logement,  c'est vrai dans la formation professionnelle, c'est vrai dans les Assedic.  Ecoutez, quand j'entends le ministre du Travail hier dire : "ah, ben, on  va baisser la cotisation d'assurance -chômage pour la transférer sur  l'assurance-vieillesse"... 
 
Q.- C'est bien, il y en a une qui gagne de l'argent, il y en a une qui  perd. Donc, on fait des vases communicants. 
 
R.- D'abord, j'ai envie de lui dire : "de quoi il se mêle !", puisque ce n'est  pas à lui de décider. C'est la négociation qui doit décider de ce genre de  choses. Et nous on doit aussi regarder sur le régime d'assurance  chômage. Il y a des problèmes à régler. Les saisonniers, par exemple :  on est depuis plusieurs mois, on explique qu'au bout de trois saisons, ils  ne seront plus indemnisés ; ils sont en train de protester, à juste titre.  Ça, ce sont des dépenses supplémentaires pour le régime. On peut aussi  regarder si on peut mieux couvrir les chômeurs. Donc, si l'Etat décide  de tout à la ça place de tout le monde, ça veut dire que...De plus, c'est  une drôle de manière de respecter le dialogue social ! 
 
Q.- Pourquoi continuez-vous à refuser le passage, d'ici à 2012,  trimestre par trimestre, à 41 ans de cotisations pour les retraites,  alors que la loi a été votée en 2003, donc, on ne fait que  l'appliquer ? Et de plus, le Conseil d'orientation des retraites a  expliqué qu'à partir de 2020, c'était 4,1 milliards par an de surcoût,  si on reste à 40 ans" ? ! 
 
R.- Deux choses : ce n'est pas parce qu'une loi a été faite en 2003...Qui dit  d'ailleurs que c'est 41 ans, sauf événement nouveau ! Il y en a une série  de paquets d'événements nouveaux, ce n'est pas...Si, si, sur l'emploi  des seniors, sur toute une série de... 
 
Q.- La démographie n'a pas tellement bougé, on vieillit.]] 
 
R.- Elle s'est améliorée la démographie depuis... 
 
Q.- On vit encore plus longtemps, donc. 
 
R.-  Les perspectives de la démographie se sont améliorées depuis  20003 ; le COR le reconnaît d'ailleurs. Bon. Ce n'est pas parce que  Fillon était ministre du Travail en 2003 qu'il est Premier ministre,  il a le droit d'évoluer. Il n'est pas obligé de...Fillon 2008 n'est pas  obligatoirement égal à Fillon 2003. Enfin, là, dans le cas présent,  visiblement si, premier élément. 2,2 milliards de coûts pour le privé,  alors, si on rajoute le public apparemment ça ferait 4 milliards  d'euros, alors c'est une somme importante 4 milliards d'euros.  Mais écoutez, je veux bien 4 milliards d'euros en 2020. On va  supprimer l'impôt forfaitaire pour les PME l'année prochaine ;  coût pour le budget de l'Etat, 1,3 milliards ; le bouclier fiscal à 50  %, qui bénéficie quand même plus aux riches qu'aux autres ; coût  pour le budget de l'Etat, 600 millions. Réduction de l'impôt sur les  dividendes ; coût pour le budget de l'Etat, 500 millions. Ça veut  dont bien dire que c'est absorbable, mais c'est un choix. Or, nous le  contestons parce que, à la fois, faire travailler les gens plus  longtemps, c'est leur donner des droits plus difficiles pour acquérir  une retraite, ou c'est partir avant avec une retraite amputée. Donc,  le Gouvernement en fait une question de symbole, il veut faire  baisser la tête aux gens. Nous ne l'acceptons pas, et c'est pourquoi  d'ailleurs FO appelle à des manifestations le 16 avril. 
 
Q.- Alors, on va faire une simulation, comme sur votre site Internet. Je  suis Premier ministre, et je vous dis : voilà, très bien, on reste à 40  ans de cotisations, mais on repousse l'âge de départ à la retraite de  60 à 62 ans. 
 
R.- Non ! Ecoutez, non, parce que, il y a...Aujourd'hui, ça veut dire  imposer à plus de la moitié des femmes, imposer à plus de la moitié  d'un tiers des hommes de devoir travailler un an de plus, et y  compris avec les difficultés en matière de conditions de travail.  Non, ce n'est pas acceptable ! On nous dit : ah mais si l'emploi des  seniors...on va faire des choses. J'attends d'abord de voir ce que  proposera le Gouvernement. 
 
Q.- X. Bertrand promet "des mesures pénalisantes" pour les  entreprises qui ne font pas travailler des seniors ? 
 
R.- On verra, on verra. Nous, on n'est pas hostiles bien entendu à  regarder ce genre de chose. Mais il faudra en mesurer les résultats.  Parce qu'il y a eu un accorde sur l'emploi des seniors, on n'a pas  signé, nous d'ailleurs, il y a deux ans. Quels sont les résultats ?  Rien ! Alors, ce n'est pas une loi qui automatiquement change les  choses. Il faudra bien regarder concrètement les résultats avant  d'envisager tout autre chose. 
 
Q.- Faut-il supprimer le Fonds de réserve de réserve, cette cagnotte... 
 
R.- Non. 
 
Q.- ...qu'on garde pour, après 2020, payer les retraites du privé ? 
 
R.- Oui, alors ça...L'objet du Fonds de réserve des retraites, ça n'a  jamais été de tout régler, mais de régler une partie des problèmes.  Non, il faut le conserver, bien entendu. Mais non seulement il faut  le conserver, mais il faut l'alimenter. Nous, on a émis une  suggestion par exemple pour l'alimenter : il y a eu 100 milliards  d'euros de bénéfices non réinvestis en 2006, c'est le dernier chiffre  connu ; une taxe de 3 %, ça rapporte 3 milliards d'euros par an. Et  on peut l'affecter au Fonds de réserve des retraites. Le problème du  Fonds de réserve, c'est qu'il n'a pas été alimenté comme il aurait  dû être alimenté financièrement. Donc, il faut l'alimenter plus.  Pour l'alimenter plus, il faut 3 %, ce n'est pas énorme ...La Société  Générale a perdu beaucoup plus que ça et on nous dit que ce n'est  pas grave. Donc... 
 
Q.- Vous prévoyez donc une manifestation le 16 avril, vous avez "un  train de retard", disait à votre place B. Thibault en début de  semaine. 
 
R.- On voit qu'il est cheminot B. Thibault. 
 
Q.- Pourquoi cette désunion syndicale ? 
 
R.- Mais non, ce n'est pas une question de désunion syndicale, je l'ai  expliqué. Nous, le 29 mars, et je l'ai dit publiquement, nous avions  pris des engagements vis-à-vis des associations de handicapés... 
 
Q.- Qui manifestaient le jour même. 
 
R.- Moi, j'ai manifesté avec les associations de handicapés le 29 mars.  Alors, maintenant les choses sont de plus en plus claires du côté  gouvernemental. Même le ministre du Travail qui pour le moment,  n'avait rien dit, a confirmé les 41 ans, dimanche dernier sur vos  antennes. Donc, à partir de là, on dit : il est temps d'agir. Comme  on devrait normalement d'ici 8 jours, s'il respecte son calendrier,  avoir une première trame, c'est maintenant qu'il faut agir, en tous  les cas, c'est ce que pense FO. 
 
Q.- Alors, agir, vous êtes prêt à une intersyndicale ?]] 
 
R.- Mais on est en intersyndicale, on s'est vus lundi, il y aura d'autres  réunions, chacun est libre, mais chaque organisation a droit aussi  de prendre ses initiatives. 
 
Q.- Il y a un peu de compétitions entre vous ? 
 
R.- Beaucoup moins qu'avant. Non, ce n'est pas...Enfin, les  prud'hommes peut-être, je vais vous dire c'est autre chose, ce n'est  pas la peine de tourner autour du pot, c'est le dossier  représentativité lancé à l'initiative de certaines organisations  d'ailleurs du patronat et du Gouvernement qui rend  l'intersyndicale plus difficile qu'autre chose. Comme toujours dans  l'histoire, comme on dit, l'union est un combat. 
 
Q.- Vous allez demain à Lubjana en Slovénie avec les autres syndicats  européens manifester pour la redistribution des richesses. On voit  des grèves en Roumanie, au Vietnam pour la hausse des salaires,  pour le pouvoir d'achat. Est-ce que l'on peut envisager une sorte de  1968 bis, révolte continentale mondiale des salariés ? 
 
R.- Ce serait pas mal une révolte mondiale des salariés. Je ne lis pas  dans le marc de café mais enfin ce que je veux souligner  simplement, c'est que la manif en Slovénie, pourquoi ? Parce que  c'est la Slovénie qui préside l'Union européenne, on attend 30.000  syndicalistes des différents pays européens avec pour la première  fois la Confédération européenne des syndicats à laquelle nous  appartenons, qui demande aux salariés de manifester pour les  augmentations de salaires et contre la politique menée par la  Banque centrale européenne. Alors, c'est vrai vous citiez Dacia en  Roumanie, etc. Regardez ! Hier, la Redoute, Mondial Assistance,  Le Crédit du Nord... Il y a des grèves en ce moment en France et  également sur les salaires, il y en a en Allemagne, et je crois que  c'est une revendication commune au niveau européen. 
 
Q.- Que demandez-vous à N. Sarkozy dans le dossier Gandrange ? 
 
R.- Mittal veut fermer une partie de ses activités ; comité d'entreprise  aujourd'hui. 
 
Q.- Paraît-il qu'il va se prononcer la semaine dernière (sic)... Ecoutez... 
 
R.-14 avril. 
 
Q.- Personne ne lui a demandé de prendre des engagements. C'est lui  qui les a pris. Alors qu'est-ce qu'il va annoncer la semaine  prochaine, je ne sais pas. Mais à lui de prendre ses responsabilités.  On ne peut pas s'engager vis-à-vis des salariés et puis après tirer le  rideau. Donc, à lui de faire des propositions, la semaine prochaine,  si j'ai bien compris.    
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 avril 2008