Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec Europe 1 le 9 avril 2008, sur l'état de santé d'Ingrid Betancourt, otage des FARC, et l'échec de la mission humanitaire en Colombie, les manifestations parisiennes de solidarité pro-Tibet sur le parcours de la flamme olympique et la question de la participation française à la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques à Pékin.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Bernard Kouchner bonsoir. Nous allons évidemment parler de deux sujets qui intéressent beaucoup les auditeurs d'Europe 1 : la flamme olympique et Ingrid Betancourt.
Commençons par Ingrid Betancourt, vous avez dit hier que vous aviez des nouvelles qui, semble-t-il, prouveraient ou montreraient qu'elle n'était pas si en mauvaise santé que cela.
R - Non, j'ai dit qu'elle était moins en mauvaise santé, mais elle est certainement en mauvaise santé.
Q - Soyons précis maintenant.
R - J'ai pris les précautions oratoires nécessaires. Si l'on en croit l'examen médical qui aurait été pratiqué, elle se montrerait...
Q - Mais par qui et où ? Vous le savez et on ne peut pas le dire ?
R - Dans la région de Guavire, en effet, un médecin l'aurait vue. Mais je prends cela avec beaucoup de précaution. Simplement, les constatations médicales pour moi traduisaient, si c'était vrai, un état de santé meilleur que celui que nous avions envisagé mais en même temps, j'étais très étonné que les diagnostics aient pu être portés sans examens biologiques et complémentaires dans cette région.
Alors, voilà, je dis cela avec beaucoup de précaution. Encore une fois, cela m'a fait plaisir mais en même temps, ce qui nous a fait un grand déplaisir, c'est évidemment l'annonce des FARC indiquant que cette opération humanitaire ne pouvait pas se poursuivre.
Q - Plusieurs questions précises. D'abord, le refus des FARC de recevoir cette action humanitaire menée notamment par la France, c'est un refus qui coule une initiative qui vient tout de même directement du président.
R - Ce n'est pas le problème, le problème, c'est Ingrid Betancourt et les otages. Les initiatives, nous en prendrons d'autres. Vous savez, cette initiative a été prise par la Suisse, par l'Espagne et par la France, ce n'est pas la première et ce ne sera pas la dernière.
Q - Mais à quoi cela sert-il si c'est un échec ?
R - Qui ne risque rien n'a rien, les autres se taisent.
Q - D'accord, mais à quoi cela sert-il si c'est un échec ? Irez-vous en Colombie ?
R - On peut en refaire une autre ! Cela sert à essayer autre chose. Si on n'essaie qu'à chaque fois que l'on est certain de réussir, enfin, nous ne ferions rien. D'ailleurs personne ne faisait rien.
Q - Irez-vous en Colombie, accompagnant, par exemple, une nouvelle mission humanitaire avec l'envie de voir les partisans de Marulanda et éventuellement d'entrer en contact avec Ingrid Betancourt, malgré le refus ?
R - Oui, en effet, prochainement c'est ce que je tenterai de faire. Il faut d'abord que nous réfléchissions ensemble à la proposition, que nous nous concertions avec les pays alentours et je le ferai. Je vais vous dire d'avance, même si je dois échouer, je le ferai quand même et je vous annonce d'avance que je ne suis pas certain de réussir.
Q - Cela se fera dans une zone qui ne sera absolument pas sécurisée parce que, pour l'instant, personne ne veut de cette zone qui a été proposée ?
R - Reprenons les choses au début. Je ne peux pas vous dire maintenant ce qui se fera et d'ailleurs, si je le savais très précisément, je ne le dirais pas. Je sais la volonté que nous avons de continuer.
Les Droits de l'Homme, c'est cela, il faut continuer obstinément et il n'y en a pas que pour Ingrid Betancourt mais pour tous les otages et dans bien des endroits du monde. Nous nous obstinons.
Q - Je voudrais maintenant que nous parlions du Tibet mais, auparavant, je voulais vous parler d'une question personnelle. Beaucoup de gens considèrent que, étant données les positions que vous avez prises depuis des années, année après année en tout cas, maintenant, semaine après semaine, vous "mangez votre chapeau". Poutine, Kadhafi, le Tibet, Pékin, les droits humanitaires avec notamment Marulanda, le chef des FARC, Bernard Kouchner est-il un homme pragmatique ou est-il un homme qui, semaine après semaine, en ce moment "mange son chapeau" ?
R - Tout d'abord, je n'ai pas de chapeau et j'engage les personnes qui croient avoir un "chapeau comestible" à venir me le présenter elles-mêmes.
Ensuite, je vous signale que vous mélangez bien des choses. Marulanda n'est pas exactement M. Poutine et M. Poutine n'est pas exactement les Jeux Olympiques et le Tibet. Moi, je suis un combattant des Droits de l'Homme, je le demeure et je le demeurerai. Simplement, en ce moment, je suis ministre des Affaires étrangères, ce qui entraîne quelques responsabilités.
Donc, je continue de combattre mais je voudrais être efficace. A ma place, vous venez de le dire à propos du président Bush, lui-même dit qu'il faut que le dialogue ait lieu, je tente tout pour que ce dialogue ait lieu. Je me bats en parlant aux autorités chinoises et en parlant deux à trois fois par semaine au Dalaï-Lama.
Je vous dis deux choses. J'ai proposé au nom de la France que les Vingt sept pays de l'Europe entendent le Dalaï-Lama et, bien sûr, ils entendent aussi les autorités chinoises. Oui, le Dalaï-Lama est bienvenu en France. Oui, je le recevrai, oui, je l'ai reçu dix, quinze fois et contre tout le monde. Pour le moment, ce ne serait pas contre tout le monde. Viendra-t-il en août ? Je l'espère, je n'en sais rien.
Voilà ce que je fais tous les jours, c'est plus facile que de signer une pétition et d'ailleurs, je signerai quand même volontiers encore bien des pétitions. J'ai vu les manifestations à Paris, je trouve que c'était un triste jour. J'ai compris les manifestants.
Q - Fiasco! Les gens ont dit que ce fut un fiasco et l'on enquête sur les hommes de sécurité chinois qui se trouvaient sur place.
R - Oui, il était temps ! Mais nous ne savions pas.
Q - Voulez-vous dire que la ministre de l'Intérieur, Mme Alliot-Marie, dans la préparation de cette journée sécurisée ne pouvait pas être au courant de ce qui se passait ! Cela paraît invraisemblable.
R - Non, elle est très au courant de ce qui se passe et le déploiement a été tout à fait exceptionnel. Seulement, dans les règlements du Comité international olympique, ce sont les récipiendaires de la flamme qui dirigent ces opérations. Et cela fut dur à avaler. Moi, personnellement, je ne le savais pas, je crois que Mme Alliot-Marie ne le savait pas mais elle a déclenché cette enquête interne pour savoir qui avait commandé l'arrachage des drapeaux tibétains qui, franchement, ne faisaient de mal à personne.
Par ailleurs, je voulais vous dire une chose, je ne mange pas mon chapeau, je suis à ma place, assez solide et je voudrai être efficace. C'est très facile de se tromper tout le temps, mais il faut être efficace dans de telles conditions. Pour que le dialogue se fasse, il faut vraiment qu'ils soient deux ! Il faut vraiment que le Dalaï-Lama et les autorités chinoises arrivent à se parler. C'est la condition nécessaire pour tous les pays que je connais.
Nous n'avons jamais décrété le boycott, nous n'avons jamais proposé le boycott des Jeux Olympiques. Dès le 14 mars, je défie tout le monde chez mes détracteurs d'avoir fait quelque chose avant, nous avons fait une résolution des Vingt sept pays de l'Union européenne et j'ai dit que la proposition de faire quelque chose pour la cérémonie, ou de ne pas faire quelque chose pour la cérémonie, d'inventer quelque chose, était intéressante et juste.
Q - Une question franche Bernard Kouchner, ce sera la dernière et merci de vos réponses franches. N'y a-t-il pas un malaise dans l'organisation gouvernementale, les propos de Mme Rama Yade que vous corrigez ensuite, il y avait ceux du président de la République, là il s'agit du Tibet et vous venez de tenter de clarifier la situation. Il y a une affaire Kosciusko-Morizet qui s'en prend à MM. Borloo et Copé, elle est interdite de voyage à Tokyo. N'y a-t-il pas du tangage et qui en est responsable ?
R - Il n'y a aucun gouvernement, j'en ai fréquenté beaucoup, qui n'ait eu tangage et roulis à la fois. Cela arrive, en effet, et autant le reconnaître. Je ne peux pas parler des autres affaires car je les connais mal.
Q - C'est votre gouvernement malgré tout !
R - Oui, c'est mon gouvernement, je suis membre du gouvernement et je le revendique. Ce n'est pas simple.
Entre cet acharnement à combattre en faveur des Droits de l'Homme et le fait que nous ayons d'autres responsabilités qui sont, forcément, économiques, représentatives - le chômage, le développement des entreprises françaises - ce n'est pas simple. Ce n'est simple pour personne et vous savez, j'ai connu cela aussi lorsque l'on m'interdisait de recevoir le Dalaï-Lama à Paris, ce fut sous le gouvernement de M. François Mitterrand.
Q - Mais, interdire Mme Kosciusko-Morizet de voyage, l'interdire devant l'Assemblée, lui demander de s'excuser ?
R - Pour parler d'interdiction, je vous parle d'une affaire que je connais, l'interdiction de recevoir le Dalaï-Lama, en 1988 et 1989. Je l'ai reçu moi-même et j'étais membre du gouvernement de François Mitterrand et de Michel Rocard. Qu'est-ce que j'ai pris ! Mais je l'ai fait malgré tout et, depuis, j'ai récidivé quinze ou vingt fois.
Q - Merci Bernard Kouchner d'avoir été en notre compagnie.
R - Merci à vous mon cher, j'ai répondu franchement je crois.
Q - Mais, attention au chapeau s'il passe !
R - Oui, j'y penserai, avec un peu de moutarde !
Q - C'est un peu indigeste, quoiqu'il arrive.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2008