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Q - Bernard Kouchner, bonjour. Chef de la diplomatie française, vous achevez ce soir, une visite de deux jours en Afghanistan. Vous êtes en ce moment-même à Kandahar, dans le sud du pays. C'est le bastion des Taliban, nous y reviendrons.
Un mot d'abord sur ce terme que vous avez employé, hier, à plusieurs reprises : vous avez parlé d'"afghanisation". Appelez-vous les Afghans à prendre leurs responsabilités dans la lutte contre les Taliban ? Est-ce bien cela ?
R - Oui, je les appelle à prendre leurs responsabilités dans la lutte contre les Taliban certainement, mais leurs responsabilités aussi dans l'organisation de leur vie quotidienne, dans les projets que nous leur proposons.
Par exemple, nous sommes actuellement engagés dans un PRC, c'est-à-dire un Programme régional de coopération, avec les Canadiens. Nous écoutons les responsables de la santé : certains sont des Afghans et nous les appelons à prendre leurs responsabilités dans tous les projets que nous leur proposons, aussi bien de santé publique, de vaccinations que d'accès aux soins. C'est difficile parce que la réponse, à l'instant, était encore qu'il y a trop d'insécurité pour que nous puissions circuler suffisamment.
C'est un rêve, c'est très difficile mais c'est en partie cela l'"afghanisation". C'est leur donner leurs responsabilités pendant que nous sommes là et pendant que nous tentons d'élargir les zones de sécurité afin qu'elles gagnent tout le pays. C'est cela le sens de l'effort français qui nous a été demandé, en particulier par nos amis canadiens avec lesquels je me trouve.
Q - Vous avez rendu visite aux soldats français basés à Kandahar il y a quelques instant, vous leur avez dit : "nous n'allons pas nous retirer demain mais nous ne resterons pas éternellement." Précisément, qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire qu'il faut maintenant travailler sur la sécurité et la responsabilisation, c'est-à-dire l'implication. Nous ne pouvons pas toujours faire pour eux. Nous ne pouvons pas travailler à leurs côtés sans qu'ils soient associés le plus possible pour qu'ils parviennent ensuite à diriger eux-mêmes ces programmes.
Q - Si on comprend bien, vous nous dites que la lutte contre les Taliban dépend aussi évidemment de la reconstruction du pays.
Hier, ici même dans ce Journal, nous étions avec Eric Cheysson, le Docteur Cheysson de l'Institut médical français pour l'Enfant à Kaboul. Deux années d'existence pour cet Institut, 3.000 enfants opérés et énormément évidemment ont été sauvés grâce à cet Institut médical français pour l'Enfant à Kaboul. Eric Cheysson nous disait aussi, en revanche, que depuis quelques mois, pour eux, pour les étrangers, impossible de sortir de la capitale afghane, impossible de sortir de Kaboul. Les choses ne s'arrangent pas finalement... 70.000 soldats dans le pays !
R - Vous savez, les Soviétiques étaient 150.000, ils n'ont pas réussi non plus.
Mais nous ne nous battons pas contre les Afghans, nous nous battons à leurs côtés et je pense que cela va s'arranger. Eric Cheysson a raison, l'insécurité règne encore, je vous l'ai dit. Mais, en même temps, il y a de plus en plus d'Afghans impliqués et cet hôpital formidable doit être complété par de la santé publique, des soins de base.
Nous parlions de la malnutrition. Vous savez, la vraie lutte en Afghanistan, c'est la lutte contre la pauvreté. C'est l'un des pays les plus pauvres du monde. Nous parlions du niveau de malnutrition chez les enfants avec les médecins afghans qui sont là, évidemment, c'est encore trop élevé. C'est très difficile de savoir s'il y a 30 ou 40 % d'enfants souffrant de malnutrition, mais c'est une malnutrition chronique. Il est très important aussi de travailler à la base et ce sont les Afghans qui le feront. Il y a toute une éducation, toute une culture, des tas de difficultés, mais nous ferons face.
C'est le sens de ce que j'ai dit : bien sûr que nos soldats ne resteront pas éternellement. Nous n'avons pas l'intention de conquérir l'Afghanistan, d'y rester éternellement, de coloniser ce pays, pas du tout. La différence, c'est le travail aux côtés des Afghans, pour les Afghans, contre le terrorisme, contre un islamisme agressif et extrémiste que je ne confonds pas avec l'Islam modéré.
Q - Votre homologue canadien, Maxime Bernier estime que tous les outils et tous les moyens sont à présent là pour réussir à long terme en Afghanistan. Etes-vous en accord avec lui ?
R - Oui, si nous avons cette volonté de ne pas faire du "tout militaire", si nous avons cette volonté de connaître les Afghans de plus près, d'être avec eux, de les impliquer - je l'ai dit, pardon de me répéter -, de les impliquer dans ce travail quotidien et d'employer les moyens du développement afin de leur donner les moyens de se développer eux-mêmes. Il n'y aura pas de solution militaire, c'est sûr.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2008