Texte intégral
Monsieur le haut commissaire aux solidarités actives,
Monsieur le directeur,
Mesdames et messieurs,
Longtemps, la prévention a pu être considérée comme le codicille, une simple annexe à nos politiques de santé publique. Aujourd'hui, le temps est venu d'aller au-delà des déclarations de principe, des proverbes entonnés dans les écoles, des mesures à spectre large qui trop embrassent et mal étreignent.
L'élaboration d'une politique de prévention innovante et ambitieuse, je dis bien d'une politique, au sens le plus riche et le plus noble de ce terme, constitue l'un des axes majeurs de mon action à la tête du ministère de la santé.
Comment s'adapter aux évolutions de notre société ? Comment faire face aux disparités qui se creusent entre certaines populations parfaitement informées, et soucieuses de préserver leur santé, quand d'autres semblent rester à l'écart de cette nouvelle prise de conscience ?
Comment offrir à chaque citoyen les moyens d'opérer des choix réfléchis, éclairés, et autonomes en matière de santé ? Comment permettre à un patient atteint d'une maladie chronique de prendre en charge sa maladie, d'être en mesure d'aider les soignants à l'aider ? Autrement dit, comment promouvoir une véritable éducation thérapeutique dans notre pays ?
Engager une politique de prévention ambitieuse, qu'il s'agisse de prévention primaire, secondaire ou tertiaire, requiert non seulement une certaine longueur de vue, mais également du courage.
Nous savons bien, en effet, que les mesures de prévention ne portent leurs fruits qu'à long terme. La temporalité où se déploient ces actions peut à l'occasion décourager jusqu'à leurs plus ardents zélotes. Sans doute n'ai-je pas besoin de vous dire que cette patience s'accorde mal avec l'urgence où vivent les politiques, portés parfois à préférer l'éclat d'actions plus immédiatement visibles.
Décideurs publics, acteurs du monde de la santé, simples citoyens, nous sommes tous pris au leurre du même effet d'optique, lorsque nous attribuons nos gains de qualité et d'espérance de vie aux progrès de la médecine curative.
Ce ne sont pas les antibiotiques, ou l'imagerie par résonnance médicale, ou encore la chirurgie au laser qui sont responsables au premier chef de nos bons indicateurs de santé. Ces succès considérables, nous les devons à des habitudes et à une hygiène de vie dont nous avons l'impression qu'elles vont de soi, mais qui sont en réalité acquises.
Un certain état d'esprit, presque consubstantiel à la prévention, vous interdit de regarder en arrière, et de contempler les succès que vous avez déjà remportés. Combien d'entre vous se disent et se répètent chaque jour qu'il ne faut pas se reposer sur ses lauriers, que la moindre baisse de vigilance est une forfaiture, qu'il faut laisser derrière soi ces victoires pour mieux se concentrer sur les combats de l'avenir ? Cette dynamique qui vous porte toujours vers l'avant fait partie de la culture de votre discipline.
C'est pourquoi aussi, je tenais à vous rendre l'hommage le plus chaleureux, le plus mérité pour votre engagement sans faille dans nos politiques de prévention. Chaque jour, par votre action, vous sauvez des vies. Vous sauvez des vies d'hommes et de femmes qui souvent ignorent tout ce qu'ils doivent aux politiques de prévention que vous mettez en oeuvre. J'en suis, pour ma part, bien consciente. C'est la raison pour laquelle, en tant que ministre de la santé, je suis particulièrement heureuse d'ouvrir aujourd'hui ces quatrièmes journées de la prévention, sous le patronage de l'INPES.
Plus que toute autre discipline de la médecine, la prévention se doit de s'adapter aux contours toujours plus mouvants de notre société. Les acteurs de la prévention, les missions et les moyens qui sont les leurs, sont divers et ondoyants, souvent difficiles à enserrer dans un cadre normatif. Encore faut-il ajouter la multiplicité des enjeux auxquels vous devez vous mesurer. Certaines campagnes de prévention visent notre population toute entière. Je pense ici à la sensibilisation autour des questions de nutrition ou de l'activité physique quotidienne nécessaire pour préserver son capital santé. D'autres ont pour but d'alerter et de protéger des segments très précis de notre société. Discours et moyens d'intervention doivent alors être adaptés à leurs besoins.
Bien que l'exercice relève en partie de la gageure, je souhaite considérer avec vous les deux axes essentiels de votre action, qu'il s'agisse d'actions à portée immédiate ou d'actions à plus long terme. La prévention comporte deux missions essentielles : informer et éduquer.
Prévenir, c'est d'abord chercher à informer ceux qui ne savent pas. Mais c'est aussi rappeler ceux qui croient savoir à une vigilance constante, à la responsabilité.
C'est sur ce point que vos missions ont évolué le plus sensiblement au cours des trente dernières années. Aujourd'hui, chacun compose lui-même ses programmes de radio, de télévision ; internet a ouvert le champ d'une communication plus vaste, mais également beaucoup plus éclatée. Avec l'avènement des blogs, des podcasts, des forums, les mass media ont cédé le pas aux médias de niche. Ainsi, il y a fort à parier que les films qui seront retenus par le jury que présidera André Téchiné, films réalisés pour la campagne de prévention contre le suicide des jeunes homosexuels que j'ai souhaité lancer, rencontreront une audience bien plus large sur youtube que sur des chaînes hertziennes traditionnelles.
Si cet éclatement complique en apparence notre tâche, il nous offre en réalité une chance : atteindre plus sûrement les populations les plus exposées aux risques.
Ainsi, je salue les initiatives qu'a su prendre l'INPES en lançant une campagne d'information autour du SIDA sur des sites fréquentés par la communauté homosexuelle. La communication autour du SIDA illustre, plus que toute autre peut-être, la nécessité de s'adapter aux populations à risque. C'est ainsi que l'INPES, là encore, a lancé une remarquable campagne de prévention destinée aux habitants de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, où la prévalence de cette maladie est beaucoup plus forte qu'en métropole, et appelle une action énergique.
L'apparition de segments résiduels de population, qui restent à l'écart des campagnes de communication classiques ou innovantes montre bien aujourd'hui combien la prévention doit savoir puiser à des sources de savoir multiples. L'apport des sciences humaines et de la philosophie, la compétence des professionnels de la communication, voire du marketing sont essentiels. La prévention doit, en effet, se repenser constamment à l'aune de connaissances nouvelles, mais aussi de problématiques sanitaires jusque là inconnues, et qui exigent une véritable ductilité dans la mise en oeuvre des stratégies.
Je me réjouis de voir la diversité des profils de ceux qui vont intervenir aujourd'hui et demain dans le cadre des ateliers des journées nationales de la prévention. En partageant vos expériences, en mettant vos savoirs en commun, vous contribuez à la diffusion des bonnes pratiques de la prévention.
Mais informer, ce n'est pas encore éduquer. Faire savoir, ce n'est pas exactement former.
La prévention a bien, en effet, pour ambition ultime d'encourager nos concitoyens à prendre mieux en main leur santé, à devenir autonomes.
Cette autonomie que j'appelle de mes voeux s'accorde mal avec toute politique d'interdiction ou de coercition. C'est pourquoi l'interdiction ne peut être qu'un pis-aller, voire un dernier recours, permettant de protéger nos concitoyens dans un premier temps, avant de les convaincre d'adopter d'eux-mêmes les comportements bénéfiques pour leur santé.
C'est ce constat qui m'a amenée à mettre en oeuvre l'interdiction de fumer dans les lieux publics, dont les retombées très positives sont désormais avérées. Les fumeurs eux-mêmes se sont déclarés majoritairement en faveur de cette mesure, preuve qu'ils y voient plus une aide extérieure à restreindre leur consommation, qu'une mesure liberticide.
Dans cet esprit, j'ai également souhaité le retrait des publicités pour les produits gras, trop salés et sucrés aux heures où les enfants regardent la télévision, ainsi que la disparition des sucreries aux caisses des supermarchés. Je n'ai pas décidé unilatéralement, et arbitrairement cette décision. J'ai souhaité la concertation. Elle procédera d'un engagement volontaire de la part des acteurs concernés par ces produits : médias, publicitaires, annonceurs et industriels. Je sais pouvoir compter sur leur sens des responsabilités pour s'engager à signer une charte d'action.
C'est le même principe d'engagement volontaire et solidaire qui m'a guidée dans le programme de lutte contre l'anorexie : je viens ainsi de signer une charte avec les professionnels du monde de la mode et des médias pour empêcher tout ce qui pourrait passer pour une incitation à l'extrême maigreur, et encourager la diversité des représentations du corps dans les pages de nos hebdomadaires.
C'est enfin dans le même esprit de dialogue et de concertation que je réfléchis actuellement au principe d'une interdiction de la vente d'alcools aux moins de dix-huit ans. Près d'une centaine d'études publiées dans des revues scientifiques anglo-saxonnes m'ont convaincue que les bienfaits à attendre d'une telle mesure étaient réels. Je compte naturellement sur votre expérience et vos savoir-faire pour définir les contours précis de cette mesure, et la mettre en oeuvre. Nous devons ainsi savoir nous inspirer d'expériences étrangères pour nous guider dans cette voie.
Si certaines mesures d'interdiction peuvent être bénéfiques à court et à moyen terme, nous devons nous assurer qu'elles suscitent une démarche volontaire, librement assumée.
L'éducation, par définition, est émancipatrice. Il s'agit toujours, par la connaissance, d'éclairer une conscience libre, d'éveiller à l'autonomie. Comme Rousseau l'explique dans l'Emile, à la politique de la peur répond soit la soumission qui attriste et rabaisse, soit la révolte, soit la duplicité et la ruse. Ce que d'aucuns pourraient appeler « effet contre-productif », fleurant d'autres formes de compétences, constitue l'écueil majeur de toute politique de la peur. Aussi, une politique de prévention bien pensée doit, à mes yeux, ne jamais oublier sa finalité ultime : sa finalité EDUCATIVE.
Les mesures paternalistes, les messages culpabilisateurs contribuent bien plus souvent à déresponsabiliser ceux qu'ils visent. Cet effet pervers est bien réel, ne l'oublions pas.
Notre but est donc plutôt d'encourager nos concitoyens à prendre en main leur santé. Comment faire d'eux des acteurs responsables, si l'on sous-estime leurs facultés, si l'on se borne à s'adresser à eux comme à des enfants ?
La politique de prévention, je le crois, ne poursuit qu'un seul et même combat : un combat pour la vie et pour la liberté. Sauver des vies, émanciper : telles sont donc les deux missions cardinales de la prévention.
Considérant la hauteur des ambitions que j'assigne à la politique de prévention, il convient, de toute évidence, de réfléchir aux moyens dont disposent les professionnels pour se former dans ce domaine.
Pourquoi ne pas envisager la création d'une spécialité pour ce domaine, qui prendrait appui sur des enseignements pluridisciplinaires de haut niveau ? Je compte, pour cette réflexion, sur les suggestions qui seront les vôtres.
Enfin, parce que la prévention ne saurait se développer que dans la proximité, parce que la valeur que nous attachons à ses missions appelle un ancrage institutionnel, je souhaite intégrer la prévention dans le champ de compétences des futures Agences Régionales de Santé.
Une vaste réflexion est actuellement en cours. D'ores et déjà, il me paraît opportun de consacrer un pôle d'ARS à la prévention, afin qu'elle puisse s'articuler au mieux avec nos politiques de soins. La prévention constituera ainsi l'un des axes essentiels de la loi de modernisation de l'offre de soins que je porterai devant le parlement en septembre.
Plus qu'un enjeu de santé publique, la prévention représente, nous le savons bien aujourd'hui, un enjeu de cohésion sociale, un enjeu de solidarité nationale. En effet, ce sont les plus démunis, les plus précaires, les plus fragiles d'entre nous qui sont aussi les plus exposés aux risques pour leur santé.
La politique de prévention, telle que je la conçois, est une politique de justice. En ce sens, la mission Flajolet sur les disparités territoriales des politiques de prévention sanitaire devrait nous permettre de déterminer de nouveaux moyens d'intervention.
Voilà ce que je tenais à vous dire, pour ouvrir ces journées de la prévention dont je suivrai avec la plus grande attention les travaux. Vous pouvez compter sur moi pour vous soutenir et vous accompagner dans toutes vos actions.
Je vous remercie.Source http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr, le 14 avril 2008