Interview-débat avec Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le site internet du ministère le 16 avril 2008, sur la réforme de la recherche, la loi sur l'autonomie universitaire, le statut et les diplômes des chercheurs.

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Valérie Pécresse,
ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche,
était en direct le 16 avril 2008 de 18h à 19h sur le site du ministère
pour répondre à toutes les questions des chercheurs, enseignants-chercheurs et personnels de soutien aux fonctions de recherche et d'enseignement,
dans le cadre de la réforme de la recherche.
Modérateur : Bonjour à tous, bienvenue. Bonjour madame la ministre.
Valérie Pécresse : Bonjour.
Modérateur : Pourquoi avez-vous souhaité avoir ce dialogue aujourd'hui avec les internautes sur la réforme de la recherche ?
Valérie Pécresse : Parce que je crois que c'est toujours utile de se parler directement. Et que cela permet de poser toute les questions qu'on rêve de poser.
jeune_chercheur_exilé : Que compte faire le gouvernement afin d'endiguer la fuite des jeunes chercheurs, qui faute de postes et de perspectives dans la recherche publique française partent à l'étranger ?
Valérie Pécresse : La loi sur l'autonomie des universités va permettre, dès que les universités seront autonomes, de recruter et de faire revenir des chercheurs qui se sont exilés en créant pour eux des contrats spécifiques. Le problème, c'est que bien souvent ils ont 35, 40 ans, une famille, et qu'ils ne veulent pas recommencer une carrière au premier échelon du grade. Il faut qu'ils puissent revenir dans des bonnes conditions.
Moimeme : Comment peut-on envisager un quelconque progrès de la France avec de moins en moins de moyens au niveau enseignement et recherche ? Ce la me semble tout à fait normal si la France a de moins en moins de crédibilité et dégrade son image.
Valérie Pécresse : Il a tout à fait raison, c'est d'ailleurs pour cela que nous avons décidé de faire de la recherche et de l'enseignement supérieur des priorités absolues. Avec, en plus, 5 milliards d'euros pour financer un grand plan de campus universitaire. Depuis 2005, avec la création de l'Agence nationale de la recherche, les budgets ont augmenté en moyenne de 25 % et on a créé de nombreux emplois. Il y a déjà eu un premier coup de booster donné à la recherche française suite à la mobilisation des chercheurs.
Nathalie : Que comptez-vous faire pour limiter la précarité dans laquelle se trouvent les chercheurs (succession de contrats de courte durée) sachant que sans CDI, il est difficile de concrétiser certains projets personnels (achat d'appartement, enfants...) ?
Valérie Pécresse : C'est vrai qu'on a toute une série de problèmes liés au bon déroulement de la période entre le doctorat et le recrutement statutaire. La France est l'un des rares pays à recruter des chercheurs à temps plein sur un statut de chercheur. C'est une cause d'attractivité de notre pays, notamment pour des chercheurs étrangers, car le CNRS offre par exemple des statuts de chercheurs à temps plein. De même, nous allons devoir recruter beaucoup de maîtres de conférences, enseignants chercheurs, à l'université. Mais il y a une longue période entre la thèse et l'entrée dans la carrière, et nous devons rendre cette période la plus stable possible. Pour cela, il y a des établissements publics comme le CEA, mais dans le droit privé français on ne peut pas faire de contrats de plus de 18 mois. 18 mois, c'est trop court pour mener à bien un projet de recherche. On parle aujourd'hui d'un contrat de mission de trois ans qui serait particulièrement bien adapté pour les post-doctorats. Pour les périodes post-doctorales, dans les organismes administratifs, il faut réfléchir aussi à ce que doit être le contrat qui ménage à la fois la stabilité et la souplesse pour les jeunes.
Postdoc USA : Les durées des postdoc s'allongent, donnant amplement le temps aux jeunes docteurs chèrement formés en France, de faire leur vie à l'étranger, où les conditions matérielles sont nettement plus favorables. Que compte faire la ministre pour contrer cette "fuite des cerveaux" encouragée par les âges moyens d'embauche dans les organismes de recherche ?
Valérie Pécresse : Les âges moyens d'embauche n'ont pas augmenté depuis 10 ans, c'est environ 31 ans pour les filières scientifiques et 35 ans pour les littéraires. Il faut qu'on permette aux jeunes d'avoir des contrats de post-doc attractifs en France pour ne surtout pas qu'ils s'installent durablement à l'étranger. C'est la mission que j'ai confié au Président de l'Académie des sciences sur l'attractivité de la recherche.
Jeune chercheur : Madame la Ministre, que pensez-vous du niveau de salaire des jeunes chercheurs lorsqu'ils sont payés au SMIC, ou à peine plus ?
Valérie Pécresse : Déjà, on a commencé à agir sur des choses que je pouvais faire très directement, les allocations de recherche des doctorants. Nous avons décidé d'augmenter de 16 % les allocations de recherche des doctorants et on a permis à tous les jeunes doctorants de demander un monitorat dans l'enseignement supérieur. Cela va permettre d'augmenter à 1980 euros bruts l'allocation de recherche, plus le monitorat. Mais cela reste encore peu, il faut qu'on travaille désormais sur les débuts de carrière, puisqu'on a des allocataires moniteurs payés au salaire des jeunes chargés de recherche et les jeunes maîtres de conf. C'est l'objet du rapport de la mission Hoffman sur les chercheurs, que j'aurais d'ici juin et de la mission Schwartz sur les personnels de l'université. On s'aperçoit que selon les grades il est plus avantageux d'être chercheur ou maître de conférence et professeur. Ces divergences ne doivent plus exister.
Antoine : Bonjour, on a vu que le salaire des doctorants a été réévalué ces dernier mois. Qu'en est-il du salaire des chargés de recherche et maîtres de conférences ?
Valérie Pécresse : Je lui réponds qu'évidemment c'est l'étape suivante et que c'est aujourd'hui en discussion que la commission Schwartz et Jules hoffmann vont faire des propositions et ensuite il y aura des discussions avec Bercy. Etre fonctionnaire statutaire, ce n'est pas la même sécurité que quand on est contractuel. En même temps, il faut être très conscient de la concurrence inouïe qui s'opère sur les chercheurs et sur les meilleurs d'entre eux.
Zizou : Comment comptez-vous financer votre reforme, notamment en matière de salaire pour faire revenir les chercheurs, sachant qu'aux Etats-Unis le salaire moyen est de 4000 à 5000 dollars!!!!!!
Valérie Pécresse : Nous allons la chance d'avoir un euro qui fait 1,5 dollar. Cela nous permet de ne pas penser qu'un euro égale un dollar. Le salaire n'est jamais la première motivation d'un jeune ou d'un moins jeune qui s'engage dans les métiers de la recherche. Si c'était le cas, il ne serait pas dans la recherche, il serait dans la finance ou dans l'entreprise. Je pense aussi qu'à partir d'un certain moment, avec une trop grande divergence, on réfléchit au bien-être de sa famille, c'est normal. Et puis on essaie de structurer une équipe autour de soi, pour mener à bien une équipe de recherche et, de ce point de vue, des initiatives ont été prises au niveau européen qui permettent à des jeunes chercheurs d'avoir des bourses qui sont vraiment d'un montant élevé et qui leur permettent de s'installer dans un projet de recherche.
Michelb : Que pensez-vous de la rémunération des chercheurs seniors ?
Valérie Pécresse : Contrairement à l'idée reçue, nous risquons aussi d'avoir une hémorragie chez des chercheurs en milieu de carrière. Il faut se prémunir de ce risque d'hémorragie de chercheurs "seniors".
Ph. H. : Bonjour, que fait-on pour les chercheurs seniors ? L'on ne fait que parler des "jeunes" chercheurs... Les autres ne sont pas morts ! Ils vivent une galère phénoménale. J'ai 45 ans et toujours en emploi précaire (780 euros par mois !).
Valérie Pécresse : Nous savons qu'ils sont là et nous allons travailler sur l'ensemble des carrières, à tous les âges.
Cindy LB : Mme la Ministre, face à une précarité croissante et compte tenu du recul de l'âge du recrutement des docteurs et de la faible attractivité des jeunes pour les métiers de la recherche, comment pensez-vous encourager la féminisation des métiers de la recherche ?
Valérie Pécresse : Je crois qu'il faut s'assurer que les femmes soient bien promues. La première mesure, c'est de nommer 50 % de femmes au Conseil national des universités. Cela fait un regard beaucoup plus féminin sur les regards des promotions. Une femme tiendra compte des contraintes que la maternité fait peser sur les carrière des jeunes femmes qui se présenteront. De la même façon, je pense qu'il faut réfléchir à la possibilité d'avoir des reports de limite d'âge pour un certain nombre de concours. Je pense notamment à l'Institut universitaire de France pour les mères de familles pour tenir compte des années de grossesse. Enfin, il faut vraiment que les jurys aient à coeur de juger la qualité des publications et pas forcément le nombre. Les congés de maternité arrivent souvent au moment où les chercheurs peuvent prendre des responsabilités. J'encourage les femmes, j'ai mis 50 % de femmes au Conseil d'administration de l'école nationale supérieur. Quand je nomme un recteur, je nomme un homme, une femme. Je crois qu'il y a vraiment eu, par le passé, dans l'enseignement ou dans recherche, une forme de barrière à l'entrée qui vient du fait que les promotions les plus importantes se font à l'âge de la maternité.
Michel : Le doctorat est considéré dans les pays anglo-saxons comme un gage de qualité, et est reconnu en tant que tel par les entreprises. Ceci est loin d'être le cas en France et prive les docteurs de débouchés viables à long terme. Des mesures sont elles envisagées pour favoriser la reconnaissance des docteurs en entreprises ?
Valérie Pécresse : Toute une série, car il faut commencer par-là pour relever le défi démographique qui nous attend. Il faut un vivier de chercheurs de bonne qualité. Pour revaloriser le doctorat, il faut rassembler les universités et les grandes écoles avec des écoles doctorales communes sur des projets de recherche. Le doctorat est au-dessus de la grande école, au-dessus du master de l'université. Cela doit être le diplôme de l'excellence. Quand on aura des collèges doctoraux communs, ce sera mieux. Evidemment, il y a les allocations pour les chercheurs. Et, enfin, il y a le recrutement du docteur. Et j'ai beaucoup travaillé dans le secteur privé pour que les entreprises se familiarisent avec cette notion du doctorat. C'est pour cela que j'ai généralisé les doctorants conseils, c'est-à-dire des docteurs qui sont dans leurs laboratoires, qui sont rémunérés comme des moniteurs mais qui vont 32 jours par an dans les entreprises à la demande des entreprises pour faire de la veille technologique, de la formation de cadres, etc. De façon à ce que les entreprises, dans les pôles de compétitivité, les PME, se rendent compte que le docteur peut leur apporter des choses. On a généralisé ce processus depuis septembre. On a créé mille supports pour mille docteurs cette année. L'an prochain, nous aurons 2 500 supports pour ces doctorants conseils. Il faut que les laboratoires démarchent les entreprises et vendent la prestation du doctorant. Cette prestation est payée comme un consultant junior.
Tout le diplôme du doctorat doit être revalorisé en disant: l'aboutissement normal d'études d'excellence, c'est un doctorat. Et le dernier domaine dans lequel je travaille, c'est la reconnaissance du doctorat dans la fonction publique. Nous devons pouvoir recruter un certain nombre de docteurs dans la fonction publique. Notamment à l'ENA, j'y travaille avec MM. Woerth et Santini.
Vaness : Mme la Ministre, compte tenu de l'augmentation des crédits pour l'enseignement supérieur, cela va-t-il permettre de faire baisser le coût d'accès au doctorat ?
Valérie Pécresse : A priori, aujourd'hui le coût du doctorat, c'est de l'ordre de 300 euros. Peut-être un peu plus selon les disciplines, mais je crois qu'il y a tout un système de bourses qu'on met en place, il faut peut-être l'élargir. Je ne suis pas favorable à ce qu'on enlève le prix du doctorat car c'est un diplôme exigeant, qui doit avoir un prix. Il est précieux.
pierre43 : A quand une obligation de rémunérer les doctorants, voir les masters ?
Valérie Pécresse : Il ne faut pas mélanger les choses. Il y a un temps de formation et d'étude qui n'est pas rémunéré, sauf s'il est fait en alternance. Développer l'alternance à l'université, j'y suis favorable. Vous savez, dans la médecine, par exemple, il y a de l'alternance. On parle des écoles de commerce ou d'ingénieurs, ou même à l'ENA, il y a beaucoup d'endroits où on passe plus d'une année en stage. L'alternance permet de pouvoir rémunérer l'étudiant, mais aussi d'avoir un diplôme de savoirs et un diplôme professionnel. Mais on n'ira pas vers la logique de rémunération de l'étudiant pour étudier. Mon objectif, c'est de faire passer la dépense publique par étudiant de 7000 à 10 000 euros. On doit investir sur la qualité de la formation.
Flo : Le monitorat n'est pas accessible à tous car peu de place par rapport au nombre de doctorants. De l'autre coté on entend beaucoup les maîtres de conférences se plaindre du trop plein d'enseignement. Que proposez-vous ?
Valérie Pécresse : On a déjà créé cette année beaucoup de support des moniteurs, 1 000 cette année et 2 500 pour l'an prochain. Qu'on en crée davantage, c'est possible, cela dépendra des entreprises.
bernard : Quel avenir pour les superpostdoctorants ?
Valérie Pécresse : Il faut travailler sur ce qu'est la bonne durée, la bonne rémunération, les bonnes conditions pour un post-doctorat en France dans un laboratoire français. La durée de 18 mois est trop courte. On a eu une réflexion avec le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie qui a fait une proposition de contrat de trois ans renouvelable.
michelb : On réduira le nombre de chercheurs CNRS ?
Valérie Pécresse : L'objectif aujourd'hui n'est pas de réduire le nombre de chercheurs. On a un défi qui est de remplacer nos chercheurs actuels. C'est un vrai défi car cela veut dire attirer des jeunes vers ces métiers de la recherche, avoir des viviers de grande qualité. L'objectif n'est pas de diminuer le potentiel de recherche, mais de permettre des carrières plus riches, plus attractives. Mais aussi de permettre à des enseignants chercheurs de chercher davantage à certains moments de leur carrière ou leur permettre d'enseigner davantage. Cela va, cela vient et cela permettrait à tout le monde de ne pas s'enfermer dans une seule vocation, un seul labo et cela donnerait des temps de respiration dans la vie.
Alb : Quelle autonomie restera-t-il aux petites universités associées à de bien plus grosses unités au travers des PRES ? Et surtout, quelle autonomie individuelle pour le chercheur, que l'on refuse de saupoudrer, face aux refus de financement des évaluateurs de l'ANR ?
Valérie Pécresse : L'autonomie est pour les grandes universités et pour les universités de taille plus petite. Une petite université atteindra son autonomie plus rapidement. Pour les universités de villes moyennes, plus réactives, plus dynamique, ce sera en réalité beaucoup plus facile d'être autonomes. Après, il y a la question des pôles de recherche d'enseignement supérieur. C'est important de se regrouper dans des pôles de recherche car la bonne recherche aujourd'hui est pluridisciplinaire. Il faut pouvoir mélanger les expériences, être mobile, avoir des collèges doctoraux qui soient des collèges dans lesquels les jeunes docteurs se retrouvent. Je souhaite que les universités, même petites, mêmes isolées, s'adossent à des pôle des recherche d'enseignement supérieur. Et cela ne veut pas dire qu'elles n'aurons pas une autonomie de gestion ou de stratégie scientifique ou de formation. Si par exemple l'université d'Avignon se rapproche du PRES d'Aix-Marseille, elle pourra garder toute sa spécificité. Ou Saint-Etienne vis-à-vis de Lyon.
ITA31 : Quel avenir pour les délégations régionales si des instituts multidisciplinaires sont mis en place ?
Valérie Pécresse : Aujourd'hui, le CNRS est en train de réfléchir à sa réorganisation. Quelle est l'idée derrière ? L'idée, c'est de donner toute sa puissance au CNRS. Les universités vont se positionner dans le paysage de la recherche. Il faut rendre le CNRS moins bureaucratique, plus visible. Il met du temps à payer les gens, et tout aujourd'hui est une question de vitesse aussi, d'action, de réaction. Donc il faut réfléchir à comment structurer un CNRS avec une grande cohérence, une visibilité internationale. Il faut aussi pouvoir se projeter dans l'avenir. Sur la question des Délégations régionales, je n'ai pas de position tranchée. On est aujourd'hui dans une concertation très large. Elles font un bon travail local mais il faut aussi que la gestion du CNRS soit plus transparente, qu'elle corresponde plus à son activité scientifique. Dans ce cadre, une réorganisation va s'opérer. Il n'y a rien à en craindre, de cette réorganisation, c'est pour améliorer les choses.
Tenisifebo : Les budgets ANR ne se font-ils pas au détriment des budgets de fonctionnement des laboratoires ?
Valérie Pécresse : Aujourd'hui, tous les crédits de l'Agence nationale de la recherche depuis 2005 sont des crédits supplémentaires. Et l'ANR a dépensé 2 milliards d'euros depuis 2005, des crédits en plus. Aucun organisme de recherche n'a vu son budget diminuer. Ils ont augmenté de manière un peu différenciée en fonction du contrat avec l'Etat, des objectifs, mais grosso modo les budgets ont augmenté. Les crédits de l'ANR sont venus en plus. On s'aperçoit, dans la répartition des budgets, à l'intérieur des budgets, que les directions des organismes ont fait des choix. Certaines directions estimant que l'ANR était venue abonder et qu'il fallait éventuellement faire davantage d'investissement. Au niveau du Ministère, du budget du ministère, les crédit des organismes n'ont pas diminué. Les 2 milliards sont venus en plus au budget des organismes. Par ailleurs, il y a des tas de coût qui augmentent, notamment le coût de fonctionnement des grosses infrastructures de recherche.
Géraud : L'augmentation substantielle de l'enveloppe du Crédit d'impôt recherche pour 2008 stimulera sans doute la recherche appliquée à destination des entreprises. Quelles sont les mesures prévues pour éviter que la recherche fondamentale ou la recherche du domaine des Sciences Humaines et Sociales ne soient défavorisées ?
Valérie Pécresse : D'abord, sur le crédit impôt recherche, notre système de recherche repose sur quatre piliers : les universités, les organismes qui doivent avoir une stratégie d'excellence, l'Agence nationale de la recherche et puis la recherche privée. Il faut absolument dynamiser la recherche privée car on nous demande d'atteindre 2 % de la recherche nationale en recherche privée, dans les accords de Lisbonne. Aujourd'hui, on est un peu à un tournant, certains grands laboratoires de grandes entreprises privées risquent de se délocaliser à l'étranger. Le triplement de l'impôt crédit recherche, c'est une stratégie offensive pour attirer en France les grands laboratoires des entreprises étrangères qui voudraient s'installer en Europe. La France devient l'environnement fiscal le plus favorable avec cette mesure. IBM a dernièrement installé un laboratoire à Sofia-Antipolis. Et vous savez que les petites entreprises ne dépensent pas assez en matière de recherche et développement. 25 % des montants de recherche générés par le crédit impôt recherche retournent à des universités par le biais de contrats entre les entreprises et les organismes de recherche. Albert Fert travaillait dans une unité mixte où il y avait Thalès. Et Thalès m'a remercié car cela permet à Thalès de ne pas délocaliser ses laboratoires. Il n'y a plus de barrière entre recherche fondamentale et recherche appliquée. La recherche fondamentale et la recherche appliquée vont ensemble. Et pour répondre encore plus directement, les sciences humaines et sociales doivent faire partie des réseaux de recherche, même si ce sont des réseaux sur la chimie ou la plante, par exemple.
Rem123 : Bonjour Mme la Ministre, que pensez-vous du fonctionnement de la recherche par appel à projets, comme l'ANR, dans un but de rentabilité ?
Valérie Pécresse : Cela se fait dans un but d'excellence. L'ANR sélectionne un projet sur quatre environ. C'est à mon sens un bon taux de sélection qui permet de ne pas trop dissuader les chercheurs. Cela fait émerger l'excellence. Ce qu'il faut dire aussi, et je souhaite qu'à l'avenir on y réfléchisse, c'est qu'il y a des crédits à l'ANR destinés à des appels à projets blanc. C'est-à-dire des appels à projets sans thème pré-déterminé où c'est uniquement la qualité du projet qui l'emporte. Ces appels à projets blancs représentent 30 % du budget de l'ANR aujourd'hui, il faut les développer. Il faut promouvoir cette part de créativité des chercheurs. Ces projets blancs doivent aller en se consolidant et s'affirmant à l'avenir. Ce qu'il va falloir faire dans les années qui viennent l'ANR monte dans sa montée en puissance, donc on suit la programmation de la loi recherche de 2006. Mais il faut réfléchir à l'avenir sur l'équilibre à trouver entre le financement récurrent des laboratoires et les financements sur projets. On ne peut pas faire que du projet. Cela ne permet pas de financer des projets sur le long terme comme des suivis de cohortes. Il y a plusieurs types de financements dans la recherche, des financements récurrents ou sur projets il faut trouver l'équilibre. La clé, c'est l'évaluation.
Modérateur : Beaucoup de questions aussi sur l'autonomie des scientifiques par rapport au pouvoir politique, notamment au sein de l'ANR...
Valérie Pécresse : La stratégie nationale de recherche est née d'un double regard : celui du regard des politiques sur les grands défis de la société. Que ce soit le vieillissement, le changement climatique, les questions énergétiques au sens large du terme, mais aussi toute une série de questions sur la santé, sur le développement durable, l'alimentation aussi. On a des enjeux majeurs, on a des défis sociétaux que le pouvoir politique reçoit 5/5 puisqu'il est en lien avec la société. Et puis il y a le regard des chercheurs eux-mêmes qui regardent le paysage de la recherche et disent : dans tel domaine, on est bon, il faut continuer à maintenir notre excellence. Dans tel domaine, il faut y aller car cela peut être porteur. Il faut confronter les deux regards. Il faut ce double regard, par exemple Alzheimer, la communauté de recherche n'avait pas été en mesure de susciter le programme lancé par le Président de la République. Or, nous allons avoir des centaines de milliers de malades d'Alzheimer. De la même façon le Grenelle de l'environnement, la communauté de recherche n'avait pas été complètement en mesure de financer certains projets, notamment le site de stockage de CO2 comme ceux qu'on voit aux Etats-Unis ou au Japon. C'est important d'avoir le regard des politiques et celui des chercheurs. Il y a des choses qui vont émerger et qui ne sont pas aujourd'hui dans les priorités. Aujourd'hui, les priorités changent. Quand la crise de la vache folle est arrivée, on était contents d'avoir un chercheur qui travaillait sur le prion.
Mat88 : Et comment voyez-vous la place du CEA dans la recherche française ?
Valérie Pécresse : Aujourd'hui, le CEA est un organisme un peu à part car il a une triple tutelle : tutelle civile, tutelle défense et une tutelle environnement. Cela nous conduit à donner au CEA toute une série de missions, que ce soit dans le domaine du nucléaire car on relance aujourd'hui les programmes nucléaires au plan national. Mais aussi des missions nouvelles sur les énergies renouvelables car le CEA a développé une expertise scientifique. Et puis les sujets de défense dont je ne peux pas parler, qui sont secrets.
CREAAH : Faire du CNRS une agence de moyens au service des Universités indépendantes ne signifie-t-il pas sa mort ?
Valérie Pécresse : Aujourd'hui, il faut qu'on ait une vraie réflexion sur les partenariats entre l'université et le CNRS. On peut tout à fait imaginer, c'est le but du rapport que m'a rendu François d'Aubert ce matin, on peut imaginer que les unités mixtes se développent avec une double tutelle : à la fois une tutelle nationale, et puis une tutelle locale qui soit la tutelle universitaire. Donc on peut très bien conserver des unités mixtes, des collaborations universités/CNRS dont est déjà née une recherche de très grande qualité. Il ne faut pas que ces unités aient plusieurs systèmes d'informations, plusieurs système de gestion comptable. Encore aujourd'hui, près de 250 unités mixtes ont quatre tutelles scientifiques. Cela prend beaucoup de temps d'administration aux pauvres chercheurs qui doivent se consacrer à leur coeur de métier. Et cela prend beaucoup de temps au personnel support de la recherche, du temps qui pourrait être mieux employé à faire autre chose.
JY2 : Le CNRS est plus performant que toutes les universités comme le dit implicitement le rapport d'Aubert.
Valérie Pécresse : C'est la situation actuelle et c'est d'ailleurs pour cela que, comme je ne veux pas détruire les choses qui marchent mais faire fonctionner celles qui fonctionnent moins bien. Il faut comprendre que ce n'est pas en se réjouissant d'un acteur de recherche en France on améliore l'ensemble du système. Chaque maillon de la chaîne de recherche doit être fort. Les chercheurs du CNRS qui s'inquiètent de notre volonté devraient au contraire s'inquiéter si je ne faisais rien pour le CNRS. En réalité, cela voudrait alors dire que je le mettrais de côté dans le mouvement de réforme et que je ne m'y intéresserais pas. Je veux que ce soit un acteur plus cohérent, avec des vraies stratégies, qui soit lui aussi moteur dans la réforme. C'est pour cela que je m'intéresse aux universités et au CNRS.
ITA_CDD_CNRS : Mais réorganiser le CNRS en instituts plus autonomes ne risque-t-il pas de lui retirer son intérêt premier : l'interdisciplinarité ?
Valérie Pécresse : Il faut que ces instituts conservent la nécessité de la pluridisciplinarité. on en parle beaucoup, de la pluridisciplinarité, dans la recherche française, mais on la pratique peu. C'est important que les instituts prévoient dès leur création les interfaces entre eux. Et je souhaiterais qu'ils en fassent vraiment. Je trouve qu'il y a peu de pluridisciplinarité.
La situation actuelle n'est pas si extraordinaire qu'on ne mérite pas qu'on restructure le CNRS. Il faut penser aux instituts et à la pluridisciplinarité.
Bernardbartenlian : Et pourtant, on a réellement l'impression que tout est fait pour dissoudre d'ici 10 ans le CNRS. Est-ce vraiment une peur irrationnelle ?
Valérie Pécresse : Je le crois car, regardez, est-ce que l'Institut national des sciences de l'univers du CNRS fonctionne mal ? Est-ce que l'in2p3 est un institut de seconde zone ? Je crois qu'en réalité ces deux exemples montrent bien qu'on donnera à toute les disciplines de recherche du CNRS beaucoup plus de puissance et de visibilité si on arrive à donner une réelle cohérence scientifique et de gestion. Ces deux exemples montrent qu'on peut être puissant et fort, à l'intérieur du CNRS. L'objectif, c'est donner plus de visibilité, beaucoup plus de rôle à ces instituts, y compris dans la programmation scientifique de l'ANR. A partir du moment où l'INSERM se structure en instituts par pathologie et le CNRS par domaine, il est normal que les directeurs d'instituts deviennent des acteurs privilégiés de l'ANR car ils seront représentatifs de leur discipline et en même temps très liés à la gestion au quotidien du laboratoire.
Tsum : Ces projets blancs ANR vont encore augmenter le temps que passent les chercheurs en dossiers administratifs. Ne faudrait-il pas plus d'aide administrative aux chercheurs déjà très pris par leur véritable travail... ?
Valérie Pécresse : C'est vrai que sur les projets de l'ANR, j'ai souhaité qu'on aille vers la simplification. Cette année, on a déjà simplifié les dossiers de demande. Je souhaite qu'on passe à un rapport d'évaluation chaque année, et plus tous les six mois. J'essaie de faire en sorte que les choses se simplifient, y compris dans les rapports de l'ANR avec les laboratoires. Beaucoup de choses sont à faire pour simplifier, par exemple les règles d'achat public qu'il faut simplifier. Il faut que les directeurs d'unités puissent passer des commandes de manière automatique en-dessous d'un certain montant. Un certain nombre de règles peuvent être simplifiées, pas simplement sur l'ANR.
Pierre : Allez-vous alléger les charges d'enseignement des enseignants chercheurs afin de les rendre compétitifs face aux chercheurs du CNRS ?
Valérie Pécresse : Dans la loi autonomie, il y a la possibilité de moduler les obligations des enseignants chercheurs pour que certains puissent enseigner davantage et que d'autres puissent chercher davantage s'ils le souhaitent. Par ailleurs, nous réfléchissons à la possibilité, pour le CNRS, de recruter sur des postes de contractuels avec une décharge d'enseignement. C'est une autre possibilité qui permettrait à des enseignants chercheurs de financer leurs recherches.
Anthony_ATER : Quel sera le % de contractuels avec la nouvelle loi LRU? Je suis ATER et les contractuels précaires existent déjà...
Valérie Pécresse : Notre objectif n'est pas d'augmenter les contractuels, mais de donner la possibilité aux universités de recruter les bonnes personnes. Je pense notamment aux étrangers, à certains spécialistes, des cadres A... Typiquement, les chercheurs étrangers ne sont pas forcément intéressés par le statut ha fonction publique française. Car il y a des règles, il faut commencer en bas de l'échelle et cela a des contraintes pour eux. Ils sont plus intéressés par le statut de contractuel de droit public. Mais l'idée aussi, c'est de pouvoir recruter des contractuels en cadre A, car parfois on ne trouve pas les bons contractuels, que ce soit des ingénieurs, des architectes ou des informaticiens. C'est vraiment pour permettre aux universités d'avoir la souplesse de recrutement.
mitchine : N'est-ce pas tomber dans un travers bien français que de miser autant sur la recherche aujourd'hui ? Nous ne sommes pas plus intelligents que les autres.
Valérie Pécresse : Je crois au contraire que ce qui fait la force de la France, c'est son intelligence. Dans un monde qui bouge, avec la Chine, l'Inde, si on veut donner de l'emploi à nos jeunes demain, on doit être une économie d'innovation. Donc avoir de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. Il faut créer ce continuum de recherche et c'est ce qui fait l'âme de la France.
source http://www.recherche.gouv.fr, le 17 avril 2008