Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur la relation privilégiée entre Haïti et l'écrivain et homme politique martiniquais, Aimé Césaire, à Port-au-Prince le 22 avril 2008.

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Circonstance : Déplacement en Haiti, le 22 avril 2008

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers Amis haïtiens et français, Chers Amis francophones,
Aimé Césaire n'est plus. La France et la Francophonie tout entières sont en deuil.
Je reviens tout juste de Fort-de-France où j'ai souhaité lui rendre un dernier hommage lors des obsèques nationales qui se sont déroulées avec révérence populaire avant-hier, en présence du président de la République française et de très nombreuses personnalités venues de tout notre espace francophone.
J'ai pu alors mesurer, auprès de la délégation haïtienne, combien vous êtes, amis haïtiens, attachés à cette personnalité hors du commun. Personne n'ignore, en Martinique, comme dans tout le bassin caribéen, la relation privilégiée que l'auteur de La Tragédie du Roi Christophe avait nouée avec votre pays.
Amoureux de notre langue commune, partagée sur les cinq continents, Aimé Césaire savait magnifier le français avec une originalité, une agilité et un talent exceptionnels.
Il avait l'habitude de le répéter. Pour lui, l'écriture était liée à la langue française. Il a vécu sa francophonie dans l'abondance de ses créations chantant la langue que nous avons en partage. Il a su faire aimer cette langue française par-delà les frontières, la faire vibrer au rythme des vagues léchant les côtes de nos divers territoires, en particulier africains et caribéens.
Le poète et le politique. Tel fut Césaire. Figure emblématique de sa Martinique natale, il a puisé dans ses racines créoles une source d'inspiration féconde. Avec Léopold Sédar Senghor, son compagnon de lycée parisien, il a exprimé la fierté de la négritude.
Une fierté rendue possible par le grand cri nègre poussé par Césaire qui a donné à son oeuvre un caractère indépassable, inestimable et universel.
En effet, son combat pour la négritude, qui revendiquait les valeurs intellectuelles et culturelles de l'homme noir, n'était pas un repli identitaire mais bien un enracinement et une ouverture vers les autres, un combat pour la diversité, établissant un pont, de part et d'autre de l'Atlantique. Un pont, à maintenir et à renforcer, comme le rappelait le président Abdou Diouf, le secrétaire général de notre organisation internationale de la Francophonie, qui repose sur les trois piliers que sont : le pilier caribéen, le pilier africain et le pilier de la Francophonie.
Ensemble, Césaire et Senghor ont été de tous les combats contre l'oppression et le racisme. Je tenais à le rappeler, ici, en terre haïtienne, à l'institut français de Port-au-Prince devant vous tous réunis ce soir à l'occasion de cet hommage voulu par le ministre français des Affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner, afin de mettre en valeur la richesse et la diversité de l'oeuvre de Césaire dans les centres culturels français du monde entier.
Cette terre haïtienne, pionnière où la négritude se mit debout, en fondant la première République noire indépendante de l'ère moderne ;
Cette terre haïtienne, où Césaire représenta la France libre, passa une demi-année de sa vie à dispenser une série de conférences dont le retentissement sur les divers milieux culturels fut immense et qui l'inspira fortement dans des écrits consacrés à Toussaint Louverture ou à la tragédie du roi Christophe ;
Cette terre haïtienne où j'ai l'honneur de m'adresser devant vous pour mon premier déplacement dans les Caraïbes depuis ma récente prise de fonction gouvernementale.
Qui connaît ce parcours comprend mieux qu'en Haïti, plus encore peut-être qu'ailleurs, Aimé Césaire demeure considéré comme étonnamment actuel et incarne une figure de l'universel. Les autorités haïtiennes et françaises ne s'y sont pas trompées, elles qui, ensemble, avaient choisi l'an dernier de lancer le programme "Caraïbes en Créations" à la Citadelle du Roi Christophe, près de la ville de Cap Haïtien, et de le placer sous le haut patronage d'Aimé Césaire.
Engagé en littérature, Aimé Césaire n'a jamais oublié ses racines à la fois africaines, antillaises et francophones.
Il a donné, probablement avant tout autre, une dimension très moderne à la Francophonie. Un espace unique qui nous réunit de part le monde autour d'une langue française commune mais, au-delà, autour de valeurs fondamentales comme la fraternité, la démocratie, les Droits de l'Homme, la diversité culturelle et la protection de la planète. Là aussi, Césaire fut un précurseur.
Par ses écrits, tous les "Nègres de la terre" - au sens créole du terme, à savoir de quelques couleurs qu'ils fussent -, tous les "Nègres de la terre" donc, trouvèrent en Césaire le défenseur des opprimés. Une écriture des libertés partie d'une île pour atteindre l'Universel.
Dans un discours prononcé en juillet 1945, il signifia cette puissance salvatrice que constituent la pensée, l'écriture et la parole :
"...Grâce à l'imagination, il y aura toujours en l'homme, même vaincu, même désarmé, un lieu clos où accueillir dans un retentissement inépuisable et fécond, la parole qui délivre, la parole qui guérit, la parole qui fait que parfois les morts sortent de leurs tombeaux, que des peuples brisent les fers de l'esclavage et que des races maudites lèvent subitement un front pur et vainqueur..."
Happé par la politique dès son retour en Martinique, "Papa Césaire" y a développé avec force le sens de l'universelle fraternité.
Oui, Mesdames, Messieurs, Chers Amis francophones, c'est l'humanité tout entière qui a perdu avec Aimé Césaire l'un de ses grands hommes.
Oui, je vous le dis aujourd'hui, ici en terre haïtienne, nous sommes tous à jamais les enfants de Césaire. Puisse cette conscience universelle continuer de briller de mille feux comme les feux de la Pléiade qui illuminent notre langue commune : le français.
Oui, Aimé Césaire est. Son oeuvre universelle se doit d'être éternelle. C'est à nous tous qu'il revient désormais de la faire vivre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2008