Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la rencontre franco-syrienne sur la crise libanaise et le refus de la Syrie de participer à la réunion des amis du Liban initiée par la France pour soutenir ce pays, Koweït le 22 avril 2008.

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Circonstance : Troisième conférence ministérielle élargie des pays voisins de l'Irak les 21 et 22 avril 2008 à Koweït

Texte intégral

Q - Vous avez initié la réunion des amis du Liban. Que répondez-vous à M. Al-Mouallem qui déclare que ce n'est pas une initiative arabe ?
R - En effet, je l'ai initiée et je l'ai présidée. Je réponds qu'il se trompe et que ce n'est pas la réalité.
Premièrement, j'avais invité M. Al-Mouallem mais il n'a pas voulu venir ; c'est son choix et c'est son affaire.
Deuxièmement, il ne s'agissait pas d'internationaliser la crise puisqu'elle est déjà internationale, hélas. J'aurais bien aimé que cette crise ne soit que nationale, que les Libanais s'en sortent seuls et qu'ils puissent élire leur président. Dans la mesure où la France, l'Egypte et la Ligue arabe interviennent, cette crise est internationale. Cela prouve, une fois de plus, que nous devons nous inquiéter du sort des Libanais, mais ce sont eux qui devraient apporter la réponse.
La discussion a regroupé les amis du Liban et les amis du Liban, ce ne sont pas ses ennemis, ce sont des peuples qui s'intéressent à la stabilité de ce pays, à la façon dont il pourrait se sortir de la crise, à son indépendance et à sa souveraineté.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que l'on peut dire que votre initiative d'aujourd'hui remplace, en quelque sorte, l'initiative propre de la France ?
R - Cela ne remplace pas cette initiative, mais la prolonge.
D'autre part, la France n'a jamais été hostile à l'initiative arabe, au contraire, nous avons travaillé ensemble. Nous avions proposé une initiative française reposant sur trois piliers : l'élection d'un président candidat de consensus, M. Michel Slimane, un gouvernement représentant les diverses communautés du pays et le changement de l'organisation des circonscriptions électorales des "qada". Ces propositions avaient été débattues par l'opposition et la majorité et, ensemble, M. Hariri et M. Nabih Berri avaient souscrit aux principes de l'initiative française. L'initiative de la Ligue arabe, reposant sur les mêmes points, a ensuite pris le relais. Cette initiative se poursuit avec nous, tous ensemble. Le processus ne s'arrête pas, puisque la crise continue. Il ne s'agit pas d'une question de préséance ou d'initiative de l'un ou de l'autre. Nous sommes tous réunis aujourd'hui, ici au Koweït, et nous sommes tous des amis du Liban.
Q - La France avait annoncé qu'elle cessait tout contact avec les Syriens. Votre rencontre aujourd'hui avec votre homologue syrien signifie donc qu'il y a eu un changement, c'est-à-dire que vous reprenez langue avec les Syriens ?
R - Non, nous n'avons pas cessé les contacts avec les Syriens. Ce que le président Sarkozy avait annoncé, c'est qu'il était très déçu. Les responsables syriens avaient été très loin dans leurs promesses et il était, en effet, très désappointé.
Au Koweït où nous avons parlé à la fois de l'Irak et du Liban, il était naturel que je rencontre le ministre des Affaires étrangères syrien, comme je le fais souvent. Je ne sais pas si cela a beaucoup apporté mais je crois qu'il est toujours utile de continuer, sans promettre monts et merveilles, sans promettre la lune. Je crois qu'il faut savoir quel rôle joue chacun et quelles sont les initiatives qui peuvent contribuer à la stabilité du Liban : d'abord, l'élection du président de la République et puis, ensuite, des élections générales. Ce sont les Libanais qui demandent cela, ce n'est pas moi.
Q - Avez-vous un autre rendez-vous avec lui, Monsieur le Ministre ?
R - Non, il n'y a pas d'autre rendez-vous.
Q - Vous avez dit qu'il était utile de continuer ?
R - Oui, il est utile de continuer, de s'obstiner, mais je n'ai pas dit qu'il était forcément utile de continuer seulement avec M. Al-Mouallem.
Vous savez en politique étrangère on n'est pas seulement jugé sur les résultats, sinon il n'y aurait pas beaucoup de politique étrangère. Ce n'est pas noir et blanc, 0° ou 180°, c'est une obstination, une invention permanente, une façon de se comprendre, d'écouter les autres. Et puis, il y a des périodes où on ne peut plus se parler, c'est comme cela, mais il faut continuer. Nous, les Français, nous ne nous désintéressons pas du Liban.
Q - Comment expliquez-vous cette attitude d'hostilité de M. Al-Mouallem à l'égard de cette réunion ?
R - Demandez à M. Al-Mouallem. Je pense qu'il a compris que les pays qui étaient là - très nombreux - n'étaient pas d'accord avec la politique pratiquée par la Syrie au Liban. Mais, honnêtement, nous n'en avons pratiquement pas parlé, ce n'était pas le but. Le but c'était de soutenir le Liban, de soutenir l'actuel gouvernement du Liban de M. Fouad Siniora, de lui fournir une aide sur tous les plans : économique, politique, matériel, etc. Nous allons le faire, nous allons même avoir des conférences téléphoniques très fréquemment. Nous disposerons tous de la même liste de demandes des Libanais. Nous n'abandonnerons pas le Liban. C'était cela le but de la réunion des amis du Liban, ce n'était pas d'être avec M. Al-Mouallem ou pas. Encore une fois, je lui avais proposé de venir mais c'est à lui de décider.
Q - Vous avez l'impression qu'il peut lâcher sur l'initiative arabe telle qu'elle est conçue, c'est-à-dire d'abord l'élection, ensuite le gouvernement puis la loi électorale ou bien qu'il demeure sur la position syrienne initiale : un "paquet" et rien d'autre ?
R - Je crois qu'il faut demander à M. Al-Mouallem. J'ai cependant l'impression que c'est plutôt un "paquet" qui est proposé. Je pense qu'en effet il a une manière de présenter les choses qui est un peu différente.
Q- Avez-vous invité M. Al-Mouallem à cette réunion ?
R - Oui, mais j'ai déjà répondu à cette question. Je l'ai invité mais il n'a pas accepté.
Ce que je veux dire, c'est que s'il y a un problème qui a une dimension internationale, c'est bien la situation libanaise. Dès le début, hélas pour les Libanais, le problème a été internationalisé ; je pense qu'il n'est pas correct de nier ce fait. Les amis du Liban ne sont pas les Libanais eux-mêmes, même s'ils ont participé à cette réunion. Les amis du Liban sont les pays voisins et d'autres pays proches du peuple libanais et conscients de la nécessité de soutenir le gouvernement légitime de M. Fouad Siniora. En terme pratique, il s'agit d'une aide économique et politique.
Q - Pourquoi vouliez-vous l'inviter ?
R - Parce que je pense que ce n'est pas négatif. Lors de la précédente conférence ministérielle élargie, à Istanbul, nous avions essayé de le rencontrer pour lui faire savoir ce que nous lui offrions, à lui et aux peuples de cette région, mais il était déjà parti.
Q - Pensez-vous que la Syrie pose problème ?
R - Je pense qu'ils veulent une solution mais ce n'est pas la solution que la majorité des Libanais souhaite. Par ailleurs, le fait que la Syrie joue un rôle dans la région n'est pas nouveau.
Q - Etes-vous désespéré ?
R - Je ne suis pas désespéré ! N'est-ce pas formidablement réjouissant de voir qu'après un an, deux ans, trois ans, on fait les mêmes promesses et les mêmes efforts avec les mêmes personnes. La vie, c'est comme cela, on ne gagne pas toujours ! La première fois que j'ai été impliqué au Liban, c'était en 1975 ou 1976 ; depuis, je n'ai pas cessé de dire : "ça s'arrangera".
Q - Quel message adressez-vous aux Syriens pour que la France et la Syrie reprennent des relations normales?
R - Aussitôt qu'un président sera élu par les Libanais eux-mêmes, les relations avec la France seront redevenues normales - et plus encore. Nous leur offrons de reprendre des relations sur un pied d'égalité, comme nous l'avons fait par le passé, dès lors que les Libanais auront élu un président de la République libanais.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous senti que votre réunion d'aujourd'hui avec M. Al-Mouallem a été utile ?
R - Ce n'est jamais inutile de parler aux gens parce qu'il vaut mieux parler, même si l'on est en colère, même si l'on a pas avancé, même si l'on a reculé. Cependant, à un moment donné, quant on recule trop, il faut bien sûr s'arrêter. Je crois tout de même qu'il vaut mieux se parler. On n'allait pas faire semblant de ne pas se connaître alors que l'on était assis à la même table et que l'on parlait de l'Irak. Ce serait ridicule de ne pas se voir ou même de se cacher !
Q - Avez-vous eu une réunion ?
R - Oui, nous avons eu une réunion, bien sûr.
Q - bilatérale ?
R - Le mot bilatéral n'est pas magique... J'ai parlé vingt fois avec M. Al-Mouallem, je lui ai téléphoné cent fois ! C'est comme cela. Si on ne parle pas, que fait-on ? La guerre ? On ne se fait pas la guerre, pour le moment, on se parle.
Q - Le trouvez-vous sympathique ?
R - Ce n'est pas le problème, je le trouve talentueux.
Q - Mais il a fait une conférence de presse attaquant votre réunion...
R - Il ne s'agit pas de ma réunion. Il a critiqué cette rencontre parce qu'il était contre la réunion des amis du Liban, initiée et présidée par moi, mais il y avait également des représentants de pays arabes qu'il n'a pas attaqué.
Q - Il a demandé au président de la Ligue arabe de ne pas participer à cette réunion et il a déclaré qu'il était regrettable que le ministre libanais soit présent...
R - Pourquoi me dites-vous tout cela. Posez-lui des questions. En ce qui me concerne, je n'ai pas entendu cette conférence de presse. Il a le droit d'avoir ses opinions même si elles sont, à mon avis, très négatives par rapport au règlement du problème libanais. Je lui ai demandé de venir à cette réunion et cela ne m'aurait pas gêné.
De toute façon, ce n'est pas le problème, vous le savez très bien. Ce qui compte, c'est de ne pas abandonner le Liban, d'offrir une aide, d'être en permanence aux côtés des Libanais et d'arriver, enfin, à un système politique démocratique qui soit convenable et qui puisse représenter toutes les populations du Liban.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2008