Déclaration de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, pour la commémoration de la signature des accords de Matignon-Oudinot le 26 juin 1988 et sur les relations entre l'Etat français et la Nouvelle-Calédonie, Paris le 25 avril 2008.

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Circonstance : Colloque organisé pour les vingt ans de la signature des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, à Paris les 25 et 26 avril 2008

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre, (présence de Michel ROCARD)
Mesdames et messieurs les Parlementaires,
Mesdames et messieurs les représentants du gouvernement et des provinces de Nouvelle-Calédonie,
Mesdames et messieurs les signataires des accords de Matignon Oudinot et de l'Accord de Nouméa,
Mesdames et messieurs,
Je remercie les organisateurs sur les de m'avoir invité à porter ici la parole de l'Etat à l'occasion de l'ouverture de votre colloque consacré aux Accords de Matignon-Oudinot de 1988 et de Nouméa de 1998, pour lequel sont réunis non seulement des chercheurs, mais aussi les acteurs d'une histoire qui s'écrit encore.
Cette histoire nous concerne tous parce qu'elle conditionne le présent et l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Je tiens à saluer particulièrement la présence de Michel Rocard dont l'action déterminée et généreuse au service de la réconciliation en Nouvelle-Calédonie compte parmi les plus importantes de notre histoire récente.
2008 marque l'année d'un double anniversaire.
Le 26 juin prochain, il y aurait vingt ans, jour pour jour, que, dans les salons de l'Hôtel Matignon, une femme et quelques hommes, ont inscrit leur nom dans l'Histoire en paraphant, aux côtés de Michel Rocard, que j'ai déjà salué, les premiers accords complétés, le 28 août, par les accords d'Oudinot, siège, bien connu de tous ceux qui sont ici, du ministère de l'Outre-Mer.
Et, dans quelques jours, le 5 mai, nous commémorons le 10ième anniversaire de l'Accord de Nouméa qui a permis de retisser les fils de l'histoire commune, de poser les bases d'une nouvelle « citoyenneté » calédonienne et d'arrêter le statut actuel de la Nouvelle-Calédonie jusqu'à la perspective de la consultation sur l'autodétermination.
A n'en pas douter, ces accords sont fondateurs. Ils sont fondateurs d'un processus durable qui a permis à la Nouvelle-Calédonie de s'inscrire dans l'Histoire, celle de la réconciliation, mais aussi dans l'avenir, celui de ses enfants.
Ce que les organisateurs de ce colloque célèbrent, ce ne sont pas deux dates, ou des textes d'accord, mais un processus, une dynamique, une voie : la voie calédonienne qui, espérons-le, apparaître demain comme un « modèle ».
Toutefois ne cédons pas à l'autocongratulation. L'histoire n'est pas finie. L'avenir n'est pas écrit.
Notre responsabilité, et notamment celle des successeurs des signataires des accords de 1988 et de 1998, c'est de poursuivre dans cette voie.
Notre responsabilité, c'est d'instruire les générations montantes dans cette histoire dont elles héritent et qu'elles ont à poursuivre, non à répéter.
A partir de la fin des années 1970, pour des raisons obscures dont l'Histoire a la ruse - mais les historiens ici présents sauraient nous l'expliquer - le territoire connaît une montée lente et continue des tensions entre les hommes du Nord, du Sud et des îles : tensions foncières, tensions ethniques, tensions politiques enfin.
Ces tensions se transforment en violence. C'est l'assassinat de Pierre DECLERCQ en 1981 puis le premier sang versé dans la montée de la tribu de Koindé - OuiPoin en 1983.
La situation semble en voie d'apaisement, lorsque, à Nainvilles-Les-Roches, les premières rencontres ont lien entre ceux que l'ont appellent les indépendantistes et ceux qui sont favorables au maintien dans la République.
Mais très vite, la tension resurgit : dès 1984, les urnes sont brisées à Canala, la tour cycliste de Nouvelle-Calédonie est bloqué, les barrages se multiplient. Et à nouveau la violence : 10 morts dans la montée de Tiendanite. Le sang coule encore.
Et puis, en 1988, c'est la tragédie d'Ouvéa.
Ou, devrais-je dire les tragédies d'Ouvéa, puisque ne peuvent pas être dissociés la prise d'otage de la grotte de Ghossana, l'opération militaire qui s'en est suivi, et, un an plus tard, lors d'une cérémonie commémorative à Ouvéa, l'assassinat de Jean-Marie TJIBAOU et de YEIWENE YEWEINE, les deux signataires des accords de Matignon-Oudinot.
En 1988, la guerre civile est proche et « les deux communautés face à face n'ont aucune chance d'imposer durablement leur loi, l'une sur l'autre, l'une contre l'autre - sinon par la violence ».
Heureusement, chacun comprend à temps que la violence a ses limites. Le pire est évité à la faveur de la mission du dialogue, dont bon nombre des acteurs sont aujourd'hui présents.
Le 26 juin 1988, les partenaires calédoniens signent les accords de Matignon Oudinot.
Avec cette poignée de main historique encore présente dans tous les esprits.
Il faut bien dire et répéter que le pire fut évité grâce à la détermination et au sens des responsabilités de quelques femmes et hommes qui ont su dépasser les passions du moment, les intérêts de leur camp, la logique de l'affrontement pour donner à la Nouvelle-Calédonie un avenir.
Dans la droite ligne des accords de Matignon-Oudinot, et parce que la « solution consensuelle » commande d'aller plus loin, le « pari de l'intelligence » est renouvelé avec l'Acccord de Nouméa le 5 mai 1998.
Il me faudrait nommer un par un les signataires des accords de Matignon.
Il me faudrait nommer un par un les signataires de l'accord de Nouméa.
Leur courage a permis à tous les Calédoniens de se donner les conditions d'un destin commun.
Oui, je dis bien : courage.
Parce qu'il faut un certain courage, pour accepter n'être pas compris par les siens.
Parce qu'il faut un certain courage, pour prendre sur soi la responsabilité d'une communauté humaine et non d'un camp, pour parler au nom d'un pays et non d'un pré carré.
Ce courage, je l'ai déjà rappelé, Jean-Marie TJIBAOU et YEIWENE YEIWENE l'ont payé de leur vie.
Je n'entends pas entrer davantage dans les détails de ces événements. C'est là le rôle des historiens. Et c'est aussi la tâche des acteurs de cette histoire réunis pour ce colloque. Notre devoir est de les écouter, parce qu'il n'est pas d'Accords possible, pas d'avenir souhaitable, pas de destin commun, sans le sens du compromis et sans le respect de la parole donnée.
Ne cédons pas à l'ivresse des commémorations.
Car nous ne fêtons pas seulement des anniversaires : nous défendons une voie exigeante pour tous. Et c'est jour après jour, dans le cadre fixé par les accords Matignon-Oudinot, ratifiés par référendum national, confirmés et amplifiés par l'accord de Nouméa, que les Calédoniens bâtissent les conditions de leur avenir, tissent les fils d'une communauté de destin et construisent leur relation avec la métropole.
Vous connaissez l'engagement du Président de la République alors qu'il se présentait aux suffrages de tous les Français, dans la Lettre qu'il a écrite à l'intention de tous les Calédoniens : « J'attache la plus grande importance au respect de l'accord de Nouméa, conclu entre vos représentants et l'Etat, approuvé par vous et inscrit dans notre Constitution. Je crois à une démarche politique fondée sur le consensus, le respect des engagements, et la recherche constante de la volonté de vivre ensemble. »
Et vous connaissez aussi l'attention que le Premier ministre, qui m'a demandé d'avoir l'honneur de le représenter aujourd'hui, attache à la concrétisation de l'accord de Nouméa. Il l'a manifesté symboliquement le 20 décembre 2007 en présidant, à Matignon, le 6ième comité des signataires de l'Accord de Nouméa et en déclarant : « Nous croyons à une application loyale de l'esprit et de la lettre de l'accord de Nouméa ».
Je ne saurais guère exprimer de manière plus claire et plus concise le sens de l'action que j'entends poursuivre.
Une seule vision, un seul cap, une seule parole : ce ne sont pas seulement des mots, c'est la parole de la France.
Quant au reste, la seule certitude, la seule assurance, c'est que l'avenir des Calédoniens n'appartient qu'à eux-mêmes.
Je n'ignore pas que la vie politique calédonienne est ordonnée sur deux visions différentes de l'avenir, celle de l'inscription dans l'ensemble français, d'un côté, celle de l'indépendance de l'autre. L'heure de la décision, par les Calédoniens eux-mêmes, n'est pas encore venue. Quel que soit ce choix, il n'aura de sens que dans le respect de la démocratie et dans la défense de la paix civile.
Ce dont les accords de Matignon sont le symbole, c'est qu'il n'est pas de liberté sans la paix civile.
Qu'il me soit permis d'en rappeler, en préambule de ce colloque, l'exposé des motifs de la loi qui a suivi les accords de 1988 :
« Les communautés de Nouvelle-Calédonie ont trop souffert dans leur dignité collective, dans l'intégrité des personnes et des biens, de plusieurs décennies d'incompréhension et de violence.
Pour les uns, ce n'est que dans le cadre des institutions de la République française que l'évolution vers une Nouvelle-Calédonie harmonieuse pourra s'accomplir.
Pour les autres, il n'est envisageable de sortir de cette situation que par l'affirmation de la souveraineté et l'indépendance.
L'affrontement de ces deux convictions antagonistes a débouché jusqu'à une date récente sur une situation voisine de la guerre civile.
Aujourd'hui, les deux parties ont reconnu l'impérieuse nécessité de contribuer à établir la paix civile pour créer les conditions dans lesquelles - les populations pourront choisir - librement et assurées de leur avenir, la maîtrise de leur destin ».
Cette impérieuse nécessité demeure.
Cela revient à faire vivre les accords, à raviver leur esprit en respectant leur lettre.
Cela implique des efforts de chacune des parties, par-delà les divergences de fond sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, par-delà aussi les tensions et les rapports de force.
L'Etat, pour sa part, tiendra ses engagements, il assumera son rôle en veillant à l'application loyale de l'accord de Nouméa, notamment, pour les années qui viennent, en matière de transferts de compétence, mais également en agissant pour un développement économique équilibré en Nouvelle-Calédonie.
L'Etat restera pour les années qui viennent le garant de la sécurité, de la paix sociale et de la prévention des conflits sur l'ensemble territoire.
Mais l'Etat ne fera pas tout. Il ne se substituera pas aux Calédoniens ; Il ne réparera pas les égoïsmes des uns ou les calculs des autres.
En d'autres termes, l'Etat sera le garant des grands équilibres.
Mais il est un autre ennemi de la concorde : c'est le temps.
Les générations se renouvellent et expriment des attentes nouvelles. Le souvenir des conflits s'amenuise dans la routine quotidienne. C'est la vie.
La responsabilité de ceux qui ont traversé l'expérience du conflit et qui connaissent le prix de la paix et de la liberté, c'est de l'enseigner à ceux qui viennent après eux. La négligence peut être fatale, une étincelle suffire pour mettre à bas l'édifice que l'on croyait solide.
Deux visions possibles de l'avenir continuent de diviser les Calédoniens ; nous le savons. Chacun a le droit de défendre ses convictions. Mais les uns et les autres auront toujours à relever le défi de vivre ensemble, aujourd'hui comme demain.
Certes, la grandeur de la démocratie, c'est de faire que chaque femme et à chaque homme a la possibilité de faire entendre sa voix pour de l'avenir commun. Et la force du vote populaire, c'est d'acter symboliquement le choix d'une communauté humaine
Mais c'est au quotidien que se font ou se perdent les idéaux.
C'est au quotidien que chaque responsable politique, chaque acteur de la société civile, chaque citoyen, de ne pas sacrifier ce qui est commun pour satisfaire des intérêts immédiats ou des logiques partisanes.
Le défi de la Nouvelle Calédonie réside dans la capacité de chacun à vouloir et à construire cet avenir commun, quel que soit son nom.
Ma volonté, au nom de l'Etat et du gouvernement, est de tout mettre en oeuvre pour que cet ensemble issu d'une histoire complexe, parfois violente, mais riche de la grande diversité de ses peuplements, de ses territoires et de ses coutumes, s'affirme comme un modèle de coexistence, de stabilité et de développement, dans le respect des groupes humains comme de leur environnement, comme une voie exemplaire pour la France et le monde de demain.
Je vous remercie de votre attention. Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 28 avril 2008