Texte intégral
C. Barbier.- Réforme des institutions au menu du Conseil des ministres aujourd'hui, avec la modification de l'article 88.5. Alors, il ne sera plus obligatoire de consulter les Français par référendum pour valider l'entrée d'un pays nouveau dans l'Union européenne. Pourquoi ce changement. S'agit-il de dégager la voie à une entrée plus facile de la Turquie dans l'Union européenne ? Comment rassurez-vous l'UMP, comme rassurez-vous P. Devedjian ?
R.- Je crois que ce qu'il est important de souligner, c'est que l'on revient à la situation antérieure, c'est-à-dire que, vous avez le choix entre, soit appliquer le référendum, soit faire en sorte que le Parlement se prononce sur l'élargissement, ce qui est le cas dans tous les autres pays européens. C'est une question de responsabilité. Le président de la République est élu par les Français pour pouvoir prendre ses responsabilités, notamment dans les négociations européennes ou internationales. Et c'est une question de crédibilité à l'égard de nos partenaires, c'est-à-dire, comment voulez-vous négocier si en termes de négociations, vous vous dites : écoutez, je n'y peux rien, vous regardez, en ce qui concerne la Macédoine, en ce qui concerne la Suisse, en ce qui concerne la Norvège. J'ai négocié avec vous pendant deux ans mais je n'y peux rien, ce n'est pas moi qui prendrai la décision, et je m'en remettrai à un référendum. Donc, vous n'êtes plus crédible dans le cadre de négociations européennes. L'Europe ça reste un contrat, ça reste un pacte, ça reste une aventure où chacun doit prendre ses responsabilités. Et j'estime que le président de la République, il est quand même désigné par les Français pour prendre ses responsabilités.
Q.- Mais pour l'exemple de la Turquie, plus de 80 millions d'habitants, un pays musulman, un pays qui pose problème, peut-on faire l'impasse sur un référendum devant les Français ?
R.- Mais je vous rappelle que la position du président de la République en ce qui concerne la Turquie est parfaitement connue. Le président de la République a dit que la Turquie n'avait pas vocation à adhérer à l'Union européenne. Donc, ce qui m'étonne, c'est qu'il y ait débat sur le référendum puisque, selon le président de la République, il n'a pas vocation à adhérer à l'Union européenne. Donc, je ne vois pas cet émoi sur le référendum et la Turquie. Et de toute façon, il y aura le choix. Pour la Turquie ou pour d'autres pays, le choix subsiste.
Q.- Quand vous entendez un commissaire européen, finlandais, Olli Rehn, dire : "Oh ! La Turquie, oui, dans 10-15 ans c'est bon, elle pourra entrer", c'est de la provocation ?
R.- Ce n'est pas de la provocation, la Commission est dans son rôle, elle suit ce qui a été indiqué lors du Conseil européen de 2005, et Olli Rehn dit ce qui a été souvent dit par la Commission. Simplement, le commissaire oublie deux éléments qui sont fondamentaux : le premier, c'est- je ne veux pas être trop technique, mais dans le cadre de ces négociations - ça se fait sur la base de chapitres que vous ouvrez et que vous fermez. Il y a des chapitres - je prends par exemple, la propriété intellectuelle, la circulation des capitaux, l'énergie - qui ne posent pas de problème. Vous pouvez continuer, et vous devez continuer à discuter avec la Turquie, vous devez continuer à encourager ceux qui veulent plus de réformes en Turquie, moderniser ce pays, et nous devrons, quelles que soient les circonstances, avoir des relations extrêmement étroites pour ne pas dire particulières avec la Turquie. Mais ce que Olli Rehn oublie de mentionner, c'est qu'il ne peut pas y avoir d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne tant que le problème chypriote n'est pas réglé. C'est-à-dire, que vous ne pouvez pas admettre dans l'Union - et ça Olli Rehn fait 'impasse sur cet élément - vous ne pouvez pas faire entrer dans l'Union un pays qui ne reconnaît pas un pays membre de l'Union, ce qui est le cas aujourd'hui avec la République de Chypre.
Q.- F. Fillon était plutôt favorable au maintien du référendum obligatoire. L'avez-vous convaincu d'assouplir sa position ?
R.- Ecoutez, je crois, oui. A partir du moment où la révision de l'article 88.5 figure dans le projet de loi de révision des institutions, ce n'est pas la principale disposition, mais c'est une disposition importante, c'est une disposition très européenne, c'est une disposition qui recueille vraiment l'assentiment de nos partenaires...
Q.- Et du Premier ministre, donc ?
R.- Et du Premier ministre, puisqu'il va déposer ce projet de loi, donc, je crois qu'il n'y a pas de débat au sein du Gouvernement.
Q.- On parle beaucoup aussi de la venue du président de la République devant l'Assemblée nationale ou devant les Assemblées réunies en Congrès. Le PS pose ses conditions, notamment, décompte du temps de parole dans les médias, réforme du mode de scrutin au Sénat. Faut-il accepter ces conditions ?
R.- Je crois qu'il y a nécessité de trouver un accord avec l'opposition pour recueillir une majorité des trois cinquièmes pour voter cette réforme des institutions. Je crois qu'il y a un certain nombre de propositions qui sont faites par le Parti socialiste, qui vont dans le bon sens, qui vont dans le sens d'une modernisation des institutions. Je crois qu'il est important qu'il y ait plus de pouvoirs qui soient donnés au Parlement, qui soient donnés à l'Assemblée nationale, qu'il y ait effectivement, en ce qui concerne le décompte, la transparence, les droits de l'opposition, c'est le sens du projet de loi aussi que nous fassions des progrès importants en ce domaine pour être au standard d'une démocratie moderne.
Q.- Parler une fois par an devant le Congrès réuni, une sorte de discours sur l'union de la France avec un débat derrière, ce serait une bonne formule ?
R.- C'est une bonne formule, c'est surtout revenir sur des pratiques qui étaient quand même un peu désuètes. Aujourd'hui, pour que le président de la République puisse s'exprimer devant le Parlement, il faut prévenir, c'est un discours qui est lu par le président des Assemblées, devant le Parlement, debout, sans qu'il y ait un contact direct entre le Président et le Parlement. Vous m'accorderez que c'est quand même un peu désuet quand même comme formule.
Q.- La présidence slovène de l'Union européenne n'invitera pas le Dalaï-lama, ce qu'avait pourtant suggéré B. Kouchner. La présidence française en prendra-t-elle l'initiative de cette invitation ?
R.- Les Européens ont décidé à 27, la présidence slovène a recueilli l'avis de l'ensemble des partenaires européens. Je crois que la présidence française fera de même, c'est-à-dire qu'elle verra s'il y a un consensus parmi les 27, pour pouvoir inviter le Dalaï-lama. De ce point de vue-là, nous devons garder une attitude européenne.
Q.- De la même manière, N. Sarkozy devra consulter les 27 avant de savoir si, lui, en personne va à Pékin ou non le 8 août ?
R.- Exactement. C'est pour cela qu'il ne le fait pas maintenant. Lorsque se posera la question, N. Sarkozy sera en situation d'être président du Conseil de l'Union européenne. Il est donc parfaitement normal qu'il y ait une consultation des 27, que l'on voit quel est le sentiment des 27 pays de l'Union européenne en ce qui concerne la participation de l'Europe aux cérémonies d'ouverture, et c'est à ce moment-là que le président de la République devra se déterminer. C'est le premier point. La position française est bien connue, elle est pour qu'il y ait un dialogue sincère avec le Dalaï-lama, elle est pour la cessation des violences, elle est enfin pour qu'il y ait plus de transparence et un accès des journalistes. Cela étant, il faut aussi avoir et entretenir avec la Chine un dialogue qui soit à la fois franc mais qui soit continu.
Q.- Alors, dans le cadre de ce dialogue, B. Delanoë a-t-il eu tort de nommer le Dalaï-lama, un peu rapidement, citoyen d'honneur de la ville de Paris ? C'est de l'ingérence comme disent les Chinois ?
R.- C'est une décision locale. Comme vous le savez, j'ai beaucoup d'amitié pour B. Delanoë, je pense que, là-dessus, il aurait pu y avoir d'autres symboles qui auraient été choisis. Je ne l'aurais pas choisi.
Q.- Vous l'auriez voté au Conseil de Paris, vous ?
R.- Je ne l'aurais pas forcément voté.
Q.- Le 12 juin, les Irlandais voteront ou non le Traité simplifié, dit "Traité de Lisbonne". Si c'est non, à 15 jours du début de la présidence française, vous avez un plan B ?
R.- Le plan B, nous devrons le trouver là où aussi à 27. J'espère véritablement que les Irlandais vont voir tout ce que leur apporte l'Europe, en matière agricole, en matière de développement économique, c'est quand même un des pays qui a été le plus bénéficiaire de l'Union européenne et de ses sommes. Je crois que les Irlandais, qui sont très européens, qui sont véritablement un peuple fier mais également réaliste, prendront la bonne décision.
Q.- Inflation, chute du dollar... est-il temps pour la Banque centrale européenne de baisser ses taux d'intérêt ?
R.- Ce qui est temps, c'est qu'on ait véritablement une coordination internationale sur l'évolution des changes. Je crois que, aujourd'hui, l'évolution des changes, lorsque vous avez un euro qui est à plus de 1,60 est un phénomène qui est inquiétant, même si cela permet de compenser la hausse du prix des matières premières et notamment la hausse du pétrole. Et que, de ce point de vue-là, cela permet de préserver le pouvoir d'achat. Mais on entre dans des zones dans lesquelles nous serions bien inspirés d'avoir une coopération qui soit plus étroite avec les Etats-Unis, le Japon et la Chine, aussi, qui est un acteur important.
Q.- Il faut que M. Trichet accepte de discuter aussi avec les politiques européens tout en restant indépendant ?
R.- Je crois qu'il le fait, mais l'indépendance n'exclut pas la discussion. Et je crois qu'il devrait y avoir effectivement dans ces circonstances-là un dialogue étroit avec le président de l'Eurogroupe, avec la Commission, et avec les ministres des Finances. Enfin, le fait que la situation actuelle porte préjudice à la croissance européenne ne fait plus débat entre les Européens aujourd'hui. La question est davantage une question de coopération internationale qu'une coopération européenne. Tout le monde fait ce qui doit être fait, notamment la Commission européenne, qui va publier une communication sur les dix ans de l'euro. Et qui, je crois, a de bonnes propositions pour faire en sorte que l'Eurogroupe et le dialogue avec la Banque Centrale soit renforcé.
Q.- En un mot, en un chiffre, un an de présidence Sarkozy, quelle note lui donnez-vous sur 20 ?
R.- Il y a une note très très importante et très bonne en ce qui concerne la conduite des réformes. Je crois qu'il n'y a jamais eu de réformes aussi importantes conduites depuis 1958.
Q.- Mais quelle impopularité !
R.- Ecoutez, il vaut mieux être populaire pour gagner les élections, et il vaut mieux accepter un peu d'impopularité pour mener des réformes importantes. Vous n'avez jamais été très populaire quand vous menez des actions de réformes importantes. Ce qui est important, c'est d'être jugé aux résultats, et on verra dans un an.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 23 avril 2008