Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à France Info le 5 mai 2008, sur le prix du pétrole et des prix alimentaires, les retraites, la réduction des effectifs dans la fonction publique, les réformes en cours et la prochaine présidence de l'Union européenne.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin et M.-E. Malouine.- Bonjour F. Fillon.
 
Bonjour.
 
Merci d'être avec nous en direct ce matin sur France Info. Il y a un an, N. Sarkozy arrivait à l'Elysée, vous dans la foulée à Matignon. On va bien sûr parler des questions d'actualité dans un instant mais avant c'est évidemment l'heure du tout premier bilan. Alors un regret dans cette année écoulée et peut-être une fierté pour vous ?
 
Des regrets, ce n'est pas mon genre et ce n'est surtout pas l'heure de les avoir. Les regrets c'est pour les bilans et le bilan, ce sera à la fin du quinquennat. Tant qu'on est aux manettes, qu'on a les commandes, qu'on est en charge de faire des réformes, on n'a pas le luxe de pouvoir avoir des regrets. Une satisfaction, une très importante : c'est d'avoir fait changer la nature des débats dans notre pays. Il y a quelques années, la solution à nos problèmes économiques c'était le partage du travail. Aujourd'hui, on débat sur les heures supplémentaires. Il y a quelques années, on considérait que les universités c'était un sujet bloqué à tout jamais. Il y a une réforme qui a été votée. Aujourd'hui il y a un débat pour savoir à quel rythme les universités doivent aller vers l'autonomie. Le service minimum dans les services publics, la question des régimes spéciaux de retraite, tous ces sujets-là c'était des sujets sur lesquels le débat était organisé autour de la thématique qui était la thématique de la gauche. On a emmené les Français sur le terrain idéologique que nous souhaitions et je pense que c'est une grande satisfaction.
 
Alors pas mal de satisfactions. Visiblement pas de regrets mais quand même, M.-E. Malouine, des motifs de grogne ce matin ? Oui parce que ce que les Français regrettent, eux, c'est la hausse du prix de l'essence. Beaucoup d'infonautes nous en parlent. Il y en a même un qui vous fait une proposition et vous demande d'abord si vous n'avez pas peur de vous fâcher avec les pétroliers et sinon pourquoi ne pas les convoquer pour leur dire de baisser les prix ?
 
Il aura sans doute échappé à cet internaute que le prix du pétrole, c'est un problème mondial. Je reviens des Etats-Unis, la question était...
 
Oui mais il parle de la parité avec l'euro, ça devrait nous aider avec l'euro fort.
 
Le pétrole a augmenté, a été multiplié par trois aux Etats-Unis. Dans les pays émergeants, c'est encore pire parce que le pétrole est très élevé avec des habitants qui ont des salaires extrêmement bas. Donc le pétrole et les prix alimentaires, c'est le problème majeur de l'économie mondiale. N. Sarkozy et le Gouvernement ont fait beaucoup de choses depuis un an. C'est difficile de leur donner la responsabilité et de nous donner la responsabilité de la hausse du prix du pétrole et de la hausse du prix des matières alimentaires. Pourquoi est-ce que le pétrole augmente et les matières alimentaires augmentent ? Parce qu'il y a un risque de pénurie en réalité. Parce que l'économie mondiale s'emballe, parce qu'il y a des pays nouveaux qui sont émergeants et qui ont une activité de plus en plus importante, qui consomment du pétrole. Des populations qui ont des revenus plus élevés, qui consomment des produits alimentaires. Sur un sujet, les produits alimentaires, il y a des solutions de moyen terme. Il faut produire, il faut remettre l'agriculture en priorité. Sur l'autre sujet qui est celui du pétrole, il y a qu'une seule réponse de moyen terme, c'est de trouver des énergies différentes.
 
Donc pas de moyen de faire baisser les prix finalement, pour tous ceux qui ont fait le plein hier, par exemple, qui sont rentrés de vacances ?
 
Faire baisser les prix du pétrole, aucun pays n'a réussi à le faire. Faire baisser le prix du pétrole, ça veut dire quoi ? Ca veut dire encourager la consommation d'un produit qu'on achète de plus en plus cher, qui est de plus en plus rare et dont on sait déjà que son terme est affiché. Et donc au moment où il faut investir massivement sur la recherche sur les économies sur les énergies nouvelles, au moment où il faut - c'est ce qu'on va faire avec le texte issu du Grenelle de l'environnement - investir massivement dans les économies d'énergie, il faudrait subventionner au fond le prix du pétrole ? Personne, aucun économiste sérieux ne propose cela.
 
Cela veut dire que les Français, les automobilistes doivent se serrer la ceinture, doivent serrer les dents ?
 
Cela veut dire qu'il va falloir qu'on change nos habitudes progressivement. Alors s'il y a des fluctuations du cours du pétrole et que le pétrole baisse, naturellement les Français en profiteront. Mais enfin personne ne pense que sur le long terme, le prix du pétrole puisse baisser. On va devoir changer nos habitudes, aller vers des formes d'énergies nouvelles. Pourquoi est-ce qu'on a voulu, avec le Grenelle de l'environnement, au fond réconcilier ceux qui pensaient que l'essentiel c'était la protection de la planète et ceux qui pensaient que l'essentiel c'était la croissance et l'emploi ? Parce qu'il faut changer de modèle de développement économique. Et on a maintenant avec le Grenelle de l'environnement, des bases pour assurer ce changement de modèle économique.
 
Alors il n'y a pas que le prix de l'essence qui inquiète les Français aujourd'hui, il y a évidemment la question des retraites. Vous recevez aujourd'hui même les syndicats. L'allongement de la durée des cotisations ne passe visiblement pas auprès des organisations. L. Parisot, la présidente du Medef, elle, propose autre chose : repousser carrément l'âge de la retraite à 62 ans. Est-ce que c'est une piste et est-ce que vous allez la suivre ?
 
Non ce n'est pas une piste. Il y a eu une réforme des retraites en 2003. On la met en oeuvre. Elle a d'ailleurs été à l'époque soutenue par des organisations syndicales importantes. Il n'y a pas de raison aujourd'hui de se dédire par rapport aux engagements qui ont été pris et j'ajoute d'ailleurs que l'allongement de la durée de cotisation n'est peut-être pas soutenu par les organisations syndicales mais les sondages montrent que les Français, eux, comprennent qu'il n'y a pas d'autre option avec l'allongement de la durée de la vie que d'augmenter la durée des cotisations. Ce n'est pas le seul sujet. Ce qu'on veut aussi, c'est faire en sorte qu'il n'y ait plus cette spécificité française qui consiste à mettre les salariés les plus âgés en dehors du travail, de façon beaucoup trop précoce.
 
Est-ce que ça passe par le sanctionnement (sic) des entreprises ?
 
Cela passe par une pression de plus en plus forte sur les entreprises qui doivent comprendre qu'ou bien elles changent d'attitude, ou bien les cotisations retraite inévitablement augmenteront parce que ce sera la seule solution qui sera à la disposition des gouvernements pour maintenir le niveau des pensions.
 
Pour être clair, les pressions sur les entreprises c'est les sanctions ? Il n'y a pas d'autres sanctions ?
 
Oui les pressions sur les entreprises, c'est l'augmentation des cotisations pour ceux qui ne jouent pas le jeu.
 
Est-ce qu'on aura bientôt en France des retraités pauvres comme on a des salariés pauvres ?
 
On a des retraités pauvres en France, notamment les retraités agricoles, un certain nombre de, des femmes seules qui ont des pensions de réversion extrêmement faibles. C'est pour ça d'ailleurs qu'on a entrepris la revalorisation du minimum vieillesse, la revalorisation du taux des pensions de réversion. Mais c'est évidemment très difficile à conduire dans un pays qui a attendu très longtemps pour engager la réforme de ses régimes de retraite. La plupart des pays européens ont commencé à réformer leur régime de retraite 10 à 15 ans avant nous. Et aujourd'hui au fond, si la réforme est si difficile dans notre pays, c'est sans doute pour cela. C'est parce qu'on a tellement attendu qu'aujourd'hui, il faut tout faire en même temps et quand on fait tout en même temps, il est naturel qu'on puisse provoquer ici ou là des crispations.
 
F. Fillon, la réduction des effectifs dans la Fonction publique. Est-ce qu'aujourd'hui vous pensez que c'est une nécessité absolue ? Est-ce que rien ne va vous faire reculer sur cette question-la ?
 
Ecoutez, c'est très simple, cela fait 34 ans qu'on n'a pas voté un budget en équilibre en France. Alors tous les jeunes Français de moins de 34 ans pensent que ça marche comme ça et tous ceux qui ont plus de 34 ans se disent que si ça a duré 34 ans, ça va bien durer encore quelques années. Mais là on est au coeur du problème de notre pays. On a accumulé tellement de déficits qu'on a aujourd'hui des difficultés à obtenir la croissance que l'on souhaite parce que les moyens publics pour investir sont insuffisants. Et on est en train de préparer pour nos enfants, une dette qui est une dette insupportable. Donc nous n'avons pas le choix. Il faut réduire les dépenses de l'Etat pour retrouver de la croissance et pour retrouver l'équilibre des finances publiques. Je ne connais pas de moyen de réduire les dépenses de l'Etat sans réduire en même temps le nombre des fonctionnaires. D'autant que nous sommes dans un pays qui, bien qu'il ait décentralisé une grande partie des responsabilités de l'Etat vers les collectivités locales, a continué à augmenter le nombre de ses agents publics. Ce que nous voulons faire, c'est grosso modo revenir en cinq ans au nombre de fonctionnaires qu'il y avait dans notre pays au début des années 90.
 
Alors les fonctionnaires se mobilisent, ont prévu une journée d'action le 15 mai. X. Darcos envisage de faire une sorte de service minimum. Rien ne vous fera faiblir là-dessus, non plus ?
 
Il n'envisage pas, c'est une disposition qui a été mise en place déjà dans le passé et que nous voulons remettre en place aujourd'hui. Le service public c'est pour tout le monde et c'est tout le temps.
 
Mais comment allez-vous faire avec les mairies par exemple ? Ce n'est pas évident.
 
Les mairies qui ne veulent pas le faire ne le feront pas. Mais les Français...
 
On a déjà vu lors de la précédente journée...
 
Oui mais les Français jugeront quelles sont les collectivités locales qui cherchent à se décarcasser pour venir en aide aux Français. Sans en rien mettre en cause les mouvements de protestation. L'efficacité d'un mouvement de protestation n'est pas totalement liée, je l'espère, à l'importance de la gêne qu'il occasionne aux familles. Donc le fait que les enfants puissent être accueillis dans les écoles, je pense que c'est aujourd'hui une condition essentielle du respect des obligations du service public.
 
F. Fillon, on vous a présenté comme un grand réformateur. R. Barre disait, peu de temps avant de mourir, que pour faire des réformes, il faudrait attendre en France 2012 parce que tout simplement, la population n'allait pas encore assez mal et que le pays n'allait pas encore assez mal. Est-ce que vous pensez que finalement, on y est un peu plus vite que prévu ?
 
Je reconnais bien là le pessimisme qui était celui de R. Barre pour lequel j'avais beaucoup d'admiration. Mais enfin, attendre 2012, on peut aussi attendre que le malade soit mort. Nous sommes dans un pays, je le disais tout à l'heure, qui a pris énormément de retard. 2012 ce sera trop tard. Si on attend 2012, d'abord ça veut dire que les Français définitivement n'auront plus confiance dans leurs responsables politiques.
 
Et vous avez été élu pour faire ces réformes mais pour l'instant, elles passent assez mal.
 
Mais qu'elles passent mal, il y a rien d'anormal. Je veux dire, c'est le contraire qui serait étonnant. Quand on réforme un pays au rythme où on le réforme aujourd'hui, il est naturel qu'il y ait des crispations. Et puis on sent bien qu'on est entre deux mondes, on est entre deux France : une France ancienne qui commence tout doucement à s'habituer à l'idée qu'il va falloir changer et puis une France nouvelle qui se dessine à peine. Mais attendre pour faire les réformes, c'est d'abord dire aux Français qu'on ne tiendrait pas nos engagements. Or une de mes fiertés c'est qu'on tient nos engagements par rapport à la campagne présidentielle. Par rapport à la campagne législative, la feuille de route est parfaitement respectée. C'est très important parce que la confiance, c'est justement ce qui manquait le plus ces 20 dernières années. Les Français avaient l'impression qu'à chaque fois qu'on élisait une majorité, c'était pour qu'elle fasse le contraire de ce sur quoi elle s'était engagée.
 
Mais en même temps, on le voit dans les sondages, les Français sont inquiets. Ils sont de mauvaise humeur, est-ce qu'il y aurait pas moins de crispation si vous ne disiez pas l'échéance ? Vous dites, il y a plusieurs trimestres encore difficiles à venir. Plusieurs trimestres, ça veut dire quoi ? Ca veut dire une année ? Ca veut dire deux années ?
 
Il y a deux sujets. Il y a la crise économique internationale.
 
En fait, c'est d'elle que tout dépend.
 
Je suis incapable de vous dire dans quel délai elle se terminera. Je reviens des Etats-Unis. Les autorités financières, politiques américaines elles-mêmes sont bien incapables de dire si la crise est derrière nous ou si l'année 2009 sera encore une année de crise pour l'économie américaine. Donc sur ce sujet-là, on est bien obligé de travailler avec l'environnement international qui est le nôtre. Mais ce que je vois déjà, c'est que dans cet environnement international, on a en terme de croissance, des résultats qui sont désormais dans la moyenne européenne alors qu'on était en dessous. On a des résultats en matière de chômage qui sont des résultats qui s'améliorent de façon très importante. Et donc les réformes que nous conduisons, contrairement à ce qui est dit souvent, elles commencent déjà à donner des résultats. Mais il faut naturellement plus de temps pour changer un grand pays comme la France.
 
La France va prendre la présidence de l'Union européenne, ce sera bientôt, au mois de juillet. Est-ce que c'est bon ça pour notre pays ?
 
La question ne se pose pas de savoir si c'est bon pour notre pays. Ce qui est bon pour notre pays, c'est que l'Europe fonctionne. Et si nous n'avions pas sorti l'Europe de la crise dans laquelle elle se trouvait, crise d'ailleurs à laquelle nous avions assez largement participé, l'Europe serait en panne et ça ce serait mauvais pour la France. Si on veut faire valoir notre vision de la mondialisation, d'une mondialisation plus éthique, plus humaine que celle qui est peut-être en cours de mise en oeuvre dans les autres, sur les autres grands continents, il faut une Europe forte et il faut qu'au sein de cette Europe forte, la France ait une voix et se fasse entendre. Le fait de conduire l'Europe pendant six mois, surtout au moment où on va changer de système, c'est-à-dire où on va passer des anciennes institutions aux nouvelles, c'est une fierté.
 
Même si on est le mauvais élève ?
 
On n'est pas le mauvais élève. La France est très crédible.
 
Mais on n'est pas très bien noté pour l'instant par Bruxelles.
 
Parce qu'on a énormément de retard et ce retard, il est imputable à ces 20 années d'immobilisme que j'évoquais tout à l'heure. Et ce que voient les Européens aujourd'hui, en tous cas ceux qui sont honnêtes et sincères, c'est que la France est en train de faire un énorme effort de réformes structurelles. Mais surtout pour faire le tour des pays européens avec le Président de la République, ce que je constate c'est que les pays européens savent gré à la France et en particulier au Président de la République de les avoir sortis de l'impasse.
 
Alors puisque vous parlez du président de la République, on approche de la fin, il nous reste peu de temps mais vous dites que vous êtes fidèle, loyal et pas courtisan envers le président de la République. Ca veut dire qu'il y a beaucoup de courtisans autour du Président ?
 
Non, mais ça va de soi. Je veux dire chacun me connaît, chacun sait comment je fonctionne. J'ai mes convictions. Mes relations avec le président de la République, elles sont de deux ordres : il y a des relations personnelles qui, vous en conviendrez, ne regardent que le président de la République et moi-même.
 
Et les relations politiques, avec des hauts et des bas ?
 
Et des relations politiques qui sont fixées par les institutions, qui sont réglées par les institutions. Les institutions elles sont très claires : il y a un président de la République dans notre pays qui représente la légitimité politique, qui met en oeuvre les... qui donne les impulsions et il y a un gouvernement qui met en oeuvre les réformes. C'est ce que j'essaie de faire avec loyauté et fidélité.
 
Quel est votre bail ? Vous continuez sur...
 
Il n'y a pas de bail pour le Premier ministre. Il n'y en a jamais eu, c'est une des caractéristiques de la République. Le Premier ministre est là tout le temps que le président de la République et la majorité le souhaitent.
 
D'après Le Figaro, vous rêveriez de la présidence de la Fifa en 2009 ?
 
Il y a des journalistes qui prennent parfois les plaisanteries de second degré pour du premier degré.
 
C'était une boutade donc ?
 
Voilà.
 
Et votre principale qualité - ce sera notre dernière question - pour affronter les difficultés qui viennent, qui vous attendent, qui attendent votre gouvernement ?
 
On est toujours mal placé pour parler de ses qualités mais je pense simplement que moi, je n'ai pas d'autre objectif que de pouvoir présenter à la fin du quinquennat de N. Sarkozy une amélioration réelle, une modernisation de notre pays. Et donc moi, j'ai le regard rivé sur cet objectif et le reste, je ne le vois pas.
 
Vous dites "à la fin du quinquennat", donc votre échéance c'est la fin du quinquennat ?
 
Non c'est l'échéance du président de la République, c'est l'échéance de la mise en oeuvre des réformes.
 
Et si on vous dit que vous êtes ambitieux, vous le prenez comme une critique ou comme un compliment ?
 
Je suis ambitieux pour mon pays.
 
Merci F. Fillon, d'avoir été en direct ce matin avec nous sur France Info.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 mai 2008