Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à France Inter le 5 mai 2008, sur le bilan des propositions engagées par N. Sarkozy pendant la campagne de l'élection présidentielle et sur la régularisation au cas par cas des travailleurs sans-papiers.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Un an après l'élection de N. Sarkozy à la présidence de la République, un "Sept-Dix" spécial ce matin et, à 8h19 sur France Inter, bilan et perspectives, avec un très proche de N. Sarkozy, le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. B. Hortefeux, bonjour et bienvenue sur France Inter. N. Sarkozy a donc été élu il y a un an, quasi jour pour jour, après une campagne où il avait formulé à plusieurs reprises une promesse de rupture. Si elle s'est manifestée cette rupture, où s'est-elle manifestée le plus clairement, d'après vous ?
 
D'abord, dans l'exercice du pouvoir, puisque la marque du sarkozysme, quand on fera le bilan dans des années du sarkozysme, je pense que la marque du sarkozysme, l'empreinte du sarkozysme, c'est précisément d'avoir respecté les propositions de campagne. J'ai observé, et vous l'avez certainement fait vous-même, tous les analystes qui ont décortiqué, et il y a une qui a dénombré 490 propositions. Ça, je suis très impressionné, je n'imaginais qu'il y en avait autant, mais ça veut dire qu'il a analysé le moindre détail. Sur ces 490 propositions, plus de la moitié ont été engagées, d'après cet analyste. Et en réalité, si l'on prend les principaux thèmes de N. Sarkozy, tous ont é été engagés. Toutes les propositions de campagne ont été engagées. Ça ne veut pas dire qu'elles ont été terminées, ça ne veut pas dire qu'elles ont été toutes réalisées, mais elles ont toutes été initiées. Et ça, c'est une première rupture. Vous m'interrogiez "où est la rupture ?", la rupture elle est là.
 
Tenir ses promesses, c'est ça ?
 
C'est un candidat qui a proposé pendant la campagne. Les propositions, une fois élu, ont été initiées.
 
Comment expliquer qu'en un an après une élection confortable, suivie d'élections législatives gagnées, la cote de popularité du président de la République soit si basse ? Pour le dire autrement, quelles erreurs ont été commises ?
 
Je crois qu'il y a deux observations en réalité à faire. Première observation, c'est que l'exercice du pouvoir est par nature extrêmement difficile dans nos sociétés développées. Regardez ce qui se passe autour de nous, vous avez un gouvernement Italien qui a été battu, il y a eu une alternance ; dès qu'il y a eu une élection, il y a eu alternance. Regardez, vous l'avez commenté ce week-end, regardez ce qui s'est passé à Londres, bastion du travaillisme, eh bien c'est un maire conservateur qui a été élu. Regardez ce qui s'est passé à Rome, là aussi bastion en gros des sociaux-démocrates, et c'est un maire de droite qui a été élu. Ce n'est pas droite ou gauche, c'est qu'en réalité l'exercice du pouvoir est tellement difficile que généralement cela entraîne l'alternance.
 
Mais quelles erreurs, en plus de cette logique-là, qui est celle du pouvoir ?
 
La deuxième particularité, c'est que N. Sarkozy veut réformer. Et il consacre toute son énergie non pas à durer mais à réformer. Vous savez, il y a un homme politique, vous qui êtes particulièrement érudit - ça ne veut pas dire que vous, vous ne le soyez pas naturellement, mais puisqu'on est trois dans le studio...
 
Il y a P. Cohen qui est là aussi...
 
Je ne le citais pas exprès pour ne pas le mettre mal à l'aise, enfin je l'associe à cette réflexion, il y a un homme politique qui s'appelle H. Queuille, qui est un homme politique de la IVème République, il avait une définition assez drôle - d'ailleurs il se moquait un peu de lui-même en disant cela, il disait : "Ne rien faire pour durer". Ça a marché, d'ailleurs il a été 40 ans à peu près dans des gouvernements successifs. Bon. C'est l'inverse avec N. Sarkozy. Au contraire, l'énergie qu'il met, c'est-à-dire pour réformer et non pas pour durer. Parce qu'en réalité, il y a de nouveaux clivages qui apparaissent dans notre pays. Ce n'est pas tellement les histoires PS-UMP, tout ça c'est très bien, ça ce sont des structures partisanes. En réalité, le nouveau clivage, c'est le clivage qui existe entre réformateurs et conservateurs, c'est ça le clivage dans notre pays. Et nous, nous sommes dans le camp de la réforme. Mais pour quoi faire, c'est ça la question ? Et c'est la question que vous me posez. Qu'est-ce que c'est ces réformes ? Ce n'est pas réformer pour le plaisir de réformer, il faut réformer pour préserver notre société. Nous sommes une société qui connaît des difficultés. Je voyage beaucoup dans le cadre de mes responsabilités, on est quand même une société très riche, on est la cinquième puissance au monde, on est quand même un bon rang, mais on est une société qu'il faut réformer si l'on veut préserver notre système.
 
Alors, la question que je vous posais précisément, c'était de savoir quelles erreurs avaient été commises en douze mois pour expliquer le décrochage entre l'élection présidentielle et la popularité aujourd'hui ? Vous avez dit "c'est l'exercice du pouvoir", mais ça n'est pas que ça, j'imagine ?
 
Non, mais attendez....
 
Donc, pas d'erreurs ?
 
Attendez, d'abord, le président de la République lui-même s'est expliqué et a indiqué qu'il avait sans doute commis sur un certain nombre de points des erreurs. Bon. Mais la deuxième réalité, c'est que, la réforme, par définition ça bouscule. Et ce que chacun peut comprendre, c'est qu'en réalité, si on observe ce qui s'est passé depuis un an, eh bien en un an on a initié la réforme, mais ce qui est vrai c'est suffisant, un an, quand on en a la volonté politique, quand on a la volonté, un an c'est suffisant pour initier les réformes. Mais à l'évidence, un an c'est insuffisant pour récolter le fruit des réformes. Et donc, c'est sans doute ça la différence. Mais encore une fois, qu'aurait-il fallu faire ? Jouer l'immobilisme, c'est-à-dire, tout faire pour ne mécontenter personne et en réalité continuer à aller en fait droit dans le mur ? Au contraire, là, on choisit le mouvement, on choisit la réforme, pour préserver notre mode de vie, c'est ça, notre mode de vie pour aujourd'hui et pour ceux d'ailleurs qui nous suivront, pour la génération suivante. C'est ça l'enjeu. Je vous donne simplement un exemple : on parle beaucoup des retraites aujourd'hui, X. Bertrand d'ailleurs mène sous l'autorité de F. Fillon une politique très courageuse dans ce domaine. La retraite c'est très simple, chacun peut le comprendre, ce qui a été mis en place au sortir de la guerre, c'était au moment de la Seconde Guerre mondiale, en sortant de la Seconde Guerre mondiale, il y a 60 ans, c'était un système qui a été fait en réalité pour assurer des retraites sept ou huit années de cotisations. Aujourd'hui, on est à 20 années de cotisations. Chacun peut comprendre qu'il faut évoluer.
 
Venons-en, Monsieur le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'identité nationale et du Développement solidaire, à des dossiers qui sont sur votre bureau. Combien de régularisations de travailleurs sans-papiers à l'heure où l'on parle ?
 
D'abord, il faut rappeler quels sont les principes. Premier principe : on ne vient pas sur notre territoire sans y avoir été autorisé. C'est un principe d'ailleurs qui n'est pas un principe français, ni même d'ailleurs un principe européen, c'est un principe mondial. Pour venir dans un venir dans un pays, il faut y être autorisé. Le deuxième principe c'est de se préoccuper des immigrés légaux. Nous avons une communauté immigrée légale qui est particulièrement importante, qui est confrontée d'ailleurs à des difficultés importantes de chômage, c'est une communauté qui est venue en y étant autorisée, en travaillant avec une autorisation de travail, et qui, encore une fois, est confrontée à des difficultés que vous connaissez.
 
Bon, alors, sur les personnes dont on parle, là, qui se mobilisent ?
 
Alors concernant les sans-papiers, je le dis très clairement, il ne peut pas y avoir de régularisation générale et massive. Pourquoi ne peut-il pas y en avoir ? D'abord, parce que ça serait une prime à l'illégalité, puisqu'il s'agit de personnes qui sont venues sur notre territoire sans y être autorisées, et qui...
 
Et qui paient leurs impôts...
 
.... et qui travaillent en ayant fourni, dans la plupart des cas, pas dans la totalité mais dans un très grand nombre de cas, des papiers frauduleux, falsifiés, achetés ou...
 
Ce qui n'empêche pas l'Etat de collecter les impôts ?
 
Mais oui, mais ça, si l'Etat pouvait contrôler et les croiser, vous vous diriez que ça porte atteinte aux libertés individuelles.
 
Non, mais je vous pose un certain nombre de questions !
 
On est dans un système où il n'y pas de croisements des fichiers pour protéger les libertés individuelles.
 
Ça, vous le souhaiteriez ?
 
En tout cas, je constate que c'est un système qui est un peu hypocrite, très clairement. Mais donc, la réalité...
 
Mais il faudrait des fichiers, précis ?
 
En tout cas, la Commission informatique et libertés qui est apte à déterminer ce qui est juste et ce qui ne l'est pas dans ce domaine, ne considère pas qu'il faille faire évoluer les choses sur ce point.
 
Mais il faudrait que ça change, d'après vous ?
 
Ecoutez...Non, mais c'est à la Commission informatique et libertés de se prononcer.
 
Mais vous, vous êtes en charge du dossier, vous pouvez émettre... ?
 
Oui, moi je constate que l'on fait progresser les choses. Je vous donne un exemple très simple : depuis le 1er juillet dernier, un employeur qui recrute un travailleur immigré, eh bien s'adresse à la préfecture ; la préfecture doit répondre dans les 48 heures. Si elle ne répond pas dans les 48 heures, on considère que le travailleur est en situation légale, et s'il est en situation illégale, eh bien ce n'est pas la même chose qu'être en situation légale. Encore une fois, régulariser massivement, ce ne serait ni juste, ni utile, ni efficace.
 
Alors, au cas par cas on en est à combien ?
 
Pour l'instant, il y a un peu moins de 1.000 dossiers qui ont été déposés. Les préfectures ont quelques jours pour analyser chacune de ces situations, ça se fait sur des critères qui sont d'ailleurs très clairs : ce sont des critères d'abord, de main-d'oeuvre, d'activités sous tension, on sait très bien, vous savez qu'il manque des couvreurs, ainsi de suite, des charpentiers...
 
Oui, des secteurs de l'économie où on peine à recruter.
 
Il faut que ça soit selon les zones géographiques. Naturellement, la situation n'est pas la même si vous vous retrouvez en Seine-Saint-Denis ou dans le Puy-de-Dôme, si vous vous retrouvez dans les Landes ou dans les Bouches-du-Rhône. Donc, il y a ce critère-là. Il y a un troisième critère, c'est qu'il faut qu'il y ait un vrai contrat de travail. Il y a un quatrième critère, c'est que l'employeur acquitte les taxes qui sont dues, quand on accueille un étranger en situation...Vous voyez, ce que l'on fait, c'est du cas par cas.
 
Combien, combien ?
 
Mais pour l'instant je ne peux pas vous dire puisque ce sont les préfectures qui examinent, en fonction notamment de ces critères...
 
Ca ne remonte pas vers votre ministère ?
 
Là, il y a encore quelques jours, ça sera quelques centaines. Le Premier ministre l'a indiqué, ça se limitera donc à quelques centaines. Encore une fois, ça serait injuste vis-à-vis de la population immigrée légale que de procéder à des régularisations massives, et d'ailleurs les pays qui ont pratiqué, comme l'Espagne ou l'Italie, y ont officiellement, publiquement renoncé. Pourquoi ? Parce que l'idée c'était de remettre les compteurs de zéro, et en réalité ça a fait un appel d'air.
 
Lors de son intervention télévisée, le président de la République a dit que le contrat de travail ne valait pas naturalisation. C'était, d'après vous, une erreur ou l'expression d'une crainte, à savoir que la régularisation d'un travailleur sans-papiers débouche nécessairement sur une naturalisation ?
 
Pas nécessairement, mais ça peut être l'aboutissement logique des parcours.
 
Erreur ou crainte, d'après vous ?
 
Non, c'est ni erreur, ni crainte. C'est un processus qui peut concerner une partie. Donc, le président de la République a eu raison de rappeler la totalité de ce processus.
 
Dans Le Journal du Dimanche hier, L. Thuram, footballeur bien connu, souligne, qu'avant de donner des leçons de droits de l'homme à la Chine, il faut que la France balaye devant sa porte. Et il cite comme exemple de propos racistes tenus dans notre pays, le discours de Dakar du président de la République, discours d'une gravité extrême, dit-il, L. Thuram. Que répondez-vous à cette accusation de "racisme" portée contre le président de la République ?
 
Oui, bien écoutez, c'est assez curieux et totalement injuste. Curieux et totalement injuste. Et d'ailleurs, je vous en donne la preuve immédiatement : c'est que le discours de Dakar auquel vous faites allusion a été salué publiquement, et notamment par un courrier par le Président sud-africain. Et comme vous savez, l'Afrique du Sud exerce avec d'autres pays une sorte de magistère moral sur le continent africain. Et quand le président sud-africain s'exprime, accordant un total satisfecit, des encouragements au discours de N. Sarkozy, ça vaut à mon avis au moins que l'engagement de L. Thuram.
 
L. Thuram fustige également la chasse aux sans-papiers, avec tableaux accrochés, dit-il dans les préfectures. Ça, c'est une préfecture dans le jardin de votre ministère de l'Identité nationale ?
 
Non, mais écoutez, c'est très simple, j'essaye de mener une politique qui soit à la fois juste...
 
"La chasse aux sans-papiers" !
 
... et équilibrée et qui évite les caricatures. Bon. À l'évidence, cette position consistant à éviter les caricatures n'est pas totalement partagée. J'essaye tout simplement de dire que si on veut réussir l'intégration, et c'est une préoccupation de L. Thuram, si on veut réussir l'intégration, il faut maîtriser l'immigration. Il n'y a pas d'autres solutions.
 
Dernière question, un vigile accuse un responsable du ministère de l'Immigration d'insultes racistes. Ce dernier dément cette accusation. Votre sentiment sur cette affaire ?
 
D'abord, c'est l'illustration de la caricature dans ce domaine. Vous avez une chaîne d'information qui a diffusé en bande qu'un collaborateur de B. Hortefeux est accusé d'injure raciste. C'est absolument scandaleux de procéder comme ça. C'est quelqu'un que je ne connais pas, qui n'est pas à mon cabinet. C'est un fonctionnaire du ministère. Bon, la situation est très simple : dans notre pays, il y a premièrement la présomption d'innocence, donc il faut respecter la présomption d'innocence. Il y a une procédure et une enquête en cours, apparemment avec davantage de témoins à décharge que de témoins à charge. S'il y a fautes, naturellement, elles seront sanctionnées. Mais quel curieux climat tout de même !
 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 mai 2008