Texte intégral
Q - Est-ce la bonne période pour Nicolas Sarkozy de prendre la présidence de l'Union européenne alors même qu'il poursuit sa chute vertigineuse dans les sondages ?
R - Cette présidence, prévue de longue date, est indépendante du curseur de popularité. Elle vise à relancer la construction européenne après quinze ans d'impasse institutionnelle à travers la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne impulsé par la France.
Q - Et si le peuple irlandais disait non lors de la consultation référendaire ?
R - Nous sommes confiants en sa sagesse proverbiale et attentifs à la préservation de ce qui lui tient le plus à coeur.
Q - Malgré tout, la France est-elle crédible avec le déficit le plus préoccupant de la zone euro ?
R - Tout dérapage dans la maîtrise des comptes publics affecterait en effet sa crédibilité. Mais la France respectera le contrat européen, avec un endettement supportable à moyen terme et une maîtrise de ses dépenses publiques. Le président de la République conduira son action dans le strict respect de l'intérêt général de l'Europe.
Q - L'intérêt général, c'est déjà l'environnement. Comment tenir les engagements pris (diminution des émissions de gaz à effet de serre de 20%, création d'un marché intérieur de l'énergie, 20% d'énergies renouvelables à l'horizon 2020, etc.) avec des pays entrants surtout soucieux de combler leur retard de productivité et donc de pollueurs potentiels ?
R - La présidence française soutiendra la cohérence des propositions de la Commission européenne sur ces questions qui sous-tendent l'avènement d'un nouveau modèle de développement économique.
L'Europe doit adopter les mesures permettant aux états membres de respecter ces objectifs ambitieux, et se doter de mécanismes, comme la prise en compte du CO2 dans les importations, pour éviter les distorsions de concurrence qui conduiraient à des délocalisations massives. Un tel ajustement aux frontières ne jouerait naturellement que pour les pays tiers qui ne prendraient pas des engagements adéquats de lutte contre le réchauffement climatique.
Q - Va-t-on vers un pacte pour la gestion commune des flux migratoires ?
R - Je le pense. En France, la question se pose en terme idéologique alors que chez nos partenaires européens, le pragmatisme prévaut. La nécessité économique de l'immigration se double de la nécessité de lutter contre l'arrivée de travailleurs clandestins. Le consensus est plus fort qu'on ne le croit. Un accord sera plus difficile à obtenir sur le droit d'asile.
Difficile aussi de bâtir une défense européenne commune, d'autant qu'on reproche à Nicolas Sarkozy ses tentations atlantistes...
Je ne suis pas atlantiste et je milite pour une défense européenne forte, avec une stratégie commune, un renforcement des capacités opérationnelles, une programmation plus efficace des actions partout où la situation l'exige, et la mise en oeuvre d'une véritable agence européenne de l'armement. Rien ne se fera en six mois mais la présidence française souhaite donner une impulsion irréversible pour une défense européenne non pas fondue dans l'Otan, mais complémentaire de l'Otan.
Q - Cette présidence, ce n'est pas aussi l'occasion de se faire mieux entendre de la Banque centrale européenne ?
R - La zone euro, qui a donné des avantages qu'on oublie trop parfois, doit être plus visible sur le plan international et peser davantage par rapport aux grandes monnaies de ce monde. Il faut dialoguer avec la BCE et faire en sorte que le degré de surveillance économique soit au moins égal à celui de la surveillance budgétaire.
Q - Il faudra encore amorcer la refonte de la Politique agricole commune...
R - La PAC n'est pas dépassée. Elle doit être rénovée, notamment pour les grandes cultures. Pour certaines, il faut laisser jouer les instruments du marché, pour d'autres, il faut maintenir les aides. En même temps, le soutien aux pays les plus démunis doit être renforcé afin qu'ils puissent développer leur propre agriculture.
Q - Le projet d'une Union de la Méditerranée porté par Nicolas Sarkozy a produit pas mal de scepticisme...
R - C'est une aventure qui progresse et qu'il convient de continuer à conduire en symbiose avec nos partenaires. La Méditerranée est une priorité. Il faut aller au-delà du Processus de Barcelone et favoriser une plus grande coopération des pays du Sud entre eux. Les plus beaux projets ne sont pas les plus faciles à concrétiser...
Q - Si le président de la République veut bouder la cérémonie d'ouverture des JO de Pékin, le président de l'Union, lui, le pourra-t-il ?
R - La France se réjouit de la reprise du dialogue entre le Dalaï-Lama et les autorités chinoises. En ce qui concerne la cérémonie d'ouverture, le président de la République ne prendra sa décision qu'en sa qualité de président de l'Union, une fois ses partenaires consultés après le Conseil européen du mois de juin.
Q - Somme toute, en six mois, on ne peut pas faire grand-chose...
R - Une présidence réussie est une présidence qui fait progresser l'intérêt général de l'Europe et permet de poser les jalons pour affronter tous les grands défis, la politique sociale, l'économie, la démographie, la paix dans le monde.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2008