Texte intégral
Q - Vous venez d'arriver au secrétariat d'Etat à la Coopération et à la Francophonie. Quelle est la feuille de route assignée par le président Sarkozy ?
R - La feuille de route que m'a assignée le président Sarkozy, c'est de m'occuper principalement de l'Afrique, d'y consacrer la plus grande partie de mon temps, avec l'ambition de renforcer la présence de la France en Afrique soit au travers de la coopération multilatérale avec nos partenaires, soit au travers de la coopération bilatérale. Je souhaite vraiment que l'on puisse renforcer la coopération bilatérale. Dans cette région de l'Afrique de l'Ouest, je vois tous les projets qui sont actuellement en train d'émerger, en coopération avec la France, et j'ai bien l'intention de renforcer cette présence de la France et de combattre l'image selon laquelle la France serait en train de se retirer ou serait menacée en Afrique.
Q - L'Afrique et les Africains ont aujourd'hui le sentiment d'avoir été oubliés par la France "protectrice". Etes vous venus apporter une nouvelle touche ?
R - D'abord la France n'oublie pas l'Afrique, la France ne dit pas assez ce qu'elle fait en Afrique. Au-delà de la France "protectrice", ce que nous voulons faire avec le président de la République, c'est moderniser les relations franco-africaines. On le voit bien ici, tous les éléments qui concourent à cette modernisation sont présents avec en toile de fond l'équité, l'égalité, le respect, le partenariat, et sans doute plus de partenariat que de "protection", je pense que c'est cela la modernisation.
Q - Aujourd'hui on assiste, ici, par exemple au Sénégal, comme partout en Afrique à l'arrivée de nouveaux capitaux, arabes ou asiatiques. Est-ce que cela fait peur à la France ?
R - Pas du tout, bien au contraire ! La France a tout intérêt à ce que l'Afrique se développe sur le plan économique et tous les partenaires qui peuvent venir ici sont bienvenus et sont utiles. Vous savez que dans les entreprises, on dit qu'on fait des tours de table. Là c'est pareil et c'est un bon signe. Depuis que je suis dans ce ministère je dis que c'est n'est pas le moment de partir de l'Afrique, bien au contraire, parce qu'on va entrer dans une période de développement économique. Je suis persuadé que ce qui s'est passé sur le continent asiatique, dans les décennies passées, va se passer maintenant en Afrique. C'est ici que cela se passe. La preuve, c'est un bon signe si la Chine et d'autres grandes puissances s'intéressent à l'Afrique. Cela veut bien dire qu'il va se passer quelque chose. Pour la France, ce n'est pas le moment de partir, c'est au contraire le moment d'amplifier nos relations mais dans le cadre d'une modernisation.
Q - Est ce que, comme votre prédécesseur, Jean-Marie Bockel, vous allez demander la mort de la Françafrique ? Ou vous avez une autre démarche ?
R - Moi, je ne demande la mort de personne ni d'aucun phénomène. Parce qu'on ne peut pas construire l'avenir en reniant et en tirant un trait sur le passé commun qu'il y a entre la France et l'Afrique. Dans toutes les relations il peut y avoir des choses que l'on regrette. Construisons sur ce qui a été positif, modernisons cette relation ! Déclamer que l'on veut la mort de tel ou tel système, de telle ou telle entité, ce n'est pas avec cela qu'on construit. Moi je veux être positif, je veux parler de l'Afrique en bien, et je montre jour après jour toutes les choses qui vont bien. Et c'est avec cela que l'on construira et que l'on modernisera la relation entre la France et l'Afrique.
Q - Est-ce que Dakar était un passage obligé pour vous dès le départ ?
R - Bien sûr. Dès ma nomination, j'ai eu envie de venir à Dakar et le président Sarkozy m'a demandé de venir vite à Dakar. C'est très important car vous savez que Dakar c'est la plateforme de la coopération française, au-delà du Sénégal, bien au-delà pour l'ensemble de tous les pays de la région. C'est ci que nous avons une plateforme de coopération et nous avons ici un grand nombre de projets de grande qualité. Je suis allé en voir : savez vous qu'ici à Dakar, on fabrique 12 millions de vaccins contre la fièvre jaune ? C'est formidable ce qui se passe à Dakar. (Je n'étais pas venu depuis plusieurs années. J'aime Dakar d'abord parce que le Paris-Dakar a été gagné plusieurs fois de suite par mon ami Stéphane Peterhansel, qui est quasiment adopté par le Sénégal, et je suis venu plusieurs fois au Lac Rose pour l'arrivée.)
Je reviens plusieurs années plus tard. Dakar a changé, Dakar s'est développé, c'est formidable ce qui se passe ici et la France est dans toutes les réalisations importantes de coopération. Faisons ressortir tout ce que cela a de positif, travaillons en regardant l'avenir, en ne reniant pas notre passé.
Q - Et Libreville c'est pour quand, vous allez revoir Omar Bongo ?
R - Pas tout de suite. Je suis allé rendre visite au doyen, je pense que c'était nécessaire. C'était un signe fort, je l'ai fait avec le Secrétaire général de la présidence de la République.
Aujourd'hui, je suis à Dakar, autre plateforme de la coopération franco-africaine. Voilà, c'est tout ce que je fais. Je veux réconcilier tout le monde et travailler pour l'avenir, avec notamment la jeune génération d'Africains, une jeune génération qui a envie d'entreprendre et je veux que la France - et nos partenaires européens - soit à leurs côtés pour accompagner ce développement économique qui seul peut garantir le progrès social durable.
Q - Une dernière question, que reste-il du discours de Nicolas Sarkozy lors de son passage à Dakar qui avait fortement déplu aux Africains ?
R - Je sais tout cela mais moi je suis calé sur le discours du Cap qui a donné cette nouvelle vision, sans renier le passé, de la modernisation de la relation entre la France et l'Afrique. Cette modernisation, c'est le développement économique, c'est le progrès social, c'est la bonne gouvernance, c'est la démocratie, ce sont toutes les valeurs de la Francophonie. Alors, je dis aux Africaines et aux Africains : ensemble accomplissons cette modernisation des relations pour les nouvelles générations, ne regardons pas trop dans le rétroviseur mais construisons ensemble dans la fraternité qui est la nôtre. La France "protectrice" n'a pas disparu mais elle veut aujourd'hui être partenaire parce que c'est plus productif en termes de respect de l'autre.
Q - Lors de votre visite au Niger, avez-vous abordé la situation de Moussa Kaka ?
R - Bien sûr que j'ai abordé la question de Moussa Kaka. En tant qu'ancien journaliste chaque fois qu'un journaliste, quel qu'il soit et où qu'il soit, est empêché de parler, c'est très grave pour moi. S'agissant de Moussa Kaka, je me suis bien entendu entretenu avec le président Tandja. Je fais confiance à la justice du Niger qui travaille sur ce dossier, j'ai dit au président Tandja que ce serait bien que cela se fasse le plus rapidement possible puisque je crois que c'est le message que nous pouvons faire passer aujourd'hui. La justice là-bas fait son oeuvre, elle est indépendante, la démocratie progresse dans ce pays.
Mais j'ai constaté aussi, et je le dis parce que je dis toujours les choses très clairement, que Moussa Kaka est soutenu par très peu de gens tant dans l'opposition que parmi ses collègues journalistes. C'est donc une situation un petit peu difficile.
Q - Vous avez une explication à cela ?
R - Non, parce que je ne suis pas rentré dans le détail du dossier, de ce qui lui est reproché mais j'ai constaté qu'il y avait peu de gens sur le terrain, que ce soient des journalistes, des forces politiques de la majorité ou de l'opposition - et j'ai vu tout le monde - qui se fasse l'avocat de Moussa Kaka. Donc je souhaite que la justice se prononce le plus vite possible parce que quelque part, même si ce qu'il a fait professionnellement n'était pas complètement clair sur le plan de l'éthique et de la déontologie journalistique, cela ne mérite pas pour autant la prison.
Q - Que vous a répondu le président Tandja ?
R - Le président Tandja m'a dit que la justice était indépendante, était en train de faire son travail et que lui aussi souhaitait des résultats le plus rapidement possible.
Q - Donc, vous pensez que Moussa va retrouver la liberté dans les jours ou les semaines qui viennent ?
R - Je ne veux pas me prononcer sur le sujet. J'ai constaté, et je vous le redis parce que c'est important dans le contexte, qu'il avait très peu de soutien, que ce soit des journalistes que des forces politiques.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mai 2008