Texte intégral
Q - Vous avez été nommé il n'y a pas très longtemps, on peut dire que c'est votre première grande tournée en Afrique. Comment trouvez-vous le travail ?
R - Passionnant, passionnant mais très prenant ! Et puis utile parce que je crois que la France a un très gros travail à faire en Afrique.
Q - Quel bilan tirez-vous de ces cinq jours en Afrique ?
R - Un bilan contrasté : ici la France est très présente, elle fait énormément de choses, il y a beaucoup de choses qui bougent. L'avenir est très serein. Evidemment, il y aura des soubresauts mais l'avenir est très serein dans l'analyse que j'en fais. Il y a un très gros travail à faire pour redorer l'image de la France en Afrique. Je sens bien qu'il y a un petit malaise avec le peuple. Mes entretiens se passent formidablement bien avec les présidents mais je sens bien que, dans le peuple africain, il y a une demande de France et un petit sentiment de manque, un peu comme si la France donnait le sentiment de délaisser l'Afrique. Donc, je crois qu'il y a un gros travail pour redorer l'image de la France en Afrique.
Q -Dans cette tournée vous avez "inspecté" des projets de coopération, mais il y a aussi un volet politique. Vous avez commencé votre action politique par une visite au président Bongo qui a fait beaucoup parler. Cela vous ennuie cette image de "Françafrique" qui vous a été collée immédiatement ?
R - Non, pas du tout parce que je l'assume. Je pense qu'il faut faire la synthèse. On ne peut pas condamner l'ancienne relation entre la France et le continent africain et vouloir l'éliminer. Je pense que notre histoire commune existe et qu'il faut faire la synthèse entre la façon dont les relations ont été gérées après la décolonisation et puis la relation dont nous avons besoin, aujourd'hui, entre la France et l'Afrique. La relation que souhaite le président de la République c'est une relation modernisée. On est plus sans doute sur des relations de respect, on est moins sur la relation de protection, on est sur des relations de coopération et l'Afrique veut décider pour elle-même. Cela sera comme cela la nouvelle relation et donc il y aura une période de transition.
Franchement, j'assume complètement la visite que j'ai pu faire aux différents chefs d'Etats les plus anciens qui incarnent cette ancienne relation mais moi je veux faire la synthèse, je veux réconcilier tout cela. Il ne faut pas être dans la déclamation et dans le commentaire, il faut agir et être des partenaires parce que l'Afrique va se développer. Ce n'est pas le moment que la France soit dans le commentaire, dans la polémique. Il faut valoriser ce qui va bien et puis, pour ce qui ne va pas bien, il faut travailler dans le cadre des relations diplomatiques. C'est ce que je fais ; je passe aussi des messages aux chefs d'Etat parce qu'il y a des choses à faire publiquement et des choses à faire entre nous.
Q - Quelle marge de manoeuvre vous laisse l'Elysée ? Cette visite au Gabon était avec Claude Guéant et ici avec un proche conseiller de Sarkozy. Vous avez votre place dans ce dispositif ?
R - J'ai vraiment le sentiment aujourd'hui d'être, au Quai d'Orsay, celui qui porte la relation avec l'Afrique. Vous avez vu que j'ai été reçu par les différents chefs d'Etat très facilement, longtemps et relativement vite. Donc, le fait que j'incarne cette nouvelle relation entre la France et l'Afrique n'est pas contesté. Ce qui ne veut pas dire que les choses ne sont pas difficiles mais, s'agissant de l'Elysée, à partir du moment où le président a confiance dans son secrétaire d'Etat et qu'il sait que la feuille de route qui est la mienne est celle qu'il m'a assignée parce que c'est la règle du jeu, qu'il a confiance dans son secrétaire d'Etat chargé de la Coopération, eh bien c'est à moi de faire le travail. C'est difficile, très long et j'espère que j'aurais la durée pour le faire. Il faut accompagner le développement économique et puis, surtout, travailler sur l'image de la France en Afrique.
Q - Sur les relations entre la France et le Niger, uranium et AREVA, et sur l'affaire Moussa Kaka.
R - Sur le point de l'uranium que nous avons évoqué longuement avec le président Tandja, que dit-il ? Il dit la France est notre partenaire privilégié mais ne peut pas être le seul intervenant sur l'uranium au Niger parce qu'un seul intervenant ne pourra pas investir en même temps sur l'ensemble des sites et le Niger a besoin que le développement économique se fasse. Je comprends cela, je lui ai dit que je comprenais cette démonstration mais je lui ai dit aussi, au nom de la France, que les engagements pris avec AREVA devaient être tenus. Alors il y a eu un petit accroc avec un des cinq contrats mais, au total quand même, j'en ai l'assurance et j'en informerai la présidente d'AREVA, je suis très rassuré sur le potentiel qui sera mis à la disposition de la France au Niger. Je pense que sur ce point il n'y a pas d'inquiétude à avoir, sinon pour cet accroc que tout le monde reconnaît. Le volume global qui va être accordé à la France est quand même très important.
Q - Et sur Moussa Kaka ?
R - C'est un sujet particulièrement difficile. Je lui ai dit que la prison me paraissait une réponse inadéquate au travail d'un journaliste. Aujourd'hui, c'est la justice qui a le dossier en main. Je fais confiance à la justice du Niger. Aujourd'hui la démocratie avance au Niger, doucement - ça aussi c'est un vrai sujet, il faudrait avoir beaucoup de temps pour parler de la percée démocratique, républicaine en Afrique. Elle se fait avec des à-coups, elle ne peut pas aller plus vite qu'elle ne va aujourd'hui au risque de retourner dans un certain nombre de régimes qu'on a connus dans le passé et dont on ne veut plus. Et moi je dis aux chefs d'Etat : "allez vers la démocratie, faites-le par étapes et consolidez les étapes successives." C'est difficile ! Je l'ai dit aussi au président Boni Yayi qui fait des efforts colossaux pour instaurer la démocratie au Bénin. Et l'affaire Moussa Kaka c'est un peu l'illustration de cette période intermédiaire. On sort des dictatures, on rentre dans des processus de démocratisation, les institutions se cherchent et il y a encore des illustrations regrettables comme celle de Moussa Kaka. Ceci étant dit, j'ai vu tout le monde sur Moussa Kaka, j'ai vu le président, j'ai vu le leader de l'opposition, j'ai vu les journalistes : personne devant moi n'a voulu s'en faire l'avocat. J'ai dit au président que je souhaitais que la justice aille le plus vite possible, je le lui ai dit au nom de la France parce que nous sommes toujours très attachés à ce genre de dossier. J'espère que cela ira vite et qu'il sera libéré le plus vite possible.
Q - Vous nous avez dit vouloir travailler sur la modernisation de la relation avec l'Afrique et lutter contre la dégradation de l'image de la France. Vous avez des pistes de travail ?
R - Je pense qu'il faut qu'on illustre notre volonté de moderniser la relation au travers du développement économique privé. C'est vraiment pour moi le plus important. Je pense qu'il faut que l'on ait, non pas à la place mais en tant que partenaires, des plans de développement concrets, simples à expliquer, très utiles pour les populations. Je prendrai un exemple qui est celui du développement de l'agriculture : il faut qu'au travers d'actions concrètes, pérennes, on montre bien l'utilité de la présence de la France en Afrique.
Par exemple, dans le domaine de l'agriculture, je pense qu'il faut que l'on encourage, avec l'ensemble de nos partenaires de la coopération, les pays africains à revenir vers l'autosuffisance alimentaire. Voilà une piste.
Sur la question de la santé et de l'éducation on a aussi deux autres pistes qui sont très intéressantes, qui d'ailleurs intéressent particulièrement Bernard Kouchner, notamment la question de la couverture maladie. Je crois qu'il faut que l'on agisse concrètement et puis surtout que l'on explique ce qu'on fait, que l'on dise que la France existe et ce qu'elle fait.
Quand on me dit que la France se retire de l'Afrique et que je vois qu'ici au Sénégal, 25 % du PIB est réalisé par des entreprises françaises, 28 % des recettes fiscales sont générées par des entreprises françaises dans lesquelles d'ailleurs il y a des associés locaux ce qui représente la pérennité. Donc, il y a un problème d'image, il y a un problème de communication, il faut qu'on rectifie cela. J'ai d'ailleurs dit à l'AFD que lorsqu'elle fait quelque chose, des choses magnifiques : ce matin par exemple on est allé voir le laboratoire qui produit 12 millions de vaccins contre la fièvre jaune par an et c'est la France, qui le sait à Dakar ? Donc, on a ce vrai problème d'affirmation de notre présence mais on n'a pas envie de partir, d'abord ce n'est pas le moment. On est vraiment au seuil d'une période où il va y avoir un travail colossal à faire mais tellement utile pour plein d'objectifs en même temps : par exemple l'immigration , la réponse c'est quand même bien le développement économique ici en Afrique.
Q - Alors ce problème d'image dégradée, est-ce que les relations de coopération vont suffire à la faire évoluer. Est-ce qu'il ne faut pas aussi une action politique en faisant évoluer les relations avec les régimes autocratiques ?
R - Je crois que la France joue un grand rôle dans la démocratisation du continent africain. Vous savez la communication est aussi, à un moment donné, ce que va dire et faire le président de la République française. Le discours du Cap pour moi est particulièrement important. Il est en fait l'application de son discours de Cotonou alors qu'il n'était pas encore président : c'est la modernisation de la relation entre la France et les pays africains. Dans les mois qui viennent, le président va aussi porter un message, c'est lui qui tient entre ses mains cette image de la France nouvelle. Puisqu'on a de nouveaux dirigeants, je pense que c'est à haut niveau que l'on va pouvoir moderniser cette relation.
Le président a prévu d'effectuer un certain nombre de voyages ici. J'aurai aussi des propositions de voyages à lui faire pour justement donner des signes forts sur les sujets que vous abordez et donner des signes aux pays qui entrent dans la démocratie. C'est au président de la République à qui il reviendra de porter cette modification de l'image de la France ici.
Q - Donc, vous ferez passer le message ?
R - Vous pensez bien que je rentre à Paris avec un compte rendu et un message pour le président. D'ailleurs je suis porteur d'un certain nombre de messages qui m'ont été confiés par les présidents de la République que j'ai rencontrés ces derniers jours. Pour moi c'est particulièrement instructif, intéressant et je pense que cela servira aussi au président pour se forger une opinion de la meilleure stratégie pour le continent africain et pour l'image de la France.
Q - Vous croyez que le président a vraiment l'intention de faire évoluer cette relation, de secouer tout cela ?
R - Secouer n'est pas forcément le bon mot : moderniser au travers des relations économiques, il en a très envie. Je pense qu'il a amorcé avec le discours du Cap le dessin de ce que sera cette relation entre la France, les partenaires européens - je vous rappelle qu'à partir du 1er juillet on va porter la Présidence de l'Union européenne, donc le président de la République lorsqu'il s'exprimera portera aussi la parole de l'Europe, donc cela va être une très grande responsabilité. Donc, on voit déjà les contours de cette nouvelle relation entre la France et l'Afrique. Mais secouer, déclamer, critiquer, montrer du doigt, tout cela ne sert à rien. En Afrique, il y a des choses qui sont à améliorer comme sur tous les continents et puis il y a des choses qui vont très bien. Donc, appuyons-nous sur ce qui va bien et puis construisons d'une manière positive. La dénonciation d'un certain nombre de phénomènes sur le continent, je ne pense pas que cela puisse permettre de construire de manière positive et moi je veux être positif. Je suis passionné par ce que je fais depuis quelques semaines, on a un travail absolument colossal à faire. C'est un enjeu mondial, ce qui va se passer dans les vingt ans en Afrique est un enjeu mondial. Ce sera l'équivalent de ce qui s'est passé en Asie mais de façon différente, peut-être plus lente parce que les conditions ne sont pas les mêmes, les esprits ne sont pas les mêmes, les individus ne sont pas les mêmes, le climat n'est pas le même... Il faut vraiment être ici et le président de la République le sait très bien.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mai 2008