Texte intégral
Q - Les relations franco-turques se sont tendues au cours des dix dernières années et l'image de la France s'est nettement dégradée en Turquie. Est-ce que cela vous préoccupe ?
R - Nos relations sont anciennes : elles ont déjà traversé, dans le passé, des turbulences. Nos deux pays les ont toujours surmontées. Et puis les faits sont têtus : regardons l'intensité de ces relations et l'importance de nos intérêts communs : la France est le 3ème investisseur en Turquie et le 3ème pays d'accueil de vos étudiants. Nous sommes votre 5ème partenaire commercial. Toute notre action tend à développer ces relations encore davantage.
Q - La France était dans les années 90 le principal soutien de la cause européenne de la Turquie. Puis insensiblement, elle est devenue sa principale opposante. Sans attendre la fin des négociations, le président Sarkozy a marqué son refus d'une adhésion de la Turquie. Comment expliquez vous ce revirement ?
R - Entre temps, il y a eu le non français au référendum sur la Constitution européenne. Les Français - et ils ne sont pas les seuls en Europe - s'interrogent sur la finalité et les contours de l'Union. Ce débat est naturel et nécessaire. Dans le même temps, la France souhaite la poursuite du rapprochement entre la Turquie et l'Union européenne. Elle souhaite la poursuite des réformes en Turquie à cet effet. Le président de la République a exprimé sa volonté que les négociations se poursuivent sur tous les chapitres compatibles avec les deux visions de leur point d'aboutissement. C'est ce message que je suis venu porter en Turquie.
Q - L'article 88-5 de la Constitution, qui prévoit un référendum pour toute nouvelle adhésion, pourrait être supprimé dans les prochains mois. Est-ce qu'il faut interpréter cela comme un changement de position de la France ?
R - Cette question ne concerne pas spécifiquement la Turquie. Cette réforme de la Constitution, que j'ai proposée, si elle est adoptée, par les Assemblées et le Congrès, permettra au président de la République de choisir, pour la ratification des futurs traités d'adhésion, entre la voie parlementaire et le référendum. Il ne s'agit pas d'un changement de position mais d'un retour à la situation antérieure, où le président de la République, qui est élu pour cela, prend ses responsabilités et décide en fonction de la conduite des négociations, dans quel cas recourir ou non à un référendum.
Q - Le député UMP Pierre Lellouche s'est vu confier une mission sur les relations franco-turques par le président Sarkozy. Quels résultats peut-on en escompter ?
R - En confiant cette mission à M. Pierre Lellouche, qui connaît bien et apprécie la Turquie, le Président de la République a montré toute l'attention qu'il portait personnellement à la qualité et au développement des relations franco-turques. L'objectif de la mission de M. Lellouche est de contribuer à dissiper les malentendus qui pourraient subsister entre nos deux pays et d'ouvrir des pistes pour l'avenir.
Q - Le projet d'Union pour la Méditerranéenne ne semble plus désormais présenté comme une alternative à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Qu'est-ce que la France en attend ?
R - L'Union pour la Méditerranée n'a pas été conçue comme un substitut de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Ce projet est en effet clairement un projet européen, qui a été adopté par le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement des 13 et 14 mars. Il donnera un nouveau souffle à la politique méditerranéenne de l'Union en identifiant des projets concrets de coopération par exemple, la lutte contre la pollution en Méditerranée. Un premier sommet au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement se tiendra le 13 juillet à Paris pour créer cette union et lancer les premiers projets. La France compte vivement sur la participation de la Turquie, grand pays méditerranéen, à cette rencontre.
Q - Une fois que la France sera Présidente de l'Union européenne, à partir du 1er juillet prochain, sera-t-on en droit d'attendre une position plus neutre sur le dossier turc ?
R - La Présidence française de l'Union européenne sera, comme il se doit pour toute Présidence, objective et fédératrice. Nous souhaitons également pouvoir être en mesure d'ouvrir un ou plusieurs nouveaux chapitres de négociation au second semestre. Cela suppose que la Turquie poursuive résolument et rapidement ses efforts pour satisfaire les critères d'ouverture.
Q - La France a indiqué souhaiter que la procédure d'interdiction engagée contre l'AKP respecte la volonté clairement exprimée par le peuple turc lors des élections de juillet 2007. Pensez-vous que cette procédure va à l'encontre des principes européens à l'instar du président de la Commission qui a indiqué que ce type d'enquêtes n'était pas normal dans une démocratie stable ?
R - Nous avons pris note de la décision de la Cour constitutionnelle turque jugeant recevable la requête en interdiction déposée contre l'AKP. Il ne nous appartient pas de la commenter d'autant que l'affaire doit être jugée sur le fond. Nous ne doutons pas que les autorités judiciaires turques traiteront de cette question dans le respect des principes de l'Etat de droit et, comme vous le soulignez, de la volonté clairement exprimée par le peuple turc lors des élections de juillet 2007.
Q - M. Sarkozy veut que la France opère son retour dans la structure militaire intégrée de l'OTAN. La France et la Turquie ont des relations très étroites dans le domaine militaire, et coopèrent en Afghanistan ou au Liban. Quelle attitude la France attend-elle de la Turquie dans le domaine militaire ?
R - La France est déjà très présente au sein de l'OTAN dont elle est un membre fondateur. Elle est aujourd'hui le 2ème contributeur de troupes. Avec la Turquie, nous participons conjointement aux opérations de l'OTAN en Afghanistan et au Kosovo. Nous sommes tous deux engagées dans la FINUL, au Liban.
Notre souhait est de normaliser nos relations militaires avec la Turquie qui ne sont pas, de notre point de vue, satisfaisantes et qui devraient être portées au niveau de la fraternité d'armes qui existe sur le terrain.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2008