Texte intégral
Q - Pour Nicolas Sarkozy, "la France est de retour en Europe". Mais trois ans après la rupture du référendum, peut-on dire que l'Europe est de retour dans les attentes des Français ?
R - Le sondage CSA réalisé auprès des habitants du Nord Pas de Calais montre que pour nombre de nos concitoyens l'Europe reste d'abord une construction économique mais que la dimension politique et historique est également présente. Et pour la première fois, un sondage relève que l'Europe est perçue comme l'échelon pertinent pour relever les grands défis que sont le changement climatique et l'immigration.
Q - Le sondage montre aussi que pour une majorité de nordistes, les différences entre Européens l'emportent sur les valeurs communes. N'est ce pas l'effet d'un élargissement trop rapide ?
R - Les citoyens ont eu le sentiment que l'élargissement a été réalisé sans qu'on leur demande leur avis, ce qui a été une erreur. Mais l'attachement à la paix, au progrès économique, à la protection contre l'instabilité monétaire grâce à l'euro, reste des valeurs communes à tous les Européens. Je crois aussi que dans une Europe à 27, le principal défi est celui de la diversité. Elle est normale. Rien ne serait plus contre-productif pour l'idée européenne qu'un sentiment d'uniformité. L'opinion exprimée par les habitants du Nord Pas de Calais me paraît de bon sens car nous sommes avant la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne. Le but de ce traité est de renforcer les capacités de décision de l'Europe. Qu'il n'y ait pas aujourd'hui une attitude suffisamment cohérente en terme de politique extérieure de l'Europe est pour beaucoup dans la réponse assez réaliste renvoyée par les habitants du Nord Pas de Calais.
Q - Pourquoi revenir dans la prochaine réforme de la constitution sur le principe d'un référendum avant tout nouvel élargissement. N'est-ce pas déposséder les citoyens d'un nouveau droit ?
R - Premièrement, la disposition ne valait pas pour le prochain élargissement à la Croatie. Deuxièmement, il s'agit d'une réforme virtuelle qui n'est jamais entrée en application. Il n'y a pas de dépossession de fait d'un droit qui n'a jamais été exercé. Troisièmement, la personne élue à la fonction suprême ne doit pas être mise dans la situation de ne pas pouvoir prendre d'engagement auprès de ses partenaires parce que tout serait soumis à référendum. Il faut choisir entre la démocratie directe et la crédibilité des engagements internationaux. Les deux ne sont pas conciliables. Pour ma part, je préfère que la crédibilité de la parole de la France soit respectée, dès lors que les choix sont clairement énoncés lors des campagnes présidentielles. Que ce soit sur le traité simplifié ou sur la Turquie, Nicolas Sarkozy a été extrêmement clair pendant sa campagne. La réforme que j'ai proposée laisse le choix comme avant au président de la République entre le recours au référendum et la ratification parlementaire. C'est à lui de choisir la voie la plus appropriée.
Q - Personnellement, êtes vous en faveur de l'adhésion de la Turquie ?
R - Le président a exprimé la position de la France qui est de considérer que la Turquie n'avait pas vocation à adhérer à l'Union européenne. En tant que membre du gouvernement, je respecte l'orientation du président. Mais je veux rappeler qu'il y a un processus en cours, même s'il n'y a pas accord entre Etats membres sur la nature du lien qui doit à la fin de ce processus unir la Turquie à l'Union européenne. La France assumera naturellement ses devoirs de présidence dans ce domaine comme dans d'autres. Il s'agit d'un processus qui ne s'achèvera pas avant dix ans au plus tôt. La Turquie a toujours été un grand partenaire de l'Europe doté d'une économique forte et avec qui nous avons, notamment en matière de défense, des liens extrêmement étroits.
Q - Que peut-on attendre comme résultats concrets des six mois de Présidence française ?
R - Nous avons une obligation de résultats sur l'Europe verte, avec l'objectif de réduire de 20% nos émissions de CO2 d'ici 2020, et de porter à 20% la part des énergies renouvelables dans notre consommation énergétique. C'est un nouveau mode de développement que nous devons mettre en place avant la fin de l'année et les conférences internationales à Poznan fin 2008 et Copenhague en 2009. Nous allons aussi proposer des mesures concrètes pour améliorer la sécurité énergétique au sein de l'Union européenne. Sur l'immigration, nous voulons faire en sorte qu'il n'y ait pas de politiques différentes d'un pays à l'autre en matière de contrôle des flux migratoires. Troisième élément concret, nous espérons avoir une Politique agricole suffisamment rénovée, qui prenne en compte la hausse des cours alimentaires, qui respecte à la fois l'environnement et la sécurité alimentaire et permette de résorber les déséquilibres entre l'offre et la demande mondiale.
Q - On parle d'une relance par la Présidence française du programme d'échange Erasmus pour les étudiants ?
R - La Présidence française doit être modeste. Collective. Elle ne doit pas multiplier les priorités. On ne pourra pas tout faire en six mois. Cela étant il est important de donner un signal aux jeunes et à l'Europe en faveur de la mobilité. Je souhaite que les jeunes quelles que soient leur origine sociale et leur formation, puissent avoir six mois de formation à l'étranger. C'est la seule façon de bâtir une nouvelle génération européenne.
Q - L'euro est une préoccupation des Français. A qui profite l'euro fort, mis à part ceux qui ont les moyens de voyager à l'extérieur de l'Union ?
R - Avec un baril à plus de cent dollars l'euro fort profite aussi aux citoyens modestes qui souhaitent maintenir leur pouvoir d'achat. L'euro profite aussi aux épargnants, et on ne le dit pas assez. Dans un pays comme la France qui vieillit, l'euro fort est une protection pour les retraites et les économies. Pour autant le niveau atteint aujourd'hui met à mal la compétitivité de secteurs comme l'aéronautique et l'automobile. Il n'y a pas de dissensus en Europe pour dire qu'il faut une gestion des changes plus équilibrée et que la dépréciation du dollar et du yuan doit être corrigée. L'Europe doit avoir une politique économique et de change à la hauteur de l'euro, deuxième monnaie de réserve dans le monde.
Q - Ministre d'ouverture, sur quelles questions européennes pensez-vous avoir influencé la politique de Nicolas Sarkozy ?
R - Je crois avoir pris ma part à la mise en oeuvre du traité ; j'ai pris mes responsabilités dans la réforme des institutions pour la suppression de l'automaticité du référendum. Je crois aussi avoir fait comprendre que l'Union pour la Méditerranée devait s'articuler avec l'Union européenne et ne pas être un facteur de division. Enfin, à travers mes visites chez nos vingt six partenaires, mes rencontres avec les vingt six commissaires, et les responsables de groupes au parlement européens, je crois avoir apporté ma pierre à un rapprochement des institutions qui n'était pas de mise en France avant l'élection de Nicolas Sarkozy. Le projet européen dépasse les clivages droite-gauche.
Q - En lisant les sondages un an après l'élection de Nicolas Sarkozy, vous ne regrettez pas votre engagement derrière lui ?
R - Je suis imperméable à tout ça. Il est normal que la popularité diminue quand vous faites des réformes. Pour ma part je suis attaché au combat européen. Je ne demande aucune autre responsabilité. Je suis de ce point de vue assez indépendant et j'entends bien le rester.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2008