Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec la chaine turque "NTV", sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et sur les relations franco-turques, à Ankara le 7 mai 2008.

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Circonstance : Déplacement en République de Turquie, les 6 et 7 mai 2008

Média : NTV

Texte intégral

Q - Le président Sarkozy considère que la Turquie n'est pas européenne. Compte tenu de cette position, pensez-vous vraiment que la France pourra être impartiale pendant sa présidence ? Du point de vue français, l'adhésion pleine et entière de la Turquie à l'Union européenne est-elle possible ?
R - Vous connaissez les positions françaises. Nous connaissons les positions turques. Nous allons exercer la Présidence française de l'Union européenne et vous pouvez être certain que nous allons l'exercer à l'égard de la Turquie de manière équitable, impartiale, équilibrée et que la France ne fera pas d'entrave au processus qui est en cours entre l'Union européenne et la Turquie.

Q - Je reprends ma question car je n'ai pas vraiment eu de réponse. D'après la France, la Turquie a t-elle vraiment sa place dans l'Union européenne ? Le président Sarkozy dit, en effet, qu'elle n'est pas européenne. Qu'en pensez-vous ?
R - Ce que le président de la République a indiqué, ce qui est un des points importants, c'est de savoir quelle est la nature de l'Europe ; jusqu'où l'Europe va ? C'est l'une des interrogations de l'opinion publique française qui est légitime. Vous savez qu'il y a eu un référendum en France en 2005, que ce référendum a été négatif ; que cela a été un traumatisme pour tous ceux qui étaient Européens en France. Le président de la République française doit également en tenir compte. Cela n'empêchera pas, comme je l'ai dit, la France d'exercer sa présidence de manière tout à fait objective. Vous avez remarqué que depuis le début de l'année et depuis le Conseil européen de décembre 2007, il y a eu des chapitres de négociation qui se sont ouverts. D'autres devraient être ouverts sous Présidence slovène et, normalement, sous Présidence française. La France respectera les avis donnés par la Commission et se prononcera sur les seuls critères remplis par la Turquie. C'est pourquoi la Turquie, dans son propre intérêt et dans celui de l'Europe, doit poursuivre ses réformes. Je crois que c'est bénéfique pour la Turquie. C'est bénéfique dans le cadre des relations entre la Turquie et l'Union européenne. En tout cas, la France fera son devoir, tout son devoir en tant que Présidente de l'Union européenne et ne mettra pas d'entrave au processus en cours.

Q - Tant que dure la question chypriote, peut-on raisonnablement tabler sur de vrais progrès dans la négociation, sous Présidence française ou sous les suivantes ? Vous étiez récemment à Chypre. Pensez-vous qu'il est illusoire d'espérer un règlement en 2008 ?
R - Nous sommes, et je l'ai indiqué au président de la République et au ministre des Affaires étrangères, Ali Babacan, à l'écoute dans le cadre des nouvelles perspectives qui s'ouvrent à Chypre après l'élection du président Christofias. Nous avons pris note avec satisfaction du dialogue entre M. Talat et M. Christofias et nous appuyons bien évidemment ce dialogue. Vous pouvez compter sur la France, à la fois dans le cadre des Nations unies et dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne, pour faciliter le dialogue à Chypre. Nous souhaitons arriver à des progrès dans ce domaine. Arriver à une solution à la fin 2008, tout le monde le souhaite. Nous serions très heureux d'y arriver. Mais il faut également être réaliste et laisser le travail s'effectuer sur le terrain entre M. Talat et M. Christofias.

Q - Sur les relations franco-turques, certains considèrent que la France et la Turquie traversent la crise la plus aiguë dans leurs relations depuis longtemps. Qu'est ce que la France compte faire pour raffermir, réchauffer ces liens ?
R - Nous souhaitons entretenir des liens très étroits avec la Turquie. La Turquie est un très grand pays qui a des liens privilégiés avec la France. La France est le 3ème investisseur en Turquie. Il y a plus de 300 entreprises françaises en Turquie, qui y emploient 65.000 personnes. Ce qui est bon pour la coopération entre la France et la Turquie est bon pour la population turque en termes d'emploi. Nous souhaiterions également renforcer notre coopération militaire. Et sur le problème que vous avez indiqué, la France fait preuve de responsabilité. Et le président de la République est très responsable.

Q - Sur la procédure intentée contre l'AKP. Y aura t-il un impact sur la négociation ?
R - Je ne peux pas mieux m'exprimer que le président Barroso lors de sa visite à Ankara. Nous devons respecter l'Etat de droit en Turquie et faire en sorte aussi de prendre en considération ce qu'ont été le résultat des urnes et le choix de la majorité en Turquie. Ce sont ces deux éléments qui doivent être pris en compte et l'Union européenne n'a pas d'autres commentaires à faire que cela.

Q - Sur la coopération anti-terroriste : la Turquie considère régulièrement qu'elle n'est pas assez épaulée par les Etats membres de l'Union européenne. Les autorités turques font régulièrement des déclarations à ce sujet. La Turquie peut-elle faire confiance à la France dans ce domaine ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
R - Là, je crois que les relations entre la France et la Turquie ont été clarifiées. La France est prête à apporter son soutien à la Turquie en matière de sécurité et dans la lutte qu'elle mène contre le terrorisme. La France et l'Union européenne d'ailleurs, je crois que c'est sans équivoque, sont prêts à aider la Turquie dans sa lutte contre les actions terroristes.

Q - Vous avez dit que l'Union pour la Méditerranée n'était pas un piège tendu à la Turquie mais en Turquie, beaucoup de gens continuent à penser qu'il s'agit de proposer une alternative aux négociations en vue d'une adhésion pleine et entière à l'Union européenne. L'Union pour la Méditerranée est-elle une alternative à l'Union européenne ?
R - Non, alors là je veux le dire très clairement devant vous, je veux le dire clairement à la population turque qui nous écoute, en tant qu'ami de la Turquie : il n'y a aucune ambiguïté dans le projet d'Union pour la Méditerranée. C'est un projet européen. Ce n'est en aucun cas un substitut ou une alternative au processus existant entre l'Union européenne et la Turquie. Ce que nous souhaitons faire avec l'Union pour la Méditerranée au niveau européen et au vu des dernières déclarations du Conseil européen, c'est améliorer le processus de Barcelone ; faire en sorte qu'il y ait davantage de partenariats entre les pays riverains du sud de la Méditerranée : les pays arabes, la Jordanie, l'Egypte mais aussi Israël, l'Autorité palestinienne, les pays du Maghreb et les pays qui sont au Nord de la Méditerranée, dont la Turquie et les pays européens riverains ou non riverains. La Turquie a toute sa place dans ce projet compte tenu du rôle important qu'elle joue, comme facilitateur, notamment au Moyen-Orient. Mais, ce n'est en aucun cas, je le dis, un substitut au processus en cours avec l'Union européenne. Et je veux le dire très clairement ici.

Q - Certains disent que la Turquie doit adhérer en 2013 ; d'autres disent en 2015 ; d'autres encore en 2020. Si la Turquie effectue les réformes nécessaires, quel est votre pronostic personnel sur sa date d'adhésion ?
R - On ne peut pas avoir de pronostic. Je vois l'habileté de votre question. C'est un processus long. Je le répète, vous connaissez la position de la France. C'est un processus qui est important pour l'Union européenne et pour la Turquie. Tout cela dépend également du rythme des réformes qui seront conduites en Turquie. C'est cela qui est important pour la Turquie et pour la France. La France soutient le processus de réformes qui doit se faire jour en Turquie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2008