Texte intégral
C. Barbier.- Grèves et manifestations de fonctionnaires aujourd'hui, notamment d'enseignants, pour protester contre les suppressions de postes. Acceptez-vous de rouvrir le dossier des 11.200 postes supprimés cette année ?
Bien sûr que non, ce n'est pas là la question de l'école comme vous le savez. J'ajoute que la manifestation d'aujourd'hui sera la 31ème en sept ans, et que, il y a quelque chose de rituel dans ces grandes manifestations qui ne permettent pas de toucher au fond des choses. Je respecte que l'on défile et que l'on fasse la grève, je regrette cependant que ces méthodes soient si surannées, si dépassées, si inadaptées aux problèmes de fond que nous devons nous poser. Il faut se mettre autour d'une table et parler de l'école.
"Surannées", dites-vous ce matin, "bouffonnerie" avez-vous déclaré le 7 mai dans Le Figaro Magazine. Vous maintenez ce mot qui s'adressait aux manifestations de lycéens ?
Je persiste à penser que ces méthodes ne sont pas adaptées aux problèmes de la France d'aujourd'hui. Et que d'ailleurs, demain, un fois cette manifestation terminée, quelle que soit son ampleur d'ailleurs que je ne sous-estime pas, eh bien, nous aurons simplement constaté, qu'une fois de plus, les conservatismes, les dogmatismes, la défense des intérêts acquis aura défilé. Et que, dans tout cela, aura-t-on parlé des élèves, aura-t-on parlé de l'avenir de l'école de la France ? Se sera-t-on posés la question de savoir, pourquoi l'école française, qui coûte plus cher que toutes les autres, est l'une des moins efficaces ? Non !
Manifester est "suranné" dites-vous. Reprenez-vous à votre compte l'idée d'A. Santini, c'est-à-dire, qu'un fonctionnaire gréviste se met un brassard à la japonaise, mais il reste à son poste de travail ?
Ce serait le rêve. Je ne crois pas que nous y soyons prêts. Ce que je rappelle, c'est que tout ça désorganise beaucoup les services publics, que entre ces 30 jours de grève que nous avons eus dans ces sept dernières années, entre le fait que, pratiquement depuis le mois d'avril, on travaille très mal dans nos lycées, ici ou là, parce que c'est la pagaille, entre le fait que, au mois de juin on ne travaille pas parce que c'est les examens, tout ça coûte très cher. Savez-vous combien coûte une semaine de lycée au contribuable français ?
Dites-nous !
250 millions d'euros ! Cela veut dire que l'Etat, le contribuable, dépense beaucoup d'argent pour l'école, qui est dispersé en activités diverses de protestations ou de détournement de l'utilité sociale des enseignements, et je trouve que tout cela est bien regrettable.
La FIDL veut arrêter le mouvement lycéen ce soir, pas l'UNL, il reste des récalcitrants, que leur dites-vous pour qu'ils cessent leur mouvement ?
Je crois que l'UNL aussi a dit, la semaine dernière...
Ils vont voir ce soir...
Je crois que le mouvement va s'arrêter pour les lycéens, tout simplement parce que nous arrivons aux échéances, aux examens. Et puis aussi, avec les lycéens, nous avons, contrairement à certains adultes, ils ont pu parler du fond avec nous, en particulier, ils disent la même chose que le ministre, ils disent aux enseignants la même chose que le ministre : il faut réorganiser le lycée, il faut travailler différemment, il faut de l'accompagnement éducatif, il faut de l'attention portée à ceux qui sont en difficulté, il faut de l'orientation, il faut que les élèves soient plus autonomes, il faut que des gens les accompagnent dans leurs travaux, dans leurs recherches, dans les centres de documentation et d'information, il faut qu'ils travaillent sur Internet. Bref, il faut faire une chose beaucoup plus moderne, beaucoup plus réactive, beaucoup plus modulaire. Eux au moins, les lycéens - ils donnent une leçon d'ailleurs à certains égards aux adultes -, ils parlent du fond.
Alors les adultes de la FSU vous parlent du fond aussi. Ils supposent trois conditions pour stopper le mouvement des enseignants. La première, transformer les heures supplémentaires en véritables emplois. Y êtes-vous prêt ?
Bien sûr que non, et je ne comprends pas qu'un syndicat puisse défendre le fait qu'on diminue le pouvoir d'achat des enseignants. Je rappelle que presque tous les enseignants de France font une heure ou deux supplémentaires ; Deux heures supplémentaires c'est 2600 euros ; que 35 % d'entre eux souhaitent en prendre plus, c'est un sondage fait par la FSU. Et donc, ce que demande le syndicat, c'est au fond, appauvrir les enseignants de France, et ce n'est pas ce qu'ils demandent.
Mais donner plus de travail à plus d'enseignants ?
Plus de travail, certes. Mais enfin, les enseignants aujourd'hui, ont un service qui leur permet d'assurer leur mission. Ils sont volontaires pour prendre ces heures supplémentaires qui leur donnent un pouvoir d'achat supplémentaire, et je ne crois pas que ce soit une bonne politique pour un syndicat même, de lutter contre ce fait-là.
Alors deuxième condition de la FSU, des engagements pour la suite. Si on applique - petite équation - la règle du 1 sur 2 non remplacé, pour les départs en retraite dans les trois ans qui viennent, 35.000 dans la fonction publique par an, vous devez en porter la moitié, 18.000 par an, ça veut dire que vous allez supprimer 54.000 postes en trois ans !!
Non, non, ça vaut rien, et d'ailleurs ce n'est pas ce qui s'est passé, puisque la règle du 1 sur 2 ne s'est pas appliquée strictement à l'Education nationale. Nous savons bien que c'est plus difficile chez nous qu'ailleurs. Mais il faudra continuer évidemment à organiser notre service. La préoccupation n'est pas de dire, d'emblée, "ne retirons pas d'emplois et continuons la même chose". Il faut fixer d'abord les règles de ce que sont nos objectifs, rationaliser notre service, faire en sorte que nous sachions ce qu'est le projet politique, éducatif, pédagogique de la nation, et ensuite nous verrons comment on fait. On ne peut pas dire, "recrutez d'abord, et nous réfléchirons ensuite", ce n'est pas ainsi que je procède.
Quand communiquerez-vous le chiffre de suppressions de postes de l'année 2009 ?
Vous connaissez comme moi les règles budgétaires, tout ceci va se discuter pendant l'été, je pense qu'à la fin de l'été, nous aurons un arbitrage ; quel qu'il soit je le respecterai, et je sais que nous avons des marges de manoeuvre encore pour rendre le système non moins efficace, et peut-être moins dépensier.
Troisième condition de la FSU, ouvrir des négociations réelles sur la revalorisation du métier d'enseignant, après le rapport Pochard, un peu enterré déjà...
Le rapport Pochard n'est pas enterré du tout, ce sont les syndicats, et en particulier la FSU précisément, qui ont considéré que ce rapport, écrit par une commission pluraliste, qui s'est contentée d'entendre des personnes qui disent objectivement ce qu'elles pensaient, que ce rapport était irrecevable à ses yeux, et qu'elle ne voulait pas engager des conversations en se fondant sur ce rapport. Donc, ma porte est toujours ouverte. Lorsqu'on aura fini de défiler, si on veut bien vouloir parler enfin de choses sérieuses, eh bien nous parlerons de la revalorisation, que le président de la République, N. Sarkozy, souhaite, et a d'ailleurs promis.
Si ce soir vous constatez, comme c'est probable, que la plupart des mairies, notamment de gauche, n'ont pas joué le jeu du service minimum d'accueil dans le primaire, est-ce que vous déposez immédiatement un projet de loi instaurant la déclaration obligatoire, 48 heures par avance, pour un enseignant gréviste ?
La détermination du Gouvernement sur ce sujet est totale. Il est inacceptable que la France, seul pays développé qui fasse cela, ne soit pas capable d'organiser un accueil pour les petits enfants lorsque des grèves s'installent dans le premier degré. Donc, nous prendrons les décisions qui s'imposent, et vraisemblablement, ce seront des décisions législatives.
Parce que les maires ne jouent pas le jeu ?
Parce que les maires de gauche, qui préfèrent l'intérêt du Parti socialiste à la liberté des familles, ont empêché que se produise ce service minimum d'accueil. Cela dit, ne sous-estimons pas du tout la bonne volonté de beaucoup de mairies ; il y a 2.837 communes qui vont le faire aujourd'hui, elles étaient un peu moins de 2.000 le 23 janvier, il y a donc une progression, malgré le veto qui a été porté par les mairies de gauche.
"Les décharges de services", comme on les appelle, correspondent, selon le ministère, à l'équivalent de 23.200 enseignants qui n'enseignent pas, qui sont occupés dans d'autres activités ou en attente d'affectation. Allez-vous interdire les mises à disposition de "profs" dans les syndicats, les associations, d'autres secteurs ?
Non, bien sûr que non. D'abord, la loi exige que nous ayons des décharges syndicales, et elles sont nécessaires. Et dans ces professeurs, ces postes, qui correspondent à des postes de détachement ou d'activités autres que celle de l'enseignement, il y a des choses très utiles à l'école. Je pense en particulier à toutes les décharges qui permettent aux directeurs d'écoles d'assurer leurs fonctions. Mais, je serai transparent sur ce sujet, et j'indiquerai lors de la discussion budgétaire exactement où nous en sommes sur ce point. J'ajoute qu'il faut aussi que nous nous posions la question du remplacement, nous avons un système de remplacement qui ne marche pas toujours très bien, alors que, bon an, mal an, ce sont 50.000 postes, ce sont 50.000 personnes qui sont affectées à ce remplacement.
Vous avez supprimé la double compétence. C'était bien pour un prof qui n'avait de travail dans sa matière d'enseigner autre chose.
C'est un sujet, comme vous le savez, qui n'est pas facilement accepté par nos personnels. Mais en tous les cas, il faut certainement mettre plus de souplesse dans l'organisation de nos remplacements, et c'est, en effet, un des sujets majeurs pour les années qui viennent et peut-être dès l'an prochain.
La FCPE, la Fédération de parents d'élèves, s'inquiète. Les élèves vont travailler beaucoup moins en primaire ; un semestre de perdu sur toute la scolarité du primaire, a-t-elle calculé cette Fédération. Faites-vous baisser le niveau ?
Oui...La Fédération du conseil des parents d'élèves, c'est la Fédération contre les parents d'élèves, c'est-à-dire, qu'elle dit toujours le contraire de ce que pensent les parents. Vous prenez un sondage, sur quelque sujet que ce soit : approuvez-vous les programmes du primaire ? 7 % des parents pensent que ça va dans le mauvais sens, 7 % ! La Fédération du conseil des parents d'élèves est contre. Vous organisez gratuitement des cours de rattrapage pour les élèves en grande difficulté - ce que les familles aisées achètent dans des cours privés -, la Fédération des parents d'élèves est contre. Vous organisez un service des enseignants pour que deux heures par semaine ils s'occupent des élèves en difficulté, ce que les syndicats eux-mêmes ont signé dans un protocole, la Fédération contre les parents d'élèves est contre.
Est-elle manipulée par la gauche ?
En tous les cas, je constate qu'il est tout à fait étrange que sur tout sujet, cette Fédération parle de la même manière que les syndicats ou les partis de gauche, et jamais de la même manière que les parents.
En demandant qu'on enseigne en primaire l'histoire de l'esclavage, alors que c'est le cas depuis plusieurs années, N. Sarkozy n'a-t-il pas montré ses carences en matière d'enseignement et de connaissance de l'Education ?
Non, le président N. Sarkozy, savait très bien que ce sujet était abordé au cours de la scolarité. Ce qu'il rappelle, et il est dans son rôle de Président, c'est ce qui lui paraît être un enjeu majeur pour souder la nation. Il l'a dit, à propos des valeurs fondant la République autour de la Résistance ; il l'a dit, à propos de la mémoire que nous devons avoir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale ; il le dit, à propos de l'esclavage. Il est dans son rôle de nous rappeler que, quels que soient les programmes, il faut en tous les cas que ces sujets soient mis en valeur.
Chaque fois il y a une petite polémique, la Shoah en CM2 ou l'esclavage en primaire...
Mais parce qu'il y a beaucoup de polémiques chaque fois que le président de la République s'exprime. Mais je le répète, il est dans son rôle lorsqu'il rappelle ce que, à ses yeux, nous devons savoir pour faire cohésion au niveau national.
F. Bayrou souhaite que les programmes du primaire soient fixés une fois pour toutes, qu'on arrête de les changer à chaque changement de ministre. L'approuvez-vous ?
En tous les cas, ce que je crois c'est que, maintenant, une bonne fois pour toutes, il faut que nous nous en tenions à ce que nous allons proposer, c'est-à-dire, à des programmes clairs, simples et lisibles, compris par tous, écrits dans une langue simple, 30 pages, donnés à tous les parents, sans exception, gratuitement. De sorte que, nous retrouvions ce consensus entre la famille et l'école, et qu'on s'y tienne.
Vous souhaitez que les élèves acquièrent les bases, et pourtant vous êtes contre le redoublement. Le redoublement, c'est bien pour solidifier ces bases ?
Le redoublement, ce n'est pas l'échec de l'élève, c'est l'échec de l'école elle-même. Lorsqu'un élève redouble c'est qu'on n'a pas su accompagner ses difficultés. La plupart des pays modernes ont renoncé complètement au redoublement. Je ne dis pas qu'il faille y renoncer complètement, mais il faut faire en sorte que l'élève soit accompagné lorsqu'il a des difficultés au cours de l'année, ce n'est pas à la fin de l'année qu'il faut constater qu'il ne va pas bien, et quand il passe dans la classe supérieure, il faut aussi par des enseignements plus particuliers, plus adaptés, lui permettre de franchir ce cap.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 mai 2008