Texte intégral
F. Laborde.- Au lendemain d'un mouvement de grève relativement suivi dans l'Education nationale, nous allons écouter X. Darcos. Bonjour, Monsieur le ministre !
Bonjour !
Hier, il y avait, semble-t-il, entre 200.000 et 300.000 manifestants sur l'ensemble du territoire français, un instituteur sur deux était en grève, dit-on d'après les statistiques. Comment expliquez-vous, par exemple, que ce mouvement de colère soit aussi important chez les instituteurs, où, j'allais dire, le problème des effectifs ne se pose pas, par exemple.
Il ne se pose pas puisqu'à la rentrée prochaine nous augmentons le nombre de professeurs dans le premier degré. Je reconnais que dans le premier degré, nous avons fait beaucoup de choses en peu de temps et que ça peut créer un peu d'émotion. Nous avons changé l'organisation de la semaine, souvenez-vous de la suppression du samedi matin ; nous avons changé l'organisation du travail des enseignants, puisque désormais ils devront deux heures à leur service pour s'occuper des élèves en difficultés ; nous avons mis en place un nouveau système d'évaluation, nous avons fait de nouveaux programmes...
D'évaluation des enseignants ?
Des enseignants et des élèves. Nous avons fait de nouveaux programmes et qui ont été faits assez rapidement malgré beaucoup de transparence, nous avons mis en place des stages pour remédier aux difficultés des élèves qui vont rentrer en 6ème, en CM1 et CM2, 85.000 élèves en ont profité dès les vacances de Pâques. Nous allons mettre en place à la rentrée prochaine de l'accompagnement éducatif. Tout ça est en effet relativement une révolution, je veux bien le reconnaître, nous avons été assez vite. Mais nous l'avons fait pas du tout pour ennuyer les professeurs des écoles, pour qui j'ai le plus grand respect, qui d'ailleurs font bien leur métier, je crois que les professeurs le reconnaissent, mais parce qu'il nous semblait que nous ne pouvions pas rester dans la situation qui était la nôtre, qui fait qu'aujourd'hui les élèves qui ont dix ans comparés à leurs petits camarades des autres pays européens sont en recul, sont en difficultés, et que 15 % d'entre eux, comme vous le savez, entrent en 6ème sans savoir lire.
Alors il y a eu tout de même après cette journée de mobilisation une déclaration du président de la République qui a été vécue par les manifestants, les syndicats enseignants, un peu comme une provocation. Ils ont eu le sentiment que vous n'aviez pas entendu ou voulu écouter leurs plaintes et que, pour reprendre leur expression, vous aviez franchi la ligne rouge, avec notamment toutes les nouvelles dispositions à propos notamment des jours de grève.
Ecoutez, F. Laborde, il faut qu'on s'habitue dans ce pays à ce que les hommes politiques fassent ce qu'ils ont promis qu'ils feraient. Le président de la République il a été élu sur un projet, sur un programme ; ce programme comportait le fait d'assurer la continuité des services publics. Moi-même, lorsque j'ai parlé du service d'accueil, du droit à l'accueil des familles, j'ai dit que nous le ferions et que si nous nous heurtions à des difficultés syndicales ou politiques, eh bien nous prendrions des dispositifs législatifs. C'est ce que nous faisons. Il n'y a pas de provocation à faire, ce pourquoi on a été élu. Il y aurait de la provocation à reculer par rapport aux promesses électorales ou politiques qui sont les nôtres, au motif que des gens défilent dans la rue. Ce n'est pas ça la démocratie. Il y a un programme politique, il y a des élus, il y a des responsables, ils font ce qu'ils ont promis qu'ils feraient sinon il n'y aura aucun crédit accordé à la vie politique et N. Sarkozy est un président qui a marqué une rupture parce qu'il fait ce qu'il a dit.
Mais quand vous parlez de service minimum, est-ce que c'est la bonne formulation ? Parce que le service minimum c'est quand on fait à la place de. On sait que dans les transports, le service minimum c'est qu'il y a un minimum de transports. Là, il s'agit de faire un minimum d'école, d'éducation, d'enseignement, de cours ou simplement de l'accueil, ce qui n'est pas forcément la même chose.
Vous avez raison de poser la question. De fait, vous avez dû observer que le président de la République a formulé autrement le projet de loi, il s'agit de parler d'un droit à l'accueil, d'un droit à l'accueil pour les familles.
Pris en charge par les municipalités du coup et pas par l'Education nationale.
Pris en charge par les municipalités aux frais de l'Etat. Il ne s'agit pas de dire que, un, on remet en cause le droit de grève, les professeurs feront grève, c'est leur droit, ils n'enseignent pas, c'est très bien, ça les regarde. Il s'agit de dire cependant, pour les familles qui ont des petits enfants, car il s'agit de l'école primaire, qu'est-ce qu'ils font ce jour-là ? Eh bien, ils ont droit à un accueil, nous reconnaissons ce droit - on disait parfois droit opposable au principe d'accueil. Et comme c'est une des responsabilités qui incombe aux communes car c'est ainsi que les choses sont faites en France, ce sont les communes qui ont la responsabilité des écoles, nous demandons aux communes de l'organiser, mais en revanche, nous, l'Etat, nous remboursons les dépenses qui sont engagées à cette occasion. C'est donc un droit et non pas un service minimum, vous avez raison.
L'obligation de faire une déclaration, de déclarer qu'on est gréviste quarante-huit heures avant, il y a une sorte de consensus quand même qui se dégage, je voyais que ce matin J.-M. Ayrault, responsable du groupe socialiste, PS, à l'Assemblée, disait qu'il n'était pas opposé à ce principe-là.
Oui, je crois que personne ne peut trouver anormal qu'on se déclare gréviste. On ne va pas découvrir lorsqu'on amène son petit garçon à l'école ou sa petite fille, à huit heures moins une, qu'on est en grève ou pas, c'est tout à fait normal que les gens se déclarent grévistes...
Comme dans les transports, au fond.
Comme dans les transports. Dans ce dispositif d'ailleurs de déclaration, nous ne tiendrons pas compte des personnes et de leur nom, nous repérons simplement des quantités, des nombres, il ne s'agit pas évidemment de ficher les gens qui sont grévistes.
Alors sur le front de la réforme, vous avez l'intention de poursuivre, si je puis dire, vous avez notamment l'intention de vous attaquer au problème des remplacements, il y a 50.000 enseignants qui sont, si je puis dire, « disponibles » pour effectuer ces remplacements, vous voulez créer une agence nationale de remplacements. C'est quoi, c'est une super agence d'intérim ?
D'abord, vous voyez que c'est en conformité avec ce que nous venons de dire sur le service d'accueil. Il faut qu'il y ait une continuité du service public et que tout le monde soit égal devant le droit à l'éducation. Ce n'est pas normal qu'ici des professeurs soient remplacés et qu'ailleurs ils ne le soient pas, donc il y a une disparité. Notre système ne marche pas très bien, alors que nous avons en effet 50.000 personnes qui sont payées par le contribuable et par nous tous pour assurer les remplacements. Et tous les parents qui nous entendent savent qu'ils leur aient arrivé, parfois sur des périodes assez longues, que tel ou tel professeur ne soit pas remplacé. Donc notre système n'est pas efficace. Alors il ne s'agit pas de toucher au statut des personnels qui sont remplaçants, qui sont des professeurs titulaires, qui sont rattachés à des établissements et d'ailleurs ce n'est pas eux-mêmes qui sont en cause, c'est qu'on ne sait pas bien les mobiliser. Donc il ne s'agit pas du tout de créer, je ne sais pas, une espèce d'agence d'intérim privée. C'est une agence qui dépendra directement de l'Etat et qui sera pilotée par le ministère. Mais il s'agit de faire quelque chose de plus réactif, plus moderne, en particulier nos systèmes de zones ne sont pas bons. Vous êtes à Avignon, vous pouvez remplacer dans le département qui vous concerne ; vous traversez une rivière, vous êtes à Villeneuve-lès-Avignon, vous ne pouvez plus parce que vous n'êtes plus de la même circonscription, du même département, de la même académie. Donc le système n'est pas efficace...
Mais il ne s'agit pas, par exemple, de prendre quelqu'un qui serait absent à Lille et de le faire remplacer par un professeur qui serait à Bordeaux ?
Non, non, ce n'est pas du tout comme ça que les choses se passent, elles ne sont pas par zone, et puis lorsque vraiment nous manquons ponctuellement de tel ou tel professeur, l'agence pourra solliciter des jeunes professeurs qui sont en fin de préparation, des stagiaires ou des élèves qui sont en fin de master.
Deux autres nouveautés, vous voulez arrêter le redoublement dans les écoles, vous considérez que c'est inefficace.
Nous sommes à peu près le seul pays au monde où nous faisons redoubler tant d'élèves et il est observé que ça n'a pas un effet extraordinairement efficace dans beaucoup de cas sur la carrière de l'élève. Ce qu'il faut c'est prévenir, il faut le rendre inutile le redoublement, si vous voulez, c'est-à-dire il faut avoir un système plus modulaire, plus adapté, lorsque l'élève commence à être en difficultés, il faut pouvoir lui apporter le soutien...
Le faire en cours d'année plutôt que d'attendre le conseil de classe.
Voilà, d'où l'accompagnement éducatif que nous mettons en place. Et puis lorsqu'il passe dans la classe supérieure, l'accompagner aussi en début d'année.
Une toute dernière question, très rapidement, vous aviez dit que les cours ne s'arrêteraient plus début juin pour cause de baccalauréat, de choses, machin. On se rend compte que cette année encore, les conseils de classe tout est bouclé fin mai et qu'au mois de juin, c'est déjà les vacances.
Alors vous savez que nous avons expérimenté dans cinq académies le dispositif de reconquête du mois de juin, qui marche très bien. Dans ces académies, les élèves travailleront jusqu'à fin juin, et l'an prochain, nous généraliserons, il n'y a pas de raison de ne pas le faire. Le lycée coûte très cher, il coûte 250 millions d'euros par semaine, le lycée, il n'y a pas de raison de perdre quatre semaines tous les ans.
Merci, X. Darcos, d'être venu nous voir ce matin, très bonne journée à vous !
C'est moi qui vous remercie !
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement le 16 mai 2008